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La question litigieuse porte sur l’imposition du montant de CHF 76’014.- octroyé au recourant par son ancien employeur le 30 septembre 2020 dans le cadre de la résiliation des rapports de travail.
En principe, à l’exception de certaines prestations en capital versées lors d’un changement d’emploi et réinvesties dans l’année à des fins de prévoyance (art. 24 let. c LIFD), les rétributions spéciales effectuées par les employeurs à leurs employés au moment où ceux-ci quittent l’entreprise sont imposées en tant que revenu sous l’angle de l’impôt fédéral direct.
En effet, l’art. 16 al. 1 LIFD dispose que l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. Ainsi, cet impôt couvre, entre autres, tous les revenus provenant d’une activité exercée dans le cadre d’un rapport de travail, y compris les revenus accessoires (art. 17 al. 1 LIFD), les revenus provenant de la prévoyance (art. 22 LIFD), les revenus acquis en lieu et place du revenu d’une activité lucrative (art. 23 let. a LIFD) et les indemnités obtenues lors de la cessation d’une activité ou de la renonciation à l’exercice de celle-ci (art. 23 let. c LIFD).
En règle générale, les indemnités de départ sont ainsi imposables, selon les art. 17 al. 1 ou 23 let. a ou c LIFD, au taux plein avec les autres revenus du contribuable (art. 36 LIFD).
L’imposition au taux plein de ces indemnités connaît toutefois quelques exceptions, notamment dans les cas où la somme versée par l’employeur est analogue au versement d’un capital provenant d’une institution de prévoyance. L’art. 17 al. 2 LIFD dispose en effet que ce type de versements bénéficie du taux d’imposition privilégié prévu par l’art. 38 LIFD pour les prestations en capital provenant de la prévoyance, ce qui signifie qu’il est imposé séparément et soumis à un impôt annuel entier calculé sur la base du taux représentant le cinquième des barèmes ordinaires inscrits à l’art. 36 LIFD.
Selon l’art. 17 al. 2 LIFD, pour bénéficier de l’imposition privilégiée, les versements de capitaux alloués par l’employeur doivent être analogues aux versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance en relation avec une activité dépendante. La loi ne définit pas précisément ce que recouvre l’analogie avec les versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance. Il s’avère cependant qu’en établissant, à l’art. 17 al. 2 LIFD, une imposition séparée à taux réduit, le législateur a voulu casser la progressivité du taux et privilégier la prévoyance pour des raisons sociales. On peut ainsi inférer du texte et du but visé par le législateur la volonté de limiter le privilège fiscal aux indemnités versées par l’employeur qui ont un lien étroit avec la prévoyance professionnelle.
De jurisprudence constante, le Tribunal fédéral en a déduit que les versements de capitaux analogues aux versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance en lien avec une activité dépendante devaient, pour bénéficier de l’imposition privilégiée, revêtir un caractère de prévoyance prépondérant. Il en va en particulier des indemnités de départ versées par l’employeur, lesquelles doivent donc, pour bénéficier de l’imposition privilégiée prévue à l’art. 38 LIFD, avoir un lien étroit avec la prévoyance professionnelle, un tel lien s’examinant à l’aune des circonstances entourant les versements concernés.
L’Administration fédérale des contributions a édicté, le 3 octobre 2002, la Circulaire n° 1 sur les indemnités de départ et les versements de capitaux de l’employeur (ci-après: la Circulaire n° 1).
Selon ce texte, « les indemnités de départ ont un caractère de prévoyance lorsqu’elles sont destinées exclusivement et irrévocablement à atténuer les conséquences financières découlant des risques liés à la vieillesse, à l’invalidité et au décès ». Ainsi, pour que des versements de capitaux effectués par l’employeur puissent bénéficier de l’imposition privilégiée de l’art. 17 al. 2 LIFD, trois conditions cumulatives doivent être réunies (cf. ch. 3.2 de la Circulaire n° 1) : le contribuable quitte l’entreprise après avoir atteint l’âge de 55 ans (let. a), son activité lucrative (principale) est définitivement abandonnée ou doit l’être (let. b) et une lacune dans sa prévoyance découle du départ de l’entreprise et de son institution de prévoyance (let. c). Ce texte ne constitue cependant qu’une directive administrative, sans force de loi, ne liant ni les administrés, ni les tribunaux ni même l’administration. La Circulaire n° 1 ne saurait ainsi être appliquée à la lettre et ne dispense pas les autorités de tenir compte des circonstances du cas d’espèce (voir notamment arrêts TF 2C_520/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.3 et 2C_538/2019 du 19 août 2010 consid. 4.4 et les références).
Dans l’arrêt précité 2C_538/2009 du 19 août 2010, le Tribunal fédéral a ainsi considéré que le montant de CHF 300’000.- versé à un ancien membre de direction licencié et non réaffecté, à la suite d’une restructuration, présentait un lien étroit avec la prévoyance professionnelle. Il a été établi que le montant en question avait été payé par l’employeur précisément afin de compenser une lacune de prévoyance future, l’employé bénéficiaire ayant d’ailleurs démontré qu’il l’avait réinvesti rapidement dans un 3ème pilier.
La Cour de céans a eu l’occasion d’interpréter la Circulaire no 1 dans différents cas d’espèce à l’aune de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Plus particulièrement, dans son arrêt TC FR 4F 05 9/10 du 5 mai 2006, elle a relevé que les critères de ladite Circulaire no 1 apparaissaient trop absolus dans leur formulation et qu’ils devaient être relativisés. Ainsi, pour déterminer si la prestation versée par l’employeur a effectivement un caractère de prévoyance au sens de ce qui précède, il convient de se référer à l’ensemble des circonstances du cas. En particulier, plus le travailleur bénéficiaire est âgé au moment du versement, plus le caractère de prévoyance de la prestation devrait être reconnu. Cet élément n’est toutefois pas décisif à lui seul. A l’inverse, l’existence d’un devoir contractuel sur lequel serait fondé la prestation en capital s’opposerait plutôt à une telle reconnaissance. Pour le reste, il convient d’examiner la situation professionnelle du travailleur bénéficiaire, l’état des avoirs de prévoyance professionnelle déjà acquis et les explications des personnes concernées. Dans cette démarche, c’est toujours la situation telle qu’elle se présentait au moment du versement en cause qui est déterminante.
Dans un emprunt à la jurisprudence rendue en matière d’assurances sociales s’agissant de la délimitation entre les prestations de prévoyance allouées volontairement et les versements assimilables à des salaires, on peut encore ajouter que l’âge avancé et les années d’ancienneté dans l’entreprise constituent des indices en faveur du versement d’une prestation de prévoyance. En outre, en cas de cessation de l’activité professionnelle avant l’âge donnant droit à une rente de vieillesse, les prestations ont un caractère de prévoyance si elles servent, de manière transitoire, à compenser en tout ou en partie la perte de revenu du salarié jusqu’à l’âge d’ouverture du droit à une rente de l’AVS ou de la prévoyance professionnelle. S’agissant des versements opérés par l’employeur en faveur de travailleurs licenciés en raison de la fusion d’entreprises ou de mesures de restructuration, de telles prestations font partie du salaire déterminant lorsqu’elles ont pour but de compenser le dommage subi temporairement par la perte de l’emploi ou les inconvénients liés à la recherche d’une nouvelle activité (arrêt TC FR 4F 05 9/10 du 5 mai 2006 consid. 3b et les références).
Finalement, comme le relève le Tribunal fédéral dans son arrêt 2C_538/2019 du 19 août 2010, la difficulté liée à l’application de l’art. 17 al. 2 LIFD vient du fait que, dans certaines circonstances, il peut s’avérer délicat de déterminer si une indemnité de départ revêt ou non un lien suffisamment étroit avec la prévoyance professionnelle pour bénéficier de l’imposition privilégiée. Ce qui est précisément le cas dans le présent litige.
Dans le cas d’espèce,
Le Service cantonal des contributions a raisonné sur la base des trois conditions posées par la Circulaire no 1 pour retenir que l’indemnité de départ de CHF 76’014.- touchée par le recourant de son ancien employeur ne revêtait pas un caractère de prévoyance. Il ressort de la décision sur réclamation attaquée que le recourant était âgé de 58 ans lors du versement de l’indemnité en cause. La condition de l’âge n’est ainsi pas litigieuse. Les deux conditions suivantes ne seraient toutefois pas remplies, selon le Service cantonal des contributions. Il relève d’une part que le recourant n’a pas l’intention de cesser définitivement une activité lucrative étant donné qu’il s’est inscrit auprès de la caisse de chômage et qu’il reçoit des indemnités de celle-ci. D’autre part, il indique qu’il n’est pas sorti de l’institution de prévoyance à laquelle il était affilié et que « la continuation de l’assurance » lui permet de combler la lacune future de prévoyance. Compte tenu de ces éléments, l’imposition privilégiée ne serait pas applicable.
Le recourant s’appuie, d’une part, sur les critères établis dans la Circulaire no 1 et, d’autre part, sur la jurisprudence fédérale et cantonale, ainsi que sur la doctrine, pour essayer de démontrer que l’indemnité de départ en question a un lien étroit avec la prévoyance professionnelle. En lien avec la 2ème condition de la Circulaire n° 1, il indique que lors de son licenciement, il était très aléatoire, voire peu vraisemblable qu’il retrouve un emploi comparable, si bien que l’exigence de la cessation de l’activité lucrative principale est remplie. Il ajoute que son inscription au chômage après la rupture des rapports de travail ne saurait constituer en tant que telle une poursuite de l’activité principale excluant l’application de l’art. 17 al. 2 LIFD et 18 al. 2 LICD. Par ailleurs, il allègue encore qu’au moment du dépôt du recours, il n’a toujours pas retrouvé de travail, qu’il a 60 ans et que les indemnités versées par sa Caisse de chômage prendront bientôt fin. Il s’achemine ainsi vers une éventuelle rente-pont plutôt qu’un nouvel emploi. S’agissant enfin de la 3ème condition de la Circulaire no 1, le recourant soulève que, selon le certificat de prévoyance du 1er mai 2020 délivré par la Fondation collective LPP D.________, si son ancien employeur ne l’avait pas licencié, son avoir de vieillesse se serait élevé à CHF 922’078.90 au 1er mai 2026, soit le mois suivant l’âge ordinaire de la retraite. En revanche, malgré le maintien de son affiliation à cette caisse de prévoyance, son avoir de vieillesse projeté au 1er mai 2026 est de CHF 842’551.70 en raison de son licenciement. Il y aurait donc une lacune dans la prévoyance de CHF 79’527.10, ce qui prouverait que le dernier critère exigé est rempli. Il relève finalement que ladite lacune dans la prévoyance est supérieure au montant de l’indemnité de départ de CHF 76’014.-
Dans ses observations au recours du 24 octobre 2022, le Service cantonal des contributions relève notamment qu’en percevant des indemnités journalières de la Caisse de chômage, le recourant a la possibilité de s’assurer à la caisse supplétive, raison pour laquelle la deuxième condition de la Circulaire no 1 n’est pas remplie. Ensuite, il ajoute que le recourant n’a pas quitté l’institution de prévoyance de son ancien employeur puisqu’il a conclu une assurance au sens de l’art. 47a de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP; RSF 831.40). L’existence d’une lacune future dans la prévoyance – et donc la 3ème condition de la Circulaire no 1 – n’aurait pas à être analysée étant donné que le recourant est resté affilié à sa caisse de pension. Finalement, se référant à l’arrêt TF 2C_520/2019 du 1er octobre 2019 dans lequel il a été retenu que l’indemnité de départ n’avait pas de lien étroit avec la prévoyance professionnelle, il fait une analogie avec le cas d’espèce. L’Administration fédérale des contributions se rallie à la position du Service cantonal des contributions dans ses observations du 11 novembre 2022. Elle estime en effet qu’outre le fait que le recourant soit resté affilié à son institution de prévoyance, il n’a pas non plus abandonné définitivement son activité lucrative, de sorte qu’il ne saurait bénéficier du taux favorable pour l’indemnité octroyée par son ancien employeur. Elle se fonde également sur les principes d’adéquation, de collectivité, d’égalité de traitement, de planification et d’assurance ancrés à l’art. 1 al. 3 LPP et 1 à 5 de l’Ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (OPP 2; RSF 831.441.1) pour démontrer que l’art. 17 al. 2 LIFD est une disposition à caractère exceptionnel sous l’angle de la prévoyance professionnelle. Plus particulièrement, elle explique que le principe de collectivité prévoit que les plans d’assurance doivent être établis pour l’ensemble du personnel de l’entreprise ou pour certaines catégories de personnel. L’appartenance à un collectif doit ainsi être déterminée sur la base de critères objectifs, généraux et impersonnels. La prévoyance ad personam d’une ou de plusieurs personnes désignées s’oppose ainsi au principe de la collectivité. En outre, le règlement doit définir de manière précise les prestations prévues. L’affilié ne décide pas lui-même des prestations et du mode de financement. Elle affirme en conséquence que l’indemnité perçue par le recourant ne revêt pas un caractère de prévoyance prépondérant dans le sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral.
Il convient donc d’examiner les circonstances dans lesquelles le versement de CHF 76’014.- est intervenu. Il s’agira d’analyser si l’indemnité en cause présente, d’un point de vue objectif et subjectif, un lien étroit ou prépondérant avec la prévoyance professionnelle du recourant.
En l’espèce, le recourant avait 58 ans révolus au moment de son licenciement. Indépendamment du fait qu’un tel âge satisfait à la condition posée à cet égard par la Circulaire no 1, il implique que le recourant était alors à sept ans de l’âge ordinaire de la retraite. Il s’agit d’un écart relativement peu important qui, s’il ne constitue pas un indice permettant à lui seul de déterminer si la prestation versée a objectivement un caractère de prévoyance, va plutôt dans ce sens. Il en est de même du fait que le recourant travaillait pour le même employeur depuis plus de 38 ans.
Quant à la cessation de l’activité professionnelle, le moment déterminant pour l’évaluer est celui où l’indemnité est versée. A cet égard, au mois de septembre 2020, soit au moment où l’employeur a versé au recourant l’indemnité de CHF 76’014.-, les chances pour celui-ci de retrouver un travail équivalent étaient très aléatoires, voire peu vraisemblables. En effet, dans un marché du travail saturé et notoirement peu enclin à engager des travailleurs relativement proches de l’âge de la retraite, étant encore précisé que le licenciement est intervenu en pleine crise sanitaire, la probabilité était forte que le recourant soit finalement contraint à renoncer à l’exercice de son activité de responsable de ventes ou à tout le moins à accepter un emploi moins bien rémunéré. A cet égard, contrairement à ce qui pourrait ressortir de la condition énoncée par la Circulaire no 1 et reprise par les autorités intimées, ce qui est déterminant n’est pas tant le fait que le recourant ait tenté activement ou non de retrouver un emploi, notamment en s’inscrivant auprès des autorités chargées de l’application de l’assurance-chômage, mais plutôt l’existence de circonstances objectives rendant prévisible la cessation de l’activité lucrative ou la poursuite de celle-ci dans un poste sensiblement moins bien rémunéré. Or, les conditions d’un tel pronostic défavorable étaient données en l’espèce, ce que vient du reste confirmer le fait que le recourant n’a, au moment du dépôt de son recours, toujours pas retrouvé de place de travail, alors qu’il arrive en fin de droit aux prestations de l’assurance-chômage. Par ailleurs, le fait que, par la suite, le recourant puisse retrouver un emploi ne saurait être déterminant puisque cette éventualité, au moment-même du licenciement, est à qualifier de peu vraisemblable, compte tenu des circonstances citées. Au demeurant, l’employé licencié ne saurait être pénalisé sur le plan fiscal si, par la suite, il parvient à se réinsérer dans le monde du travail, en acceptant un emploi moins rémunéré.
Ensuite, contrairement à ce que soutient le Service cantonal des contributions, les circonstances du présent cas sont très différentes des faits à la base de l’arrêt TF 2C_520/2019 du 1 er octobre 2019. L’une des particularités de l’indemnité versée par l’ancien employeur dans ce cas particulier était que celle-ci avait été spécifiquement convenue en même temps qu’une réaffectation immédiate de l’intéressé au sein du groupe de son ancien employeur, les deux mesures faisant partie d’un même accord transactionnel, lequel était destiné à éviter une action en justice. L’intéressé ne s’était jamais retrouvé sans emploi et il était resté affilié à une caisse de pension, auprès de laquelle il avait cotisé, ainsi que son employeur. Tenant compte de ces éléments, le Tribunal fédéral a estimé que le capital négocié semblait davantage compenser la réduction de salaire à laquelle l’intéressé avait dû consentir parallèlement à sa réaffectation. Or, dans le cas qui nous occupe, le recourant a au contraire reçu une indemnité pour solde de tout compte, il n’a pas été réaffecté, il s’est retrouvé sans emploi et a cessé d’être assujetti – aux mêmes conditions – à la caisse de pension de son ancien employeur en raison de la dissolution des rapports de travail. Toutefois, en raison de ses 58 ans, il a sollicité le maintien de son affiliation à la caisse de pension conformément à l’art. 47a LPP. A cet effet, le recourant cotise désormais seul pour sa prévoyance vieillesse. Les circonstances des deux cas sont ainsi différentes.
Il est opportun de relever à ce stade que l’appréciation du Service cantonal des contributions et de l’Administration fédérale des contributions relative au fait que lorsqu’un contribuable, licencié et non réaffecté, maintient son affiliation auprès de la caisse de pension de son ancien employeur conformément à l’art. 47a LPP exclut de facto le caractère de prévoyance prépondérant de l’indemnité versée ne peut pas être suivie. Cette règle paraît trop absolue et les autorités doivent tenir compte des circonstances particulières.
Cela étant, il doit être constaté avec l’autorité intimée et avec l’Administration fédérale des contributions que malgré le licenciement du recourant, il lui a effectivement toujours été possible de cotiser auprès de sa caisse de pension. En outre, eu égard à la somme versée en l’espèce, qui correspond à six salaires mensuels, il est indéniable que celle-ci n’a pas pu servir à compenser – même partiellement – la perte de salaire jusqu’à l’âge d’ouverture du droit à une rente de l’AVS ou de la prévoyance professionnelle. A cela s’ajoute que, sur la base des pièces figurant au dossier de la cause notamment du certificat de salaire 2020 du recourant, le montant de CHF 76’014.- est désigné en tant que « severance », figure sous la rubrique no 3 des « prestations non périodiques » et est additionné au bonus de l’employeur de CHF 8’202.-
Dans la convention de résiliation du 29 juin 2020, il est mentionné que la résiliation est survenue pour des raisons économiques, que les parties se sont engagées mutuellement à mettre fin à la relation de travail à compter du 30 septembre 2020 et que l’employé a été exempté de travailler à partir du 29 juin 2020 et autorisé à commencer un nouvel emploi pendant le congé. La convention prévoit en outre un chapitre spécifique quant à l’indemnité en question et indique ce qui suit : « Comme la relation de travail est interrompue pour des raisons liées à l’activité de la société, une indemnité de 6 mois de salaires mensuels supplémentaires sera versée avec votre dernier salaire ». Par ailleurs, sous le titre « Caisse de pension » il est indiqué ce qui suit : « Votre couverture liée à la caisse de pension pendra fin à la date de fin de contrat. Nous vous rappelons de contacter notre Fonds de pension D.________ […] pour toute information relative à votre prestation de libre-passage en indiquant votre numéro AVS ». Ainsi, compte tenu de tous les éléments considérés, l’indemnité en question semble compenser le dommage subi temporairement par la perte de l’emploi soudaine et des inconvénients liés à la recherche d’une nouvelle activité, plutôt que la diminution de ses expectatives de prévoyance, qui n’en constitue qu’une conséquence indirecte. Plus particulièrement, au vu du certificat de salaire et de la convention de résiliation, l’indemnité a été versée selon toute vraisemblance en tant que prestation faisant partie du salaire déterminant. Il est encore précisé que ladite convention de résiliation, qui est pourtant bien détaillée, ne prévoit aucunement que l’indemnité aurait pu servir, dans une certaine mesure, à compenser une quelconque lacune de prévoyance. Enfin, le recourant ne démontre pas et ne prétend pas que l’indemnité a été intégralement affecté à sa prévoyance de 2 ème ou de 3ème pilier, ni qu’il aurait simplement projeté de le faire. Il doit dès lors être retenu que le recourant n’a pas été en mesure de prouver que les parties souhaitaient que le capital versé poursuive un but de prévoyance.
Au vu de ce qui précède, il n’apparait pas que l’indemnité d’un montant de CHF 76’014.- versée au recourant par son employeur présente un lien étroit ou prépondérant avec la prévoyance professionnelle. C’est dès lors à bon droit que le Service cantonal des contributions a retenu que l’imposition privilégiée prévue à l’art. 38 LIFD ne trouve donc pas application en l’espèce. Le recours formé en droit fédéral est donc rejeté.
(Arrêt de la Cour fiscale du Tribunal cantonal (FR) 604 2022 64 et 604 2022 65 du 22.04.2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)
La personne concernée avait demandé au responsable du traitement d’installer un dispositif de sécurité dans sa maison. Ce dispositif était équipé de détecteurs de mouvement/caméra qui permettaient de surveiller l’emplacement par le biais d’une application mobile, ainsi que d’autres fonctionnalités telles que la commande à distance, les sirènes, le lecteur de clés, les clés intelligentes, etc.
Lors d’un cambriolage, le dispositif de sécurité a été détruit. La personne concernée n’a reçu aucune notification. Elle a alors adressé au responsable du traitement une demande d’accès à ses données à caractère personnel. Toutefois, le responsable du traitement a rejeté la demande. La personne concernée a donc déposé une plainte auprès de l’autorité espagnole de protection des données (APD ; Agencia Española de Protección de Datos), qui a confirmé que le responsable du traitement devait faciliter l’accès aux données et lui a ordonné de donner suite à la demande.
Après cette décision, le responsable du traitement a fourni un dossier contenant certaines des données demandées, mais la personne concernée a estimé que les informations étaient incomplètes et incompréhensibles et a déposé une nouvelle demande de droit d’accès. Selon la personne concernée, les données ne comprenaient pas, par exemple, les images capturées par le dispositif à la date de l’invasion de leur maison. D’autre part, le responsable du traitement a prétendu qu’il avait simplement omis de fournir les journaux d’activité technique (technical log) utilisés pour contrôler les performances du dispositif, étant donné qu’il ne s’agissait pas de données à caractère personnel.
L’APD, dans une nouvelle décision AEPD – PS/00281/2022 du 21 avril 2023 (texte : https://www.aepd.es/es/documento/ps-00281-2022.pdf; présentation et traduction par Isabela Maria Rosal : https://gdprhub.eu/index.php?title=AEPD_(Spain)_-_PS/00281/2022) souligne que la notion de données à caractère personnel prévue à 4 ch. 1 RGPD ne doit pas être interprétée de manière restrictive.
Tous les journaux techniques (technical log) générés par l’appareil, y compris ceux qui sont exclusivement exploités par les employés du responsable du traitement pour contrôler ses performances, constituent des données relatives à la personne concernée.
Le dispositif a été installé au domicile de la personne concernée, sur la base d’un contrat, et contenait un identifiant numérique unique qui permettait d’identifier la personne concernée. Par conséquent, toutes les données générées par l’appareil sont personnelles et sont couvertes par le droit d’accès prévu par l’art. 15 RGPD.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)
En cas d’obtention illicite de prestations sociales, il existe trois niveaux d’infractions :
Celui qui trompe astucieusement l’aide sociale sera sanctionné du chef d’escroquerie (art. 146 CP). Lorsque, sans adopter un comportement astucieux, l’auteur aura induit l’aide sociale en erreur ou aura conforté celle-ci dans l’erreur, il sera puni en vertu de l’article 148a CP. Les infractions mineures seront sanctionnées par le droit pénal cantonal en matière d’aide sociale (42 et 73 LASoc ; 28 et 43a LiLAMal).
L’article 148a CP constitue une lex specialis par rapport aux éventuelles mesures pénales cantonales en matière d’aide sociale. Ces dernières demeurent toutefois pertinentes, notamment lorsque le champ d’application est plus large que celui de l’article 148a CP, ce qui est le cas, par exemple, lorsqu’elles répriment des infractions dont la réalisation n’est pas conditionnée au fait que le service qui dispense l’aide sociale ait été induit en erreur ou non.
Aux termes de l’article 146 CP, se rend coupable d’escroquerie celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, a astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, ou l’a astucieusement confortée dans son erreur et a de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers. Cette infraction se commet en principe par action. Tel est le cas lorsqu’elle est perpétrée par actes concluants.
L’assuré qui a l’obligation de communiquer à son assureur ou, selon le cas, à l’organe compétent, toute modification importante des circonstances déterminantes pour l’octroi d’une prestation (art. 31 LPGA), qui ne respecte pas cette obligation et continue à percevoir les prestations octroyées initialement à juste titre ne commet toutefois pas par-là d’acte de tromperie. En continuant à recevoir ces prestations sans commentaire, l’assuré n’exprime pas que sa situation serait demeurée inchangée. La perception de prestations d’assurance n’a ainsi pas valeur de déclaration positive par acte concluant. La situation est toutefois différente si cette perception est accompagnée d’autres actions qui permettent objectivement d’interpréter le comportement du bénéficiaire comme signifiant que rien n’a changé dans sa situation. On pense notamment à un silence qualifié de l’assuré à des questions explicites de l’assureur. Une escroquerie par actes concluants a également été retenue dans le cas du bénéficiaire de prestations d’assurance exclusivement accordées aux indigents, qui se borne à donner suite à la requête de l’autorité compétente tendant, en vue de réexaminer sa situation économique, à la production d’un extrait de compte déterminé, alors qu’il possède une fortune non négligeable sur un autre compte, jamais déclaré, ou dans le cas d’une personne qui, dans sa demande de prestations complémentaires, tait un mois de rente et plusieurs actifs et crée par les informations fournies l’impression que celles-ci correspondent à sa situation réelle.
Concrètement, en matière d’aide sociale, il est admis que le bénéficiaire adopte un comportement actif lorsqu’il ressort des notes d’entretien rédigées par les assistants sociaux – ou lorsque le prévenu le reconnaît lui-même – que ceux-ci s’enquéraient régulièrement (en posant des questions précises) de sa situation (financière) et que le prévenu répondait, de manière tout aussi précise, en niant tout changement quant à ses rentrées d’argent (arrêt de la Cour pénale du 30.12.2020 [CPEN.2020.27] cons. 5.1).
Pour qu’il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas ; il faut encore qu’elle soit astucieuse. L‘astuce est réalisée lorsque l’auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu’il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible, ne l’est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l’auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu’elle renoncera à le faire.
Lorsque l’acte litigieux consiste dans le versement par l’Etat de prestations prévues par la loi, il ne peut y avoir escroquerie consommée que si le fait sur lequel portait la tromperie astucieuse et l’erreur était propre, s’il avait été connu par l’Etat, à conduire au refus, conformément à la loi, de telles prestations. Ce n’est en effet que dans ce cas, lorsque les prestations n’étaient en réalité pas dues, que l’acte consistant à les verser s’avère préjudiciable pour l’Etat et donc lui cause un dommage.
Sur le plan subjectif, l’escroquerie est une infraction intentionnelle, l’intention devant porter sur tous les éléments constitutifs de l’infraction. L’auteur doit en outre avoir agi dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime correspondant au dommage de la dupe. Le dol éventuel suffit cependant .
L’article 148a al. 1 CP, entré en vigueur le 1er octobre 2016, vise quiconque, par des déclarations fausses ou incomplètes, en passant des faits sous silence ou de toute autre façon, induit une personne en erreur ou la conforte dans son erreur, et obtient de la sorte pour lui-même ou pour un tiers des prestations indues d’une assurance sociale ou de l’aide sociale (Obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale).
Selon l’article 121 al. 3 Cst. féd., le législateur a reçu le mandat d’édicter de nouvelles infractions pénales pour réprimer l’obtention abusive de prestations fournies par les assurances sociales et les services sociaux. Avec l’article 148a CP, le législateur a codifié dans une loi fédérale le devoir pour le bénéficiaire d’annoncer aux assurances sociales et aux services sociaux tout fait pertinent pour l’allocation de prestations sociales. Cette disposition légale couvre les cas dans lesquels l’infraction d’escroquerie n’est pas réalisée, parce que l’auteur n’agit pas astucieusement. Sont ainsi comprises toutes les formes de tromperie, soit en principe lorsque l’auteur fournit des informations fausses ou incomplètes, dissimule sa situation financière ou personnelle réelle ou passe certains faits sous silence. On observe un tel comportement passif lorsque quelqu’un omet de signaler que sa situation financière s’est améliorée par exemple (Message du Conseil fédéral du 26.06.2013, FF 2013 5432). Le simple fait de taire des rentrées d’argent (alors que celles-ci auraient dû être déclarées) suffit à réaliser l’infraction, sans qu’il soit nécessaire que les assistants sociaux aient posé explicitement des questions spécifiques sur la situation financière du bénéficiaire de l’aide sociale (arrêt du TF du 04.12.2019 [6B_1015/2019] cons. 4.5.6).
Il s’agit d’une infraction intentionnelle. Le dol éventuel suffit. L’intention nécessite la connaissance du devoir d’annonce ainsi que la portée de celui-ci, étant précisé qu’il s’étend à tous les faits pertinents pour l’allocation de la prestation dans un système social fondé sur la solidarité et la loyauté et non sur la surveillance.
S’agissant d’une infraction contre le patrimoine, le Message indique, en référence à l’article 172ter CP, que le « cas de peu de gravité » est réalisé lorsque l’infraction ne portait que sur une prestation d’un « faible montant » ou, plus précisément, lorsque l’auteur ne visait qu’un « élément patrimonial de faible valeur » pour reprendre les termes de la disposition précitée. La loi ne définit pas le cas de peu de gravité au sens de l’alinéa 2. Le Tribunal fédéral (arrêt du TF du 30.11.2020 [6B_1030/2020] cons. 1.1.3, rappelé aussi dans [6B_797/2021]) a précisé qu’il ne fallait pas se fonder uniquement sur un seuil fixe, mais qu’il fallait envisager le comportement répréhensible dans son ensemble et tenir compte de la culpabilité du prévenu eu égard à la période durant laquelle il avait agi – une courte période étant plutôt un élément plaidant pour une faible culpabilité – et à l’énergie criminelle dont il avait fait preuve, un montant supérieur à 3’000 francs pouvant encore entrer dans la catégorie des actes réprimés par l’article 148a /2 CP. Le Message et une partie de la doctrine relèvent que la définition du cas de peu de gravité est conforme à l’article 172ter CP en ce que l’auteur visait un élément patrimonial de faible valeur. La Conférence des procureurs de Suisse a proposé un montant de 3’000 francs, comme limite du cas de peu gravité, étant précisé que toutes les prestations perçues indûment doivent être comptabilisées (prestations en espèce ou financement de loyers, primes d’assurances, etc. ; recommandations de la Conférence des procureurs de Suisse concernant l’expulsion des personnes étrangères condamnées [art. 66a à 66d CP] du 24 novembre 2016, chiffre 4). Selon la jurisprudence cantonale (RJN 2019 p. 399 et arrêt de la Cour cantonale zurichoise du 03.10.2019 [SB190071] cons. 4.4.1), il convient également de tenir compte de l’ensemble des éléments qui peuvent conduire à diminuer la responsabilité (but poursuivi par l’auteur, énergie criminelle moindre, durée pendant laquelle les prestations indues ont été versées).
(Extrait de : Arrêt de la Cour pénale du Tribunal cantonal (NE) du 16.08.2022 [CPEN.2021.71]
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)
Un ancien employé (personne concernée) dépose une plainte contre Consorcio ESS-Bilbao (responsable de traitement ; une entreprise de construction d’infrastructures) auprès de l’autorité espagnole de protection des données (APD ; Agencia Española de Protección de Datos), dans laquelle il demande à l’autorité de déterminer si la mise en œuvre d’un système biométrique de reconnaissance des empreintes digitales pour contrôler les heures de travail des employés était conforme au GDPR.
Le consortium avait conclu un accord avec Robotics, une société spécialisée dans les systèmes biométriques, qui a été désignée comme sous-traitant. Robotics, à son tour, avait un contrat avec Microsoft Ireland Operations LTD pour le stockage de données informatiques en nuage, opérant en qualité de sous-traitant.
L’entreprise a déclaré qu’elle avait préalablement informé les travailleurs que ce système serait mis en œuvre progressivement et qu’elle fondait ce traitement de données à caractère personnel sur l’art. 6 par. 1 let. a RGPD (texte du RGPD : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679), après avoir obtenu le consentement explicite de ses employés pour le traitement de données à caractère personnel qu’impliquait ce système. En outre, l’entreprise a déclaré que le traitement était également licite en vertu de l’art. 6 par. 1 let. b et c RGPD, étant donné que le contrôle effectif des heures de travail était nécessaire à l’exécution du contrat de travail et qu’il s’agissait d’une obligation légale pour une entreprise en vertu du droit espagnol, respectivement.
En outre, l’entreprise a fait valoir que ce système ne constituait pas un traitement de catégories particulières de données à caractère personnel au sens de l’art. 9 RGPD parce que la reconnaissance de l’empreinte digitale générait un numéro interne et une valeur de hachage non réversible, et qu’il n’y avait pas d’enregistrement de l’image de l’empreinte digitale proprement dite.
Lorsque la plainte a été déposée, l’entreprise a décidé de remplacer le système d’enregistrement biométrique des empreintes digitales par un autre système utilisant les cartes d’identification des employés.
L’APD, dans une décision PS/00052/2021 du 21.01.2022 (texte original : https://www.aepd.es/es/documento/ps-00052-2021.pdf; présenté et commenté ici : https://gdprhub.eu/index.php?title=AEPD_(Spain)_-_PS/00052/2021), souligne d’abord la tendance croissante à l’utilisation de systèmes biométriques et leur caractère intrusif pour les droits fondamentaux des personnes concernées, ainsi que les dangers de la centralisation des données biométriques stockées, qui augmente les risques de violation des données et d’accès illégal à celles-ci.
L’APD a estimé qu’en l’espèce, bien que l’image de l’empreinte digitale elle-même ne soit pas stockée, le fait que des valeurs numériques et de hachage basées sur l’empreinte digitale soient introduites dans des modèles qui enregistrent des caractéristiques physiques et peuvent être utilisées pour identifier individuellement une personne concernée, signifiait que ces données devaient être considérées comme une catégorie spéciale de données à caractère personnel sur la base de l’art. 9 par. 1 RGPD.
L’APD a ensuite évalué si l’utilisation d’un système de registre biométrique était adéquate, nécessaire et proportionnelle au regard de la finalité poursuivie. Bien que la loi espagnole impose effectivement l’obligation de contrôler les heures de travail effectives et les tâches effectuées par les employés, elle n’indique pas de méthode ou de système spécifique pour ce faire. L’APD a estimé qu’avant de mettre en œuvre un système de reconnaissance d’identité basé sur les empreintes digitales, l’entreprise aurait dû évaluer s’il existait une mesure moins intrusive permettant d’atteindre le même objectif.
L’APD estime par ailleurs qu’une analyse d’impact sur la protection des données (DPIA) au sens de l’art. 35 RGPD aurait dû être effectuée dans ce cas, et que le fait que l’entreprise ne l’ait pas fait constituait une violation flagrante du RGPD.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, Genève et Onnens (VD)
La question qui se pose est de savoir si, sur la base d’un jugement condamnant l’employeur à verser un salaire brut, le juge de la mainlevée doit accorder la mainlevée définitive et, le cas échéant, pour le salaire net ou le salaire brut.
Aux termes de l’art. 80 al. 1 LP, le créancier qui est au bénéfice d’un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l’opposition. Le juge doit vérifier si la créance en poursuite résulte du document produit (jugement ou titre assimilé). Pour constituer un titre de mainlevée définitive, ce document doit clairement obliger définitivement le débiteur au paiement d’une somme d’argent déterminée, c’est-à-dire chiffrée. A cet égard, le juge de la mainlevée doit uniquement décider si une telle obligation de payer ressort clairement du jugement exécutoire produit. Il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’existence matérielle de la prétention ou sur le bien-fondé du jugement, ni de trancher des questions délicates de droit matériel ou pour la solution desquelles le pouvoir d’appréciation joue un rôle important. Si le jugement n’est pas clair ou incomplet, il incombe au juge du fond de l’interpréter. En effet, le contentieux de la mainlevée de l’opposition (art. 80 ss LP) n’a pas pour but de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l’existence d’un titre exécutoire, le juge de la mainlevée ne se prononçant que sur la force probante du titre produit. Le prononcé de mainlevée ne sortit que des effets de droit des poursuites et ne fonde pas l’exception de chose jugée quant à l’existence de la créance.
Le juge ordonne la mainlevée de l’opposition, à moins que l’opposant ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu’il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu’il ne se prévale de la prescription (art. 81 al. 1 LP).
Cette disposition n’énumère pas exhaustivement les moyens de défense que le débiteur peut opposer à un jugement exécutoire, même si ceux-ci sont limités, le juge de la mainlevée n’ayant ni à revoir ni à interpréter le titre de mainlevée qui est produit, ni à examiner les moyens de droit matériel que le débiteur pouvait faire valoir dans le procès qui a abouti au jugement exécutoire.
Il incombe au poursuivi d’établir par titre, non seulement la cause de l’extinction, mais encore le montant exact à concurrence duquel la dette en poursuite est éteinte. Il ne peut se contenter de rendre vraisemblable sa libération (totale ou partielle) – contrairement à ce qui est le cas pour la mainlevée provisoire (art. 82 al. 2 LP) -, mais doit en apporter la preuve stricte.
Le poursuivi ne peut se prévaloir que de l’extinction de la dette survenue « postérieurement au jugement valant titre de mainlevée »; celle qui est intervenue avant ou durant la procédure au fond ne peut être prise en considération, sauf à attribuer au juge de la mainlevée la compétence d’examiner matériellement l’obligation de payer, qui n’appartient qu’au juge du fond.
A l’inverse, si le juge du fond réserve dans son dispositif des montants déjà versés, il n’appartient pas au poursuivi de démontrer ceux-ci. Le jugement ne constitue un titre de mainlevée que si la quotité de la dette est déterminable sur la base des considérants du jugement ou par le rapprochement d’autres pièces du dossier propres à établir avec exactitude le montant dû. Si tel n’est pas le cas, ce jugement ne vaut pas titre de mainlevée, faute d’une obligation de payer claire.
Les pratiques cantonales ne sont pas uniformes, mais le Tribunal fédéral a jugé dans un arrêt non publié que le salaire alloué judiciairement au travailleur est en principe un salaire brut. Deux solutions s’offrent alors au juge: ou bien il alloue un montant brut et opère le calcul des cotisations d’assurances sociales à déduire; ou bien il alloue un montant brut et, sans en opérer le calcul, mentionne expressément que ce montant sera réduit des cotisations d’assurances sociales du travailleur.
Le Tribunal fédéral a admis la qualité de titre de mainlevée définitive d’un jugement emportant condamnation à payer un montant brut sous déduction des cotisations sociales (arrêt 5P.364/2002 du 16 décembre 2002 consid. 2.1.2). Cette solution se justifie au regard du fait que l’employeur poursuivi n’a, au moment où le jugement au fond est rendu, pas déjà payé ces cotisations. Or, si le juge du fond accorde un salaire brut au travailleur, en se contentant de réserver les cotisations sociales et légales qui n’ont toutefois pas été payées, le juge de la mainlevée ne peut pas modifier le montant de la créance. Par ailleurs, économiquement, la cotisation constitue une partie du salaire qu’elle grève; sauf circonstances de fait exceptionnelles dans lesquelles le travailleur aurait été fondé à croire à l’existence d’un salaire net, le salaire brut fait partie du salaire convenu au sens de l’art. 322 al. 1 CO (arrêt 4C.136/2002 du 20 juin 2003 consid. 2.4). La possibilité de requérir du juge d’accorder la mainlevée à hauteur du salaire net n’entre dès lors en considération qu’à titre d’exception au sens de l’art. 81 al. 1 LP (ZR 117/2018 p. 257). Cette solution prend du reste en compte que le travailleur salarié n’est pas toujours en mesure de chiffrer son salaire net, notamment lorsqu’il s’agit de prétentions salariales particulières. Ainsi, si, pour l’AVS/AI/APG/AC, le taux de cotisation est fixé en pourcentage du salaire déterminant pour le salarié (art. 5 al. 2 LAVS), selon un taux indiqué dans la loi (art. 5 al. 1 LAVS; 3 LAI; 36 RAPG; 3 al. 2 LACI), pour l’assurance-accident en revanche, ce sont les assureurs qui fixent les primes en pour-mille du gain assuré (art. 92 LAA et 22 OAA; prime nette et différents suppléments de prime). En matière de prévoyance professionnelle, la loi détermine des taux de bonification de vieillesse minimaux (art. 16 LPP) en pourcentage du salaire coordonné (art. 7 s. LPP), mais les taux de cotisations peuvent varier d’une caisse de pension à l’autre, dans leur règlement, et selon le mode de financement choisi.
Il n’y a pas d’exception à faire au principe précité, imposant à l’employeur la preuve de l’exception (art. 81 al. 1 LP), pour les cotisations mises légalement à la charge du travailleur ou lorsque le montant des cotisations est aisément déterminable. En effet, si le juge du fond accorde un salaire brut, alors que ni le droit matériel ni le droit procédural ne lui interdisent de condamner au paiement d’un salaire net si les parties y concluent, il n’appartient pas au juge de la mainlevée de modifier la nature de cette créance. Au demeurant, une distinction entre les différents types d’assurances sociales va à l’encontre du rôle assigné à la procédure de mainlevée et compliquerait inutilement celle-ci, d’autant que des questions de fond relatives aux taux applicables ainsi qu’aux rémunérations soumises à cotisations peuvent se poser.
En l’espèce, le recourant (= l’employeur) ne peut pas être suivi dans son argument selon lequel l’intimée (= l’employée) n’est pas la créancière du salaire brut. Son argumentation revient en effet à ce que le juge de la mainlevée revoie le fond de la cause prudhommale, ce qui n’est pas admissible. Au demeurant, le tribunal des prud’hommes n’est pas autorisé à condamner l’employeur à verser, parallèlement au salaire qui serait déterminé selon la valeur nette, les charges sociales et fiscales aux institutions concernées puisque que celles-ci ne sont pas parties à la procédure prudhommale.
Le grief de violation de l’art. 80 al. 1 LP doit être rejeté.
Il reste donc à trancher la question de savoir si l’employeur poursuivi qui a été condamné à payer un salaire brut est en droit de faire valoir, à titre d’exception au sens de l’art. 81 al. 1 LP, qu’il ne doit que le salaire net à son employé et, le cas échéant, s’il doit démontrer le paiement effectif ou seulement l’étendue de son obligation de payer le montant des cotisations sociales et légales.
Par salaire brut, on entend le montant dû sans déduction de la part due par l’employé aux assurances sociales légales (AVS; AI; APG; AC; LAA; LPP; éventuelles cotisations sociales cantonales) et conventionnelles (p. ex. assurance perte de gain maladie, assurance-accidents complémentaires, prévoyance professionnelle surobligatoire). Les travailleurs sans permis d’établissement qui ont leur domicile fiscal en Suisse sont en outre soumis à l’imposition à la source.
En matière de cotisations (ou de primes) dues aux assurances sociales légales précitées, l’employeur est le débiteur de la totalité des charges sociales à l’égard de l’institution en cause, soit, lorsque le système est paritaire, de sa propre part et de celle du salarié. Ce n’est en général qu’à lui que l’institution peut s’adresser en vue du paiement. La loi consacre en conséquence une autorisation de l’employeur de déduire la part de cotisations à charge de l’employé du salaire de celui-ci (art. 14 al. 1 LAVS en lien avec l’art. 3 al. 2 LAI; 27 LAPG et 6 LACI; 91 al. 3 LAA; 66 al. 3 LPP. L’employeur ne peut pas objecter n’avoir pas reçu les cotisations du salarié. Il déduit la part de cotisation du salarié et verse celle-ci à l’institution. Par sa nature, l’obligation de l’employeur de percevoir les cotisations est une tâche de droit public prescrite par la loi.
Pour l’AVS/AI/APG/AC, l’employeur procède à la déduction lors de chaque paye (art. 14 al. 1 LAVS; 3 al. 2 LAI; 5 al. 1 LACI; 27 al. 3 LAPG; Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG, valables dès le 1 er janvier 2021 [état au 1 er janvier 2023; ci-après: DP] n° 1007, 2014, 2017, 2029 ss, 3017; pour la LAA, la déduction ne peut être opérée, pour une période de salaire, que sur le salaire de cette période ou de la période qui suit immédiatement, cf. art. 91 al. 3 LAA et KIESER/SCHEIWILLER, in CASS UVG, 2018, n° 6 ad art. 91 LAA), puis l’employeur verse la cotisation en même temps que sa propre part à des périodes et dans des délais fixés légalement (art. 34 RAVS; 93 al. 3 LAA). En matière de LPP, la déduction et le versement se fait en principe d’après le règlement de la caisse ou un accord particulier (art. 66 al. 2 LPP; BRECHBÜHL/GECKELER HUNZIKER, in CASS, LPP et LFLP, 2 ème éd., 2020, n° 31 s., 34 ad art. 66 LPP).
Le système est similaire pour l’impôt à la source, sans l’aspect paritaire. Le contribuable est le travailleur (art. 83 LIFD), mais le débiteur de la prestation imposable est l’employeur. Ce dernier a l’obligation de retenir l’impôt et de le verser périodiquement à l’autorité fiscale compétente. C’est lui qui est responsable du paiement de l’impôt à la source (cf. art. 88 LIFD)
Au vu du système sus-exposé, l’employeur poursuivi en paiement d’une créance de salaire brut peut opposer, à titre de moyen libératoire au sens de l’art. 81 al. 1 LP, son obligation de payer les cotisations sociales aux institutions concernées, dont il est le seul débiteur.
Quant à l’objet de ce moyen libératoire, la preuve par titre de la seule étendue de l’obligation de s’acquitter des cotisations sociales, et non du paiement effectif des cotisations avant celui du salaire net, suffit. En effet, l’employeur endosse la responsabilité de la dette. Par ailleurs, l’échéance de la cotisation sociale peut être concomitante, voire même postérieure à celle du salaire.
Il est vrai, comme le souligne l’intimée, que cette solution expose l’employé qui a obtenu une condamnation au paiement d’un salaire brut, comprenant une part aux cotisations, au risque que son employeur ne s’acquitte pas spontanément de celle-ci. On l’a dit, le tribunal des prud’hommes ne peut pas condamner l’employeur à verser des cotisations sociales à un tiers. Il est seulement compétent, dans une action en exécution du contrat de travail, pour trancher d’éventuelles contestations au sujet de la quotité des retenues opérées sur le salaire brut et, en conséquence, déterminer s’il subsiste une créance de salaire impayée. Cela étant, cette solution conduit à replacer l’employé dans la situation qui aurait été la sienne si l’employeur avait exécuté le contrat travail, sans qu’il ait à ouvrir une action en paiement à son encontre. En outre, si l’employeur ne paye pas les cotisations dues, il ne subit en principe pas de dommage pour ses prestations futures du premier pilier (cf. art. 30ter al. 2 LAVS; 68 LAA). Pour la prévoyance professionnelle, le salarié dispose de l’action prévue à l’art. 73 al. 1 LPP contre son employeur pour qu’il satisfasse à son obligation de cotiser ou en cas de litige sur l’obligation de l’employeur de déduire du salaire la part de cotisation de l’employé et de la verser à l’institution de prévoyance.
Ainsi, le jugement définitif et exécutoire qui condamne un employeur à payer un salaire brut à son employé, sous déduction des charges sociales à la charge de ce dernier, constitue un titre de mainlevée au sens de l’art. 80 al. 1 LP. L’employeur peut toutefois soulever à titre d’exception au sens de l’art. 81 al. 1 LP son obligation de verser ces cotisations. Il lui incombe alors de prouver par titre l’étendue de son obligation, sans qu’il ait toutefois à se prévaloir d’un paiement effectif. A défaut, le juge de la mainlevée lève l’opposition à concurrence du salaire brut; il ne lui appartient pas de revoir le fond du jugement en déterminant lui-même le salaire net.
Il suit de là que le grief de violation de l’art. 81 al. 1 LP doit être admis, l’autorité cantonale ayant à tort rejeté le grief du recourant au motif qu’il n’avait pas démontré son paiement effectif des cotisations sociales et légales. Il lui appartiendra de juger si le recourant a démontré devant elle l’étendue de son obligation de payer de telles cotisations et, le cas échéant, les montants déductibles.
(Arrêt du Tribunal fédéral 5A_816/2022 du 29 mars 2023, destiné à la publication)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)
A.A.________ et B.A.________ (ci-après: les contribuables) sont domiciliés dans le canton de Vaud. Le prénommé exerce une activité lucrative dépendante pour le compte de B.________ Sàrl depuis 1986 et B.A.________ est sans activité lucrative.
Le xx.yy 2011, A.A.________ et C.________ ont fondé et fait inscrire au registre du commerce la société D.________ Sàrl, qui avait notamment pour but la gestion d’établissements publics dans le domaine de la restauration, bars, cafés et discothèques. Les deux co-fondateurs étaient respectivement associé-gérant président et associé-gérant avec signature collective à deux. Du 15 juillet 2011 au 30 septembre 2015, cette société a été mise au bénéfice d’une autorisation d’exploiter l’enseigne « E.________ » à Lausanne, délivrée à A.A.________. D.________ Sàrl a été déclarée en faillite en mars 2016.
Le xx.yy 2011, A.A.________ et C.________ ont également fondé et fait inscrire au registre du commerce la société F.________ Sàrl, qui avait notamment pour but la gestion d’établissements publics dans le domaine de la restauration, bars, cafés et discothèques. Les deux co-fondateurs étaient respectivement associé-gérant président et associé-gérant avec signature collective à deux. Cette société a été mise au bénéfice d’une autorisation d’exploiter l’enseigne « W.________ » à Lausanne, délivrée à A.A.________, pour une période courant du 1 er décembre 2012 au 31 décembre 2015. F.________ Sàrl a été déclarée en faillite le en avril 2016.
Dès la période fiscale 2011, A.A.________ a volontairement attribué à sa fortune commerciale les parts de 50 % du capital social qu’il détenait dans les sociétés D.________ Sàrl et F.________ Sàrl.
Pour la période fiscale 2012, les contribuables ont déclaré un revenu de 240’588 fr. et revendiqué des pertes à hauteur de 149’652 fr. en lien avec une activité lucrative indépendante exercée par A.A.________. Pour l’année fiscale 2013, un revenu de 242’651 fr. a été déclaré et les contribuables ont revendiqué une perte à hauteur de 135’300 fr. liée à l’activité indépendante accessoire de l’époux. Pour l’année 2014, A.A.________ et B.A.________ ont déclaré un revenu imposable de 269’309 fr. et revendiqué des pertes de l’activité indépendante à hauteur de 50’557 fr.
Par décisions de taxation datées du 23 juin 2016 portant séparément sur les périodes fiscales 2012 à 2014, l’Office d’impôt des districts de Lausanne et Ouest lausannois a notamment refusé, pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après: ICC) et pour l’impôt fédéral direct (ci-après: IFD), la déduction des pertes revendiquées au titre de l’exercice d’une activité indépendante accessoire.
Par décision sur réclamation du 17 juin 2021 relative aux périodes fiscales 2012 à 2014, l’Administration cantonale des impôts du canton de Vaud (ci-après: L’Administration fiscale) [a notamment] refusé la déduction des pertes revendiquées, motif pris de l’absence d’exercice d’une activité lucrative indépendante par A.A.________.
Statuant par arrêt du 11 août 2022 sur le recours des contribuables, le Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, l’a rejeté.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.A.________ et B.A.________ concluent à la réforme de l’arrêt cantonal en ce sens qu’il soit reconnu que A.A.________ a exercé une activité lucrative indépendante accessoire durant les années 2012 à 2014 et que les pertes liées à cette activité soient déduites de leurs revenus pour cette période. Subsidiairement, ils concluent au renvoi de la cause à l’instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le litige porte sur la question de savoir si le recourant exerce une activité indépendante accessoire et partant, si les déductions des pertes qu’il revendique à ce titre, soit celles en lien avec l’amortissement des prêts qu’il a consentis à D.________ Sàrl et F.________ Sàrl et les honoraires impayés par ces deux sociétés, peuvent être admises.
La juridiction cantonale a nié que le recourant ait exercé une activité lucrative indépendante de 2012 à 2014 pour plusieurs motifs. En premier lieu, les tâches effectuées par ce dernier en vertu de contrats de mandat passés avec D.________ Sàrl et F.________ Sàrl (soit notamment de gérer les établissements publics « E.________ » et « W.________ », prospecter la clientèle, communication et relations publiques) faisaient partie de ses obligations légales en vertu du droit des sociétés et ne relevaient pas de l’exercice d’une activité lucrative indépendante. Il ne disposait pas davantage de la liberté d’une personne de condition indépendante fournissant des prestations sous sa propre responsabilité et les honoraires qu’il avait facturés – du reste demeurés impayés par les sociétés précitées – étaient forfaitaires, de sorte que sur le plan économique, il n’avait pas la faculté de facturer les montants qu’il souhaitait. De plus, les prêts consentis à D.________ Sàrl et F.________ Sàrl l’avaient été en sa qualité d’associé-gérant et non en lien avec une quelconque activité indépendante. A cela s’ajoutait que la comptabilité – établie et produite ultérieurement – ne faisait pas apparaitre de création de valeur ajoutée ou de « mobilisation de ressources », dans la mesure où seuls de modestes revenus ressortaient de celle-ci et que les actifs ne se composaient que des participations dans les sociétés précitées, ainsi que des prêts consentis à ces dernières.
L’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus uniques ou périodiques, excepté les gains en capital réalisés lors de l’aliénation d’éléments de la fortune privée (art. 16 al. 1 et al. 3 LIFD). Sont imposables tous les revenus provenant de l’exploitation d’une entreprise commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou sylvicole, de l’exercice d’une profession libérale ou de toute autre activité lucrative indépendante (art. 18 al. 1 LIFD).
D’une manière générale, le concept d’activité lucrative indépendante englobe toute activité par laquelle un entrepreneur participe à la vie économique à ses propres risques, avec l’engagement de travail et de capital, selon une organisation librement choisie, dans le but d’obtenir un gain. Sont notamment des indices démontrant l’existence d’une telle activité: l’emploi de personnel, l’importance des investissements, une clientèle multiple et changeante et l’existence de locaux commerciaux propres. Une activité lucrative indépendante peut être exercée à titre principal ou accessoire et être durable ou temporaire. Pour déterminer si l’on se trouve en présence d’une activité lucrative indépendante, il convient toujours de se fonder sur l’ensemble des circonstances du cas. Pour être qualifiée d’indépendante, il est dans tous les cas décisif que l’activité dans son ensemble soit orientée vers l’obtention d’un gain, ce qui s’évalue selon un critère subjectif et un critère objectif. Le critère subjectif est rempli en présence d’une intention de réaliser un profit. Pour que le critère objectif soit considéré comme réalisé, l’activité doit être profitable dans la durée. Outre le critère de l’indépendance économique, celui de l’indépendance personnelle est également décisif pour qualifier une activité de dépendante ou d’indépendante du point de vue fiscal.
Les contribuables exerçant une activité lucrative indépendante peuvent déduire les frais qui sont justifiés par l’usage commercial ou professionnel, dont font notamment partie les pertes effectives sur des éléments de la fortune commerciale, à condition qu’elles aient été comptabilisées (art. 27 al. 1 et 2 let. b LIFD). Les personnes physiques dont le revenu provient d’une activité lucrative indépendante et les personnes morales doivent joindre à leur déclaration: a) les comptes annuels signés (bilan, compte de résultats) concernant la période fiscale; ou b) en cas de tenue d’une comptabilité simplifiée en vertu de l’art. 957 al. 2 CO: un relevé des recettes et des dépenses, de l’état de la fortune ainsi que des prélèvements et apports privés concernant la période fiscale (art. 125 al. 2 LIFD). Les exigences auxquelles doivent répondre les pièces comptables requises par l’art. 125 al. 2 LIFD dépendent des circonstances du cas d’espèce, en particulier du type d’activité et de l’ampleur de cette dernière. Dans tous les cas, elles doivent être propres à garantir une saisie complète et fiable du revenu et de la fortune liés à l’activité lucrative indépendante et pouvoir être contrôlées dans des conditions raisonnables par les autorités fiscales. Cette exigence est d’autant plus importante lorsque le contribuable entend alléguer des faits de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale, ce qu’il lui incombe de prouver.
En l’espèce, les recourants reprochent en substance aux premiers juges une « application arbitraire » des art. 18, 27 et 37 LIFD, ainsi que de l’art. 10 LHID, en ce qu’ils ont retenu que les tâches exercées par le recourant en qualité de gérant des établissements publics « E.________ » et « W.________ » faisaient partie de ses obligations légales en vertu du droit des sociétés. Partant, ils auraient omis à tort de considérer cette activité comme une activité lucrative indépendante. Ils font également valoir que les prêts consentis par le recourant en faveur de D.________ Sàrl et de F.________ Sàrl l’ont été dans le cadre de cette activité indépendante, puisque ces prêts visaient à « garantir l’exercice effectif de son activité de gérant [des] établissements publics et de développer son activité de fourniture de prestations de services de marketing, conseil et gestion ».
A titre liminaire, il sied de relever, ainsi que l’Administration cantonale le fait valoir, qu’il existe une discrépance flagrante entre le montant des pertes invoquées à l’appui des déclarations fiscales déposées par les recourants (2012: 149’652 fr.; 2013: 135’300 fr; 2014: 50’557 fr.) et celles qui ressortent de la comptabilité déposée (postérieurement) le 6 novembre 2017 (2012: 58’407 fr.; 2013: 236’760 fr.; 2014: 48’047 fr.). Or ces différences ne peuvent pas s’expliquer par le seul fait que les pertes d’exploitation concernaient non seulement les prêts litigieux, mais également l’impossibilité pour le recourant d’obtenir le paiement des honoraires facturés aux sociétés D.________ Sàrl et F.________ Sàrl, dont le montant représentait respectivement 2’500 fr. et 2’000 fr. facturé par trimestre selon les contrats de mandat. De ces différences qui ne s’expliquent pas, il découle que le montant des pertes revendiquées pour les périodes fiscales 2012 à 2014 ne peut pas être vérifié sur la base des pièces présentées par les recourants à l’Administration fiscale. De plus, et en raison de ces différences, on peut se demander si les pièces présentées offrent une garantie suffisante en ce qui concerne la saisie complète des opérations commerciales, et ce d’autant plus que les contribuables revendiquent des faits de nature à diminuer leur dette fiscale. La question de la preuve de la déduction des pertes litigieuses peut demeurer ouverte, compte tenu de ce qui suit.
A l’instar de la cour cantonale, on doit considérer que le recourant n’a pas exercé d’activité lucrative indépendante. En effet, les honoraires forfaitaires trimestriels de 2’500 fr., respectivement 2’000 fr. facturés à D.________ Sàrl et F.________ Sàrl sur la base d’un « contrat de mandat » de manière trimestrielle ne permettent pas d’inférer une indépendance économique – qui constitue pourtant un critère décisif -, puisque ces honoraires n’ont jamais été payés au recourant, selon ses dires, sur plus de trois ans. Comme l’ont retenu à juste titre les premiers juges, l’absence d’une rémunération effectivement perçue de la part des « mandataires » précitées pendant trois années consécutives met en doute la volonté de réaliser un gain, et ce d’autant plus que l’activité déployée en faveur des sociétés précitées n’était manifestement pas profitable sur la durée. Quoi qu’il en soit, les autres indices permettant de conclure à une activité lucrative indépendante, soit l’emploi de personnel, l’importance des investissements permettant le développement de l’activité en cause, l’existence d’une clientèle multiple et changeante, ainsi que l’existence de locaux commerciaux propres font défaut dans le cas d’espèce. Ainsi, bien qu’il existât une faible activité commerciale provenant de modestes honoraires – manifestement forfaitaires – annuels compris entre 2’800 fr. et 6’000 fr. payés par trois clients provenant d’Italie, celle-ci n’est toutefois pas d’une intensité suffisante pour admettre l’existence d’une activité lucrative indépendante au sens de la jurisprudence, ainsi que la juridiction cantonale l’a retenu à bon droit et sans arbitraire.
En outre, l’argumentation des recourants, selon laquelle l’activité déployée et prévue dans les deux contrats de mandats concernait une activité de gérance des établissements publics précités et non pas les fonctions d’associé et/ou de gérant de D.________ Sàrl et F.________ Sàrl, et qu’elle constituait donc une activité indépendante, tombe à faux. En effet, la question de savoir si l’activité était déployée pour le compte des sociétés précitées ou pour les établissements publics qu’elles exploitaient n’est pas déterminante. On doit en effet constater (art. 105 al. 2 LTF) que les « contrats de mandat » prévoyaient chacun un taux d’occupation minimal de 15 heures par semaine, soit l’équivalent d’un 30 % d’un temps complet et que vu « l’importance du poste occupé, les heures supplémentaires [n’étaient pas] rémunérées ». Or de telles clauses contractuelles ne permettent pas, en l’espèce, de conclure à une quelconque indépendance organisationnelle et l’exclusion de rémunération pour des « heures supplémentaires » n’apparaît pas non plus compatible avec l’exercice d’une activité lucrative indépendante sur le plan économique.
Enfin, lorsque les recourants se contentent d’alléguer que les prêts consentis en faveur de D.________ Sàrl et de F.________ Sàrl visaient à « développer [une] activité de fourniture de prestations de services de marketing, conseil et gestion », ils ne démontrent pas, conformément à la jurisprudence (cf. ATF 142 III 364 consid. 2.4) que l’autorité précédente aurait méconnu le droit, lorsque celle-ci a retenu que la totalité des pièces bancaires produites à l’appui des déclarations d’impôt démontraient que c’était en qualité d’associé des deux sociétés à responsabilité limitée que les prêts avaient été consentis. On doit en effet constater (art. 105 al. 2 LTF) que les avis de débit des années 2013 et 2014, annexés aux déclarations d’impôt et auxquels la cour cantonale fait manifestement référence, font état, comme motifs des paiements du recourant à ses sociétés, de libellés tels que « prêt personnel de A.A.________ à D.________ […] » ou encore, s’agissant des versements en faveur de F.________ Sàrl, d’un « pr ê t personnel ».
En droit fiscal harmonisé, la notion de revenu imposable, ainsi que celle de pertes commerciales déductibles sont identiques à celles de la LIFD (art. 7 al. 1, 8 et 10 al. 1 let. c LHID; art. 19 al. 1, 20 et 21 al. 2 let. b de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux [LI; RSV 642.11]). Ainsi, dans la mesure où la notion d’activité lucrative indépendante doit être interprétée de la même manière qu’en droit fédéral (arrêt 2C_339/2020 du 5 janvier 2021 consid. 11), les considérations développées pour l’IFD trouvent à s’appliquer aux ICC. Le recours est donc également rejeté en ce qui concerne les impôts cantonaux et communaux.
(Arrêt du Tribunal fédéral 9C_658/2022 du 1er mai 2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)
Au cours des mois de mai et juin 2022, les plaignants [des enseignants] ont chacun introduit une plainte auprès de l’Autorité de protection des données (APD) contre la défenderesse [un établissement d’enseignement supérieur].
L’objet de leur plainte concerne la communication par la défenderesse de leur qualité d’enseignant gréviste lors de l’envoi par e-mail à tous les parents d’élèves de la liste des enseignants pouvant être rencontrés au cours de la réunion de parents d’élèves de l’établissement du 29 mars 2022.
Les plaignants sont tous membres du personnel enseignant de la défenderesse et employés de celle-ci au sein de l’établissement d’enseignement secondaire Y.
Le 29 mars 2022, une grève est organisée à l’initiative des organisations syndicales représentatives du personnel dans le secteur de l’enseignement.
Ce même 29 mars 2022, une réunion de parents est organisée au sein de la défenderesse afin de permettre aux parents des élèves de l’école de rencontrer individuellement les professeurs.
Par un courriel du 25 mars 2022, la direction de la défenderesse a interpellé l’ensemble de ses enseignants en ces termes : « Comme vous le savez, la réunion des parents aura lieu ce 28 mars 2022 (lire 29 mars 2022). Or, la grève aura lieu ce mardi également. Je demande à ceux qui comptent faire grève de me le signaler pour ce lundi à 9h au plus tard afin que je signale votre absence aux éducateurs et aux parents. En revanche, si vous vous absentez, vous devrez assurer la permanence parents ce jeudi à partir de 15h30 en lieu et place de ce mardi, à moins que vous ne participiez quand même à la réunion des parents ».
Le 29 mars 2022, la direction de la défenderesse informe les parents des élèves des modalités d’organisation de la réunion de parents du même jour. Un courrier est communiqué aux parents d’élèves par courriel avec une liste des professeurs. Au regard des noms des professeurs ayant annoncé à la direction leur participation à la grève, la mention « gréviste » est apposée. Pour les autres professeurs absents lors de la réunion de parents, il est indiqué « abs », sans précision du motif de leur absence.
Quant aux principes de licéité et de minimisation (article 5.1.a) et 5.1.c) du RGPD ainsi que les articles 6 et 9 du RGPD)
Tout traitement de donnée à caractère personnel doit, en exécution du principe de licéité consacré à l’article 5.1. a) du RGPD, s’appuyer sur une des bases de licéité de l’article 6.1. du RGPD. Lorsque le responsable de traitement traite une donnée qui ressort des « catégories particulières de données », il doit en sus respecter les conditions de l’article 9 du RGPD lu en combinaison avec l’article 6 du RGPD.
L’article 6 du RGPD prévoit ainsi que les données à caractère personnel peuvent être traitées si leur traitement peut valablement s’appuyer sur un des 6 fondements qu’il liste soit : le consentement de la personne concernée (article 6.1.a)), l’exécution du contrat ou de mesures précontractuelles prises à la demande de la personne concernée (article 6.1.b)), l’exécution d’une obligation légale (article 6.1.c)), l’intérêt vital de la personne concernée (article 6.1.d)), l’exécution de l’autorité publique ou de la mission d’intérêt public dont est investie le responsable de traitement (article 6.1. e)) ou encore l’intérêt légitime (article 6.1.f)). Dans tous les cas, le traitement des données doit être nécessaire.
L’article 9 du RGPD (catégories particulières de données) prévoit pour sa part n son § 1er , une interdiction de traitement des données dites « sensibles » en ces termes : « le traitement des données à caractère personnel qui révèle l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, ls convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétique, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique sont interdits ». Le considérant 51 qui explicite l’article 9 du RGPD précise notamment que « outre les exigences spécifiques applicables à ce traitement [lisez le traitement de ces catégories particulières de données], les principes généraux et les autres règles du présent règlement devraient s’appliquer, en particulier en ce qui concerne les conditions de licéité du traitement ». En d’autres termes l’application de l’article 9.2. du RGPD qui autorise le traitement des dites données dans certains cas doit être lu en combinaison avec l’article 6.1. du RGPD qui requiert que tout traitement s’appuie sur l’une des 6 bases de licéité qu’il énonce.
En conséquence, il est essentiel avant de pouvoir considérer qu’une base de licéité fait ou non défaut comme le dénonce les plaignants de qualifier les données traitées pour déterminer si le respect seul de l’article 6 RGPD doit être vérifié ou si, en présence de données relevant de l’article 9.1. du RGPD (soit de données qualifiées de « sensibles »), c’est le respect de l’article 9.2 lu en combinaison avec l’article 6 du RGPD qu’il convient de contrôler.
En l’espèce, il n’est pas contesté que la mention « gréviste » accolée à l’identité des plaignants et d’autres membres du personnel consiste en une donnée à caractère personnel concernant ces derniers au sens de l’article 4.1. du RGPD. En effet, il s’agit d’une information se rapportant à des personnes physiques directement identifiées puisque la mention est apposée en regard de leurs nom et prénom. Il n’est pas non plus contesté que la communication opérée par la défenderesse via son courriel du 29 mars 2022 adressé aux parents d’élèves est un traitement au sens de l’article 4.2. du RGD. Il s’agit en effet d’une communication effectuée en l’espèce à l’aide de procédés automatisés.
Les points de vue des parties divergent en revanche sur la question de savoir si le qualificatif « gréviste » relève ou non de l’article 9.1. du RGPD, plus particulièrement s’il révèle, au sens de cette disposition, l’appartenance syndicale des plaignants.
La Chambre Contentieuse relève que pour être couverte par l’article 9 du RGPD, l’information de la qualité de gréviste doit révéler l’appartenance syndicale. La Chambre Contentieuse est d’avis que le fait d’être gréviste ne révèle pas cette appartenance. L’appartenance syndicale consiste en effet en une affiliation syndicale, ce que la version anglaise du RGPD traduit mieux encore que le terme français d’ « appartenance ». La version anglaise retient les termes de « trade-union membership » qui traduit l’idée que la personne concernée est membre « member ») d’un syndicat. La version néerlandaise aussi mentionne clairement le fait d’être affilié à un syndicat en recourant au terme « lidmaatschap » soit qui est « lid », soit qui est « membre ». Or, le droit de grève est ouvert à tous les travailleurs qu’ils soient ou non affiliés à un syndicat. Une grève ne doit par ailleurs pas nécessairement être organisée à l’initiative d’un syndicat. En d’autres termes, un participant à une grève n’est pas nécessairement membre d’un syndicat. Il peut l’être mais le cas échéant, sa participation à la grève ne le révèle pas. En d’autres termes, être gréviste ne révèle pas une appartenance syndicale. La Chambre Contentieuse considère par ailleurs que le fait de déduire qu’une personne, du fait de sa participation à une grève, appartiendrait nécessairement à un syndicat constituerait une déduction contraire au principe d’exactitude des données consacré à l’article 5.1.c) du RGPD.
La Chambre Contentieuse en conclut que la mention de la qualité de gréviste des plaignants ne consiste pas en un traitement de donnée révélant l’appartenance syndicale au sens de l’article 9.1 du RGPD. La Chambre Contentieuse est en revanche d’avis que la qualification de « gréviste » peut être considérée comme une donnée « à caractère hautement personnel » au sens que le Comité européen de la protection des données (CEPD) a donné à ce concept dans ses Lignes directrices relatives à l’analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD)
Le CEPD y souligne qu’ au-delà des dispositions du RGPD, certaines catégories de données peuvent être considérées comme augmentant le risque possible pour les droits et libertés des personnes. Elles sont « sensibles » au sens commun du terme et nécessitent une attention particulière lorsqu’elles sont traitées, la philosophie du RGPD étant caractérisée par une approche sur le risque et sur la prise de mesures destinées à les prendre en compte et les minimiser.
La Chambre Contentieuse ajoute surabondamment qu’elle ne partage en revanche pas le point de vue de la défenderesse selon lequel l’article 9.1. du RGPD devrait, par principe, être interprété restrictivement, Dans un arrêt du 1er août 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne ( CJUE) a en effet clairement précisé qu’ « (…) une interprétation large des notions de « catégories particulières de données à caractère personnel » et de « données sensibles » est confortée par l’objectif de la directive 95/46 et du RGPD, rappelé au point 61 du présent arrêt, qui est de garantir un niveau élevé de protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, notamment de leur vie privée, à l’égard du traitement des données à caractère personnel les concernant (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2003, Lindqvist, C-101/01, EU:C:2003:596, point 50) ». La Cour ajoute que « l’interprétation contraire irait, qui plus est, à l’encontre de la finalité de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 95/46 et de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD, consistant à assurer une protection accrue à l’encontre de traitements qui, en raison de la sensibilité particulière des données qui en sont l’objet, sont susceptibles de constituer, ainsi qu’il ressort du considérant 33 de la directive 95/46 et du considérant 51 du RGPD, une ingérence particulièrement grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, garantis par les articles 7 et 8 de la Charte [voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, GC e.a. (Déréférencement de données sensibles), C-136/17, EU:C:2019:773, point 44] ».
En l’espèce, la Chambre Contentieuse considère que cette interprétation même large (et non pas restrictive comme le postule la défenderesse) ne permet pas de considérer que la qualité de gréviste révèle, même indirectement, l’appartenance syndicale et devrait dès lors être considérée comme une donnée sensible au sens de l’article 9.1. du RGPD. Ainsi que la Chambre Contentieuse elle l’a exposé, cette qualification s’appuierait sur la prémisse erronée que tout gréviste est syndiqué et serait par ailleurs contraire au principe d’exactitude des données comme également déjà mentionné.
Dès lors que la défenderesse ne traitait pas de donnée sensible, l’article 9 du RGP n’est pas d’application. L’appréciation de la Chambre Contentieuse quant à la licéité du traitement de la donnée « gréviste » se fera donc au départ du seul l’article 6.1. du RGPD et des principes généraux énoncés à l’article 5 du RGPD et non au départ de l’article 9.2. lu en combination avec l’article 6 du RGPD.
Au titre de base de licéité, la défenderesse indique que la communication litigieuse s’inscrivait dans le cadre de l’exécution de sa mission d’intérêt public d’enseignement et qu’elle était dès lors fondée à s’appuyer sur l’article 6.1.e) du RGPD qui autorise le traitement de données lorsque « le traitement est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement ».
La mobilisation de l’article 6.1.e) du RGPD présuppose la réunion des conditions ci-dessous que la Chambre Contentieuse s’emploiera à vérifier : – Le responsable de traitement doit, conformément à l’article 6.3.b) du RGPD lu à la lumière des considérants 41 et 45, être investi de l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique en vertu d’une base légale, que ce soit en droit de l’Union européenne ou en droit de l’Etat membre ; – Les finalités du traitement doivent être nécessaires à l’exécution de la mission d’intérêt public ou de l’exercice de l’autorité publique.
Le considérant 41 apporte des éclaircissements sur la qualité de cette base légale. : :« Lorsque le présent règlement fait référence à une base juridique ou à une mesure législative, cela ne signifie pas nécessairement que l’adoption d’un acte législatif par un parlement est exigée, sans préjudice des obligations prévues en vertu de l’ordre constitutionnel de l’État membre concerné. Cependant, cette base juridique ou cette mesure législative devrait être claire et précise et son application devrait être prévisible pour les justiciable.
Cette exigence de prévisibilité implique que certains éléments constitutifs du traitement soient inscrits dans la base légale, dont notamment la finalité du traitement.
Quant à l’exigence de nécessité (le traitement n’est licite que si et dans la mesure où il est nécessaire à l‘exécution de la mission d’intérêt public pour ne prendre qu’une des hypothèses visées par l’article 6.1.du RGPD), la Chambre Contentieuse a déjà souligné que la législation ne contient souvent pas de disposition spécifique aux traitements de données nécessaires. Les responsables de traitement qui souhaitent invoquer l’article 6.1.e) du RGPD en vertu d’une telle base légale doivent alors effectuer eux-mêmes une pondération entre la nécessité du traitement pour la mission d’intérêt public et les intérêts des personnes concernées.
La Chambre Contentieuse considère qu’un établissement scolaire tel celui de la défenderesse est assurément investi d’une mission d’intérêt public au sens de l’article 6.1. e) du RGPD. La mission publique d’enseignement d’un établissement scolaire telle la défenderesse inclut la communication avec les parents au sujet du vécu de leur enfant dans l’établissement.
La Chambre Contentieuse considère que l’organisation de réunion de parents dans une école secondaire nécessite que les parents soient informés de là où ils pourront rencontrer le ou les professeurs présents de leurs enfants, ces professeurs étant différents selon les matières dispensées.
La Chambre Contentieuse est d’avis que l’organisation de la réunion de parents d’élèves du 29 mars et la communication de la présence ou de l’absence de l’un ou l’autre professeur que les parents souhaiteraient rencontrer participe de l’exécution de la mission publique d’enseignement de la défenderesse. Cette communication poursuit une finalité légitime et nécessaire à l’exécution de cette mission qui trouve son fondement dans différents textes de loi encadrant l’exercice par un établissement scolaire de sa mission d’enseignement, en ce compris la communication avec les parents d’élèves quant à la scolarité de leur enfant.
Quant à la nécessité du traitement de la donnée « gréviste » :
S’agissant en revanche de la communication de la qualité de gréviste des plaignants, la Chambre Contentieuse considère qu’elle n’était pas nécessaire à la réalisation de la finalité du traitement qui consistait à indiquer aux parents quels seraient les professeurs présents qu’ils pourraient rencontrer lors de la réunion de parents du 29 mars 2022. A cet égard, seule la mention de l’absence de certaines enseignants, pour quelque motif que ce soit, eu été suffisante.
La Chambre Contentieuse est à cet égard d’avis qu’il suffisait pour la défenderesse de mettre en place une information générale selon laquelle, pour ce qui concernait les professeurs absents, un autre moment à convenir pourrait être fixé.
En conclusion, il ressort de ce qui précède que la défenderesse a communiqué aux parents d’élèves une donnée personnelle relative aux plaignants qui n’était pas nécessaire à la finalité qu’elle poursuivait. Sur cette base, la Chambre Contentieuse conclut que la défenderesse s’est rendue coupable d’un manquement à l’article 6.1.e) du RGPD et plus généralement à l’article 6 du RGPD – aucune autre base de licéité ne pouvant être mobilisée par la défenderesse par ailleurs – combiné à l’article 5.1.c) du RGPD.
(Autorité de protection des données (Belgique), Chambre Contentieuse, Décision quant au fond 49/2023 du 28 avril 2023 – Numéros de dossiers : DOS-2022-02905 – DOS-2022-02908 – DOS-2022-02910 –DOS-2022-02912 – DOS-2022-02915; texte original: https://www.gegevensbeschermingsautoriteit.be/publications/beslissing-ten-gronde-nr.-49-2023.pdf)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)
En 2021, le responsable du traitement a organisé un congrès à Barcelone et a demandé aux participants qui s’inscrivaient « en présentiel » de télécharger leur document d’identité sur le site web du responsable du traitement.
Les participants pouvaient ensuite choisir le type d’accréditation à effectuer à l’entrée de l’événement : accréditation automatisée ou manuelle.
L’accréditation automatisée était effectuée par un système qui utilisait la reconnaissance faciale pour comparer l’image du visage du participant prise sur site avec la photo figurant sur le document d’identité. Les participants ayant opté pour l’accréditation automatique ont été invités à consentir à l’utilisation de leurs données biométriques.
Une personne concernée, qui avait été invitée en tant qu’orateur, a déposé une plainte auprès de l’autorité espagnole de protection des données au motif qu’il n’existait pas de base juridique pour procéder à une reconnaissance faciale dans ce contexte.
Le responsable du traitement a fait valoir que l’utilisation de la reconnaissance faciale avait pour but d’éviter tout contact personnel à l’entrée de l’événement et, par conséquent, de prévenir la contagion par le coronavirus. En tout état de cause, le responsable du traitement a déclaré que les participants avaient été invités à donner leur consentement, conformément à l’art. 6 par. 1 let. a RGPD, et qu’une autre option pour l’accréditation leur avait été proposée. Le responsable du traitement a également indiqué qu’environ 20 000 personnes avaient participé à l’événement et a présenté une analyse d’impact relative à la protection des données à l’autorité de protection des données (art. 35 et 36 RGPD : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679).
L’autorité espagnole de protection des données (APD ; Agencia Española de Protección de Datos), dans une décision EXP202100603 publiée et présentée sur gdprhub.eu le 18.05.2023 (présentation : https://gdprhub.eu/index.php?title=AEPD_(Spain)_-_EXP202100603&mtc=today; décision originelle : https://www.aepd.es/es/documento/ps-00553-2021.pdf) commence son analyse en rappelant que l’image du visage est une donnée biométrique au sens de l’art. 4 ch. 14 RGPD.
Selon l’APD, les données biométriques ont la particularité d’être produites par le corps lui-même, ce qui les rend, en principe, immodifiables par la volonté de l’individu. Ainsi, l’accès non autorisé à des données biométriques permet de potentielles usurpations d’identité qui sont non seulement perpétuelles dans le temps, mais qui peuvent également servir à frauder plusieurs systèmes qui utilisent ces mêmes données.
L’APD poursuit en affirmant que le traitement de données d’une nature aussi sensible comporte un risque important pour les droits et libertés fondamentaux des personnes. Dans cette logique, elle a considéré que l’utilisation de systèmes de reconnaissance faciale ne devrait être appliquée que lorsqu’elle est essentielle ou indispensable, et non pour de simples raisons de commodité. Par conséquent, le responsable du traitement doit procéder à une évaluation de la nécessité et de la proportionnalité qui prend en considération les options alternatives les moins intrusives disponibles avant de mettre en œuvre un tel système.
En l’espèce, l’APD a estimé que, bien que le traitement des données biométriques repose sur une base juridique, le responsable du traitement aurait dû procéder à une analyse d’impact sur les données à caractère personnel prenant effectivement en compte ces risques. En ce qui concerne les exemples de risques liés à la reconnaissance faciale, l’autorité de protection des données mentionne notamment les risques liés à l’exactitude, au stockage dans de grandes bases de données, à la perte de qualité, à la confidentialité et à la disponibilité des données.
Selon l’APD, le responsable du traitement n’a pas pris en compte ces différents éléments et scénarios dans son évaluation des risques. Elle a considéré que l’analyse d’impact fournie était simplement nominale, puisqu’elle n’examinait aucun aspect substantiel, ni n’évaluait les risques ou la proportionnalité et la nécessité de l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale.
Sur cette base, l’autorité de protection des données a conclu à une violation de l’article 35 du règlement GDPR et a imposé une amende de 200 000 euros au responsable du traitement.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)