Les frais de déplacements de la policière fribourgeoise

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A.________ est domiciliée dans le canton de Fribourg. Elle travaille au sein de la Police cantonale genevoise à plein temps depuis le 1er avril 2020. 

 Dans sa déclaration fiscale pour l’année 2020, A.________ a porté notamment en déduction de son revenu un montant de 28’696 fr. au titre de frais d’acquisition du revenu déductible pour les impôts cantonal et communal (ICC). Ce montant correspondait au trajet parcouru entre son domicile et son lieu de travail situé à B.________, soit 51’382 km (292 km x 176 jours). Elle a aussi déclaré un montant de 3’150 fr. à titre de frais de repas. 

Par avis de taxation ordinaire du 19 août 2021, le Service cantonal des contributions du canton de Fribourg (ci-après: le SCC) a admis la déduction des frais de transport à hauteur de 3’860 fr. et des frais de séjour et de repas pris hors du domicile à hauteur de 10’080 fr. pour les ICC.

Par décision du 11 janvier 2022, le SCC a admis partiellement la réclamation de A.________ en arrêtant les frais de transport déductibles pour les ICC à 7’307 fr. et le montant des frais de repas et de séjour hors du domicile à 10’575 fr.

Saisie d’un recours de A.________, la Cour fiscale du Tribunal cantonal du canton de Fribourg l’a partiellement admis en ce qui concerne les ICC; elle a annulé la décision du 11 janvier 2022 et a renvoyé la cause au SCC pour qu’il fixe à nouveau la déduction des frais de déplacements professionnels et la déduction des frais de repas dans le sens des considérants. Elle a considéré que la première déduction devait être déterminée en fonction des kilomètres parcourus par la contribuable avec son véhicule privé durant ses neuf mois d’activité au taux de 100 % et que la seconde déduction devait être modifiée en conséquence.

Le SCC interjette un recours en matière de droit public contre l’arrêt cantonal. Il conclut à l’annulation de celui-ci et à la confirmation de sa décision sur réclamation. Il conclut que « la déduction des frais de déplacement pour les trajets quotidiens entre le domicile et le lieu de travail de la contribuable doit être rejetée, sous suite de frais et dépens ». Seul le trajet l’aller et le retour une fois par semaine au moyen du véhicule privé doit être admis en déduction. Les frais fictifs pour une chambre sur place ainsi que les frais de deux repas pour les jours travaillés pourront être portés en déduction du revenu au titre de frais d’acquisition du revenu.

Devant le Tribunal fédéral, le recourant [= le SCC] semble contester les constatations de la juridiction cantonale selon lesquelles la contribuable a des horaires de travail irréguliers, fluctuants et de nuit (semaine et week-ends) mais revient, à un moment ou à un autre de la journée, le soir et la nuit, à son domicile pour s’occuper de ses deux enfants qu’elle élève seule. Dès lors qu’il se limite toutefois à soutenir qu’il apparaît improbable que l’intimée effectue tous les jours les trajets aller-retour entre son domicile et son lieu de travail, il ne se plaint pas de manière circonstanciée du caractère manifestement inexact des faits établis par les juges précédents.

Le litige porte sur la détermination de la déduction des frais de transport de l’intimée en lien avec son revenu imposable en matière d’ICC pour l’année 2020. La juridiction cantonale a admis la déduction des frais de véhicule privé pour les déplacements professionnels quotidiens, en fonction des kilomètres parcourus par la contribuable, ce que le recourant conteste en soutenant que seul un trajet aller-retour hebdomadaire au moyen du véhicule privé doit être admis en déduction du revenu net, ainsi que les frais hypothétiques de logement sur le lieu de travail et les frais de deux repas pour les jours travaillés. 

 La juridiction cantonale a rappelé de manière complète le droit et la jurisprudence applicables en matière de déduction des frais de déplacement (cf. art. 27 al. 1 let. a de la loi fribourgeoise du 6 juin 2000 sur les impôts cantonaux directs [LICD; RS/FR 631.1); il suffit de renvoyer à l’arrêt attaqué sur ce point (art. 109 al. 3 LTF). Dès lors que l’art. 27 LICD a un contenu identique à celui de l’art. 26 al. 1 let. a de la loi du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD; RS 642.11), en relation avec l’art. 9 al. 1 LHID, il peut aussi être renvoyé à la jurisprudence développée en matière d’IFD.

Le recourant reproche aux juges précédents d’avoir méconnu la jurisprudence applicable en matière de frais de déplacement lorsque des contribuables habitent loin de leur lieu de travail. En substance, le SCC se fonde sur trois arrêts du Tribunal fédéral (arrêts 2P.251/2006 du 25 janvier 2007; 2P.64/2004 du 19 juillet 2004; 2A.479/1995 du 14 mai 1996). Il en déduit notamment que les frais de déplacement en véhicule privé d’une distance conséquente ne constituent pas des frais d’acquisition du revenu nécessaires et qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération la situation personnelle, très particulière, de l’intimée, conformément à un certain schématisme applicable en cas de « procédures de masse ». Il se réfère à la situation d’un père de famille qui louait une chambre au lieu de travail pour deux soirs où il ne rentrait pas à son domicile, situation dans laquelle le Tribunal fédéral n’avait pas considéré comme arbitraire le refus de déduire les frais de déplacement effectifs en véhicule privé (arrêt 2A.479/1995 cité). Selon le recourant, il serait choquant de considérer que le père de famille n’aurait pas l’obligation de retourner chez lui mais le souhaitait pour maintenir le lien avec sa famille, ce qui reviendrait à priver un père de toute relation hebdomadaire avec ses enfants « avec pour seule motivation que la mère pourrait s’en occuper ». Cette comparaison démontrerait qu’il serait très difficile de tenir compte de chaque cas particulier et qu’un certain schématisme s’imposerait indépendamment de la situation personnelle. Le SCC fait également valoir que la contribuable a fait le choix de prendre le poste à B.________ pour des raisons financières et qu’elle aurait pu obtenir un poste, certes moins bien rémunéré mais plus proche de son domicile, et qu’ainsi les frais de déplacement allégués seraient disproportionnés. 

 L’argumentation du SCC ne met pas en évidence une violation des règles légales ou de la jurisprudence en matière de déduction à titre de frais de déplacement. Tout d’abord, en niant devoir prendre en considération les circonstances personnelles de l’intimée – dont il admet cependant qu’il s’agit d’une « situation concrète complexe » – le recourant ne s’en prend pas à la motivation des juges précédents sur le point de savoir « ce qui peut être raisonnablement exigé du contribuable (« Zumutbarkeit »)  » en lien avec le parcours quotidien jusqu’au lieu de travail, pour examiner si la déduction des frais de déplacement en véhicule privé paraît appropriée aux circonstances. Or la juridiction cantonale a, de manière circonstanciée, mis en évidence qu’il n’était pas raisonnable d’exiger de l’intimée qu’elle effectuât le trajet de son domicile à son lieu de travail en transports publics en raison de la durée de celui-ci (2h49 pour l’aller contre 1h43 en voiture), alors que la nombre de kilomètres effectués par jour en voiture (292 km) ne pouvait constituer l’unique motif de refuser la déduction de frais de transport compte tenu des circonstances concrètes (les horaires irréguliers, fluctuants et de nuit [y compris les week-ends] du travail au sein de la police cantonale, le caractère transitoire de cet emploi et le rôle de parent élevant seule ses enfants). Ensuite les arrêts du Tribunal fédéral sur lesquels se fonde le SCC ne lui sont d’aucune aide, dès lors qu’on ne saurait en déduire que les circonstances personnelles du contribuable dont la situation est examinée ne devraient pas être prises en considération. Il s’agit par ailleurs de causes présentant des circonstances particulières, propres à chacune, et qui ont été examinées par le Tribunal fédéral, contrairement à ce que semble soutenir le recourant, même si elles avaient en commun le fait que les distances parcourues par les contribuables respectifs étaient importantes. Le recourant tente certes de faire une comparaison entre la contribuable et un père de famille ne rentrant pas tous les soirs, mais argumente en fonction d’une hypothèse dont il n’a pas été question dans l’arrêt 2P.64/2002 du 19 juillet 2004. 

Par ailleurs, le SCC se méprend lorsqu’il entend tirer argument du fait que les procédures fiscales sont des procédures dites de masse pour en déduire qu’il convient d’ignorer les circonstances personnelles de la contribuable et d’appliquer un certain schématisme. En effet, les impératifs de l’administration de masse ont trait avant tout à des questions procédurales et de vérification des déclarations fiscales par les autorités de taxation et non pas à l’application d’une règle de droit matériel au cas d’espèce (cf. arrêt 2C_792/2021 du 14 mars 2022 consid. 5.3). Dès lors, c’est à juste titre que la juridiction cantonale s’est fondée sur les circonstances particulières du cas d’espèce (horaires de travail irréguliers de jour et de nuit y compris les week-ends, contribuable élevant seule ses enfants, caractère provisoire de l’emploi) pour admettre que l’intimée avait droit à la déduction en entier de ses frais de déplacements quotidiens effectués en véhicule privé. Le SCC reconnaît du reste expressément que la contribuable a une situation personnelle particulière – notamment qu’elle ne peut pas laisser ses deux enfants seuls toute la semaine – tout en affirmant, sans le démontrer, que cette solution créerait un résultat choquant. Dès lors que les premiers juges ont examiné la déduction en cause pour l’année 2020 en qualifiant de transitoire la situation professionnelle de l’intimée, la disproportion entre les frais de déplacement revendiqués et le revenu obtenu, invoquée par le recourant, n’apparaît pas déterminante.

Compte tenu de ce qui précède, les griefs invoqués sont manifestement mal fondés et le recours doit être rejeté selon la procédure simplifiée de l’art. 109 al. 2 let. a LTF.

(Arrêt du Tribunal fédéral 9C_706/2022 du 23 novembre 2023)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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