Congé-représailles après l’invocation de faits de mobbing?

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L’appelant (= l’employé) invoque une violation des art. 328 et 336 al. 1 let. d CO.

Selon lui, le motif réel de congé résidait dans l’invocation, par l’appelant, de ses droits de la personnalité, à savoir l’existence d’un mobbing de la part de sa supérieure Z.________. Il s’agirait donc d’un congé-représailles.

En vertu de l’art. 328 al. 1 CO, l’employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur. Les actes de mobbing sont prohibés par cette disposition. L’employeur qui n’empêche pas que son employé subisse un mobbing contrevient à l’art. 328 CO.

Le harcèlement psychologique (ou mobbing) se définit comme un enchaînement de propos et/ou d’agissements hostiles, répétés fréquemment pendant une période assez longue, par lesquels un ou plusieurs individus cherchent à isoler, à marginaliser, voire à exclure une personne sur son lieu de travail. La victime est souvent placée dans une situation où chaque acte pris individuellement, auquel un témoin a pu assister, peut éventuellement être considéré comme supportable, alors que l’ensemble des agissements constitue une déstabilisation de la personnalité, poussée jusqu’à l’élimination professionnelle de la personne visée. Les attaques ne sont généralement pas virulentes, mais de faible intensité, et c’est par leur caractère répétitif qu’elles constituent du harcèlement et en deviennent illicites. Il peut s’agir d’actes banals, comme ne pas saluer quelqu’un, ne plus lui adresser la parole, l’interrompre, ne pas tenir compte de ce qu’il dit, terminer une conversation au moment où il veut y prendre part, qui ne dépassent jamais la limite admise et qui ne sont ainsi pas punissables pénalement. Il peut également s’agir de la critique régulière d’un employé en présence de ses collègues, du dénigrement de la qualité de son travail, de la prise à partie systématique du travailleur concerné, de l’attribution de nouvelles tâches sans discussion préalable, de l’attribution de tâches nettement inférieures ou nettement supérieures à ses compétences aux fins de discréditer le travailleur.

Il n’y a toutefois pas harcèlement psychologique du seul fait d’un conflit dans les relations professionnelles, d’une mauvaise ambiance de travail, ou d’une incompatibilité de caractères. Il résulte des particularités du mobbing que ce dernier est généralement difficile à prouver, si bien qu’il faut éventuellement admettre son existence sur la base d’un faisceau d’indices convergents. Il sied cependant de garder à l’esprit que le mobbing peut n’être qu’imaginaire et qu’il peut même être allégué abusivement pour tenter de se protéger contre des remarques ou mesures pourtant justifiées. L’appréciation de l’existence d’un harcèlement psychologique ou de son inexistence présuppose une appréciation globale des circonstances. Dans tous les cas, le tribunal dispose d’une certaine marge d’appréciation des circonstances d’espèce et des indices pouvant entrer en ligne de compte dans la définition du mobbing.

Le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties (art. 335 al. 1 CO). En droit suisse du travail, la liberté de résiliation prévaut de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. Le droit de chaque cocontractant de mettre fin au contrat unilatéralement est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO).

L’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère une liste de cas dans lesquels la résiliation est abusive. Est notamment abusif le congé donné par une partie parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (art. 336 al. 1 let. d CO). Cette disposition vise le congé de représailles ou congé-vengeance. Il tend en particulier à empêcher que le licenciement soit utilisé pour punir le travailleur d’avoir fait valoir des prétentions auprès de son employeur en supposant de bonne foi que les droits dont il soutenait être le titulaire lui étaient acquis. En principe, la bonne foi du travailleur est présumée (art. 3 al. 1 CC) et il importe peu que les prétentions invoquées de bonne foi soient réellement fondées. Il suffit que le travailleur soit légitimé, de bonne foi, à penser que sa prétention est fondée. La réclamation ne doit cependant être ni chicanière ni téméraire car elle empêcherait une résiliation en elle-même admissible.

Les prétentions émises par l’employé doivent avoir joué un rôle causal dans la décision de l’employeur de le licencier. Ainsi, le fait que l’employé émette de bonne foi une prétention résultant de son contrat de travail n’a pas nécessairement pour conséquence de rendre abusif le congé donné ultérieurement par l’employeur. Encore faut-il que la formulation de la prétention en soit à l’origine et qu’elle soit à tout le moins le motif déterminant du licenciement. Pour dire si un congé est abusif, il faut se fonder sur son motif réel.

En application de l’art. 8 CC, il appartient en principe à la partie qui a reçu son congé de démontrer que celui-ci est abusif. La jurisprudence a toutefois tenu compte des difficultés qu’il peut y avoir à apporter la preuve d’un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui donne le congé. Le juge peut ainsi présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n’a pas pour résultat d’en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de « preuve par indices ». De son côté, l’employeur ne peut pas rester inactif ; il n’a pas d’autre issue que de fournir des preuves à l’appui de ses propres allégations quant au motif du congé.

En l’espèce, les premiers juges ont retenu que l’intimée avait licencié l’appelant pour cause d’inadéquation au poste occupé, le licenciement n’étant pas abusif. S’agissant du harcèlement prétendu, les premiers juge ont estimé que Z.________ était exigeante et attentive aux détails envers tous les collaborateurs et qu’aucun manquement ne pouvait lui être reproché. Ils ont relevé que le micro-management reproché avait concerné tous les collaborateurs et ne visait pas spécifiquement l’appelant, ce qui était décisif pour nier l’existence d’un harcèlement visant à isoler ou marginaliser l’employé. Raisonner autrement reviendrait à admettre que les collaborateurs puissent imposer un certain niveau d’exigence à l’encadrement d’une entreprise, alors qu’il appartient à l’évidence à l’employeur de décider quelles prestations de travail correspondent à ses attentes et quelles lacunes dans le travail ne sont pas acceptables.

L’appelant prétend que le véritable motif de congé réside dans le fait qu’il s’est plaint d’être harcelé par Z.________. Comme cela a été retenu ci-dessus, l’insuffisance des prestations professionnelles de l’appelant a été démontrée à satisfaction. Le dernier rapport d’évaluation PIP date du 30 août 2018 et le licenciement du lendemain. Il ne fait donc aucun doute que la décision de licencier a été prise au terme de ce processus, dont les résultats escomptés n’ont pas été atteints. A l’inverse, l’appelant ne parvient pas à démontrer un rapport causal entre ses plaintes de harcèlement et son licenciement. Il se contente de relever s’être plaint auprès des ressources humaines le 9 mars, le 23 mars et le 26 avril 2018, soit quatre mois avant la décision de licencier. Or la chronologie des événements démontre un rapport de cause à effet entre le licenciement et la fin du processus PIP [Performance Improvement Plan] et non avec les plaintes de harcèlement.

Par ailleurs, l’appelant n’est pas parvenu à apporter la preuve d’avoir été victime de mobbing de la part de Z.________.

Quant au micro-management pratiqué par Z.________, confirmé par les témoins H.________ et X.________, qui ont expliqué que Z.________ revérifiait le moindre détail, posait et reposait les mêmes questions, ce qui avait pour effet de dévaloriser la personne et son travail, d’empêcher la personne de contribuer au travail commun, qu’elle mettait énormément de pression, il convient d’y opposer les éléments suivants. D’abord, ces exigences étaient appliquées vis-à-vis de l’ensemble des collaborateurs. Ensuite, il a été démontré que l’appelant commettait des erreurs dans son travail et que ses performances n’étaient pas suffisantes. Dans ces circonstances, l’on ne saurait reprocher à Z.________ d’avoir surveillé attentivement le travail de l’appelant et il apparaît douteux que cette technique ait été utilisée pour dévaloriser ce collaborateur précisément. A cela s’ajoute que le micro-management était aussi pratiqué par le top chef, selon les déclarations de X.________. Par conséquent, ce style de management n’était pas dirigé spécifiquement à l’encontre de l’appelant ou de certains collaborateurs, mais était généralement appliqué au sein de l’entreprise. Or, il n’appartient pas aux collaborateurs de décider si la technique de management de l’employeur est adéquate, en particulier si leur travail doit être ou non vérifié minutieusement.

Demeurent réservées des atteintes à la personnalité. En l’occurrence, il n’y a qu’une situation qui pourrait constituer une telle atteinte, à savoir les propos reproduits à l’allégué 34 de la demande (« A réception d’un rapport sur les marchés en Allemagne, Z.________ a dit au demandeur, dans l’open space : C’est toi qui a rédigé ? C’est trop bon pour que ce soit toi. »). Toutefois, il s’agit d’une situation unique, impropre à fonder un mobbing.

L’appelant échoue à apporter la preuve d’avoir été victime de harcèlement de la part de sa supérieure. Au contraire, la vérification du travail fourni par l’appelant s’est avérée justifiée puisque des erreurs avaient été commises, qu’il a admises.

La cour de céans retient en définitive que le congé n’a pas été donné en raison des plaintes de harcèlement formulées par l’appelant, mais par le manque de performance de celui-ci et son inadéquation au poste occupé. Peu importe dès lors de savoir si l’appelant a émis ses plaintes de bonne foi, puisque ce n’est pas cette prétention qui a mené au congé.

Les premiers juges n’ont ainsi pas violé l’art. 336 CO en niant le caractère abusif du licenciement, ni l’art. 328 CO en écartant l’existence d’un mobbing. Le rejet des prétentions de l’appelant formulées en lien avec ces dispositions doit être confirmé.

(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois HC / 2022 / 959 du 27 décembre 2022)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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L’écriture inclusive contre la clarté et l’intelligibilité de la norme de droit

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Extraits d’un commentaire de TA Grenoble, 4e ch., 11 mai 2023, n° 2005367, par Me Louis le Foyer de Costil sur son site internet :

« Une administration peut-elle adopter une délibération rédigée en écriture inclusive [en l’espèce une délibération adoptée par le conseil d’administration de l’université Grenoble-Alpes rédigée en écriture inclusive.] ? Le tribunal administratif de Grenoble répond par la négative. (…).

Le requérant soulevait la méconnaissance de l’objectif constitutionnel de « clarté et d’intelligibilité de la norme », consacré par le Conseil constitutionnel et auquel doivent également satisfaire les actes administratifs (CE 29 octobre 2013 n° 360085). Le tribunal administratif de Grenoble ajoute que « le degré de clarté attendu d’un texte dépend de ses nature et fonction. Ainsi, le caractère technique et efficient d’un texte juridique impose un niveau de clarté propre à garantir son accessibilité immédiate. »

Dans cette affaire, le juge relève que « la plupart des articles des statuts en litige est rédigé en écriture « inclusive » consistant à décliner, autour d’un point médian, les formes masculine et féminines des mots variables. » (…)

Le juge administratif ajoute que « Conformément au constat opéré par l’Académie française dans sa déclaration du 26 octobre 2017, l’usage d’un tel mode rédactionnel a pour effet de rendre la lecture de ces statuts malaisée alors même qu’aucune nécessité en rapport avec l’objet de ce texte, qui impose, au contraire, sa compréhensibilité immédiate, n’en justifie l’emploi ».

Le juge grenoblois conclut en conséquence (…) que l’utilisation de ce type de rédaction portait atteinte à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité de la norme.

Le juge annule donc la délibération du conseil d’administration de l’université Grenoble-Alpes portant approbation des articles 2 à 15, 17 et 18 du statut du service des langues en tant qu’ils sont rédigés en écriture « inclusive ». (…)

[Ce serait] la première censure d’un acte administratif en raison de sa rédaction en écriture inclusive, même si le juge administratif avait déjà pu examiner des questions relatives à cette question. »

Source : https://louislefoyerdecostil.fr/annulation-dune-deliberation-duniversite-redigee-en-ecriture-inclusive/ [site très intéressant, avec de nombreuses notes]

Décision commentée: TA Grenoble, 4e ch., 11 mai 2023, n° 2005367

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Qu’est-ce qu’une opposition au congé (art. 336b al.1 CO) ?

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L’employé se plaint d’une violation de l’art. 336b CO. En substance, il soutient que l’usage du terme  » opposition au congé  » [employé dans un courrier de sa protection juridique] serait suffisant pour remplir la condition légale [de l’art. 336b al. 1 CO]. Par ailleurs, il estime que la loi n’impose pas à l’employé d’offrir ses services lorsqu’il forme opposition au congé.

 En vertu de l’art. 336b al. 1 CO, la partie qui entend demander une indemnité pour résiliation abusive (art. 336 et 336a CO) doit faire opposition au congé par écrit auprès de l’autre partie, au plus tard jusqu’à la fin du délai de congé. 

Il ne faut pas poser des exigences trop élevées à la formulation de cette opposition écrite. Il suffit que son auteur y manifeste à l’égard de l’employeur qu’il n’est pas d’accord avec le congé qui lui a été notifié.

L’opposition a pour but de permettre à l’employeur de prendre conscience que son employé conteste le licenciement et le considère comme abusif; elle tend à encourager les parties à engager des pourparlers et à examiner si les rapports de travail peuvent être maintenus. Dans cette perspective, le droit du travailleur de réclamer l’indemnité pour licenciement abusif s’éteint si le travailleur refuse l’offre formulée par l’employeur de retirer la résiliation.

Il n’y a pas d’opposition lorsque le travailleur s’en prend seulement à la motivation de la résiliation, ne contestant que les motifs invoqués dans la lettre de congé, et non à la fin des rapports de travail en tant que telle.

 En l’espèce, la question ne se pose pas dans les termes décrits par le recourant. Il ne s’agit pas de savoir s’il suffit à l’employé d’indiquer par écrit qu’il  » forme opposition au congé  » pour satisfaire au réquisit de l’art. 336b al. 1 CO. Il ne s’agit pas non plus d’ailleurs de déterminer si cette disposition lui impose parallèlement d’offrir expressément ses services à l’employeur. En effet, il résulte des faits souverainement constatés par la cour cantonale que le recourant a écrit, le 20 décembre 2016, qu’il  » form (ait) opposition à ce congé  » et simultanément qu’il prenait acte que les  » rapports de travail prendront (…) fin le 31 janvier 2017 « . Quoi qu’en dise l’employé, ses intentions n’étaient pas claires puisqu’il déclarait tout à la fois former opposition au congé et que ce congé interviendrait bien à la date susmentionnée. Ces deux éléments sont antagonistes puisque si l’opposition concerne la terminaison des rapports de travail (car cette résiliation est abusive), l’employé ne peut simultanément accepter que ceux-ci se terminent. Exprimé autrement, soit il accepte la résiliation soit il s’y oppose. 

Devant une telle situation, la cour cantonale se devait de procéder par interprétation, selon les règles communément admises, ce qu’elle a correctement fait. Donnant la préséance à l’interprétation subjective, elle a dégagé la véritable intention de l’employé qui était d’accepter la fin des rapports de travail. Il fallait donc comprendre la lettre du 20 décembre 2016 en ce sens que son opposition portait sur les motifs avancés par l’employeuse et non sur la fin de son emploi, avec laquelle il était d’accord. Et c’est ainsi que l’employeuse l’a comprise. A aucun moment la discussion n’a ainsi porté sur le caractère abusif du congé ou une indemnité pour licenciement abusif (avant que l’employé n’ouvre action en justice).

Ce procédé était parfaitement légitime et la cour cantonale n’a pas enfreint l’art. 336b CO en procédant de la sorte. Le résultat auquel elle est parvenue pourrait tout au plus être attaqué sous l’angle de l’arbitraire dans la constatation des faits ou l’appréciation des preuves – puisque l’interprétation subjective relève de ce domaine -, exercice auquel l’employé ne se livre pas dans son recours. Il fait uniquement valoir que l’employeuse aurait marqué sa ferme intention de ne point le maintenir à son poste de sorte qu’il eût été vain de sa part de lutter pour la poursuite des rapports de travail. Cela étant, cet élément qui n’a pas valeur de fait – l’employé n’avance d’ailleurs pas l’avoir allégué en procédure – ne lui ouvre pas la perspective désirée: la jurisprudence a déjà précisé que la condition de l’opposition en temps utile selon l’art. 336b CO demeurait, lors même que l’issue de discussions avec l’employeur paraissait illusoire compte tenu de son attitude (ATF 136 III 96 consid. 2.2).

Le Tribunal fédéral ne décèle dès lors aucune violation du droit fédéral dans ce pan du jugement cantonal. Cela étant, il n’est pas nécessaire de se pencher sur l’argumentation développée par le recourant s’agissant du caractère abusif du congé.

(Arrêt du tribunal fédéral 4A_59/2023 du 28 mars 2023, consid. 4)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Heures supplémentaires, travail supplémentaire et abus de droit

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A ce stade, le litige porte uniquement sur le paiement des heures de travail supplémentaires.

 Selon l’arrêt attaqué, l’employé ne peut pas prétendre à la rémunération des heures supplémentaires au sens de l’art. 321c al. 3 CO, malgré l’absence d’un accord dérogatoire passé par écrit. Pour la cour cantonale, le recourant commet un abus de droit en exerçant cette prétention alors qu’il ne pouvait ignorer la pratique de l’entreprise envers les conducteurs de travaux, consistant à ne pas compenser ni rémunérer les heures supplémentaires, et qu’il a accepté son salaire chaque mois durant cinq ans – y compris et surtout les augmentations successives et importantes – et des gratifications elles aussi croissantes, sans jamais réclamer le paiement ou la compensation des heures supplémentaires effectuées. En d’autres termes, l’employé a volontairement tardé à faire valoir la nullité de l’accord non écrit pour en retirer un avantage, soit la perception de généreuses prestations de la part de l’employeuse, qui ne les aurait certainement pas accordées dans la même mesure s’il avait rapidement et périodiquement réclamé le paiement de ses heures supplémentaires

En revanche, la cour cantonale a jugé que l’employé avait droit à l’indemnité pour travail supplémentaire prévue par l’art. 13 al. 1 LTr (RS 822.11) à partir de la 61ème heure supplémentaire accomplie dans l’année. En effet, s’il est possible, en droit privé, que le travailleur renonce à l’avance au paiement des heures supplémentaires, tel n’est pas le cas en droit public, la règle impérative de l’art. 13 LTr empêchant toute dérogation au principe de la rétribution du travail supplémentaire au taux de 125 %. Faute d’avoir instauré de manière claire et précise un système de rémunération ou de compensation du travail supplémentaire effectué, l’employeuse ne peut pas invoquer un abus de droit de la part de l’employé qui prétend à la rétribution des heures accomplies à ce titre.

 Il n’est plus contesté que le temps de travail de l’employé était soumis à la durée maximale prévue par l’art. 9 al. 1 let. a LTr, à savoir 45 heures par semaine. Cet horaire est également celui convenu entre les parties. Les parties ne remettent pas en cause non plus les heures de travail effectuées entre octobre 2011 et septembre 2015 au-delà de la durée hebdomadaire de 45 heures, telles que retenues par la cour cantonale. 

C’est le lieu de rappeler que la rétribution des heures supplémentaires, soit celles dépassant l’horaire contractuel, est réglée par l’art. 321c CO et que, dès que les heures supplémentaires dépassent le maximum légal fixé dans la LTr, elles constituent du travail supplémentaire au sens de l’art. 12 LTr et doivent impérativement faire l’objet d’une rémunération comprenant le salaire de base majoré de 25 % selon l’art. 13 LTr, à partir de la 61ème heure supplémentaire accomplie dans l’année civile pour la catégorie de travailleurs à laquelle le recourant appartient (ATF 126 III 337 consid. 6c).

Selon l’art. 321c al. 3 CO, l’employeur est tenu de rétribuer les heures de travail supplémentaires qui ne sont pas compensées par un congé en versant le salaire normal majoré d’un quart au moins, sauf clause contraire d’un accord écrit, d’un contrat-type de travail ou d’une convention collective. 

Cette disposition est en partie impérative en ce sens que les parties ne peuvent y déroger qu’en respectant la forme écrite. Plus précisément, elles peuvent, sous l’une des formes prescrites par l’art. 321c al. 3 CO, prévoir, au début ou au cours des rapports de travail, que les heures supplémentaires seront rémunérées sans supplément ou ne seront pas rémunérées, à tout le moins lorsque la rémunération des heures supplémentaires est comprise forfaitairement dans le salaire de l’intéressé; un tel accord ne peut porter que sur les heures supplémentaires qui seraient accomplies à l’avenir, car la mise en œuvre combinée de l’art. 321c al. 3 et de l’art. 341 al. 1 CO empêche le travailleur de renoncer valablement au salaire pour les heures supplémentaires déjà effectuées. Comme l’accord dérogatoire concerne la rétribution forfaitaire d’heures supplémentaires futures, il peut être mis en échec en application de la théorie de l’imprévision, si le travailleur est amené en définitive à accomplir des heures supplémentaires en nombre excédant notablement ce qui était prévisible lors de la conclusion dudit accord.

De manière générale, le travailleur qui conteste la validité d’un accord en invoquant une règle impérative ne commet pas un abus de droit. En effet, il serait contraire à l’esprit de la loi de priver le travailleur, par le biais de l’art. 2 al. 2 CC, de la protection spéciale qui lui est conférée par le droit impératif.

Des circonstances particulières peuvent toutefois faire apparaître comme abusif l’exercice d’un droit à caractère impératif, comme le droit à la rétribution des heures supplémentaires au taux de 125 % en l’absence d’un accord écrit préalable. Ainsi, une dénonciation abusive du vice de forme a été retenue de la part d’un travailleur qui, afin de toucher un revenu additionnel, avait expressément refusé le renfort proposé par l’employeur, puis avait clairement conclu avec celui-ci un accord verbal par lequel il renonçait au supplément prévu pour les heures supplémentaires (arrêt bâlois cité in arrêt 4A_172/2012 du 22 août 2012 consid. 6.1). Par ailleurs, l’art. 2 al. 2 CC peut trouver exceptionnellement application lorsque l’intérêt protégé par la norme de droit impératif n’existe plus ou a été préservé d’une autre manière (ATF 129 III 493 consid. 5.1). Un abus de droit peut être également retenu si l’ayant droit tarde à faire valoir la nullité pour en retirer un avantage (ATF 138 III 401 consid. 2.3.2). Plus généralement, le fait d’attendre pour faire valoir la prétention (dans le délai de prescription) ne peut constituer un abus de droit que si des circonstances particulières font apparaître l’exercice du droit comme incompatible avec l’inaction antérieure, par exemple si l’écoulement du temps procure à l’ayant droit un avantage injustifié (131 III 439 consid. 5.1; 129 III 493 consid. 5.1; 110 II 273 consid. 2).

 En l’espèce, il n’existe aucun accord écrit entre les parties prévoyant que la rémunération des heures supplémentaires serait incluse de manière forfaitaire dans la rétribution versée par l’employeur et que l’employé renoncerait ainsi à la rétribution spécifique des éventuelles heures supplémentaires. Faute de convention dérogatoire formellement valable, l’employé peut donc prétendre en principe à une rémunération au taux de 125 % du salaire horaire de base pour les 1586,5 heures supplémentaires accomplies entre octobre 2011 et septembre 2015. 

Des circonstances particulières rendent-elles cette prétention abusive, comme la cour cantonale l’a admis ?

Selon l’arrêt attaqué, l’employé a volontairement tardé à se prévaloir de la nullité de l’accord non écrit entaché d’un vice de forme pour en retirer un avantage. Il n’est constaté nulle part dans la décision entreprise que, pendant les rapports de travail, l’employé savait qu’un accord dérogatoire sur le paiement des heures supplémentaires devait revêtir la forme écrite pour être valable. En revanche, la question se pose de savoir si, en réclamant le paiement des heures supplémentaires après la fin du contrat, l’employé commet un abus de droit en raison d’un  » accord non écrit  » survenu pendant les rapports de travail.

A ce propos, la cour cantonale n’a pas établi, en fait, une volonté réelle concordante des parties de rémunérer forfaitairement les heures supplémentaires par le biais du salaire et/ou d’une prestation particulière comme la gratification. En effet, elle a relevé expressément qu’il n’existait pas de preuve  » stricte  » que l’employé n’aurait eu d’augmentations ni de son salaire ni de sa gratification s’il n’avait effectué aucun travail supplémentaire et, partant, aucune heure supplémentaire vu la coïncidence entre l’horaire légal maximal et l’horaire contractuel.

Contrairement à ce que l’employé soutient dans son recours, ce passage de l’arrêt attaqué n’est pas contradictoire avec l’examen, en droit, des comportements des parties interprétés selon le principe de la confiance. A cet égard, la cour cantonale paraît avoir déduit le consentement de l’employé à la rémunération forfaitaire de ses heures supplémentaires du fait que l’intéressé a accepté son salaire chaque mois et les augmentations importantes accordées, ainsi que des gratifications elles aussi croissantes, sans jamais demander à l’employeuse la compensation ou la rémunération des heures supplémentaires accomplies.

A elle seule, l’acceptation tacite d’une augmentation de salaire ne peut être interprétée de bonne foi comme la renonciation du travailleur à la rémunération spécifique des heures supplémentaires qu’il serait amené à accomplir à l’avenir. Mais le contexte ainsi que l’ampleur et la fréquence des augmentations peuvent être des éléments à prendre en considération pour interpréter, selon le principe de la confiance, le silence de l’employé.

En l’espèce, le recourant savait que, dans l’entreprise qui l’employait, les heures supplémentaires effectuées par les conducteurs de travaux n’étaient ni compensées ni rémunérées. Pour le même poste et sans changement dans les tâches à effectuer, l’employé a vu son salaire augmenter de plus de 50 % en cinq ans. Parallèlement, la gratification versée a considérablement augmenté.

Dès l’augmentation de salaire du 1er août 2011, le recourant, vu la connaissance qu’il avait de la pratique au sein de l’entreprise et l’absence de modification de ses tâches, pouvait se rendre compte que son salaire, augmenté de 6,2 % seulement sept mois après la première augmentation, était susceptible de comprendre la rémunération forfaitaire d’éventuelles heures supplémentaires.

Or, l’employé a fourni ensuite régulièrement à l’employeuse le décompte de ses heures de travail, sans chercher à éclaircir la question de la rémunération des heures supplémentaires pourtant importantes qu’il effectuait chaque mois et sans jamais réclamer leur paiement. Le silence peut valoir acte concluant. En acceptant tacitement des augmentations de salaire de 6,2 % et 3,5 % en sept mois, puis à hauteur de plus de 10% chaque année, l’employé laissait entendre qu’il agréait le système en cours dans l’entreprise et renonçait dès lors à la rétribution spécifique des heures supplémentaires.

En demandant le paiement des heures supplémentaires à la fin des rapports de travail, au motif de l’absence d’un accord formellement valable, l’employé commet un abus de droit dans les circonstances particulières de l’espèce. En effet, son inaction lui a permis de bénéficier d’augmentations de salaire substantielles qui, comme la cour cantonale le relève à juste titre, n’auraient certainement pas été accordées dans une telle ampleur si l’employé avait non seulement adressé à l’employeuse le décompte de ses heures supplémentaires, mais également réclamé leur paiement à intervalles réguliers pendant la durée du contrat.

Au surplus, on ne voit pas en quoi le recourant peut se prévaloir de la théorie de l’imprévision qu’il invoque à titre subsidiaire.

En conclusion, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en rejetant, pour cause d’abus de droit, la prétention de l’employé en rémunération des heures supplémentaires.

Il convient à présent d’examiner si, comme l’employeuse le prétend, l’employé commet également un abus de droit en réclamant le paiement de son travail supplémentaire au taux de 125 %.

Il n’est pas contesté que l’employé n’exerçait pas une fonction dirigeante élevée au sens de l’art. 3 let. d LTr, ce qui l’aurait exclu du champ d’application de la LTr. 

A la différence de la rétribution des heures supplémentaires, la rémunération à hauteur de 125 % du salaire de base du travail supplémentaire non compensé par un congé de même durée résulte d’une disposition impérative – l’art. 13 LTr – à laquelle les parties ne peuvent pas déroger, en prévoyant par exemple que la rétribution pour le travail supplémentaire serait forfaitairement incluse dans le salaire de base; il s’ensuit qu’une renonciation du travailleur au paiement des heures supplémentaires selon l’art. 321c al. 3 CO ne peut valoir renonciation à la rémunération du travail supplémentaire fondée sur l’art. 13 LTr.

 En l’espèce, cette différence se révèle déterminante pour apprécier l’existence d’un éventuel abus de droit de la part de l’employé. 

La prétention fondée sur l’art. 321c al. 3 CO, exercée après la fin des rapports de travail, est abusive parce que, par son attitude, l’employé a laissé croire, pendant la durée du contrat, qu’il renonçait à la rémunération spécifique des heures supplémentaires et acceptait une rétribution forfaitaire, ce qui a amené l’employeuse à lui accorder plusieurs augmentations de salaire substantielles. Or, pour le travail supplémentaire, l’employé ne pouvait pas renoncer à l’indemnité prévue à l’art. 13 al. 1 LTr. Pour sa part, faute d’avoir indiqué sur les fiches de salaire la part afférente aux heures de travail supplémentaires, l’employeuse ne pouvait pas avoir rempli son obligation légale de payer le travail supplémentaire, y compris avec un supplément de salaire de 25 %. Le silence opposé par l’employé aux différentes augmentations de salaire ne saurait dès lors avoir une quelconque portée juridique. En d’autres termes, il n’y a pas de circonstances particulières qui rendraient abusif l’exercice, à la fin des rapports de travail, de la prétention en indemnisation du travail supplémentaire.

Le grief de la recourante tiré d’une violation de l’art. 2 al. 2 CC est mal fondé.

C’est donc à bon droit que la cour cantonale a rejeté les prétentions en paiement des heures supplémentaires, y compris les 60 premières heures au-delà du maximum légal, et a alloué à l’employé ses prétentions en paiement du travail supplémentaire.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_304/2021 et 4A_312/2021 du 10 mars 2023)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Annonce de violation de la sécurité des données (art. 24 LPD)

Le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) vient de mettre en ligne le formulaire d’annonce de violation de la sécurité des données (art. 24 LPD).

Le formulaire est disponible ici : https://databreach.edoeb.admin.ch/report

Rappel concernant l’obligation d’annoncer les violations de la sécurité des données :

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Web scraping : dommage résultant de l’utilisation des données ?

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La personne concernée est un informaticien et un utilisateur de Facebook.

Lors de l’utilisation des services de médias sociaux de Facebook, elle a fourni plusieurs données à caractère personnel obligatoires, notamment son prénom, son nom de famille et son sexe. Ces données, y compris l' »identifiant Facebook » généré par le système, étaient visibles publiquement par défaut sur le profil de l’utilisateur. En outre, la personne concernée a ajouté son numéro de téléphone portable. Ce dernier était également visible par défaut, mais l’utilisateur pouvait modifier cette visibilité dans les paramètres. La personne concernée a limité la visibilité au paramètre « recherche du groupe cible », mais a laissé visible l’option de recherche pour son numéro de téléphone portable.

En 2021, des « tiers » inconnus ont publié des données qui avaient été extraites du site web en 2019 [i.e. via le web scraping, i.e. technique d’extraction du contenu de sites Web, via un script ou un programme, dans le but de le transformer pour permettre son utilisation dans un autre contexte, comme l’enrichissement de bases de données, le référencement ou l’exploration de données.]

La personne concernée s’est plainte de recevoir depuis lors des appels anonymes et des courriers électroniques non sollicités. Cela a eu des conséquences psychologiques négatives pour elle. Elle a donc demandé 500 euros de dommages-intérêts non matériels en vertu de l’article 82 du RGPD.

Le responsable du traitement a répondu que le « web scraping » – qui n’est pas un piratage – n’entraîne pas de violation du RGPD par le responsable du traitement, étant donné qu’aucune mesure de sécurité obligatoire n’a été contournée et que la personne concernée a pris la décision en toute connaissance de cause de communiquer volontairement son numéro de téléphone sur le site.

Le Landgericht Bielefeld, dans une décision 19 O 147/22 du 10 mars 2023, a rejeté la demande de dommages-intérêts au titre de l’art. 82 RGPD..

Le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas eu de manquement à ses obligations de la part du responsable du traitement pouvant donner lieu à des dommages et intérêts. La publication du numéro de téléphone portable n’était pas obligatoire et la personne concernée avait la possibilité (non utilisée) de masquer le numéro de téléphone sur son profil.

Le tribunal a aussi estimé que le responsable du traitement n’avait pas manqué à son obligation de protéger de manière adéquate les données à caractère personnel des utilisateurs conformément à l’art. 32 RGPD. Le responsable du traitement n’était pas tenu de prendre des mesures de protection pour empêcher la collecte d’informations déjà accessibles au public.

Le responsable du traitement n’a pas non plus violé le principe de « protection de la vie privée par défaut » consacré par les articles 24 et 25, paragraphe 2, du RGPD. Il n’a pas été contesté que seuls le nom, le sexe et l’identifiant Facebook de la personne concernée choisissant de s’inscrire sur la plateforme étaient obligatoirement visibles par le public. Si un utilisateur décidait ensuite d’entrer son numéro de téléphone, le paramètre de visibilité était initialement réglé sur « tout le monde ». L’utilisateur inexpérimenté sur le plan technique a néanmoins été informé de manière adéquate des informations correspondantes ainsi que des options de réglage et de leurs limites. En outre, tout internaute qui utilise un réseau social tel que Facebook doit savoir qu’il existe des usages Internet avec lesquels il doit se familiariser s’il veut utiliser de telles plateformes de communication. Cela s’appliquait en particulier au plaignant en tant qu’informaticien.

Le responsable du traitement a également prouvé que, contrairement à l’affirmation générale de la personne concernée, il avait pris des mesures techniques pour rendre le scraping plus difficile, notamment en mettant en place un obstacle, selon lequel les requêtes effectuées dans une certaine mesure à partir d’une même adresse IP étaient impossibles ou interrompues pendant un certain temps, en informant les utilisateurs et, enfin, en disposant d’une équipe chargée uniquement d’empêcher l’utilisation abusive des données des utilisateurs.

Le site gdprhub.eu remarque, dans sa présentation de la décision, que le tribunal estime que le principe de Privacy by design n’a pas été violé… alors que tous les paramètres de récoltes de données étaient réglés par défaut sur public.

Présentation de la décision : https://gdprhub.eu/index.php?title=LG_Bielefeld_-_19_O_147%2F22&mtc=today

Décision : https://www.justiz.nrw.de/nrwe/lgs/bielefeld/lg_bielefeld/j2023/19_O_147_22_Urteil_20230310.html

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Droit à obtenir copie des données personnelles (art. 15 par. 3 RGPD) – notion de copie

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Le responsable du traitement est une société qui fournissait à sa clientèle des informations concernant la solvabilité de tiers. La personne concernée a demandé au responsable du traitement de lui fournir une copie de ses données faisant l’objet d’un traitement. Le responsable du traitement a répondu en soumettant un résumé avec la liste de ces données à caractère personnel.

Dans le cadre d’une plainte déposée auprès de l’autorité autrichienne de protection des données, la personne concernée a considéré que cela n’était suffisant. Toutefois, l’autorité de contrôle a estimé que le responsable du traitement n’avait pas enfreint le RGPD.

La personne concernée a fait appel de la décision de l’autorité de protection des données et le tribunal a renvoyé l’affaire devant la CJUE.

Selon la CJUE (C-487/21 F.F. v DSB), la question préjudicielle portait sur la portée du droit à une copie des données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement en vertu de l’art. 15 par. 3 RGPD

Selon la CJUE, le RGPD ne contient aucune définition du terme « copie ». Toutefois, ce mot, dans son sens habituel, indique une « reproduction ou transcription fidèle d’un original » par opposition à une « description purement générale » des données.

La véritable question était toutefois de savoir si l’art. 15 par. 3 RGPD couvre les « extraits de documents, voire des documents entiers ou des extraits de bases de données ». La copie ne se réfère pas au document en tant que tel mais aux données personnelles faisant l’objet du traitement, qui doit être complet.

La Cour a souligné que le droit à la copie – qui n’était pas prévu à l’origine par la directive sur la protection des données – vise à permettre à la personne concernée de protéger ses droits et intérêts en vertu du RGPD. La protection des droits des personnes concernées étant la raison d’être du droit à une copie (et plus généralement du principe de transparence), une copie des données faisant l’objet d’un traitement doit reproduire les données « intégralement et fidèlement », de manière à permettre à la personne concernée d’exercer ses droits.

En conclusion, le droit à une copie en vertu de l’art. 15 par. 3 RGPD implique que la personne concernée reçoive une reproduction fidèle et intelligible de toutes ses données à caractère personnel. Cela peut inclure, dans la mesure où cela est nécessaire pour protéger les droits et intérêts de la personne concernée, des copies d’extraits de documents, de documents entiers ou d’extraits de bases de données.

Comme le relève le site gdprhub.eu, il s’agit d’une définition fonctionnelle de la notion de « copie », laquelle peut donc varier en fonction de ce qui est nécessaire à l’exercice des droits de la personne concernée.

Présentation : https://gdprhub.eu/index.php?title=CJEU_-_C-487%2F21_-_F.F._v_DSB&mtc=today

Décision : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=2016%252F679&docid=273286&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=4063024#ctx1

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Les rh et la guerre

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Un grand classique de la vie de l’entreprise en Suisse romande (et ailleurs) est la « sortie de boîte ».

Les forces vives se réunissent au restaurant ou dans un hôtel semi-chic, on y mange, on y boit (parfois – souvent trop), puis tout ce petit monde finit en boîte de nuit jusqu’aux petites heures du matin.

Dans une affaire jugée récemment, on a pu constater que les excès en tous genres pouvaient en amener d’autres. Deux collaborateurs, issus de deux camps opposés dans une guerre passée dans un pays qui n’existe plus, en sont venus à parler politique. L’alcool aidant, les esprits se sont échauffés, et l’un a essayé d’écraser le second sur le parking pour régler définitivement ces vieux comptes ethniques et nationaux (https://www.20min.ch/fr/story/un-repas-dentreprise-a-fini-en-pugilat-il-ecope-de-6-ans-de-prison-961432319081).

C’est dire que la guerre n’est pas éloignée du monde du travail, quand bien même nous avons la chance de ne pas avoir de théâtre d’opération sur le territoire national.

C’est d’autant plus vrai quand c’est l’entreprise elle-même qui se prend de soutenir un camp ou bien l’autre, par une communication visuelle et institutionnelle parfois agressive, parfois non dénuée d’arrière-pensées. Or il faut rappeler ici qu’il peut y avoir des collaborateurs au sein de l’entreprise qui peuvent être liés de près ou de loin à l’une ou l’autre partie au conflit, et qu’outre l’effet de ces prises de position sur le climat de travail, l’employeur a aussi le devoir de protéger la personnalité de ses employés (art. 328 CO). On peut aussi penser au fait que des collaborateurs puissent avoir des proches ou de la famille sur les terrains de guerre, et donc que les prises de position de l’employeur entrainent certaines conséquences….

Il est une page peu connue de l’histoire des rh qui a constitué à engager, dans les années 60,  des anciens militaires pour s’occuper de ce qu’on appelait le « personnel ». Le grand Hélie de Saint Marc raconte qu’à sa sortie de prison, fin décembre 1966, il a – comme beaucoup d’anciens officiers – trouvé un travail à la direction du personnel d’un grand groupe métallurgique français (Mémoires : les champs de braise, Perrin, Tempus, 2002, p. 305). La pratique était en effet, dans ce qu’on n’appelait pas encore les Ressources humaines, de recruter d’anciens cadres de l’armée, dont on supposait que les qualités de meneurs d’hommes, mais aussi d’humanité, les rendaient aptes à mener d’autres troupes dans d’autres combats.

A son entrée en fonction, il est pris pour cible par des syndicalistes qui lui reprochent ses responsabilités lors du putsch d’Alger. On le range dans les « assassins de l’OAS ». S’ensuit une séance tendue dans un café où, face à ses contradicteurs, Saint Marc avance que les évènements d’Alger sont une chose, qu’il a payé pour ses actes, et demande à être jugé pour ce qu’il fera dans l’entreprise. Ses adversaires finissent par acquiescer : l’entreprise c’est l’entreprise, les évènements extérieurs sont les évènements extérieurs – ne mélangeons pas l’une et les autres.

Il y a là certainement une leçon : la guerre doit être, autant que possible, laissée aux portes de l’entreprise, et celle-ci devrait, par l’édiction de directives claires, bannir toute forme de prosélytisme ou de propagande, qu’elle soit religieuse, politique ou mémorielle.

On ne peut certes pas interdire aux entreprises de « s’impliquer » dans la société et à faire plus que les obligations légales qui s’imposent à elles. C’est très bien, et parfois sincère sans doute. Cela pose toutefois des questions pratiques et juridiques complexes (sur laquelle j’avais déjà commis un article en… 2009 : cf. Philippe Ehrenström, Responsabilité sociale de l’entreprise et droit du travail: questions choisies, in: Jusletter 23. Février 2009), et ne semble susciter d’ailleurs qu’une adhésion circonspecte chez les jeunes générations (https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/c-est-mon-boulot/emploi-les-jeunes-veulent-de-l-autonomie-et-de-la-flexibilite_5357533.html).

Mais encore convient-il de le faire avec mesure, et finesse.

Rien n’empêche en effet l’employeur de se livrer à des opérations d’aide ou d’assistance, et de fournir – avec modestie – les secours que la conscience et le cœur de ses dirigeants commandent. Il peut ainsi signer (discrètement) un chèque confortable au CICR par exemple. Mais la guerre doit s’arrêter à la porte, comme lorsque Saint Marc se retrouvait face à ses contradicteurs. C’était vrai en 1965, et ça l’est toujours probablement aujourd’hui.

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Harcèlement sexuel : mesures que doit prendre l’employeur

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Le 29 juillet 2010, B.________ (ci-après: la travailleuse, la demanderesse ou l’intimée) a été engagée par A.________ SA (ci-après: la banque, l’employeuse, la défenderesse ou la recourante) en qualité de  » Relationship Manager Assistant  » à compter du 1 er août 2010. Son salaire annuel brut s’élevait à 91’008 fr.  Dès le 1 er juin 2017, la travailleuse a occupé le poste d’  » Investment Counsellor Analyst « . En 2018, son salaire annuel brut était de 127’044 fr. 

 Le 18 juillet 2018, la travailleuse et son responsable hiérarchique direct, C.________ (ci-après: le responsable hiérarchique), ont eu un entretien au cours duquel celui-ci l’a informée qu’elle changerait d’équipe et qu’elle travaillerait notamment avec D.________ (ci-après: l’employé). Ce jour-là, elle n’a pas évoqué de problèmes de harcèlement, mais a paru stressée, voire angoissée.  Le lendemain, le responsable hiérarchique a confirmé à la travailleuse sa décision de la changer d’équipe.

 Du 19 juillet 2018 au 31 mars 2019, la travailleuse a été en incapacité totale de travailler pour cause de maladie. 

 Le 25 juillet 2018, la travailleuse a, à sa demande, rencontré le responsable des ressources humaines, soit E.________, et le responsable hiérarchique dans les locaux de la banque. Elle a alors été confrontée par surprise à l’employé en présence de trois hommes, alors qu’elle était en pleurs. 

Entre le 2 octobre et le 22 novembre 2018, la travailleuse et l’employeuse ont échangé plusieurs correspondances, dont il ressort, en substance, que la travailleuse expliquait subir du harcèlement sexuel de la part de l’employé, ce que l’employeuse a nié.

 Par certificat médical du 5 novembre 2018, la Dresse F.________, psychiatre et psychothérapeute, a notamment indiqué que la travailleuse, qu’elle suivait depuis le 18 septembre 2018, avait besoin d’un suivi psychothérapeutique hebdomadaire et d’un traitement médicamenteux au vu de son état psychique fragilisé et qu’elle était en incapacité totale de travailler en raison du comportement que lui faisait subir l’employé depuis une bonne année avant le mois de juillet 2018. 

 Le 15 janvier 2019, l’employeuse a résilié le contrat de travail la liant à la travailleuse avec effet au 31 mars 2019. Elle a précisé que la travailleuse était libérée de son obligation de travailler et que 10,5 jours de vacances seraient considérés comme pris durant le délai de congé, le solde de son droit aux vacances lui étant versé avec son dernier salaire. 

Le 25 février 2019, la travailleuse s’est opposée à son licenciement, indiquant qu’il constituait un congé-représailles faisant suite à sa dénonciation du harcèlement sexuel qu’elle subissait (…).

Par jugement du 12 mars 2021, le tribunal [des prud’hommes du canton de Genève] a condamné l’employeuse à verser à la travailleuse notamment  divers montants, dont une indemnité à titre de harcèlement sexuel équivalant à un mois de salaire moyen suisse, (…)  En substance, le tribunal a notamment retenu que la travailleuse avait prouvé le harcèlement sexuel dont elle avait été victime et que divers témoignages avaient permis de corroborer ses dires.

Par arrêt du 9 mai 2022, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté l’appel formé par l’employeuse.

Contre cet arrêt, qui lui avait été notifié le 24 mai 2022, l’employeuse a formé un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral le 21 juin 2022.

L’art. 328 al. 1 CO impose à l’employeur de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur. Il doit en particulier veiller à ce que les travailleurs ne soient pas harcelés sexuellement et qu’ils ne soient pas, le cas échéant, désavantagés en raison de tels actes. 

L’art. 3 al. 1 LEg interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe. L’art. 4 LEg définit le harcèlement sexuel comme un comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elle des faveurs de nature sexuelle.

Le harcèlement sexuel peut prendre différentes formes: remarques sexistes, commentaires grossiers ou embarrassants, usage de matériel pornographique, attouchements, invitations gênantes, avances accompagnées de promesses de récompense ou de menaces de représailles (Message du 24 février 1993 concernant la LEg, FF 1993 I 1219 ch. 31 ad art. 7). Bien que l’art. 4 LEg ne se réfère qu’à des cas d’abus d’autorité, la définition englobe tous les comportements importuns de caractère sexuel, soit également ceux qui contribuent à rendre le climat de travail hostile, par exemple des plaisanteries déplacées (ATF 126 III 395 consid. 7b/bb; arrêts 4A_544/2018 du 29 août 2019 consid. 3.1 et les arrêts cités; 4A_18/2018 du 21 novembre 2018 consid. 3.1).

La recourante (=l’employeuse)  considère [notamment] que la cour cantonale a, à tort, retenu qu’elle n’avait pas pris les mesures que l’expérience commandait et ainsi violé l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) et l’art. 5 al. 3 LEg.

 Lorsque la discrimination porte sur un cas de harcèlement sexuel, le tribunal peut condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité, à moins que l’employeur ne prouve qu’il a pris les mesures que l’expérience commande, qui sont appropriées aux circonstances et que l’on peut équitablement exiger de lui pour prévenir ces actes ou y mettre fin. L’indemnité est fixée compte tenu de toutes les circonstances et calculée sur la base du salaire moyen suisse (art. 5 al. 3 LEg). Elle n’excédera pas le montant correspondant à six mois de salaire (art. 5 al. 4 LEg). Si l’employeur prouve qu’il a rempli son devoir de diligence, il ne peut être condamné au versement de ladite indemnité.

 La cour cantonale a confirmé sur ce point aussi le jugement du Tribunal des prud’hommes, qui avait retenu que la banque avait échoué à apporter la preuve libératoire prévue par l’art. 5 al. 3 LEg. Elle a considéré que, bien que la banque eût mis en place trois outils pour dénoncer des cas de harcèlement sexuel, leur mode d’utilisation, voire même leur existence, étaient méconnus du personnel et leur diffusion et leur publicité auprès des employés étaient manifestement défaillantes. Elle a jugé que la banque avait manifestement manqué à ses devoirs de diligence et de protection de la personnalité de la travailleuse en ne respectant pas la procédure interne prévue par la directive « … « , en particulier en omettant de désigner une personne de confiance de même sexe que la travailleuse pour l’accompagner durant tout le processus suivant sa plainte, et en lui imposant une confrontation, séance tenante, face à son agresseur alors qu’elle se trouvait dans un état de détresse manifeste. 

Relevant, à l’instar des premiers juges, que l’atteinte subie par la travailleuse était d’une certaine gravité et que l’employeuse en était la responsable, dans la mesure où elle n’avait pas pris les mesures appropriées, commandées par les circonstances, pour préserver sa personnalité, et considérant que l’employeuse avait mis en place des outils pour dénoncer des cas de harcèlement et que la travailleuse aurait pu se montrer plus proactive, elle a confirmé le montant de l’indemnité, équivalant à un mois de salaire moyen suisse, octroyée à la travailleuse.

S’agissant des moyens mis en place pour dénoncer un cas de harcèlement, la cour cantonale a notamment retenu que l’employeuse avait mis en place trois outils permettant à ses employés de dénoncer des cas de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail et dans le cadre de l’activité professionnelle pour la banque. En substance, il s’agissait (1) de la directive « … « , qui n’avait été consultée que six fois, qui n’était que difficilement accessible sur le site intranet de la banque et dont le formulaire de plainte, en petits caractères, n’apparaissait qu’à l’avant-dernière page de la directive et pas de manière explicite, (2) d’un programme d’assistance externe  » X.________  » au sujet duquel des affiches étaient placardées notamment dans les cafétérias de la banque, dites affiches ne faisant toutefois pas référence au harcèlement sexuel et (3) d’un outil de dénonciation  » Y.________  » qui ne mentionnait toutefois pas la problématique du harcèlement sexuel. 

La cour cantonale a constaté que l’employeuse disposait certes de ces outils mais que leur mode d’utilisation n’était pas maîtrisé, voire même était méconnu du personnel, la présentation aux employés n’étant que très superficielle. Elle a relevé que les responsables hiérarchiques de la banque méconnaissaient manifestement la procédure interne à suivre dans le cas d’une dénonciation pour harcèlement sexuel, ce qui dénotait d’un important défaut de diligence.

Dans la mesure où la recourante ne remet pas en question que les instruments qu’elle a mis en place étaient mal maîtrisés par les responsables hiérarchiques de l’intimée et qu’elle a ainsi violé son devoir de diligence et où la cour cantonale a retenu dans la fixation de l’indemnité allouée à la travailleuse que celle-ci aurait pu être plus proactive, le grief, en partie appellatoire, ne s’en prend qu’à des éléments qui ne sont pas déterminants et tombe donc à faux. Il est pour partie irrecevable, en tant que la recourante se réfère à des faits qui n’ont pas été constatés par la cour cantonale et dont elle ne sollicite pas valablement le complètement.

La cour cantonale a retenu que l’employeuse avait gravement manqué d’égards vis-à-vis de la travailleuse et n’avait pas respecté son devoir de protection en lui imposant une confrontation avec son agresseur, séance tenante, alors qu’il n’y avait pas d’urgence manifeste à ce que l’entretien se déroulât le jour-même et compte tenu de l’état dans lequel se trouvait la travailleuse, qui pleurait et avait dû prendre un moment pour se ressaisir. Alors qu’elle était par ailleurs la seule femme parmi trois hommes dans la salle, le responsable des ressources humaines, qui ne lui avait pas proposé la présence d’une femme, a maintenu cette confrontation, soutenant lors de son audition que  » ce n’était pas non plus une tragédie « . La cour cantonale a déduit de ces éléments un manque manifeste de bienveillance et une violation du devoir de protection de la santé de la travailleuse.

La recourante allègue (1) que la… de la banque serait une femme et que la travailleuse ne se serait jamais adressée à elle, (2) que la travailleuse aurait pris contact avec le responsable des ressources humaines et que celui-ci serait parti du principe qu’elle lui faisait confiance, (3) que la confrontation aurait été acceptée par l’intimée, (4) que la confrontation n’aurait en effet pas été une tragédie et (5) que la travailleuse n’aurait pas dit la vérité sur un élément important, soit la salle dans laquelle cette confrontation aurait eu lieu, ce qui remettrait en cause sa crédibilité. 

Une nouvelle fois, la recourante se réfère à des faits qui n’ont pas été constatés par la cour cantonale et dont elle ne sollicite pas valablement le complètement, de sorte que la Cour de céans ne saurait en tenir compte. Son argumentation, essentiellement appellatoire, ne remet nullement en cause le fait que le responsable des ressources humaines a maintenu cette confrontation alors que l’état de la travailleuse ne le permettait pas.

C’est par ailleurs sans arbitraire et sans violation de son devoir de motivation que la cour cantonale a retenu qu’il n’était pas déterminant de savoir dans quelle salle la confrontation s’était déroulée: l’employeuse ne conteste pas que cette confrontation se soit produite et un désaccord avec la travailleuse sur l’emplacement et les caractéristiques de la salle ne saurait en l’espèce remettre en cause la crédibilité de l’intimée.

 S’agissant de l’enquête interne effectuée par l’employeuse, la cour cantonale a considéré qu’elle avait été menée avec peu de sérieux, qu’elle s’était déroulée sur seulement 19 jours, que toutes les auditions sauf une avaient été conduites par une seule personne et qu’aucun procès-verbal d’audition n’avait été tenu. Ces éléments constituaient un indice permettant de remettre en cause les conclusions de cette enquête. De plus, l’employeuse n’avait fourni aucune justification quant à l’absence d’audition de H.________, qui s’était avéré être un témoin important lors de l’instruction. 

Dans une démarche appellatoire, la recourante conteste l’appréciation de la cour cantonale sur ces différents points, sans toutefois en établir le caractère arbitraire. Son argumentation est irrecevable.

Dès lors que la recourante n’est pas parvenue à démontrer l’arbitraire des constatations et de l’appréciation de la cour cantonale, son grief de violation de l’art. 5 al. 3 LEg, qui reposait uniquement sur cet argument, tombe à faux. 

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_283/2022 du 15 mars 2023, consid. 4)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Credit Suisse : abolir les bonus ?!

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L’art de la politique, c’est aussi de ne pas répondre aux questions qui se posent, ou de trouver les moyens de parler d’autre chose que de ce que l’on a sous les yeux.

La débâcle du Credit Suisse aurait pu inciter le législateur à réfléchir sérieusement à la surveillance des banques ou aux mesures destinées à traiter les établissements « too big to fail ». Mais non, l’urgence est apparemment d’élaborer des règles ad hoc sur les bonus dans la précipitation….

Ainsi de la motion Birrer-Heimo, qui a été adoptée par le Conseil national lors de sa session du 3 mai 2023. Vous trouverez ci-après, pour le bonheur du lecteur francophone, une traduction libre des échanges entre la motionnaire et la Conseillère fédérale Keller-Sutter :

21.3909. Motion Birrer-Heimo Prisca. Pas de versement de bonus pour les banques d’importance systémique.

Birrer-Heimo Prisca (S, LU) :

Nous arrivons maintenant à deux interventions que j’ai déposées il y a un peu plus de deux ans, après – une fois de plus – de graves incidents au sein de la grande banque Credit Suisse. Il s’agissait à l’époque des milliards de pertes dues à Archegos et Greensill. Ce n’étaient pas les premières d’une longue série de pertes. Aujourd’hui, vous pouvez montrer ici si vous êtes prêt à joindre le geste à la parole ces dernières semaines et à mettre en pratique ce que certains d’entre vous ont déclaré ici et là dans les médias.

Dans ma première motion, qui est à l’ordre du jour, je demande qu’aucun bonus ne soit versé aux banques d’importance systémique. Il s’agit ici de versements à l’organe suprême et à la direction, opérationnelle et/ou stratégique. Il s’agit avant tout du CEO, de la présidence du conseil d’administration, mais aussi de la gestion des risques. Ces récents incidents ne sont pas les seuls à montrer que les systèmes d’incitation basés sur les bonus sont erronés, qu’ils favorisent une culture du risque agressive et qu’ils font complètement fi des systèmes de gestion des risques et de la conformité.

Un dirigeant d’une banque a récemment déclaré : « Voulez-vous des bonus ou de bons managers ? » Je veux dire que nous voulons de bons dirigeants. Les bons dirigeants veulent travailler parce qu’ils aiment le faire, parce qu’ils le font pour l’entreprise et parce qu’ils le font en équipe, et pas simplement parce qu’on leur a promis : Si tu en fais encore un peu plus ici et là, tu auras droit à un énorme pot de bonus. Ils prennent ainsi des risques qui sont irresponsables.

En fin de compte, ce sont nous, les contribuables, qui payons ce risque, comme cela se vérifie malheureusement à nouveau aujourd’hui. Il y a des banques qui s’en sortent sans verser de bonus. Elles ont modifié leur système de rémunération, par exemple la banque Migros – bon, elle n’est pas aussi grande que le Credit Suisse, je le sais aussi. Mais la banque Raiffeisen, par exemple, a également supprimé les bonus. Ils disent : la performance collective de l’équipe est au premier plan, et c’est une incitation pour nos collaborateurs.

La culture du bonus, qui vient en fait davantage des pays anglo-saxons et qui nous a longtemps été étrangère, a introduit du poison dans ces systèmes. Vous pouvez maintenant argumenter : Il n’y a pas que les banques. C’est vrai, il n’y a pas qu’elles. Mais nous parlons ici de garanties d’État explicites ou implicites, et personne ne doit plus dire que nos grandes banques n’ont pas de garantie d’État implicite. On l’a vu de manière impressionnante au plus tard le 19 mars. C’est pourquoi il est temps de mettre fin au versement de bonus à l’étage des tapis, du moins dans le domaine où il existe des garanties d’État explicites ou implicites.

Je peux vous dire que je sais, grâce aux nombreuses réactions, non seulement des médias, mais aussi de la population, que c’est ce que l’on attend de nous ici après le sauvetage, que j’espère pas trop coûteux, du Crédit Suisse.

Keller-Sutter Karin, conseillère fédérale :

Vous l’avez entendu : la motion demande que les banques d’importance systémique ne puissent plus verser de bonus à l’organe suprême et aux personnes responsables de la gestion. Vous avez également lu que le Conseil fédéral a recommandé le rejet de cette motion en août 2021.

La motion a pour ainsi dire été dépassée par les événements. Entre-temps, le Parlement a adopté plusieurs postulats lors de la session extraordinaire, notamment sur la thématique complexe des rémunérations variables. Entre autres, le Conseil fédéral examinera, sur la base des postulats 23.3442 de la CdF-N et 23.3441 de la CdF-E, la question de la limitation légale des composantes variables du salaire des membres du conseil d’administration, de la direction et des organes de contrôle. Mais le postulat 23.3443 de la CER-N demande également d’examiner si une nouvelle réglementation des systèmes de rémunération, notamment en ce qui concerne les bonus, peut être envisagée pour les banques d’importance systémique et d’en évaluer l’impact. Le Conseil fédéral estime qu’il ne faut pas préjuger de cet examen approfondi. Je vous demande d’attendre ces rapports.

Le Conseil fédéral continue donc à vous recommander de rejeter la motion.

Président (Candinas Martin, président) : Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion.

Vote – Vote par appel nominal – nominatif :

Pour l’acceptation de la motion … 101 voix

Contre … 70 voix

Source : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=60515 ; concernant la motion en droit suisse : https://www.parlament.ch/fr/%C3%BCber-das-parlament/portrait-du-parlement/objets-soumis-deliberation-et-procedure-parlementaire/initiative-parlementaires-initiatives-deposees-par-des-cantons-et-interventions/motion

Appréciation :

Faut-il rappeler ici que les « bonus » en droit suisse sont basées sur divers instruments juridiques qui permettent une très grande souplesse tant dans les conditions d’octroi que dans la détermination des montants ? Le problème ne vient donc pas du bonus en lui-même, mais bien de sa définition, de la pratique des rémunérations et des décisions des conseils d’administrations et des assemblées générales.

Prétendre vouloir régler cela « par le haut » est donc parfaitement démagogique, en plus d’être d’une utilité pratique que l’on devine déjà toute relative….

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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