Utiliser les empreinte digitale pour enregistrer le temps de travail ?

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L’employeur (responsable de traitement) gère un cabinet de radiologie et, jusqu’au 1er août 2018, il utilisait des feuilles de temps imprimées pour comptabiliser le nombre d’heures travaillées par les employés. Il a ensuite introduit un système d’enregistrement du temps de travail qui utilisait les empreintes digitales des employés.

L’employé (personne concernée) a refusé d’utiliser le nouveau système de pointage par empreinte digitale et a continué à noter manuellement les heures travaillées sur les anciennes feuilles de temps. Le 5 octobre 2018, l’employé a reçu un premier avertissement écrit de son employeur, l’exhortant à commencer à utiliser le système d’empreintes digitales. Malgré l’avertissement, il a refusé de le faire et a continué à utiliser les feuilles de temps imprimées. Le 26 mars 2019, l’employé a reçu un deuxième avertissement qui le menaçait de la possibilité de mettre immédiatement fin à son emploi s’il continuait à refuser d’utiliser le système d’empreintes digitales.

Selon un arrêt du Landesarbeitsgericht Berlin-Brandenburg 10 Sa 2130/19 du 04.06.2020, les avertissements doivent être annulés car l’employé n’était pas obligé d’utiliser le système d’empreintes digitales pour enregistrer son temps de travail et n’avait donc pas violé ses obligations.

Rappelons que les empreintes digitales sont des données biométriques au sens de l’art. 4 ch. 14 RGPD, dont le traitement est interdit sauf si le responsable de traitement peut se prévaloir d’un des motifs de l’art. 9 par. 2 RGPD.

En l’espèce, les seuls motifs légaux possibles pour le traitement de données en cause pouvaient être l’art. 9 par. 2 let. a ou b RGPD.

Étant donné que l’employé n’avait manifestement pas donné son consentement, la décision applique l’art. 9 par. 2 let. b, dont la teneur est la suivante : « le traitement est nécessaire aux fins de l’exécution des obligations et de l’exercice des droits propres au responsable du traitement ou à la personne concernée en matière de droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale, dans la mesure où ce traitement est autorisé par le droit de l’Union, par le droit d’un État membre ou par une convention collective conclue en vertu du droit d’un État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits fondamentaux et les intérêts de la personne concernée ».  

La Cour a conclu que l’intérêt d’un employeur à mettre en place des systèmes de contrôle d’accès biométrique à des zones contenant des secrets commerciaux, de production et de développement sensibles serait plus susceptible de prévaloir que dans le contexte d’un système de suivi du temps de travail. Par conséquent, dans ce cas, le système n’a pas été considéré comme nécessaire, malgré les affirmations de l’employeur selon lesquelles le système pourrait rendre plus difficile la manipulation des enregistrements des heures de travail par les employés. L’employeur ne pouvait donc pas invoquer l’art. 9 par. 2 let. b RGPD.

La question de savoir si des garanties techniques et organisationnelles appropriées, telles que la pseudonymisation, sont prises ne se pose que si la nécessité du traitement est d’abord affirmée et qu’il est établi qu’il n’y a pas de conflits avec les intérêts dignes de protection de la personne concernée.

(Décision originale : https://gesetze.berlin.de/bsbe/document/JURE200011045; présentée et traduite en anglais ici : https://gdprhub.eu/index.php?title=LAG_Berlin-Brandenburg_-_10_Sa_2130/19).

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Connaître le salaire de ses collègues? Egalité et minimisation des données

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Une personne concernée (employé) demande au responsable du traitement (employeur) des données personnelles relatives d’autres personnes concernées (employés) afin de défendre son droit constitutionnel à un salaire égal pour un travail égal.

Invoquant une violation du principe universel d’égalité « à travail égal, salaire égal », protégé par la Constitution portugaise (article 59), la personne concernée, qui souhaitait obtenir une rémunération plus élevée, a en effet demandé à l’employeur l’accès aux « reçus de salaire » d’autres travailleurs, afin de prouver que ses droits constitutionnels étaient violés [documents qui comportent apparemment beaucoup plus d’information au Portugal qu’en Suisse].

La Cour d’appel de Coimbra (Tribunal da Relação de Coimbra), dans une décision 4354/19.7T8CBR-A.C2 du 26.06.2020, a considéré que, même si les autres personnes concernées ne font pas partie du litige, il n’en est pas moins vrai que toutes les personnes, qu’elles soient ou non parties à la cause, ont le devoir de collaborer à la découverte de la vérité (art, 417 par.1, du (nouveau) code de procédure civile portugais).

La Cour d’appel a donc décidé que le responsable du traitement devait fournir les données personnelles demandées, afin que les tribunaux soient en mesure de comprendre et de décider de la réclamation initiale de la personne concernée, selon laquelle le responsable du traitement ne payait pas la même chose à ses employés pour un travail égal.

Toutefois, en prenant en considération le droit fondamental à la vie privée des personnes concernées qui ne font pas partie du litige, la Cour d’appel a décidé que le responsable du traitement devait fournir les données à caractère personnel demandées par la personne concernée, mais qu’il devait appliquer des techniques de minimisation des données (art. 5 par. 1 let. c RGPD). À ce titre, la Cour a ordonné que toute référence à des éléments qui ne sont pas liés au salaire (c’est-à-dire les cotisations syndicales, les paiements d’assurance et de pension alimentaire et les absences du travail) et qui peuvent être inclus dans ces « reçus », soit supprimée.

(Décision originale : http://www.dgsi.pt/jtrc.nsf/8fe0e606d8f56b22802576c0005637dc/18aeffd15973832f8025859d004d0763?OpenDocument; traduction et présentation en anglais : https://gdprhub.eu/index.php?title=Tribunal_da_Rela%C3%A7%C3%A3o_de_Coimbra_-_4354/19.7T8CBR-A.C2).

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Minimisation des données : l’employeur et le COVID-19

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Le responsable du traitement est un employeur (entreprise) qui a dû faire face à une infection massive au COVID-19 sur le lieu de travail. Pour éviter que cela ne se reproduise, il a recueilli le nom complet et l’état de santé des employés qui étaient positifs au COVID (les personnes concernées). Il a ensuite envoyé un courriel à tous les autres employés qui auraient pu être en contact avec un employé infecté, en les informant de la personne qui avait été testée positive au COVID. En outre, le responsable du traitement ne conservait pas de base de données de toutes les personnes infectées par le COVID et avait informé tous les employés de leurs droits en vertu de l’article 13 RGPD.

L’autorité slovène de protection des données (APD ; Informacijski pooblaščenec), dans une décision 0611-608/2021/9 du 18.01.2022, a ouvert une enquête d’office sur le traitement des données de santé.

L’APD a noté que le fait d’informer les employés susceptibles d’avoir été en contact avec un collègue positif était une mesure préventive de protection de la santé publique. Toutefois, elle a constaté que le responsable du traitement aurait également pu informer ces employés sans divulguer le nom complet des employés infectés. Selon l’APD, l’objectif de prévention d’une propagation de masse aurait pu être atteint de cette manière. Par conséquent, l’APD a estimé que le responsable du traitement avait traité illégalement les données relatives à la santé de l’employé infecté, conformément à l’art. 9 et à l’art. 5 par. 1 let. c RGPD. Il suffit donc d’informer les employés qui ont été en contact avec un employé positif, sans fournir le nom de cet employé positif.

(Décision traduite et présentée en anglais : https://gdprhub.eu/index.php?title=IP_(Slovenia)_-_0611-608/2021/9)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Données personnelles du collaborateur sur son ordinateur professionnel : que faire à la fin du contrat ?

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La situation est tout à fait fréquente en pratique. L’employé utilise son ordinateur professionnel pour stocker aussi (qu’il en ait le droit ou non) des données personnelles. Survient le licenciement. L’employé veut alors pouvoir détruire ses données personnelles, alors que l’employeur ne veut pas lui laisser un accès aux données professionnelles qui y sont encore contenues.

Dans une décision 9965129 \ CV EXPL 22-2279 du 18.07.2022, la Cour de district d’Overijssel (Rechtbank Overijssel – Rb. Overijssel ; Pays-Bas) établit que la personne concernée travaillait pour Eega (responsable du traitement), une société qui guide les personnes handicapées vers l’emploi. Après la fin du contrat de travail, le responsable du traitement a introduit une demande dans le cadre d’une procédure de mesures provisionnelles pour exiger la restitution de l’ordinateur portable. La personne concernée ne s’est pas opposée à la restitution de l’ordinateur portable, mais elle souhaitait d’abord effacer ses données personnelles. Le responsable de traitement a alors opposé que l’ordinateur portable était destiné à des fins professionnelles uniquement (et non au stockage d’informations personnelles) et que son utilisation donnerait à la personne concernée un accès non autorisé à son environnement de travail.

La Cour considère que les deux demandes étaient partiellement justifiées.

La demande du responsable du traitement n’était pas entièrement justifiée, car le responsable du traitement n’a pas contesté que l’ordinateur portable contenait des données à caractère personnel de la personne concernée. Le fait que la personne concernée n’était pas autorisée à placer ces données sur l’ordinateur portable n’était pas pertinent. Il s’agissait toujours de données à caractère personnel au sens de l’art. 4 ch. 1 RGPD.

La demande de la personne concernée n’était pas non plus pleinement justifiée, car lui accorder l’accès à l’ordinateur portable lui donnerait accès à l’environnement de travail numérique du responsable du traitement. Celui-ci contenait des données à caractère personnel dont le responsable du traitement était responsable (autres employés, clients).

La Cour a estimé que la solution devait être trouvée mi-chemin et a proposé que le portable soit amené au responsable du traitement. Une personne autre que la personne concernée ou le responsable du traitement pourrait alors effacer les données à caractère personnel de la personne concernée de l’ordinateur portable. La personne concernée pouvait toutefois être présente pendant ce processus.

(Décision originale : https://uitspraken.rechtspraak.nl/#!/details?id=ECLI:NL:RBOVE:2022:2365&showbutton=true&keyword=AVG; présentée et traduite en anglais : https://gdprhub.eu/index.php?title=Rb._Overijssel_-_9965129_%5C_CV_EXPL_22-2279).

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Double jeu de l’employeur et congé abusif

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L’intimée (= l’employeur) est une société anonyme inscrite au Registre du commerce vaudois depuis le […], dont le siège est à […]. Elle a notamment pour but, à teneur de son inscription, l’exploitation de boulangeries et de métiers s’y rapportant dans le cadre de l’exploitation du […].

L’appelant a été engagé par l’intimée par contrat écrit du 19 février 2016, en qualité de boulanger-pâtissier à taux plein pour une durée indéterminée à compter du 1er avril 2016. Le contrat était soumis à la convention collective de travail de la boulangerie-pâtisserie-confiserie artisanale suisse

 Le 13 mars 2017, J.________, administrateur unique et actionnaire de l’intimée jusqu’au 10 octobre 2018, a abordé l’appelant (= l’employé)  et son épouse dans la perspective de l’achat des actions de l’intimée à partir de l’année 2022. L’appelant a expliqué qu’il était très enthousiasmé par cette proposition mais qu’il avait également déjà un projet d’ouverture de boulangerie avec son épouse à […].

A la suite de la conversation avec l’appelant, J.________ a adressé une lettre d’intention datée du 29 mars 2017 aux époux M.________. Il y faisait part des modalités envisagées pour un transfert progressif de l’exploitation, soulignant que les époux avaient le bon profil pour cette reprise. Il faisait part également de sa vision sur les différentes synergies à court terme entre l’intimée et le projet de boulangerie à […].

A la fin de l’année 2017, J.________ a été victime d’un AVC ce qui, selon les déclarations de l’appelant lors de son audition, a accéléré le processus de reprise de l’exploitation, l’administrateur de l’intimée cherchant désormais à trouver un repreneur pour la fin d’année 2018. Dans cette optique, les époux M.________ ont multiplié les démarches afin de réunir le financement nécessaire pour cette reprise.

Le 14 août 2018, selon les explications de l’appelant, à l’occasion d’un entretien avec les époux M.________, J.________ a réaffirmé son intention de leur vendre son commerce.

Par convention de vente d’actions du 24 août 2018, J.________ a cédé la totalité de ses actions, soit les 100 % des actions nominatives de l’intimée, à A.N.________ et B.N.________ pour le 1er octobre 2018. Lors de son audition en qualité de témoin, J.________ a indiqué que ce couple avait été choisi car il avait été le premier à obtenir un accord bancaire en vue de la reprise de l’intimée.

Le 27 août 2018, l’appelant et son épouse ont reçu une lettre de licenciement signée par J.________ mettant fin à leur contrat au terme du délai légal de deux mois prévu par la convention collective de travail de la boulangerie-pâtisserie-confiserie artisanale suisse, soit pour le 31 octobre 2018. L’administrateur J.________ a invoqué certaines difficultés budgétaires de l’intimée, ainsi que les résultats en dessous des attentes des chiffres de l’été 2018, en particulier à la suite de la […].

L’appelant et son épouse ont reçu un autre courrier de l’intimée les libérant, avec effet immédiat, de leur obligation de travailler. La société intimée a aussi réaffirmé que ces licenciements étaient dus à

Par courrier du 8 octobre 2018, l’appelant et son épouse ont fait opposition à leur licenciement et ont également offert leurs services à l’intimée en cas d’annulation des congés qui leurs avaient été donnés.

L’appelant soutient en substance qu’en l’absence de motivation économique de son licenciement, celui-ci serait abusif. Selon lui, il aurait été uniquement motivé par la vente des actions de l’intimée à des tiers, soit par l’entente entre l’administrateur unique de l’intimée et les nouveaux repreneurs. Il reproche également à l’intimée d’avoir joué un « double jeu » en lui cachant la vente des actions en juillet 2018 déjà.

L’intimée s’en tient pour sa part au motif économique du licenciement, soutenant que la vente des actions à des tiers n’aurait aucun rapport avec le licenciement.

Le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties (art. 335 al. 1 CO). En droit suisse du travail, la liberté de résiliation prévaut de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. Le droit fondamental de chaque cocontractant de mettre fin au contrat unilatéralement est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif. L’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère des cas dans lesquels la résiliation est abusive. Cette liste n’est pas exhaustive ; elle concrétise avant tout l’interdiction générale de l’abus de droit. Un congé peut ainsi se révéler abusif dans d’autres situations que celles énoncées par la loi. Elles doivent toutefois apparaître comparables, par leur gravité, aux hypothèses expressément envisagées.

Le caractère abusif du congé peut découler notamment du motif répréhensible qui le sous-tend – l’art. 336 CO en énonce une liste – ou encore de la manière dont il est donné, de la disproportion évidente des intérêts en présence ou de l’utilisation d’une institution juridique de façon contraire à son but. Le caractère abusif est en principe retenu lorsque le motif invoqué n’est qu’un simple prétexte tandis que le véritable motif n’est pas constatable.

Afin de pouvoir dire si un congé est abusif, il faut se fonder sur son motif réel.

Est abusif le licenciement prononcé par un employeur dont il est avéré qu’il voulait se débarrasser à tout prix d’un collaborateur et a agi par pure convenance personnelle, sans parvenir à démontrer l’existence de manquements professionnels de la part de l’employé

Il incombe en principe au destinataire de la résiliation de démontrer que celle-ci est abusive. Le juge peut toutefois présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Ce dernier ne peut alors rester inactif, n’ayant d’autre issue que de fournir des preuves à l’appui de ses propres allégations quant au motif de congé.

En l’espèce, l’administrateur de l’intimée a justifié le licenciement par les difficultés financières rencontrées par la société en 2018. Or cette thèse ne trouve pas appui sur d’autres éléments probatoires que les seules déclarations de J. Il ressort au contraire que la société marchait très bien.

En outre, les propos du témoin J.________ sont également contredits par un titre établi par lui, à savoir le courriel du 29 août 2018. Dans ce document adressé aux employés de l’intimée – à l’exception de l’appelant et de son épouse –, l’administrateur reconnaît en effet un sans-faute quant au déroulement de la fête du […] 2018, alors même qu’il a déclaré devant le premier juge que le mauvais résultat découlant de cette fête avait provoqué le licenciement de l’appelant. Il ressort de manière contradictoire de ses propres déclarations lors de cette même audition que la société intimée était bénéficiaire en 2017 et 2018.

Le fait que le licenciement était lié au mauvais résultat de la fête […] n’a pas été allégué ni prouvé

Pour ces motifs, on constate que l’intimée n’a pas établi le motif économique avancé pour justifier la résiliation du contrat de travail.

Le cours des événements permet d’établir que le licenciement n’est pas lié à un motif économique – comme invoqué par l’intimée – mais à la vente des actions de l’entreprise à un couple concurrent, comme le soutient l’appelant. Il existe dès lors bien des indices suffisants permettant de faire naître un doute quant à la réalité du motif de licenciement invoqué par l’intimée. Ces indices permettent de soutenir que les motifs économiques invoqués, et maintenus par l’employeuse comme justifiant le licenciement après contestation de l’employé, ont été avancés comme un prétexte. A cet égard, on souligne qu’aucun élément au dossier ne vient confirmer que la société était en difficultés financières ni que ces difficultés auraient justifié le licenciement du couple.

De plus, les circonstances du licenciement révèlent un double-jeu de la part de l’employeuse, lequel est contraire au principe de la bonne foi. En soi, rien n’interdisait à l’administrateur de l’intimée, pour l’intimée, de mener deux négociations en parallèle, mais la manière dont le licenciement a été donné révèle un manque de considération flagrant à l’égard de l’appelant. Jusqu’à leur licenciement, l’appelant et son épouse ont entrepris des démarches en vue de la reprise des actions de l’intimée, sans qu’il soit allégué qu’ils étaient au courant de l’existence de concurrents. Dès lors qu’ils ont été écartés de la transaction, l’intimée les a licenciés. On décèle dans ce licenciement abrupt, la volonté de l’intimée de se débarrasser d’employés devenus encombrants vu la reprise par des tiers. Le fait d’invoquer un motif économique fallacieux à l’appui de ce licenciement révèle d’autant plus son caractère vicié. A aucun moment, l’employeuse n’a exposé à l’appelant la situation réelle, à savoir la concurrence avec d’autres repreneurs, ce qui a contribué à rendre le congé abusif.

En définitive, l’intimée a agi abusivement par pure convenance personnelle, en faisant abstraction de l’intérêt légitime de son employé – à qui aucun manquement n’a été reproché – à conserver un emploi dans lequel il s’investissait pleinement depuis des années

Sur la base de ce qui précède, soit la conjonction, d’une part, de la manière dont le congé a été signifié et, d’autre part, les motifs réels de celui-ci, la Cour de céans considère que le licenciement de l’appelant était abusif.

[Concernant l’indemnité pour licenciement abusif], le licenciement a eu lieu alors que l’appelant négociait la reprise des parts sociales de l’intimée. Pour ce motif, on retient que la résiliation des rapports de travail est marquée d’un manque de respect important, sans faute de l’employé. A l’inverse, âgé de 37 ans au moment de son licenciement, l’appelant était en train de mettre sur pied sa propre boulangerie avec son épouse – comme cela ressort de ses propres déclarations à l’audience ; cela permet de relativiser les conséquences financières potentiellement fâcheuses, même si le projet n’avait pas encore abouti.

Prenant en considération ces circonstances, il y a lieu d’allouer à l’appelant une indemnité correspondant à deux mois de salaire, soit une somme de 10’100 fr. (2 x 5’050 fr.). Elle porte intérêt à 5 % l’an dès le 1er décembre 2018, la fin du contrat de travail ayant été arrêtée au 30 novembre 2018.

(Arrêt de la Cour d’appel civile du tribunal cantonal vaudois HC / 2022 / 733 du 05.10.2022)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Prendre son chien au travail?

Un article sympathique de 24 Heures du 11.02.2022 (https://www.24heures.ch/les-chiens-font-leur-trou-dans-les-entreprises-vaudoises-273862303943) évoque ces entreprises où les employés peuvent prendre leur chien au travail (d’autres animaux, comme les caïmans, les pythons, les mygales, les perroquets ou les chats se prêtent – on le sent d’instinct – moins bien à cet exercice).

L’auteur de ces lignes, qui a toujours travaillé avec ses chiens dans différentes Etudes d’avocats depuis plus de vingt ans, a donc lu le tout avec intérêt. Il me semble toutefois que l’article pourrait être précisé sur deux points, quand il mentionne qu’il n’y aurait pas de réglementations qui s’appliqueraient à cette question, d’une part, et quand il relativise l’utilité de régler la question dans l’entreprise par un règlement d’autre part.

Il y a ainsi bel et bien des normes qui s’appliquent, d’abord, à la protection de la santé et de la personnalité des travailleurs (art. 328 CO ; diverses prescriptions de droit public). Un travailleur ne doit pas ainsi être exposé à une cohabitation forcée avec des molosses sanguinaires, souffrir de la pilosité canine s’il est allergique, glisser sur qui aurait dû faire l’objet de promenades extérieures, etc. Mais, et on l’oublie souvent, il y a aussi différentes normes qui réglementent le bien-être animal (loi fédérale du 16 décembre 2005 sur la protection des animaux (RS 455 ; LPA) et ses dispositions d’exécution, diverses autres dispositions de droit fédéral et cantonal)). Le chien doit pouvoir donc trouver, au travail, un environnement qui ne soit pas stressant, résider dans un coin relativement tranquille, ne pas être exposé au stress et aux mouvements perpétuels, pouvoir être promené sans difficulté sur le temps de pause, etc.

On conçoit donc que ces deux ordres de dispositions légales puissent entrer en contradiction. Le devoir légal du propriétaire d’animal d’en prendre soin, et donc ne de pas le laisser seul la journée, peut ainsi jurer avec le droit de sa collègue de ne pas cohabiter avec un fauve peu dressé ou malodorant. Ce conflit, comme tous les autres au travail, doit trouver une solution dans les directives de l’employeur, qui organiseront concrètement la possibilité de prendre son animal au travail en fonction des locaux, de leur occupation, des conditions de travail, de l’accord ou non de certains collègues, etc. (art. 321d CO). Il n’y a là rien de révolutionnaire : le droit de donner des instructions générales écrites aux travailleurs embrasse déjà quantité de domaines, du harcèlement sexuel au remboursement des repas sur les chantiers extérieurs, alors pourquoi pas le fait de venir travailler avec son chien ?

En faisant preuve d’un minimum de sens pratique, de bonne volonté et d’organisation (la nomination d’un responsable de cette question est en général une bonne idée), on peut arriver sans trop de difficultés à laisser Médor venir au travail avec son maître – en ayant toutefois rappelé à ce dernier qu’il s’agit d’une tolérance de l’employeur, tant dans son principe que dans ses modalités, qui est susceptible d’être modifiée si nécessaire.

Concrètement, presque toujours, les autres collaborateurs et les clients apprécient, la présence d’animaux fait diminuer le stress, et, pour l’employeur, il se rendra compte que l’on apprend beaucoup de son employé en regardant son chien…

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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L’avocat qui change d’Etude – conflit d’intérêts ?

Parmi les règles professionnelles que doit respecter l’avocat, l’art. 12 let. c LLCA prévoit qu’il doit éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé

 L’interdiction de plaider en cas de conflit d’intérêts est une règle cardinale de la profession d’avocat. Elle est en lien avec la clause générale de l’art. 12 let. a LLCA – selon laquelle l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence -, avec l’obligation d’indépendance figurant à l’art. 12 let. b LLCA, ainsi qu’avec l’art. 13 LLCA relatif au secret professionnel. Les règles susmentionnées visent avant tout à protéger les intérêts des clients de l’avocat, en leur garantissant une défense exempte de conflit d’intérêts. Elles tendent également à garantir la bonne marche du procès, en particulier en s’assurant qu’aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l’un de ses clients, respectivement en évitant qu’un mandataire puisse utiliser les connaissances d’une partie adverse acquises lors d’un mandat antérieur au détriment de celle-ci.

Selon la jurisprudence, les critères suivants peuvent permettre de déterminer l’existence ou non de mandats opposés dans un cas concret: l’écoulement du temps entre deux mandats, la connexité (factuelle et/ou juridique) de ceux-ci, la portée du premier mandat – à savoir son importance et sa durée -, les connaissances acquises par l’avocat dans l’exercice du premier mandat, ainsi que la persistance d’une relation de confiance avec l’ancien client (ATF 145 IV 218 consid. 2.1). Il faut éviter toute situation potentiellement susceptible d’entraîner des conflits d’intérêts. Un risque purement abstrait ou théorique ne suffit pas; le risque doit être concret. Il n’est toutefois pas nécessaire que le danger concret se soit réalisé et que l’avocat ait déjà exécuté son mandat de façon critiquable ou en défaveur de son client (ATF 145 IV 218 consid. 2.1).

 L’incapacité de représentation affectant un avocat rejaillit sur ses associés (ATF 135 II 145 consid. 9.1). Le problème de la double représentation peut donc survenir quand les parties sont représentées par des avocats distincts, mais pratiquant dans la même étude, en qualité d’associés. L’interdiction des conflits d’intérêts ne se limite ainsi pas à la personne même de l’avocat, mais s’étend à l’ensemble de l’étude ou du groupement auquel il appartient. Sous cet angle, sont donc en principe concernés tous les avocats exerçant dans une même étude au moment de la constitution du mandat, peu importe leur statut (associés ou collaborateurs) et les difficultés que le respect de cette exigence découlant des règles professionnelles peut engendrer pour une étude d’une certaine taille (ATF 145 IV 218 consid. 2.2 et les références). Appelé à se prononcer sur le cas particulier du changement d’étude par un avocat collaborateur, le Tribunal fédéral a jugé que la connaissance par celui-ci, en raison de son précédent emploi, d’un dossier traité par son nouvel employeur constitue l’élément déterminant pour retenir la réalisation d’un conflit d’intérêts concret qui doit être évité, ce que permet la résiliation du mandat par le second (ATF 145 IV 218 consid. 2.3). 

 Dans le cas d’espèce, la cour cantonale a retenu un risque de collusion du fait que l’un des collaborateurs de l’Étude où exerçait actuellement Me C.________ avait travaillé sur les dossiers des époux et était ainsi susceptible de posséder des secrets obtenus dans le contexte de ses précédentes fonctions, rappelant néanmoins que le devoir de fidélité de l’avocat n’était pas limité dans le temps. Sans remettre en cause l’intégrité des précités, l’autorité cantonale a considéré qu’il existait ici concrètement la possibilité d’utiliser, consciemment ou non, des connaissances acquises sous couvert du secret professionnel, ce d’autant plus au regard de la connexité des procédures civiles et pénales, toutes liées à des aspects financiers; les procédures opposant les parties avaient par ailleurs toujours été portées jusqu’à la dernière instance cantonale, voir même, pour certaines, jusqu’au Tribunal fédéral, en sorte qu’il pouvait raisonnablement être retenu qu’elles avaient inévitablement marqué de leur empreinte l’esprit des avocats ayant eu à les traiter. 

Admettant la sévérité de l’obligation imposée à l’avocat du recourant de mettre un terme à son mandat, la cour cantonale a néanmoins souligné que la bonne administration de la justice ainsi que l’intérêt de l’intimée à avoir une défense exempte de conflit d’intérêts primaient en l’occurrence le droit du recourant à se voir assister par l’avocat qu’il s’était désigné, le choix de ses futurs conseils lui étant au demeurant réservé. L’obligation de mettre un terme au mandat garantissait par ailleurs à l’avocat collaborateur de pouvoir concilier ses différentes obligations découlant tant de la LLCA que de son contrat de travail.

 Les critiques que développe succinctement le recourant sont inaptes à retenir l’arbitraire de la décision cantonale. Admettant que Me H.________, ancien collaborateur de Me G.________ avait certes assisté celui-ci dans le cadre des dossiers pénaux occupant les parties, le recourant se borne essentiellement à affirmer que les précités ne se seraient jamais occupés des procédures civiles opposant les époux A.A.________ et B.A.________. C’est cependant sans réelle motivation qu’il tente d’invoquer l’absence de connexité entre les deux procédures, pourtant retenue par la cour cantonale en tant que celles-ci concernaient toutes des aspects financiers opposant les parties. Écarter le caractère marquant des procédures en cause en se limitant à lui opposer le volume des affaires traitées par les avocats concernés apparaît enfin appellatoire. 

Le recourant achève ses critiques en concluant que le principe de proportionnalité serait « touché » dès lors qu’il serait privé de son droit de se faire assister par son avocat de choix, qui le suivait depuis cinq ans et qu’il serait contraint d’en trouver un autre, avec les conséquences financières qui en découleraient. Cet élément a clairement été pris en compte par l’autorité cantonale, qui lui a cependant préféré l’intérêt à une bonne administration de la justice ainsi que celui de l’intimée à obtenir une défense exempte de conflit d’intérêts, éléments d’appréciation que l’intéressé laisse cependant intacts.

Dépourvu de motivation efficace, le recours est irrecevable. Un délai au 1er mars 2023 est imparti au recourant pour désigner un nouveau conseil ou pour informer le tribunal s’il entend comparaître en personne.

(Arrêt du Tribunal fédéral 5A_761/2022 du 12 janvier 2023 consid. 3 et 4)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Systèmes d’identification biométrique à l’entrée des stades

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La Commission nationale contre la violence, le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans le sport (la Commission) souhaitait installer des systèmes d’identification biométrique à l’entrée des stades de sport afin d’identifier de manière univoque les supporters de football. Elle demande à l’autorité espagnole de protection des données (APD ; Agencia Española de Protección de Datos) de se déterminer sur la conformité du traitement envisagé avec le RGPD.

Selon la Commission, la base juridique du traitement était l’art. 6 par. 1 let. e RGPD, soit un traitement nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public, en l’occurrence  la sécurité et l’intégrité des personnes assistant aux match de football, ainsi que la prévention de violations des droits fondamentaux sous la forme de crimes haineux et de discrimination. En outre, la Commission s’est appuyée sur l’article 9 par. 2 let. g RGPD [traitement nécessaire pour des motifs d’intérêt public important].

L’APD, dans un avis 0098/2022, considère que l’installation de systèmes d’identification biométrique constituerait un traitement de catégories particulières de données au sens de l’art. 9 RGPD. L’APD a rappelé la définition des « données biométriques », à savoir « les données à caractère personnel résultant d’un traitement technique spécifique, relatives aux caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales d’une personne physique, qui permettent ou confirment son identification unique, telles que des images faciales ou des données dactyloscopiques » (art. 4 ch. 14 RGPD).

L’APD a souligné la nécessité de faire la distinction entre l’identification biométrique et l’authentification biométrique, telles que définies par le Groupe de travail Article 29 dans l’Avis 3/2012 sur les développements des technologies biométriques. Selon cet avis, l’identification biométrique signifie l’identification d’un individu en comparant les données biométriques acquises au moment de l’identification à un certain nombre de modèles biométriques stockés dans une base de données, tandis que l’authentification biométrique signifie la vérification d’un individu en comparant les données biométriques acquises au moment de la vérification à un modèle biométrique unique stocké dans un dispositif. Dans son évaluation, l’autorité chargée de la protection des données s’est appuyée sur les lignes directrices 05/2022 de l’EDPB relatives à l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale dans le domaine de la répression, qui confirment que les deux techniques constituent un traitement de catégories particulières de données au sens de l’art. 9 RGPD. L’APD a manifesté son inquiétude face à la prolifération des systèmes d’identification biométriques, qui sont considérés comme particulièrement intrusifs pour les droits et libertés des personnes concernées.

En ce qui concerne la base juridique envisagée, l’autorité chargée de la protection des données a noté que l’art. 9 par. 2 let. g RGPD fait référence à un intérêt public important, par opposition à l’intérêt public (standard) contenu dans d’autres dispositions. Par conséquent, selon l’APD, l’interprétation de l’intérêt public doit être plus restrictive dans  cette hypothèse.

 L’APD s’est référée à la Cour constitutionnelle espagnole, qui a statué que toute limitation du droit à la protection des données doit être énoncée dans la loi et exister avant tout traitement. En outre, un objectif légitime poursuivi par l’intérêt public ne peut être défini par des concepts généraux, indéterminés ou vagues et la limitation doit être proportionnée à l’objectif poursuivi. À cet égard, l’ADP a conclu qu’une telle loi n’existait pas dans en Espagne. La loi mentionnée par la Commission (article 13, paragraphe 1, de la loi contre la violence, le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans le sport) n’identifiait pas un intérêt public substantiel invoqué et ne contenait pas de règles spécifiques, pas plus qu’elle ne prévoyait de mesures appropriées et spécifiques pour sauvegarder les droits et intérêts fondamentaux des personnes concernées. Par ailleurs si la disposition faisait référence aux systèmes de vérification de l’identité, elle ne mentionnait pas la possibilité spécifique d’utiliser des systèmes biométriques.

Par conséquent, l’autorité chargée de la protection des données a conclu que le traitement envisagé, tel que décrit par la Commission, ne pouvait pas s’appuyer sur la base juridique de l’art. 9 par. 2 RGPD.

(Décision originale : https://www.aepd.es/es/documento/2022-0098.pdf; présentée et traduite (angl : https://gdprhub.eu/index.php?title=AEPD_(Spain)_-_0098/2022&mtc=today).

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Accès indu à la boîte email de l’employé

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Une entreprise (responsable du traitement) a inspecté la boîte aux lettres électronique de l’employé (personne concernée) et a transféré automatiquement un courriel de celui-ci après qu’il se soit opposé au traitement de ses données personnelles (droit d’opposition – art. 21 RGPD). L’employé dépose une plainte auprès de l’autorité norvégienne de protection des données (APD ; Datatilsynet) à teneur de laquelle il n’existait aucune base juridique pour accéder à ses e-mails et les traiter.

L’APD a estimé que la transmission automatique du contenu de la boîte aux lettres électronique de la personne concernée ne pouvait être fondée sur l’article 6, paragraphe 1, point f), du GDPR ni sur aucune autre base juridique valable. Le responsable du traitement n’a pas respecté son obligation de procéder à une mise en balance des intérêts après que la personne concernée se soit opposée au traitement, en vertu de l’art. 21 RGPD. Enfin, l’APD a estimé que le responsable du traitement n’avait pas respecté son obligation d’informer la personne concernée de la transmission de ses courriers électroniques, en violation de l’article 13 RGPD. Une amende et différentes injonctions sont prononcées par l’APD. Le responsable de traitement fait recours devant la Personvernnemnda, laquelle rend un arrêt PVN-2022-14 le 13.12.2022.

Tout d’abord, l’autorité de recours a examiné si l’APD avait eu raison d’imposer une amende au responsable du traitement. Il a rappelé que l’article 83 (1) RGPD oblige les APD à s’assurer que les amendes imposées sont effectives, proportionnées et dissuasives. À cet égard, elle a estimé que la transmission illégale d’e-mails constitue une violation des principes fondamentaux de licéité et de transparence (art. 5 par. 1 let. a RGPD). Lorsque les règles fondamentales de protection de la vie privée des employés sont ignorées comme en l’espèce, les violations doivent être considérées comme graves. Par conséquent, l’APD a eu raison d’imposer une amende au responsable du traitement.

L’autorité de recours a également estimé que l’APD avait correctement ordonné au responsable du traitement de revoir et d’améliorer ses procédures d’accès aux boîtes aux lettres électroniques des employés, dans le but d’assurer le respect de la réglementation en matière de protection des données. Le responsable du traitement devrait notamment mettre en place un formulaire de consentement, dans lequel les employés et anciens employés peuvent décider à quelles vérifications de leur boîte de réception ils consentent. La mise en œuvre de ces mesures organisationnelles et techniques fait partie des responsabilités du responsable du traitement en vertu de l’art. 24 RGPD.

Le recours est rejeté.

(Décision originale : https://www.pvn.no/pvn-2022-14; présentée et traduite ici (anglais) : https://gdprhub.eu/index.php?title=Personvernnemnda_(Norway)_-_2022-14_(20/02368))

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Imposition en Suisse des parts d’une SCI

Introduction

Le litige porte sur la prise en compte des parts sociales de la SCI détenues par la recourante à titre de fortune mobilière imposable en Suisse – singulièrement dans le canton de Vaud. 

Les positions des parties peuvent être résumées de la manière suivante :

Dans l’arrêt attaqué, l’instance précédente a confirmé la position de l’autorité intimée selon laquelle, comme la SCI est une personne morale, les parts sociales de cette dernière détenues par la recourante, domiciliée dans le canton de Vaud depuis le 1er juin 2016, étaient imposables au titre de fortune mobilière dans le canton de Vaud en application du droit interne suisse. Elle a ensuite jugé que le droit d’imposer la fortune mobilière provenant de la SCI appartenait en principe à la France, mais qu’en l’absence de perception effective de l’impôt en France, le droit d’imposer la recourante sur sa fortune revenait au canton de Vaud en application de la Convention entre la Suisse et la France du 9 septembre 1966 en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (CDI CH-F; convention de double imposition CH-F; RS 0.672.934.91). 

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La recourante conteste cette imposition. Elle s’oppose à l’interprétation du droit interne suisse par l’instance précédente. Elle soutient ensuite que les parts qu’elle détient dans la SCI sont considérées comme immeuble en France et que la Suisse respectivement le canton de Vaud ne peut pas s’écarter de cette qualification en application de l’art. 6 § 2 CDI CH-F. Se fondant sur le commentaire du modèle OCDE, elle objecte enfin que l’instance précédente a procédé à une interprétation erronée de l’art. 25 B § 1 CDI CH-F. Selon elle, cette disposition ne trouve à s’appliquer que si aucun impôt n’est prévu dans l’État de source ou lorsque l’impôt n’est pas effectivement perçu en raison de circonstances particulières telles que la compensation avec des pertes, une erreur ou l’expiration du délai de prescription, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. 

Les conventions internationales en matière de double imposition ne contiennent que des règles visant à limiter les pouvoirs d’imposition des Etats mais ne fondent pas l’imposition elle-même. Par conséquent, il convient d’abord de s’assurer de l’existence d’un droit (interne) d’imposition, puis, le cas échéant, de vérifier que ce droit d’imposition n’est pas limité par une disposition conventionnelle visant à restreindre ou éliminer une éventuelle double imposition internationale. 

Droit interne suisse

En vertu de l’art. 2 al. 1 let. a d LHID, les cantons prélèvent notamment un impôt sur la fortune des personnes physiques. L’impôt sur la fortune a pour objet l’ensemble de la fortune nette (art. 13 al. 1 LHID). Les personnes physiques sont assujetties à l’impôt à raison du rattachement personnel, lorsque, au regard du droit fiscal, elles sont domiciliées dans le canton (art. 3 al. 1 LHID).  

Les art. 1 al. 1 let. a, 3 al. 1 et 50 al. 1 de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux (LI/VD, RSVD 642.11) ont une teneur identique à celle des art. 2 al. 1 let. a, 3 al. 1 et 13 al. 1 LHID. L’art. 6 al. 1 LI/VD précise que l’assujettissement fondé sur un rattachement personnel est illimité; il ne s’étend toutefois pas aux entreprises, aux établissements stables et aux immeubles situés hors du canton. 

La fortune imposable au sens de l’art. 13 al. 1 LHID se compose de l’ensemble des actifs, pour autant qu’ils ne soient pas exonérés de l’impôt en vertu d’une disposition spéciale. Les actifs imposables comprennent en principe tous les droits – qu’ils portent sur des choses, des créances ou des participations – appréciables en argent, à savoir tous les droits qui peuvent être réalisés, c’est-à-dire cédés en échange d’une contre-prestation.

En application de ces dispositions légales, l’instance précédente a constaté que la recourante était domiciliée dans le canton de Vaud depuis le 1er juin 2016 et qu’elle y était par conséquent assujettie de manière illimitée à l’impôt sur la fortune mobilière. Constatant que la SCI est considérée en droit suisse et en droit français comme une personne morale, elle a jugé que les participations que la recourante détenait dans la SCI constituaient de la fortune mobilière et qu’elles devaient par conséquent être soumises à l’impôt sur la fortune mobilière dans le canton de Vaud, établissant ainsi que le droit interne suisse disposait d’une base légale à cet effet.  

 Invoquant les art. 4, 5 et 129 Cst., la recourante soutient que l’art. 6 al. 1 LI/VD, qui exclut de l’assujettissement fondé sur un rattachement personnel les immeubles situés hors du canton, doit être appliqué en l’espèce, puisqu’il correspond, en conformité avec le postulat constitutionnel d’harmonisation verticale, à l’art. 6 al. 1 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD; RS 642.11). Elle en conclut que les immeubles sis en France ne peuvent pas être imposés dans le canton de Vaud en application de l’art. 6 al. 1, 2e phr., LI/VD et qu’ils n’entrent en ligne de compte que pour déterminer le taux applicable à l’imposition de la fortune en Suisse (art. 53 al. 1 LI/VD). A son avis, il est arbitraire d’affirmer que la SCI française correspond en droit suisse comme en droit français à une personne morale et que la Suisse a, dans cette mesure, sur la base de son droit interne, une base légale suffisante pour l’imposer sur les parts sociales qu’elle détient dans la SCI. L’autorité intimée n’aurait en effet jamais remis en cause le traitement fiscal en transparence de la SCI par la France, admettant ainsi la qualification d’immeuble en France.  

 Les griefs de la recourante doivent être écartés. Le Tribunal fédéral a déjà jugé que la SCI de droit français est considérée comme une personne morale sous l’angle du droit suisse (arrêt 2C_729/2019 du 7 juillet 2020 consid. 4.4; 4A_454/2016 du 16 décembre 2016 consid. 3.2) et la recourante ne démontre pas en quoi cette jurisprudence devrait être modifiée. Il s’ensuit que les participations de la recourante dans la SCI en cause constituent de la fortune mobilière au sens du droit interne suisse et qu’elles ne sont pas exclues de l’assujettissement illimité à l’impôt sur la fortune de la recourante dans le canton de Vaud, puisque l’art. 6 al. 1, 2e phr., LI/VD ne prévoit pas l’exclusion des valeurs mobilières.

Droit interne français

 Il est établi et non contesté par les parties que les parts détenues dans une SCI sont, en France, imposées en transparence et sont par conséquent soumises à l’impôt sur la fortune immobilière dans le chapitre fiscal de leur détenteur. Il n’est toutefois pas non plus contesté par les parties que l’impôt sur la fortune n’est perçu en France que lorsque la valeur de celle-ci est supérieure à 1,3 millions d’euros. En l’occurrence, les deux immeubles détenus par la SCI valent 1’018’400 fr., ce qui constitue un montant inférieur au seuil d’imposition. La recourante n’a par conséquent pas payé d’impôt sur la fortune calculé sur la valeur des immeubles détenus par la SCI en France. Il s’ensuit que la recourante est sur le principe aussi imposable en France, mais n’y paie aucun impôt sur la fortune. 

Il ressort de ce qui précède que tant la Suisse que la France disposent d’une base légale suffisante qui permettrait de soumettre à imposition la fortune de la recourante. Il convient par conséquent d’examiner si ces droits d’imposition sont limités par une disposition conventionnelle visant à restreindre ou éliminer une éventuelle double imposition internationale. 

Règles de conflit d’imposition

 En vertu de l’art. 6 § 2 al. 2 CDI CH-F, si la propriété ou l’usufruit d’actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie, ou une institution comparable, donne au propriétaire ou à l’usufruitier la jouissance exclusive de biens immobiliers situés dans un Etat contractant et détenus par cette société, fiducie ou institution comparable, ou si ces actions, parts ou autres droits sont traités fiscalement comme des biens immobiliers par la législation interne de cet Etat, les revenus que le propriétaire ou l’usufruitier tire de l’utilisation directe, de la location ou de l’usage sous toute autre forme de son droit de jouissance sont imposables dans cet Etat nonobstant les dispositions des art. 7 et 16 CDI CH-F. 

L’art. 6 § 2 al. 2 CDI CH-F valable en matière d’impôt sur le revenu a son pendant en matière d’impôt sur la fortune. L’art. 24 § 2 al. 2 CDI CH-F prévoit en effet que la fortune constituée par des actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie ou une institution comparable, dont l’actif ou le patrimoine est principalement constitué, directement ou indirectement, de biens immobiliers définis au par. 2 de l’art. 6 et situés dans un Etat contractant ou de droits portant sur de tels biens est imposable dans cet Etat. 

Il résulte de ces dispositions conventionnelles que les parts que la recourante détient dans la SCI sont bien, sur le principe, imposables en France. Toutefois, comme cela a déjà été exposé, le droit français soumet certes ces biens immobiliers à l’ISF, mais ne le perçoit que lorsque leur valeur est supérieure à 1,3 millions d’euros. En l’espèce, il n’est pas contesté par les parties que l’ISF n’a pas été perçu. 

Constatant que l’ISF n’a pas été perçu en France, l’instance précédente, faisant application de l’art. 25 B § 1 CDI CH-F, a jugé que l’absence d’imposition effective en France conférait en retour à la Suisse le droit d’imposer les parts de la SCI comme fortune mobilière. La question se pose par conséquent de savoir si l’absence d’imposition effective en France permet à la Suisse, en vertu de son droit interne, d’imposer les parts que la recourante détient dans la SCI. La recourante conteste la nécessité d’un prélèvement effectif de l’ISF. Elle soutient que ses parts ont bien été soumises à l’ISF et qu’il suffit que le droit français prévoie le principe de l’imposition et non pas que l’impôt soit effectivement perçu, de sorte que, selon elle, l’art. 25 B § 1 CDI CH-F ne trouve pas application dans son cas. 

 Selon l’art. 25 B § 1 CDI CH-F, il est entendu que la double imposition sera évitée de la manière suivante en ce qui concerne la Suisse :  

Lorsqu’un résident de Suisse reçoit des revenus ou possède de la fortune qui, conformément aux dispositions de la convention, sont imposables en France, la Suisse exempte de l’impôt ces revenus (à l’exception des dividendes, intérêts et redevances) ou cette fortune, mais peut, pour calculer le montant de l’impôt sur le reste du revenu ou de la fortune de ce résident, appliquer le même taux que si les revenus ou la fortune en question n’avaient pas été exemptés. Toutefois cette exemption ne s’applique aux revenus, aux gains en capital ou aux éléments de fortune visés au par. 2, deuxième alinéa de l’art. 6, au par. 2 de l’art. 15 ou au par. 1, deuxième phrase de l’art. 24, qu’après justification de l’imposition de ces revenus, gains en capital ou éléments de fortune en France. 

 Les parties ayant des positions divergentes sur la portée de la notion  » après justification de l’imposition « , il convient d’interpréter le texte de la 2e phr. de la let. b § 1 de l’art. 25 CDI CH-F, selon laquelle cette exemption ne s’applique aux revenus, aux gains en capital ou aux éléments de fortune visés au par. 2, deuxième alinéa de l’art. 6, au par. 2 de l’art. 15 ou au par. 1, deuxième phrase de l’art. 24, qu’après justification de l’imposition de ces revenus, gains en capital ou éléments de fortune en France.  

 Selon la jurisprudence (arrêt 2C_481/2021 du 19 mai 2022 consid. 9.2 destiné à la publication), l’interprétation des conventions de double imposition s’effectue conformément aux principes d’interprétation de droit international tels qu’ils découlent de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (CV; RS 0.111; ATF 146 II 150 consid. 5.3.1; 145 II 339 consid. 4.4.1; 144 II 130 consid. 8.2; 143 II 136 consid. 5.2.1). Selon l’art. 31 par. 1 CV, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. L’art. 31 par. 1 CV fixe un ordre de prise en compte des éléments de l’interprétation, sans toutefois établir de hiérarchie fixe entre eux. Le sens ordinaire du texte du traité constitue toutefois le point de départ de l’interprétation (ATF 146 II 150 consid. 5.3.2; 144 II 130 consid. 8.2.1; 143 II 202 consid. 6.3.1; 143 II 136 consid. 5.2.2). L’objet et le but du traité correspondent à ce que les parties voulaient atteindre par le traité. L’interprétation téléologique garantit, en lien avec l’interprétation selon la bonne foi, l’  » effet utile  » du traité (ATF 146 II 150 consid. 5.3.2; 144 II 130 consid. 8.2.1; 143 II 136 consid. 5.2.2; 142 II 161 consid. 2.1.3; 141 III 495 consid. 3.5.1). Selon l’art. 32 let. a et b CV, les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu représentent des moyens complémentaires d’interprétation auxquels il peut être fait appel, soit pour confirmer le sens résultant de l’application de l’art. 31, soit pour déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’art. 31 laisse celui-ci ambigu ou obscur ou conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable (ATF 146 II 150 consid. 5.3.2; 145 II 339 consid. 4.4.2; 144 II 130 consid. 8.2; 143 II 136 consid. 5.2.3). Par ailleurs, l’environnement juridique international qui se dégage des travaux tels que ceux de l’OCDE, auxquels la Suisse participe activement, est pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer la portée d’une convention de double imposition calquée sur le Modèle de Convention OCDE (ci-après MC Convention OCDE; ATF 144 II 130 consid. 8.2.3 et 8.4.3).  

La portée de la précision figurant à l’art. 25 B § 1 CDI CH-F in fine, selon laquelle l’exemption ne s’applique  » qu’après justification de l’imposition de ces revenus, gains en capital ou éléments de fortune en France  » ne peut être comprise que si elle est replacée dans son contexte international. En effet, cette disposition, introduite dans la CDI CH-F en 1997 (RO 2000 1936, 1944), approuvée par l’Assemblée fédérale le 12 mars 1998 et entrée en vigueur le 1er août 1998 (RO 2000 1936), a été inspirée par l’art. 23A du MC OCDE dans sa version du 11 avril 1977 (Rapport du Comité des Affaires Fiscales de l’OCDE, Paris 1977, p. 38). Cette version était en vigueur en 1997. Elle a été partiellement modifiée en 2017 (cf. Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune, Version complète, OCDE 2019, art. 23A, p. 62, historique, consultable sur internet ad https://www.oecd.org/fr/ctp/modele-de-convention-fiscale-concernant-le-revenu-et-la-fortune-version-complete-1c00663f-fr.htm). Or, l’art. 23A MC OCDE dans sa version de 1977 (comme dans sa version actuelle d’ailleurs) ne contient pas la précision apportée à l’art. 25B § 1 CDI CH-F in fine. Le commentaire de l’art. 23 A § 1 MC OCDE se rapportant à la version 1977 de la disposition exposait que  » l’Etat de résidence doit accorder l’exemption que le droit d’imposer soit ou non effectivement exercé par l’autre Etat  » (Commentaire, Modèle de convention fiscale 1977, OCDE 1977 n° 34 ad art. 23A, p. 157). Il en va de même du reste du Commentaire MC OCDE dans sa version actuelle qui précise que  » l’État de résidence du contribuable doit exempter de l’impôt les revenus et la fortune qui  » sont imposables  » dans l’autre Etat conformément aux dispositions de la convention. En conséquence, l’État de résidence doit exempter les revenus et la fortune […] que le droit d’imposer soit effectivement ou non exercé par cet autre Etat  » (Commentaire MC OCDE, version 2019 précitée, p. C (23) -20). Il apparaît par conséquent que, sans l’ajout de la précision finale  » qu’après justification de l’imposition de ces revenus, gains en capital ou éléments de fortune en France  » à l’art. 25 B § 1 CDI CH-F, il conviendrait d’admettre, eu égard au standard exprimé par le MC OCDE et son commentaire, que la Suisse ne pourrait pas procéder à une imposition des revenus et de la fortune imposés en France, peu importe que cette dernière impose effectivement ou non ces éléments. La précision apportée par les parties contractantes à la CDI CH-F doit par conséquent se comprendre comme une dérogation au système standard prévu par le MC OCDE.  

Cette interprétation est corroborée par une mise en relation de l’art. 25 B § 1 CDI CH-F avec l’art. 6 § 2 de cette même convention. Comme on l’a vu, le principe est que la définition des biens immobiliers ressortit au droit interne de l’État où sont situés ces biens. Chaque Etat est libre d’appliquer le principe de la transparence fiscale, notamment s’agissant des parts de la SCI qui peuvent être attribuées aux associés, mais être toutefois imposées dans l’État de situation de l’immeuble. Si les détenteurs de parts sont résidents fiscaux d’un autre Etat qui prélève l’impôt sur le revenu et la fortune sur ces parts, alors il en résulte une double imposition et, dans ce cas, le droit de l’État de situation de l’immeuble prime en principe. Toutefois une réserve a été introduite par avenant du 22 juillet 1997, approuvé par l’Assemblée fédérale le 12 mars 1998 et en vigueur depuis le 1er août 1998 (RO 2000 1935). Il a été précisé que l’exonération n’intervient du côté suisse que si les revenus ou la fortune ont été imposés en France. Ce principe est confirmé au paragraphe 1 de l’art. 25B de la convention (FF 1997 1028). Rien n’indique que le Conseil fédéral, en portant cette précision dans le Message concernant l’adoption de cette disposition n’exprimait pas la volonté des parties en rédigeant l’art. 25B § 1 in fine CDI CH-F.  

En outre, cette clause se rapproche de ce que l’on désigne sous le terme de clause d’imposition effective (« subject to tax clause »), ce que le Tribunal fédéral a du reste reconnu et interprété de la sorte en lien avec l’art. 18 de la CDI CH-Israël et le chiffre 5 de son Protocole (Convention entre la Confédération suisse et l’Etat d’Israël du 2 juillet 2003 en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu et la fortune; RS 0.672.944.91) qui contient une réserve similaire (ATF 143 II 65 consid. 3.3). Cette position a été approuvée par la doctrine (Robert Danon et Benjamin Malek; RDAF 2019 II 72 s.).  

Enfin, quoi qu’en pense la recourante, les parties contractantes peuvent, nonobstant l’effet négatif des conventions de double imposition, y insérer une clause d’imposition effective, si telle est bien leur volonté concordante (cf. Modèle de convention fiscale, version complète 2017, OCDE 2019, n° 35 ad art. 23A, p. C (23) -21). 

 En l’occurrence, il n’est pas contesté par les parties que les parts de la recourante dans la SCI ont été estimées à une valeur inférieure au seuil de perception de l’ISF, de sorte que cet impôt n’a pas été effectivement perçu. En conséquence, le droit de soumettre à l’impôt sur la fortune les parts que la recourante détient dans la SCI revient au canton de Vaud qui dispose d’une base légale à cet effet.  

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_365/2021 du 13 décembre 2022)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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