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La preuve des heures supplémentaires

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Selon l’art. 321c CO, si les circonstances exigent des heures de travail plus nombreuses que ne le prévoit le contrat ou l’usage, un contrat-type de travail ou une convention collective, le travailleur est tenu d’exécuter ce travail supplémentaire, dans la mesure où il peut s’en charger et où les règles de la bonne foi permettent de le lui demander (al. 1); l’employeur peut, avec l’accord du travailleur, compenser les heures de travail supplémentaires par un congé d’une durée au moins égale (al. 2); l’employeur est tenu de rétribuer les heures de travail supplémentaires qui ne sont pas compensées par un congé en versant un salaire normal majoré d’un quart au moins, sauf clause contraire d’un accord écrit, d’un contrat-type de travail ou d’une convention collective (al. 3).

Par heures supplémentaires, on entend celles qui sont effectuées au-delà de la durée normale du travail, que cette dernière soit fixée contractuellement, tacitement, par une convention collective ou encore par l’usage au sein de l’entreprise.

En application de l’article 8 CC, il incombe au travailleur de prouver qu’il a effectué des heures supplémentaires et qu’elles ont été annoncées à l’employeur ou que celui-ci avait connaissance ou devait avoir connaissance de leur existence.

L’employeur est également tenu à rémunération lorsqu’il n’a émis aucune protestation, tout en sachant que le travailleur effectuait des heures supplémentaires, et que ce dernier a pu déduire de ce silence que lesdites heures étaient approuvées.

Cela étant, lorsque l’employeur sait ou doit savoir que l’employé accomplit des heures au-delà de la limite contractuelle, celui-ci peut, de bonne foi, déduire du silence de celui-là que lesdites heures sont approuvées, sans avoir à démontrer qu’elles sont nécessaires pour accomplir le travail demandé. Une annonce rapide du nombre d’heures supplémentaires exact n’est alors pas indispensable à la rémunération de celles-ci, d’autant moins lorsque les parties ont convenu de la possibilité de compenser plus tard les heures supplémentaires en temps libre.

La jurisprudence se montre restrictive lorsqu’il s’agit d’interpréter le silence du travailleur comme une acceptation tacite des modifications défavorables qui lui sont proposées par l’employeur, telles qu’une réduction de salaire. Une acceptation tacite ne peut être admise que dans des circonstances où, selon les règles de la bonne foi, on doit attendre une réaction du travailleur en cas de désaccord de sa part. Il en est notamment ainsi lorsqu’il est reconnaissable pour le travailleur que l’employeur en déduit son accord tacite et que, dans le cas contraire, il prendrait d’autres mesures ou résilierait le contrat. Le travailleur doit alors exprimer son désaccord dans un délai raisonnable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2018 du 27 février 2019 consid. 3.5.3 et les références citées). Le simple de fait de laisser s’écouler du temps pendant le délai de prescription d’une prétention et de tarder à agir en justice ne constitue en principe ni une renonciation à la prétention du travailleur, ni un abus de droit, sauf circonstances particulières (ATF 131 III 439 consid. 5.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_367/2018 précité consid. 3.5.3; 4A_205/2016 du 23 juin 2016 consid. 2.4).

Il faut distinguer la tardiveté de l’annonce par le travailleur qu’il a effectué des heures de travail supplémentaire de la tardiveté de la demande d’indemnisation des mêmes heures. Ainsi, lorsque l’employé peut partir de l’idée que l’employeur est conscient de la nécessité d’exécuter des heures supplémentaires, il est autorisé à attendre, pour les chiffrer, de savoir si et dans quelles proportions il aura besoin, à long terme, de plus de temps pour accomplir les tâches qui lui ont été confiées. Dans le cas d’espèce faisant l’objet de l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral dans la cause 4A_184/2018, il avait été constaté que l’employeuse connaissait la nécessité d’effectuer un certain nombre d’heures supplémentaires. Toutefois, quand bien même l’obligation d’annonce de l’employée n’était pas immédiate, le Tribunal fédéral a retenu qu’elle ne pouvait pas attendre sept ans pour réclamer plus de 7’000 heures de travail, après avoir accepté chaque mois, durant cette longue période, le paiement de son salaire sans jamais faire état des heures supplémentaires effectuées. Dans cette configuration et tenant compte également de la liberté dont l’employée bénéficiait dans l’organisation de son temps de travail, la prétention litigieuse apparaissait abusive (arrêt du Tribunal fédéral 4A_184/2018 du 28 février 2019 consid. 2.2.2).

S’il n’est pas possible d’établir le nombre exact d’heures effectuées, le juge peut, par application analogique de l’art. 42 al. 2 CO, en estimer la quotité. Si l’art. 42 al. 2 CO allège le fardeau de la preuve, il ne dispense pas le travailleur de fournir au juge, dans la mesure raisonnablement exigible, tous les éléments constituant des indices du nombre d’heures accomplies. La conclusion selon laquelle les heures supplémentaires ont été réellement effectuées dans la mesure alléguée doit s’imposer au juge avec une certaine force. Lorsque l’employeur n’a mis sur pied aucun système de contrôle des horaires et n’exige pas des travailleurs qu’ils établissent des décomptes, il est plus difficile d’apporter la preuve requise; l’employé qui, dans une telle situation, recourt aux témoignages pour établir son horaire effectif utilise un moyen de preuve adéquat (arrêts du Tribunal fédéral 4A_611/2012 du 19 février 2013 consid. 2.2; 4A_543/2011 du 17 octobre 2011 consid. 3.1.3). Les documents librement confectionnés par l’une des parties au procès sont toutefois sujets à caution et n’ont a priori pas plus de valeur probante que de simples allégations de cette partie. Les relevés personnels du travailleur ne suffisent pas, mais s’ils sont fournis quotidiennement ou mensuellement à l’employeur, ils constituent un moyen de preuve approprié, quand bien même ils n’auraient pas été contresignés par ce dernier.

Dans les entreprises où les employés ont une certaine liberté d’organiser leur horaire de travail à l’intérieur de certaines plages horaires bloquées, le travailleur doit spontanément compenser les heures effectuées en trop par un congé. Il lui appartient de faire en sorte que l’excédent d’heures puisse être facilement compensé par la prise de congés. Dans un tel système, il n’y a en principe pas la place pour des heures supplémentaires puisque, d’une part, le travailleur est censé fournir, sur une période de référence déterminée un nombre d’heures de travail conforme à celui convenu, et que d’autre part, c’est l’employé lui-même qui décide de travailler, à certains moments, plus ou moins d’heures que celles prévues contractuellement (arrêts du Tribunal fédéral 4A_227/2016 du 24 octobre 2016 consid. 4.2; 4A_612/2012 du 19 février 2013 consid. 3.2).

En l’espèce, le raisonnement du Tribunal est exempt de toute critique. En effet, l’appelant a produit des décomptes d’heures effectuées établis par ses soins pour les besoins de la présente procédure, dont il a admis une marge d’erreur de 10% par rapports aux heures réellement travaillées. Il a déclaré devant les premiers juges qu’il avait dû effectuer des heures supplémentaires chez lui après ses heures de travail, notamment, pour réaliser une brochure, que personne ne contrôlait ses heures de travail, que les heures supplémentaires qu’il avait effectuées ne lui avaient pas été demandées par l’intimée, mais avaient été effectuées avec son accord, celle-ci sachant qu’il ne pouvait accomplir ses tâches durant les heures de bureau, qu’il n’avait pas remis de tableaux d’heures supplémentaires à l’intimée pour les années 2015 à 2018, qu’il avait soumis un tel tableau durant le 1er trimestre 2019, que son employeuse lui avait alors proposé de compenser en se présentant deux heures par jour à l’agence, ce qu’il avait refusé de faire, et qu’il n’avait jamais demandé le paiement ou la compensation d’heures supplémentaires.

Comme l’a à raison retenu le Tribunal, l’appelant, qui allègue avoir effectué de nombreuses heures supplémentaires à son domicile pour réaliser une brochure, pour améliorer le site internet et pour échanger avec des clients ou des prestataires, n’a pas produit tous les éléments de preuve qui lui incombait, tel les registres de connexions à son ordinateur portable professionnel, qui auraient permis de renseigner sur les heures réellement réalisées. De même, si l’appelant a certes produit un certain nombre de courriels confirmant une activité professionnelle durant les week-ends ou à des heures tardives, cela ne permet toutefois pas d’établir que la réalisation des tâches de l’appelant nécessitait une telle activité, que celle-ci n’aurait pas été compensée – d’autant qu’il ressort de la procédure que l’appelant disposait, à tout le moins, d’une certaine souplesse dans ses horaires – ou encore quelle aurait été sa quotité.

[Par ailleurs], s’il est établi que l’appelant a travaillé en dehors de son horaire usuel, rien ne permet de retenir que cela était nécessaire au regard de l’ampleur ou de la nature de ses tâches. De même, quand bien même l’on retiendrait que l’intimée aurait pu subodorer l’existence d’heures supplémentaires, elle pouvait de bonne foi considérer que l’appelant, qui ne s’était jamais plaint auprès d’elle et jouissait d’une organisation plutôt flexible de son travail, compensait ses éventuelles heures supplémentaires, ce qu’elle lui a, au demeurant, proposé de faire dès que l’appelant lui a, pour la première fois, soumis un tableau d’heures supplémentaires pour l’année 2019.

Partant, l’appelant ne saurait prétendre à être rétribué à ce titre.

(Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice CAPH/21/2023 du 16.02.2023, consid. 3)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Le changement d’affectation du fonctionnaire

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Selon l’art. 132 al. 2 de la loi [cantonale] du 26 septembre 2010 sur l’organisation judiciaire (LOJ; RS/GE E 2 05), le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des articles 4, 4A, 5, 6, alinéa 1, lettres a et e, et 57 LPA; sont réservées les exceptions prévues par la loi. Aux termes de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet (a) de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations, (b) de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits ou (c) de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations. Cette disposition définit la notion de décision de la même manière que l’art. 5 al. 1 PA (RS 172.021). La notion de décision vise donc tout acte individuel et concret d’une autorité, qui règle de manière unilatérale et contraignante des droits ou des obligations. En d’autres termes, constitue une décision un acte étatique qui touche la situation juridique de l’intéressé, l’astreignant à faire, à s’abstenir ou à tolérer quelque chose, ou qui règle d’une autre manière obligatoire ses rapports avec l’Etat. Pour déterminer s’il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l’acte; un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle) si, par son contenu, il en a le caractère, même s’il n’est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d’une décision, comme l’indication des voies de droit-

 Aux termes de l’art. 29a Cst., toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire; la Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l’accès au juge dans des cas exceptionnels. Cette norme constitutionnelle étend donc le contrôle judiciaire en principe à toutes les contestations juridiques, y compris aux actes de l’administration, en établissant une garantie générale de l’accès au juge. Il s’agit en particulier de contestations portant sur les droits et les obligations de personnes, physiques ou morales. L’art. 6 CEDH n’offre pas de protection plus étendue que l’art. 29a Cst. 

 Pour pouvoir invoquer l’art. 29a Cst., il faut que le justiciable se trouve dans une situation de contestation juridique, c’est-à-dire qu’il existe un litige portant sur un différend juridique qui met en jeu des intérêts individuels dignes de protection. En d’autres termes, l’art. 29a Cst. ne confère pas à quiconque le droit d’obtenir qu’un juge examine la légalité de toute action de l’État, indépendamment des règles procédurales applicables; il est en particulier admissible de faire dépendre le caractère justiciable d’une cause d’un intérêt actuel ou pratique. 

 La garantie de l’accès au juge selon l’art. 29a Cst. ne s’applique pas aux actes internes de l’administration qui n’ont pas le caractère d’une décision. La décision comme acte juridique a pour objet de régler la situation d’administrés en tant que sujets de droit et donc, à ce titre, distincts de la personne étatique ou, en d’autres termes, extérieurs à l’administration. On oppose dans ce contexte la décision à l’acte interne ou d’organisation, qui vise des situations à l’intérieur de l’administration; l’acte interne peut avoir des effets juridiques, mais ce n’en est pas l’objet, et c’est pourquoi il n’est en règle générale pas susceptible de recours. Deux critères permettent généralement de déterminer si on a affaire à une décision ou à un acte interne: d’une part, l’acte interne n’a pas pour objet de régler la situation juridique d’un sujet de droit en tant que tel et, d’autre part, le destinataire en est l’administration elle-même, dans l’exercice de ses tâches. Ainsi, un acte qui affecte les droits et obligations d’un fonctionnaire en tant que sujet de droit, par exemple la fixation de son salaire, d’indemnités diverses ou encore de sanctions disciplinaires, est une décision. En revanche, un acte qui a pour objet l’exécution même des tâches qui lui incombent en déterminant les devoirs attachés au service, telles que la définition du cahier des charges, est un acte interne. 

 Tout changement d’affectation n’ouvre pas la voie d’un recours à l’autorité judiciaire. Un changement d’affectation d’un fonctionnaire constitue une décision attaquable lorsqu’il est susceptible de porter atteinte aux droits de la personnalité de l’employé, y compris le droit au respect de sa vie familiale, ou encore lorsqu’il est de nature à porter atteinte à la considération à laquelle il peut prétendre au regard notamment de ses aptitudes. Il en va de même quand le changement d’affection représente une sanction déguisée et constitue de ce fait un acte attaquable.

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’ATF 136 I 323, le Tribunal fédéral a considéré que la mutation d’un chef de brigade de la police judiciaire genevoise au commissariat de la police avec un nouveau cahier des charges sans véritable adéquation avec ses aptitudes, certes sans modification de salaire, mais à l’avenir sans charge de commandement, était une mesure qui était soumise à un contrôle judiciaire, indépendamment de tout caractère disciplinaire. La mesure relevait non seulement de l’organisation des services de police, mais était également susceptible d’affecter la situation juridique du fonctionnaire de police en tant que titulaire de droits et d’obligations à l’égard de l’État. Son objet allait au-delà de l’exécution des tâches qui incombe au fonctionnaire dans sa sphère d’activité habituelle ou des instructions qui lui sont données dans l’exercice de ses tâches-

(Arrêt du Tribun al fédéral 8D_5/2022 du 22.02.2023, consid. 6.2)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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L’indemnité pour licenciement abusif

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La recourante (= l’employeuse) se plaint d’une violation de l’art. 336a CO dans la détermination de l’indemnité accordée au travailleur [six mois de salaire en raison du caractère abusif du licenciement]. Elle invoque deux jurisprudences, l’une de la Cour de justice du canton de Genève dans laquelle l’autorité a accordé à une employée, victime de harcèlement de la part de son supérieur qui l’avait punie en l’isolant dans un petit local et la faisait travailler sans protection respiratoire avec des produits toxiques, une indemnité pour licenciement abusif équivalant à six mois de salaire. L’autre affaire est tirée de la jurisprudence de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois, et fait état d’un employé victime de harcèlement moral de la part de l’un des administrateurs de son employeuse, laquelle n’avait rien fait pour mettre fin au dénigrement subi. Dans cette dernière affaire, la cour cantonale vaudoise avait réduit l’indemnité de six à quatre mois de salaires.

La recourante soutient qu’au regard de ces jurisprudences cantonales, la cour cantonale l’a condamnée au paiement d’une indemnité qui « contraste singulièrement » avec celles-ci.

 La partie qui résilie abusivement le contrat doit verser à l’autre partie une indemnité (art. 336a al. 1 CO), qui ne peut dépasser l’équivalent de six mois de salaire du travailleur; le tribunal fixe celle-ci en tenant compte de toutes les circonstances (art. 336a al. 2 CO). 

Le tribunal fixe l’indemnité en équité (art. 4 CC). Il doit notamment tenir compte de la gravité de la faute de l’employeur, d’une éventuelle faute concomitante du travailleur, de la manière dont s’est déroulée la résiliation, de la gravité de l’atteinte à la personnalité du travailleur licencié, de la durée des rapports de travail, de leur étroitesse, des effets économiques du licenciement, de l’âge du travailleur, d’éventuelles difficultés de réinsertion dans la vie économique et de la situation économique des parties.

Le montant de l’indemnité est fixé librement par le tribunal, en vertu d’un pouvoir d’appréciation que le Tribunal fédéral ne revoit qu’avec réserve. [Il] n’intervient que si la décision s’écarte sans raison sérieuse des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, s’appuie sur des faits qui ne devaient jouer aucun rôle ou, au contraire, méconnaît des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération, ou encore si elle aboutit à un résultat manifestement injuste.

 La cour cantonale a considéré que la faute de l’employeuse était grave. Elle a tenu compte des conséquences, pour le travailleur, de son licenciement et a considéré que l’annonce publique de celui-ci, qui avait fait l’objet d’une dépêche dans la presse spécialisée, avait eu des répercussions sur son avenir professionnel. De fait, le travailleur n’avait pas encore retrouvé de travail 18 mois après son licenciement. 

La cour cantonale a également tenu compte de la manière abrupte et inattendue du licenciement ainsi que de sa communication à des tiers par voie de presse comme circonstances aggravantes. Elle a encore relevé la mauvaise foi de l’employeuse.

Enfin la cour cantonale a tenu compte du fait que l’administrateur et l’actionnaire de l’employeuse étaient eux-mêmes allés chercher le travailleur afin de l’engager avec toute l’équipe dont il disposait auprès de son ancien employeur de manière à pouvoir profiter de leurs compétences acquises précédemment, tout en empêchant ensuite le travailleur de déployer pleinement ses compétences, et ce dès son entrée en fonction.

 La recourante remet d’abord en question les faits retenus par la cour cantonale, alors qu’il n’a pas été retenu que ceux-ci aient été établis de manière arbitraire.

Au vu de la gravité des faits reprochés à l’employeuse, il apparaît que l’octroi d’une indemnité équivalant à six mois de salaires pour un total de 250’000 fr., dépasse le nombre de mois de salaires octroyés dans des affaires similaires ou même dans des cas plus graves. Elle demeure [toutefois] dans la marge de manœuvre de la cour cantonale et ne s’écarte pas des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation.

La recourante ne reproche pas à la cour cantonale d’avoir abusé ou excédé son pouvoir d’appréciation. Elle se contente de substituer son appréciation des faits à ceux retenus par la cour cantonale, et pour le surplus, compare la situation du travailleur à deux jurisprudences cantonales, sans démontrer que l’appréciation de la cour cantonale s’écarterait sans raison sérieuse des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation.

Même si une indemnité équivalant à six mois de salaires paraît particulièrement élevée au vu des circonstances, le Tribunal fédéral ne peut revoir, faute de grief suffisamment motivé allant dans ce sens, l’appréciation de la cour cantonale.

Le grief de la violation de l’art. 336a CO doit par conséquent être rejeté.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_259/2022 du 23 février 2023, consid. 5)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Justification d’identité et minimisation des données

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La personne concernée a déposé une plainte auprès de l’autorité espagnole de protection des données (APD ; Agencia Española de Protección de Datos) contre la compagnie de téléphone Orange Espagne, alléguant qu’un employé de General Logistics Systems Spain a pris une photographie du recto et du verso de sa carte d’identité lors de la livraison d’un téléphone portable qu’elle a acheté en ligne. En réponse, Orange a affirmé que la photo était nécessaire à l’exécution du contrat souscrit par la personne concernée et a fourni un courriel dans lequel elle l’informait que la photo du document serait demandée au moment de la livraison pour des raisons de sécurité.

L’APD, dans une décision PS/00413/2021 accessible depuis ce jour sur le site gdprhub.eu, a considéré que General Logistics était le sous-traitant et Orange le responsable du traitement, cette dernière ayant passé un contrat avec General Logistics pour la livraison de téléphones portables et la prise de photos d’identité de ses clients, ce qui a permis de déterminer les finalités et les moyens du traitement des données à caractère personnel. Elle a reconnu la nécessité de garantir que le destinataire du produit est la même personne que celle qui l’a acheté. Elle a également déclaré que la lutte contre la fraude est un intérêt légitime, en particulier en ce qui concerne les transactions en ligne. Toutefois, l’APD a rappelé que le RGPD exige que toute ingérence dans le droit fondamental à la protection des données soit adéquate, nécessaire, pertinente et limitée à ce qui est nécessaire pour atteindre la finalité pour laquelle les données personnelles ont été collectées (minimisation des données : art. 5 al. 1 let. c RGPD).

En l’espèce, la prise d’une photo du recto et du verso de la pièce d’identité révèle non seulement le nom et le prénom du destinataire, mais aussi sa signature, son adresse, son lieu et sa date de naissance, sa photographie, la date de délivrance et de validité du document et son code alphanumérique. Selon l’APD, ces données ne sont ni adéquates ni pertinentes au regard de la finalité de la livraison des biens. En outre, il existe des moyens moins invasifs de s’assurer que le produit est livré à la bonne personne. L’APD a établi une distinction entre le moment de la livraison du produit et celui de la conclusion du contrat, où le responsable du traitement doit être en mesure d’accréditer l’identité de la personne qui conclut le contrat. De leur point de vue, si la transaction est correctement effectuée, il ne devrait pas être difficile de prouver que le destinataire du produit est le même que celui qui a conclu le contrat.

L’APD a donc estimé que la méthode consistant à photographier le recto et le verso de la pièce d’identité au moment de la livraison était inappropriée et portait atteinte à la vie privée des personnes, violant ainsi le principe de minimisation des données.

(Présentation et traduction en Anglais : https://gdprhub.eu/index.php?title=AEPD_(Spain)_-_PS/00413/2021&mtc=today)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Credit Suisse : suspension du versement des rémunérations variables ?

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Selon un communiqué du 21.03.2023, le « Conseil fédéral a pris acte du fait que le Département fédéral des finances (DFF) a signifié par voie de décision à Credit Suisse que l’établissement devait suspendre le versement de certaines rémunérations variables à ses collaborateurs. Cette décision concerne les rémunérations déjà approuvées pour les exercices antérieurs à 2022, mais dont le versement est différé et exécuté, par exemple, sous forme de droits à des actions. Se fondant sur ses décisions de la semaine dernière, le Conseil fédéral a en outre chargé le DFF de lui soumettre d’autres mesures concernant les rémunérations variables pour les exercices antérieurs à 2022 et les exercices suivants. »

Cette décision se baserait sur l’art. 10a LB, lequel prévoit ce qui suit :

Art. 10a Mesures en matière de rémunération

1 Si, malgré la mise en œuvre des exigences particulières, une banque d’importance systémique ou sa société mère se voit accorder une aide financière directe ou indirecte puisée dans les moyens de la Confédération, le Conseil fédéral ordonne en même temps des mesures en matière de rémunération pour toute la période durant laquelle le soutien est accordé.

2 Il peut notamment, en tenant compte de la situation économique de la banque et du soutien accordé:

a. interdire totalement ou partiellement le versement de rémunérations variables;

b. ordonner des adaptations du système de rémunération.

3 Les banques d’importance systémique et leurs sociétés mères sont tenues de formuler une réserve contraignante dans leurs systèmes de rémunération aux termes de laquelle, en cas de soutien étatique au sens du présent article, la prétention légale à une rémunération variable peut être limitée.

De quelles rémunérations variables parle-t-on ? Salaire variable ? Gratification ? Et s’agit-il de suspendre (communiqué) ou d’interdire (art. 10a LB)?

Le moins que l’on puisse dire c’est que le communiqué n’est pas très clair, alors que le sujet concerne potentiellement de très nombreux salariés.

Le Conseil fédéral ajoute avoir « (…) pris note que la direction de Credit Suisse a renoncé volontairement aux rémunérations variables de 2022. Pour des raisons de sécurité juridique, il a décidé de ne pas interdire avec effet rétroactif le versement aux collaborateurs de Credit Suisse des rémunérations variables déjà approuvées pour l’exercice 2022. Il entend aussi éviter que sa décision ne touche des personnes qui n’ont pas elles-mêmes causé la crise.

En revanche, le Conseil fédéral a pris acte du fait que le DFF a signifié par voie de décision à Credit Suisse que l’établissement devait suspendre le versement des rémunérations variables déjà approuvées pour les exercices antérieurs à 2022, mais qui a été différé. Cette décision ne porte pas sur les versements différés qui sont déjà en cours. Par rémunérations variables différées, l’AFF entend des composantes de salaire variables, tels des droits à des actions. »

A nouveau, ce n’est pas très clair : les rémunérations variables approuvées en 2022 seront versées « pour des raisons juridiques », alors que celles qui sont tout autant approuvées pour des exercices précédents ne le seront pas car elles seront « suspendues ».

On oublie aussi qu’une rémunération variable adoptée dans son principe peut octroyer un droit ferme à l’employé, ce qui entraîne que l’on considère que le revenu est réalisé et donc imposable à ce moment (même si le paiement est échelonné dans le temps). Quid si l’on suspend ainsi des rémunérations qui ont été considérées comme réalisées et donc imposées ? Pourra-t-on demander la révision d’une taxation entrée en force (attention au délai de l’art. 148 LIFD) ?

Tout cela est d’un confus….

(Communiqué: https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-93837.html)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Conflict with your employer: what should you do?

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It is obviously difficult to give advice that would apply to all situations and to all people indiscriminately in case of a dispute with an employer in Switzerland.

Conflicts relating to employment contracts depend on the parties involved, their relationship, but also on the issues raised (dismissal, overtime, mobbing, etc.) and they involve very different areas of law (private or public law, collective law, insurance, pensions, taxation, protection of the personality, data protection, etc.).

That being said, after more than twenty years of practice, I believe it is possible to outline a few general rules of conduct to enable the litigant to find his or her way at the start of a dispute with his or her employer. I hope that some of them will be useful to those who read these lines, knowing that they cannot be comprehensive.

Rule 1: Keep calm. There is no time when it is more important to keep your nerves under control, and when it is so difficult to do so. The situation is not unlike some marital separations. You will have to control yourself, however, because a conflict with the employer means that sooner or later (and often much sooner than you think) you will have to make difficult and future-oriented decisions. Should you ask for an interim work certificate? Should you challenge an assessment? Do you claim compensation that you feel you are owed? Etc. etc. It is therefore very easy to take advantage of the stress and emotion felt by the employee to get him to accept things that would not necessarily be in his or her favour.

Rule 2: Get help. The issues to be resolved in a dispute with the employer can be complex, involving delicate connections between different areas of law. It is often thought that it is difficult and expensive to find professional advice and assistance. This is not the case. Legal advice is readily available from trade unions, professional associations, cantonal law offices and (also) from lawyers with expertise in the field [including the author]. All you have to do is ask. And very often, a one-off consultation or advice can help to clarify matters and move forward, not to mention the possibility of more sustained assistance or follow-up. Should you have to go to court, you also require judicial assistance regarding lawyer’s fees and court’s costs.

Rule 3:  Talk to your general practioner. Let’s be clear: situations of professional conflict are extremely stressful. It is therefore not uncommon for this to result in various physical or psychological problems, of varying intensity and severity, which one chooses to deal with (or not). The preservation of one’s own health is therefore an essential aspect, and must be the subject of a responsible and constructive dialogue with one’s own GP. It is therefore important to listen to oneself and to know how not to put oneself in danger. That being said, we must be clear: a medical problem is a medical problem, not a manoeuvre or tactic in a legal labor dispute.

Rule 4: Don’t dilly-dally. Avoid procrastination at all costs! Time rarely makes things better. In general, if there is a conflict situation, it is because there is a past history, difficult or tense relations between certain people, recurrent difficulties, etc. It is therefore often illusory to think that a conflict situation can be avoided. It is therefore often illusory to think that doing nothing will improve things. In addition, the more time that passes in this type of situation, the more difficult it is to negotiate an amicable ‘departure’, a reclassification, etc. There is therefore no point in waiting for a dismissal to happen before seeking advice and taking action.

Rule 5: Prioritise. This is one of the most difficult things to do, but one of the most necessary. What do you really want to achieve in the current situation? Keep your job? Get transferred? Why not, but it has to be possible, and expectations are often unreasonable in this area. Breaking with the employer in a negotiated way? This is often more useful and effective, but you have to know how to do it. And what to claim? People often think of compensation, whereas the employment certificate is probably the main issue in any termination of the employment relationship. In short, in a relatively short space of time, and without waiting for events and the employer’s own decisions to limit your choices, you will have to arbitrate between several possibilities, and sometimes know how to choose the least bad.

Rule no. 6: Don’t get the wrong vision or tempo. Very often, we get stuck on past episodes when the employer has already moved on to the next stage. You must not get the time frame wrong: when the employer is at the point of making damaging assessments, it is precisely because the services you rendered two years ago have been forgotten or the laurels you were awarded for such and such a file or case have faded. You have to be able to move very quickly in certain situations to find a way out.

Rule 7: Be bold. Nearly a quarter of a century ago, when the author of these lines was starting to practise law, it could be said that in certain professions litigation could have undesirable effects on the reputation or employability of those concerned. Today, the situation has obviously changed. Litigation has become more common, and employers know and are aware of the implications. Because Swiss labour law cannot be said to be particularly protective for the employées, you should not hesitate to claim what you are entitled to.

Rule 8: Don’t get the wrong perspective. A labour dispute is a labour dispute. The labour judge is not a psychologist or a psychiatrist, nor is he or she Saint Louis under the oak tree. It will not be a question of helping you to « mourn » or some other psychologising nonsense. It will deal with practical  issues regarding dismissal, overtime, holiday entitlement, bonuses, etc.

And above all, good luck (you will need it)!

Me Philippe Ehrenström, attorney, LLM, CAS, Geveva & Onnens (VD)

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Injurier l’employeur sur WhatsApp: licenciement immédiat?

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Le 18 mai 2018, à 18 heures 21, l’employée a adressé un message « WhatsApp » à l’intention de la responsable des ressources humaines – qui était sa supérieure hiérarchique – ce qui suit : « O.________, à la con, je vous en merde [sic]. Avec tout le respect que je dois à votre incompétence ». Ce message est parvenu à tous les membres du groupe.

L’employée fait valoir avoir agi de la sorte car elle venait de recevoir le planning pour la semaine suivante, soit le 18 mai 2018 à 18 heures 05, qui prévoyait qu’elle devait œuvrer deux nocturnes de suite (de 12 heures à 21 heures les jeudi et vendredi), puis immédiatement après (le samedi), de 9 heures à 18 heures. Elle met en avant qu’elle était énervée, car elle était en maladie pour cause d’épuisement.

Elle a été licenciée avec effet immédiat.

Dans un premier moyen, l’appelante (= l’employeur) reproche au tribunal d’avoir considéré que la résiliation avec effet immédiat du contrat qui la liait à l’intimée (= l’employée)  était injustifiée. Invoquant la jurisprudence et la doctrine, l’appelante fait valoir que lorsqu’une injure grave est proférée par un employé devant des collègues ou des clients, respectivement patients, l’atteinte doit être considérée comme si grave qu’elle justifie le licenciement immédiat du travailleur. Il en irait de même en cas d’injure proférées dans le cadre d’une discussion privée, mais accessible à des tiers, sur Internet. Les premiers juges auraient, à tort, omis de tenir compte du fait que les propos litigieux ont été tenus sur une discussion « WhatsApp » accessible à tous les collaborateurs de l’appelante travaillant dans les cantons de […] et […]. Or, la tenue des propos litigieux – que l’appelante qualifie de gravement insultants et injurieux – dans de telles circonstances était propre à justifier le licenciement avec effet immédiat de l’intimée.

L’intimée relève qu’elle a tenu les propos litigieux ensuite d’une période d’incapacité de travail consécutive à un épuisement professionnel, alors qu’elle venait d’apprendre que son employeuse avait prévu, pour sa reprise d’activité, de la faire travailler deux nocturnes successivement et le lendemain matin du second nocturne. Selon l’intimée, ce serait ce comportement, que l’intéressée qualifie de contraire à l’art. 328 CO, qui l’aurait conduite à tenir les propos qui lui sont reprochés. Elle expose s’être trouvée dans un état de vulnérabilité en raison de son épuisement et n’avoir pas supporté le manque d’égard à sa santé témoigné par son employeuse. Les propos litigieux, écrits sous le coup de l’émotion et sans intention de nuire à l’appelante, constitueraient en définitive une extériorisation du désarroi de l’intimée. Partant, les propos en cause ne sauraient constituer un juste de motif de licenciement immédiat, ce nonobstant le fait qu’ils aient été envoyés à une grande partie des collaborateurs de l’appelante. De l’avis de l’intimée, les propos incriminés ne relèveraient au demeurant pas de l’injure grave ; les premiers juges ne s’y seraient du reste pas trompés en se limitant à retenir le qualificatif de « faute ». L’intimée relève enfin que son licenciement constituerait en réalité un congé-représailles au sens de l’art. 336 al. 1 let. d CO, l’intéressée rappelant qu’elle avait adressé à l’appelante, la veille de la résiliation des rapports de travail, un courrier par lequel elle réclamait de meilleures conditions de travail. Au vu de ces éléments, il y aurait lieu de rejeter le grief de l’appelante.

Selon l’art. 337 CO, l’employeur comme le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1) ; constituent notamment de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Elle n’est pas destinée à sanctionner un comportement isolé et à procurer à l’employeur une satisfaction Les faits invoqués à l’appui d’un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave peut justifier le licenciement immédiat du travailleur. En cas de manquement moins grave, celui-ci ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement. La jurisprudence ne saurait poser des règles rigides sur le nombre et le contenu des avertissements dont la méconnaissance par le travailleur est susceptible de justifier un licenciement immédiat ; sont décisives dans chaque cas particulier, entre autres circonstances, la nature, la gravité, la fréquence ou la durée des manquements reprochés au travailleur, de même que son attitude face aux injonctions, avertissements ou menaces formulés par l’employeur. Il est douteux qu’un avertissement, même formulé avec soin, qui a été donné pour des faits totalement différents, permette de licencier le travailleur à la moindre peccadille.

Par manquement, on entend en règle générale la violation d’une obligation imposée par le contrat mais d’autres faits peuvent aussi justifier une résiliation immédiate. La gravité du manquement ne saurait entraîner à elle seule l’application de l’art. 337 al. 1 CO ; ce qui est déterminant, c’est que les faits invoqués à l’appui d’une résiliation immédiate aient entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. La gravité de l’acte peut être absolue ou relative ; dans le premier cas, elle résulte d’un acte pris isolément. Dans le second, elle résulte du fait que le travailleur, pourtant dûment averti, persiste à violer ses obligations contractuelles (par ex. le travailleur, bien que sommé de faire preuve de ponctualité, n’en continue pas moins d’arriver en retard au travail) ; ici, la gravité requise ne résulte pas de l’acte lui-même, mais – à l’image de la récidive en droit pénal – de sa réitération.

Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC), si le licenciement immédiat répond à de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). A cette fin, il prend en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels ainsi que la nature et l’importance des manquements. Lorsque l’employeur résilie le contrat de durée indéterminée avec effet immédiat sans justes motifs, le travailleur a droit à ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé (art. 337c al. 1 CO), le juge pouvant en outre condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité correspondant à six mois de salaire au maximum (art. 337c al. 3 CO).

Des injures ou de la violence dirigées contre la personne de l’employeur peuvent constituer une atteinte à sa personnalité et justifier un licenciement immédiat s’ils atteignent une certaine intensité, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. Une injure grave proférée devant des collègues ou des clients peut constituer un juste motif de licenciement immédiat.

Il faut distinguer les injures proférées dans un état d’énervement et de perte de maîtrise de celles formulées avec une intention de nuire à l’employeur. Par ailleurs, l’appréciation du comportement de l’employeur ne peut pas être écartée pour la seule raison que l’infraction de l’employé a été commise devant des collègues et des clients ; l’attitude de l’employeur doit en effet être prise en compte dans tous les cas de figure lors de l’examen des circonstances. Aussi l’employeur qui viole l’art. 328 CO n’est-il pas admis à se prévaloir, pour justifier la résiliation immédiate du contrat de travail, des conséquences découlant de cette violation.

Les premiers juges ont considéré que le contenu du message « WhatsApp » litigieux ne suffisait pas à justifier la résiliation immédiate du contrat de travail qui liait les parties. L’intimée avait certes adopté un comportement fautif en insultant son employeuse, respectivement sa représentante. La faute commise par l’intéressée était d’autant plus importante que les propos insultants avaient été adressés non seulement à sa supérieure, mais également à un grand nombre de collaborateurs de l’appelante. Il n’en demeurait pas moins que l’intensité des injures concernées n’étaient pas d’une intensité de nature à entraîner la rupture définitive du rapport de confiance entre les parties. Partant, l’intimée avait droit à des dommages‑intérêts positifs correspondant au salaire qu’elle aurait perçu si le contrat de travail avait pris fin à l’échéance du délai de congé ordinaire, ainsi qu’à une indemnité au sens de l’art. 337c al. 3 CO d’un montant fixé à 10’000 fr. net par le tribunal.

Il n’est pas contesté que les propos litigieux tenus sur « WhatsApp » par l’intimée doivent être qualifiés d’injurieux et constituent un manquement de l’intimée à ses obligations au sens rappelé ci‑dessus. Il y a toutefois lieu de tenir compte du contexte dans lequel le message litigieux a été envoyé.

En l’occurrence, l’intimée indique avoir procédé à l’envoi du message litigieux après qu’elle eut pris connaissance du planning qui lui avait été envoyé le jour même en vue de sa reprise d’activité après son absence pour cause de maladie. La chronologie des événements plaide pour sa version des faits, le planning en question ayant été transmis à l’intéressée le 18 mai 2020 à 18 heures 05 et le message litigieux ayant été envoyé quelque 15 minutes après sur le groupe « WhatsApp ». Il y a ainsi lieu de retenir avec l’intimée que les insultes proférées l’ont été en réaction à la réception dudit planning, soit sous le coup de l’émotion, par une employée épuisée devant un horaire de travail ressenti comme injuste, et non avec a volonté de nuire à l’appelante, aucun élément au dossier ne permettant d’imputer une telle intention à l’intéressée. En effet, au moment de la rédaction et de l’envoi du message litigieux, l’intimée était encore en incapacité de travail et venait d’apprendre qu’elle devrait, à sa reprise d’activité, travailler deux soirées à la suite jusqu’à 21 heures, ainsi que le lendemain du second soir dès 9 heures. Or, chez une personne épuisée par son travail – pareille nouvelle peut provoquer une perte de maîtrise. Au vu de ce qui précède, il se justifie de retenir que les insultes proférées l’ont été sous le coup de l’émotion, la chronologie entre la reprise d’activité qui se profilait, la réception du planning chargée prévu dès la reprise et le message qui a vu les insultes être proférées plaidant pour une telle émotion. Dans ces conditions, il faut voir dans les propos tenus par l’intimée – dont le manque de retenue et le ton insultant sont certes condamnables – davantage une réaction au stress généré par un planning de travail peu compatible avec une reprise d’activité après un arrêt maladie lié à un épuisement qu’une démarche visant à nuire à l’appelante, respectivement sa représentante. Dans ces circonstances, et conformément à la jurisprudence rappelée plus haut, les propos incriminés ne pouvaient à eux seuls justifier la résiliation immédiate des rapports de travail.

A la question de savoir si le fait que les propos injurieux aient été communiqués à plusieurs employés de l’appelante a une incidence sur l’appréciation précitée, il y a lieu de répondre par la négative. En effet, l’émotion ayant causé la réaction excessive de l’intimée était due à l’état d’épuisement professionnel dans lequel elle trouvait, notamment en lien avec l’organisation de son temps de travail. On ne saurait occulter, à la charge de l’appelante, les circonstances de la reprise de travail par l’intimée, soit un planning très chargé, avec deux nocturnes consécutifs se prolongeant par une journée complète de travail, alors même que l’intimée reprenait le travail après un arrêt maladie – ce que l’employeuse savait par la réception de la lettre du jour précédent la résiliation par laquelle l’intimée s’en plaignait précisément et produisait un certificat d’incapacité de travail. C’est dire que les propos litigieux – sans en minimiser la gravité – trouvent leur origine dans une violation par l’appelante de son obligation de protéger la santé de l’intimée (art. 328 CO) ; or, un employeur ne peut se prévaloir des propos litigieux dont il est – au moins en partie – responsable pour justifier la résiliation immédiate du contrat de travail, ce nonobstant le fait que lesdits propos aient été tenus en présence de – respectivement communiqués à – d’autres employés. Le fait que des avertissements aient été donnés à l’intimée est ici sans pertinence, étant relevé que les seuls avertissements prouvés à satisfaction de droit ne concernaient pas des injures préalables à celles du 18 mai 2020 mais étaient essentiellement liés à la problématique des arrivées tardives de l’intimée. L’existence d’un avertissement oral donné à l’intimée pour avoir traité B.________ de « conne » n’est étayée que par les déclarations de celle-ci, entendue en qualité de partie. Partant, la résiliation immédiate ne saurait être justifiée par une conduite antérieure de l’intimée.

(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois HC / 2023 / 54 du 16.02.2023)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Consultation sans droit de données sur le lieu de travail

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L’objet de la plainte concerne la consultation le 4 septembre 2019 des données à caractère personnel du Registre national par la défenderesse 1 (personne physique travaillant pour la défenderesse 2 (= Centre public d’action sociale de […]).).

Le libellé de la plainte et les pièces du dossier indiquent que la plaignante est l’ex-compagne du père de la défenderesse 1.

La plaignante estime que la défenderesse 1 est coupable de manquements à l’article 5.1.a du RGPD, en combinaison avec les articles 5 et 13 de la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques pour avoir consulté le Registre national à des fins abusives, grâce à ses fonctions auprès de la défenderesse 2.

En consultant l’historique de consultations de ses données au Registre national, la plaignante a découvert qu’une consultation de ses données avait été effectuée le 4 septembre 2019 par l’intermédiaire de la Banque-carrefour de la sécurité sociale (BCSS). La plaignante a exercé son droit d’accès auprès de la BCSS, qui lui a révélé que la consultation avait été réalisée par la défenderesse 2. Après avoir exercé son droit d’accès auprès cette dernière, la défenderesse 2 lui a alors indiqué que cette consultation était le fait de la défenderesse 1 à des fins privées.

Le 11 octobre 2021, le plaignant a introduit une plainte auprès de l’Autorité de protection des données contre la défenderesse 1.

Il y a lieu de considérer comme responsable du traitement (art. 4 ch. 7 RGPD): « la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou un autre organisme qui, seul ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement ».

En l’occurrence, la Chambre Contentieuse constate que la défenderesse 2 détermine les finalités et les moyens du traitement. En effet, pour les CPAS (= centres publics d’action sociale), les consultations du Registre national via la BCSS sont effectuées uniquement dans le cadre de ses missions d’application de la sécurité sociale. C’est par ailleurs la défenderesse 2 qui met à disposition de ses agents les moyens pour effectuer de tels traitements (via ses systèmes informatiques). Le CPAS doit donc être considéré comme un responsable de traitement pour les consultations des données à caractère personnel de la BCSS.

Il convient également de souligner que, comme indiqué par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) dans son arrêt Wirtschaftakademie du 5 juin 2018, « la notion de « responsable de traitement » vise l’organisme qui, « seul ou conjointement avec d’autres » détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel, cette notion ne renvoie pas nécessairement à un organisme unique et peut concerner plusieurs acteurs […] »

Bien que la défenderesse 2 soit le responsable de traitement de la consultation de la BCSS par ses employés, cela ne signifie donc pas, dans le cas d’espèce, qu’elle seule corresponde à cette qualité. Il convient en effet de distinguer les consultations de la BCSS dans le cadre des finalités des missions de la défenderesse 2 des consultations abusives opérées à des fins privées par la défenderesse 1. Bien qu’ayant utilisé les moyens mis à sa disposition par la défenderesse 2, et dans la mesure où la défenderesse 1 a traité les données à caractère personnel de la BCSS pour ses propres finalités, c’est-à-dire en dehors du cadre de ses tâches en tant qu’agent de la défenderesse 2, la défenderesse 1 doit être considérée comme un responsable de traitement pour les consultations de la BCSS, spécifiquement pour celles réalisées à des fins privées.

La Chambre Contentieuse distingue donc les traitements opérés dans le cadre des consultations du Registre national telles que prévues par les finalités de la défenderesse 2, des consultations à des fins privées opérées par la défenderesse 1. Bien que cette dernière soit responsable de traitement pour les consultations abusives, la défenderesse 2 reste responsable de traitement pour les consultations du Registre national dans le cadre des finalités déterminées dans son chef (application de la sécurité sociale).

Dans ce cadre, la défenderesse 2 reste soumise au principe de responsabilité (art. 5.2 et 24 du RGPD) et, en tant que responsable de traitement et employeur, aux articles 29 et 32 du RGPD. Pour ces raisons, bien que n’étant pas directement visée par la plainte déposée auprès de l’APD, la Chambre Contentieuse énoncera des constats additionnels à son égard.

L’accès aux données contenues dans le Registre national constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de l’article 4.2 du RGPD. En vertu de cette qualification, ce traitement est soumis aux différents prescrits et obligations du RGPD et notamment aux principes de licéité, de loyauté et de transparence prévus à l’article 5.1.a du RGPD.

Le principe de licéité indique que tout traitement de données à caractère personnel doit disposer d’une des bases de licéité à l’article 6.1 du RGPD.

Il ressort des pièces du dossier, en ce compris les affirmations de la défenderesse 2, qu’en consultant le 4 septembre 2019 la donnée « adresse légale » de la plaignante, la défenderesse 1 n’a pas procédé à une consultation dans le cadre de l’accomplissement d’une tâche qui relève de sa compétence d’agent de CPAS.

Du fait de leur fonction, et pour seul accomplissement des tâches qui en relèvent, les agents des CPAS disposent d’un accès à certaines données du Registre national, via la BCSS10. Il leur incombe de respecter scrupuleusement les finalités de cet accès dont ils privilégient.

En omettant de respecter la finalité de l’accès qui lui avait été attribué, la défenderesse 1 a consulté le Registre national sans fondement légal adéquat. Partant, elle a procédé à un traitement de données au regard duquel elle ne sera pas en mesure d’invoquer valablement une des bases de licéité requise par l’article 6 du RGPD. Ce faisant, la défenderesse s’est rendue coupable d’un manquement à l’article 6 du RGPD. Ce manquement est combiné à un manquement à l’article 5.1.a du RGPD aux termes duquel le traitement de données à caractère personnel doit notamment être licite. Cette exigence, si elle n’est pas limitée au respect de l’article 6, l’englobe indubitablement.

Par ailleurs, en sa qualité de responsable de traitement, la défenderesse 2 est tenue de mettre en œuvre les principes de protection des données et doit être en mesure de démontrer que ceux-ci sont respectés, conformément au principe de responsabilité. Elle doit par ailleurs, toujours en sa qualité de responsable de traitement, mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires à cet effet.

Sur base de l’article 5.1.f du RGPD, les données à caractère personnel doivent être traitées de façon à garantir une sécurité appropriée, « y compris la protection contre le traitement non autorisé ou illicite et contre la perte, la destruction ou les dégâts d’origine accidentelle, à l’aide de mesures techniques ou organisationnelles appropriées ».

En l’absence de mesures appropriées pour sécuriser les données à caractère personnel des personnes concernées, l’effectivité des droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ne peut être garantie, a fortiori au vu du rôle crucial joué par les technologies de l’information et de la communication dans notre société.

Il convient de relever que le principe de sécurité repris à l’article 5.1.f est désormais érigé dans le RGPD au même rang que les principes fondamentaux de licéité, transparence, loyauté.

Les obligations des responsables de traitement quant à la sécurité des traitements reposent sur les articles 32 et suivants du RGPD.

Il ressort des pièces du dossier que la défenderesse 2 est en mesure d’identifier l’agent ayant consulté les données à caractère personnel du Registre national de la plaignante, ainsi que la date de consultation. La défenderesse n’était cependant pas capable de connaître la finalité de la consultation ainsi que les données consultées sans nouvelle consultation desdites données. Selon les dires de la défenderesse 2, l’accès au logiciel permettant la consultation du Registre national serait limité à l’usage des assistants sociaux et de la direction générale. Suite à l’évènement à l’origine de la plainte, la défenderesse 2 a indiqué prendre des dispositions vis-à-vis de l’agent concerné et mettre en place un contrôle trimestriel des consultations des données personnelles effectuées sous sa responsabilité.

(Autorité de protection des données (BE), Chambre Contentieuse, Décision 16/2023 du 27 février 2023, Numéro de dossier : DOS-2021-06717 ; https://www.autoriteprotectiondonnees.be/publications/avertissement-et-reprimande-n-16-2023.pdf)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Filmer et diffuser une intervention policière sur les réseaux sociaux

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Deux officiers de police (personnes concernées) ont effectué un contrôle d’identité. Au cours de ce contrôle, ils ont été filmés à l’aide de plusieurs smartphones par les personnes contrôlées (responsables de traitement). Un des officiers a informé à plusieurs reprises les responsables de traitement que la publication du matériel vidéo constituait une infraction pénale. Toutefois, il n’en a pas été tenu compte et le matériel a été publié sur les médias sociaux (Facebook et Instagram). Les responsables du traitement voulaient attirer l’attention sur le profilage ethnique ou accuser les plaignants d’une telle procédure, car ils se sentaient discriminés par l’identification qui, selon eux, n’était basée que sur la couleur de leur peau. Dans les vidéos, les responsables de traitement ont non seulement fait des remarques selon lesquelles le contrôle était fondée sur des motifs racistes, mais ils ont également utilisé des mots insultants à l’égard des personnes concernées, qui étaient reconnaissables.

Le Bundesverwaltungsgericht autrichien (BVwG, dans une décision W214 2232551-1 du 01.12.2021 (https://www.ris.bka.gv.at/Dokumente/Bvwg/BVWGT_20211201_W214_2232551_1_00/BVWGT_20211201_W214_2232551_1_00.pdf) considère notamment ce qui suit :

Pour le BVwG, les images enregistrées par les responsables de traitement constituaient des données à caractère personnel des personnes concernées conformément à l’art. 4 ch.1 RGPD car leur identification était possible. Il y a également, par cette publication sur les réseaux sociaux, un traitement au sens de l’art. 4 ch. 2 RGPD et les personnes qui ont publiées ces images sont responsables du traitement au sens de l’art. 4 ch. 7 RGPD. Le traitement ne relève pas davantage de l’exception de l’art. 85 RGPD (liberté d’expression et d’information), car la norme de droit autrichien adoptée en exécution de cette disposition ne s’applique qu’au propriétaire des médias, à l’éditeur, au personnel des médias et aux employés d’une entreprise de médias ou d’un service de médias.

Le BVwG considère notamment que la mise en ligne de ces vidéos viole l’art 5 al. 1 let. a (licéité, loyauté et transparence) et c (minimisation) RGPD et n’était pas justifiée par l’art. 6 al. 1 let. f (intérêt légitime) RGPD.

Concernant plus particulièrement l’art. 5 al. 1 let. c RGPD (minimisation), cette disposition vise à garantir que le traitement des données à caractère personnel est réduit à un minimum. Le principe de minimisation des données limite généralement la profondeur d’intervention et donc le type de données, la référence personnelle des données, la quantité de données, le niveau de détail des données, la durée de conservation des données, le nombre d’utilisations et le cercle des personnes autorisées à accéder aux données. Minimiser la quantité de données signifie à la fois minimiser le nombre de personnes concernées et minimiser la quantité de données par personne concernée. Minimiser la référence aux personnes signifie notamment vérifier si la finalité du traitement peut également être atteinte avec des données pseudonymisées, agrégées ou anonymisées.

Le BVwG estime que la publication des images – telle qu’elle a été entreprise – n’est pas celle qui a le moins d’impact, car il n’était pas nécessaire aux fins poursuivies par les responsables du traitement de représenter les personnes concernées d’une manière identifiable.

En effet, les données à caractère personnel ne peuvent être utilisées que si aucune autre méthode n’est disponible pour atteindre la finalité poursuivie par le traitement. Le traitement des données à caractère personnel n’est donc proportionné à la finalité que si celle-ci ne peut être atteinte en recourant à des données anonymes ou rendues anonymes. Le facteur décisif est donc de savoir s’il existe une autre méthode aussi efficace et moins intrusive dans le cas d’espèce ; pour de nombreuses finalités, il suffit, par exemple, d’enregistrer la présence d’une personne à un endroit donné, mais pas son identité. Dans le cas présent, le responsable du traitement aurait pu et dû rendre les visages des plaignants méconnaissables avant de publier les données d’image et cela aurait été possible et raisonnable dans un laps de temps raisonnable à l’aide de programmes gratuits pour PC et smartphones.

En ce qui concerne le fait qu’un des responsables du traitement aurait immédiatement publié les images car il était sous le coup de l’émotion, il convient de noter que cela ne change rien au fait qu’il a commis une violation de l’art. 5 l. a1 let. c RGPD. En effet, même s’il était émotionnellement perturbé, il devait savoir qu’il s’agissait de données personnelles des personnes concernées et qu’il n’était pas autorisé à les publier, d’autant plus qu’il avait également été expressément informé par une d’entre elle  qu’une publication serait punissable.

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Prescription de l’action en responsabilité contre l’assureur de protection juridique

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Est litigieuse la question de savoir si, lorsque l’assureur de protection juridique donne des conseils juridiques et qu’il viole à cette occasion son devoir de diligence et cause un préjudice à l’assuré, le délai de prescription de la prétention en responsabilité de l’assuré est régi par le délai plus court de l’art. 46 al. 1 LCA ou par le délai de dix ans de l’art. 127 CO.

Pour résoudre cette question, il y a lieu de procéder à l’interprétation de l’art. 46 al. 1 LCA, l’art. 127 CO n’entrant en considération que si l’art. 46 al. 1 LCA n’est pas applicable (art. 100 al. 1 LCA).

 La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte se prête à plusieurs interprétations, s’il y a de sérieuses raisons de penser qu’il ne correspond pas à la volonté du législateur, il convient de rechercher sa véritable portée au regard notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). Lorsqu’il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité. 

 Selon l’art. 46 al. 1, 1re phr., LCA, entré en vigueur le 1er janvier 2022, les créances qui découlent du contrat d’assurance se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait duquel naît l’obligation ( » Die Forderungen aus dem Versicherungsvertrag verjähren […] fünf Jahre nach Eintritt der Tatsache, welche die Leistungspflicht begründet. « ;  » […] i crediti derivanti dal contratto di assicurazione si prescrivono in cinque anni dal fatto su cui è fondato l’obbligo di fornire la prestazione « ). À part la durée du délai de prescription, qui a été portée de deux ans à cinq ans, la réserve de l’al. 3 et des modifications rédactionnelles, la nouvelle teneur n’a rien changé à la disposition précédemment en vigueur dans leurs versions en français et en allemand et applicable en l’espèce. Outre la réserve de l’al. 3 et la prolongation du délai de prescription, la version en italien a, quant à elle, précisé que ledit délai commence à courir non plus  » dal fatto su cui è fondata l’obbligazione « , mais  » dal fatto su cui è fondato l’obbligo di fornire la prestazione « . 

Pour répondre à la question litigieuse, il faut tenir compte non seulement des termes  » créances qui découlent du contrat d’assurance « , mais également de la précision apportée s’agissant du point de départ de la prescription de ces créances, à savoir les termes  » fait duquel naît l’obligation « ,  » Tatsache, welche die Leistungspflicht begründet  » et  » fatto su cui è fondato l’obbligo di fornire la prestazione « .

 Comme l’indiquent plus précisément les versions en allemand et en italien de l’art. 46 al. 1 LCA, l’  » obligation  » visée par cette disposition est celle de l’assureur de fournir les prestations prévues dans le contrat d’assurance, par exemple, dans l’assurance-accidents, de verser les prestations convenues à raison de l’événement assuré. Le  » fait  » est la réalisation du risque qui donne naissance à cette obligation de l’assureur. Ce  » fait  » n’est pas le même pour les prétentions issues des diverses catégories d’assurances.

 Dans l’assurance de protection juridique, l’assureur fournit, d’une part, un service sous forme d’assistance juridique et, d’autre part, une prestation pécuniaire, ainsi que, dès le début du litige, l’obligation de garantir à son assuré le paiement des frais du litige (ATF 119 II 468 consid. 2c). 

Selon la jurisprudence, dans cette assurance, le  » fait  » duquel naît l’obligation de l’assureur correspond à la réalisation du risque, à savoir l’apparition du besoin d’assistance juridique (ATF 126 III 278 consid. 7a; 119 II 468 consid. 2c; arrêt 4A_609/2010 du 7 février 2011 consid. 1.2.1). Le point de départ (dies a quo) du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA court donc dès ce moment-là, et non dès le début du litige avec celui qui est appelé à devenir la partie adverse au procès, ni dès la fin du procès, par jugement définitif ou transaction (ATF 119 II 468 consid. 2c; arrêt 4A_609/2010 précité consid. 1.2.1). Ainsi, notamment, dès la survenance du besoin d’assistance, l’assuré peut prétendre à une garantie de couverture; si l’assureur accorde sa garantie pour une partie du litige, cela équivaut au paiement d’un acompte (art. 135 ch. 1 CO), qui interrompt la prescription pour l’entier de la créance de l’assuré; si l’assureur refuse de garantir les frais de défense de son assuré, celui-ci peut ouvrir, aux fins de l’y contraindre, une action, qui est interruptive de la prescription. Une fois le litige clos, le paiement ne constitue que l’exécution d’un engagement préexistant. 

Les  » créances [de l’assuré] qui découlent du contrat d’assurance  » sont donc seulement celles dont l’assureur assume l’obligation en raison (née du fait) de la survenance du risque couvert, qui est le besoin d’assistance juridique, soit concrètement l’obligation de couvrir les frais d’un litige et/ou l’obligation de fournir des conseils. Il s’ensuit que la créance en dommages-intérêts, fondée sur la responsabilité contractuelle, qui est subséquente à la prestation d’assurance – les conseils fournis – et découle de la violation du devoir de diligence de l’assureur de protection juridique qui a fourni ces conseils, n’est pas visée par la lettre de l’art. 46 al. 1 LCA.

 On ne peut rien déduire des travaux préparatoires en ce qui concerne les créances visées par cette disposition. 

Selon le Message du Conseil fédéral, la brièveté du délai (de deux ans) correspond avant tout à un besoin pressant de la pratique des affaires; il faut qu’après un laps de temps assez court, l’assureur puisse être au clair sur sa situation pécuniaire (Message du 2 février 1904 sur le projet d’une loi fédérale concernant le contrat d’assurance, FF 1904 I 292 ad art. 43).

La révision de la LCA du 19 juin 2020 n’apporte pas d’élément nouveau. Certes, le Conseil fédéral a considéré que la proposition d’un allongement du délai de prescription à dix ans paraissait problématique du point de vue de la sécurité du droit, car des besoins spécifiques à l’assurance en matière de surveillance de la situation financière de l’entreprise d’assurance ne seraient pas suffisamment pris en considération, raison pour laquelle il a proposé une prolongation du délai de prescription à cinq ans, les parties pouvant prévoir contractuellement un délai plus long (Message du 28 juin 2017 concernant la révision de la loi fédérale sur le contrat d’assurance, FF 2017 4781 ch. 1.6.3).

Admettre le délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO, dès lors que l’art. 46 al. 1 LCA n’est pas applicable (art. 100 al. 1 LCA), n’entre pas en conflit avec le but de l’art. 46 al. 1 LCA. En effet, contrairement aux prétentions de l’assuré nées du risque couvert au sens de l’art. 46 al. 1 LCA et ignorées de l’assureur tant que l’assuré ne les fait pas valoir, la créance en dommages-intérêts est fondée sur des faits dont l’assureur a connaissance. 

 La soumission de la créance en dommages-intérêts au délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO est d’ailleurs approuvée par une partie de la doctrine qui s’est prononcée sur cette question.  (…)

Au contraire, d’autres auteurs soutiennent que l’art. 46 al. 1 LCA est applicable. Dès lors qu’ils ne prennent en considération que les termes  » créances qui découlent du contrat d’assurance  » et font abstraction de la fin de l’alinéa et/ou ne discutent pas spécialement des créances en dommages-intérêts pour les conseils en matière d’assurance de protection juridique, leur position ne convainc pas. (…)

En conclusion, dès lors que la créance litigieuse est fondée sur le prétendu dommage qu’aurait causé l’entreprise d’assurance intimée en prodiguant à l’assuré recourant des conseils juridiques et en violant prétendument à cette occasion son devoir de diligence, c’est à tort que la cour cantonale a appliqué le délai de prescription de l’art. 46 al. 1 aLCA. La question de savoir si, comme elle l’affirme, l’entreprise d’assurance est assurée en responsabilité civile n’est pas déterminante, pas plus que ne l’est la constitution d’une provision spécifique au présent litige, dès lors que le délai de prescription n’influe ici ni sur la durée de la procédure judiciaire ni sur celle de la provision. Le délai de prescription décennal de l’art. 127 CO étant applicable, la prétention invoquée par le demandeur recourant n’est pas prescrite. 

Point n’est dès lors besoin d’examiner les autres griefs du recourant.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_22/2022 du 21 février 2023, destiné à la publication)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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