Action en délivrance du certificat de travail : le travailleur doit-il formuler le texte qu’il désire ?

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La recourante [l’employeuse] invoque une violation de l’art. 330a CO en lien avec sa condamnation à délivrer à la travailleuse un certificat de travail.

Selon l’art. 330a al. 1 CO, le travailleur peut demander en tout temps à l’employeur un certificat portant sur la nature et la durée des rapports de travail, ainsi que sur la qualité de son travail et sa conduite. 

Le choix de la formulation appartient en principe à l’employeur, conformément au principe de la bonne foi. Le travailleur n’a pas de droit à une formulation particulière.

 L’action en délivrance du certificat de travail, qui est une action condamnatoire se distingue de l’action en rectification du certificat de travail. La première est ouverte au travailleur qui n’a pas obtenu de certificat de travail de son employeur, tandis que la seconde vise à obtenir la modification du certificat de travail délivré, dont le contenu ne reflète pas la réalité, notamment parce qu’il est lacunaire, inexact, trompeur ou ambigu. 

Dans l’action en rectification du certificat de travail, le travailleur doit formuler lui-même le texte requis, de manière à ce que le tribunal puisse le reprendre sans modification dans son jugement. Il appartient au travailleur de prouver les faits justifiant l’établissement d’un certificat de travail différent de celui qui lui a été remis. L’employeur devra collaborer à l’instruction de la cause, en motivant les faits qui fondent son appréciation négative. S’il refuse de le faire ou ne parvient pas à justifier sa position, le juge pourra considérer que la demande de rectification est fondée.

 Dans l’action en délivrance du certificat de travail, la possibilité pour le travailleur d’en formuler lui-même le texte est controversée. 

L’ATF 129 III 177 envisage l’hypothèse dans laquelle le travailleur reçoit un certificat de travail au terme d’une action en délivrance, dont la formulation ne lui convient pas, ce qui l’amène à ouvrir action en rectification (ATF 129 III 177 consid. 3.3).

L’arrêt 4A_270/2014 du 18 septembre 2014 précise que « tant l’action en délivrance que celle en rectification doit être formulée clairement et contenir des conclusions précises ».

Dans plusieurs arrêts, le Tribunal fédéral n’a rien objecté au fait que le travailleur avait lui-même formulé un certificat de travail dans sa demande en délivrance de celui-ci, cette possibilité ne lui étant toutefois pas contestée par sa partie adverse (cf. not. arrêts 4A_327/2023 du 18 janvier 2024 Faits B.a; 4A_505/2018 du 3 juin 2019 Faits B.a; 4A_173/2018 du 29 janvier 2019 Dispositif ch. 2.4; 4A_205/2016 du 23 juin 2016 Faits B.a; 4A_285/2015 du 22 septembre 2015 faits B.; 4A_60/2014 du 22 juillet 2014 faits B.).

Une partie de la doctrine a interprété l’ATF 129 III 177 comme prescrivant une démarche en deux étapes : le travailleur qui ne dispose pas de certificat de travail, devrait d’abord ouvrir action en délivrance d’un certificat de travail, puis, après réception de celui-ci, l’éventuelle action en rectification avec formulation des modifications demandées (….).

Certains [autres] auteurs préconisent que le travailleur qui n’a jamais reçu de certificat de travail puisse conclure à la délivrance d’un certificat dont il établit lui-même le texte, en application par analogie des règles dégagées pour l’action en modification du certificat. Ainsi, le travailleur pourrait conclure à la délivrance du certificat de travail dont il dépose en annexe une formulation (…).

 Bien qu’un procès en délivrance d’un certificat portant sur la formulation de celui-ci puisse s’avérer complexe en raison des preuves à apporter concernant les prestations du travailleur, son attitude et son tempérament, la situation est identique dans l’action en rectification, dans laquelle le travailleur supporte le fardeau de la preuve de ce qu’il demande de corriger dans son certificat de travail.

Quant au principe selon lequel le choix de la formulation du certificat de travail appartient à l’employeur, celui-ci est de toute façon limité par le principe selon lequel le certificat doit être complet et exact.

Le travailleur qui conclut à la délivrance d’un certificat de travail dont il propose la formulation, facilite la détermination de l’employeur ainsi qu’une éventuelle conciliation portant sur son contenu. En revanche, le travailleur ne peut pas être contraint sous peine d’irrecevabilité de formuler un texte lorsqu’il introduit une action en délivrance d’un certificat de travail; la délivrance et la composition de celui-ci restant une obligation de l’employeur.

L’autorité de la chose jugée du jugement dans un tel cas dépendra des conclusions prises et du complexe des faits dans l’action en délivrance du certificat de travail.  Si le travailleur a conclu à la délivrance d’un certificat de travail avec un contenu déterminé, il ne pourra pas introduire ensuite d’action en rectification du certificat de travail obtenu, le contenu de celui-ci ayant acquis autorité de la chose jugée. Si le travailleur a seulement conclu à la délivrance d’un certificat de travail, il pourra engager ensuite une action en rectification si le contenu de celui-ci ne le satisfait pas, soit parce qu’il contient des erreurs, des lacunes, soit parce qu’il est trompeur ou ambigu.

En l’espèce la travailleuse demanderesse a fait valoir son droit à se voir remettre « un certificat de travail élogieux et selon le modèle figurant sous bordereau ». En annexe à sa demande, elle a joint un certificat de travail succinct, formulé par ses soins, portant sur la durée de ses rapports de travail et faisant notamment état d’un travail exécuté « à la pleine et entière satisfaction » de son employeur. Dans sa réponse, la défenderesse a contesté cet allégué sans développement : dans sa motivation, elle s’en est uniquement prise au contenu du certificat de travail signé par G.________, mais ne s’est aucunement déterminée sur le certificat déposé en annexe de la demande et dont la demanderesse concluait à la délivrance. 

La défenderesse a appelé du jugement la condamnant à délivrer à la travailleuse le certificat de travail déposé par celle-ci. Elle a soulevé un grief visant à en modifier le contenu. Elle s’est toutefois bornée à contester devoir y mentionner que la travailleuse avait exécuté ses tâches à la « pleine et entière satisfaction » de l’employeuse, compte tenu du motif de licenciement qu’elle a invoqué. La cour cantonale a considéré que le fait que la travailleuse avait travaillé à la pleine et entière satisfaction de l’employeuse n’était pas une indication trompeuse. De plus, la défenderesse n’avait pas proposé elle-même de formulation claire ni de conclusions précises en modification du certificat.

Au stade du recours en matière civile, la recourante soulève que la demanderesse n’était pas fondée à proposer une formulation du certificat de travail, dès lors qu’elle a introduit une action en délivrance du certificat de travail et non une action en modification de celui-ci. Elle invoque l’ATF 129 III 177 et le principe selon lequel le choix de la formulation du certificat appartient à l’employeur. 

De plus, la recourante invoque qu’au vu du motif de licenciement, la cour cantonale ne pouvait pas la condamner à délivrer un certificat de travail faisant état d’une exécution du travail par la travailleuse à « la pleine et entière satisfaction » de l’employeuse, sans violer l’art. 330a CO.

 Le grief de la recourante ne saurait prospérer. D’abord, la recourante se contredit lorsqu’elle soutient, d’une part, que la demanderesse ne pouvait pas formuler une proposition de texte dans une action en délivrance du certificat de travail, et, d’autre part, qu’elle s’en prend à la motivation de la cour cantonale, en invoquant que « ce n’est pas à l’employeur de proposer une formulation, mais bien au travailleur qui entend obtenir la délivrance d’un certificat d’une teneur déterminée ». Il appartenait en effet à l’employeuse de contester le contenu du certificat de travail proposé par la travailleuse dans sa réponse en première instance en formulant clairement ses griefs à l’encontre de celui-ci, ce qu’elle n’a pas fait. 

Ensuite, quant à son argument selon lequel la mention d’un travail exécuté « à la pleine et entière satisfaction » de l’employeur ne peut être admis que restrictivement, et en tout cas pas dans le cas d’espèce au vu du motif de licenciement, la prémisse sur laquelle elle se fonde (la fabrication, dans le dos de l’employeuse, d’un certificat de travail, justifiant un licenciement immédiat) a été écartée plus haut, le motif du licenciement ne justifiant pas que celui-ci soit immédiat. Au surplus, la recourante n’a jamais contesté que la travailleuse, dans l’exécution de son travail, lui a donné « pleine et entière satisfaction », ce qui signifie que, pour la recourante, la travailleuse a bien fourni des prestations d’une qualité au-dessus de la moyenne. Il n’y a donc pas lieu de revenir sur le contenu du certificat admis par la cour cantonale, qui mentionnait que le travail de la travailleuse avait donné à l’employeuse « pleine et entière satisfaction ».

Enfin, la recourante ne démontre pas avoir présenté son argument selon lequel le travailleur n’est pas fondé à proposer une formulation dans le cadre d’une action en délivrance du certificat de travail, devant la cour cantonale. Elle présente ainsi une argumentation nouvelle ne satisfaisant pas au principe d’épuisement matériel des griefs.

Pour autant que recevable, son grief doit donc être rejeté.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_50/2023 du 5 février 2024, consid. 6)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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