Amende administrative pour violation des dispositions genevoises sur le salaire minimum

Photo de Angela Roma sur Pexels.com

Le litige a pour objet le bien-fondé de la sanction infligée à la recourante par l’Office cantonal de l’inspection et des relations de travail (OCIRT). En effet, par décision du 17 août 2023, l’OCIRT a infligé à A______ [la recourante] une amende administrative de CHF 28’700.- en application de l’art. 39N al. 1 de la loi sur l’inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT – J 1 05), a mis à sa charge un émolument de CHF 100.- et réservé les procédures de contrôle et de mise en conformité, et ce en raison de violations des dispositions cantonales [GE] sur le salaire minimum.

Depuis le 31 octobre 2020, à la suite de l’adoption le 27 septembre 2020 de l’initiative populaire législative cantonale n° 173 « 23 frs, c’est un minimum! », la LIRT – outre son but originel de définir le rôle et les compétences en matière de prévention des risques professionnels et de promotion de la santé et de la sécurité au travail, de relations du travail et de paix sociale, de conditions de travail et de prestations sociales en usage à Genève, de collecte de données relativement aux entreprises et de main-d’œuvre étrangère (art. 1 al. 1 LIRT), de travailleurs détachés (art. 1 al. 2 LIRT) et de travail au noir (art. 1 al. 3 LIRT) – institue un salaire minimum afin de combattre la pauvreté, de favoriser l’intégration sociale et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine et définit les rôles et les compétences pour la mise en œuvre de ce salaire minimal (art. 1 al. 4 LIRT).

Le salaire minimum est réglé au chapitre IVB de la LIRT. Les relations de travail des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton y sont soumises (art. 39I LIRT), mais non les contrats d’apprentissage, les contrats de stage et les contrats conclus avec des jeunes gens de moins de 18 ans (art. 39J LIRT).

Selon l’art. 39J let. b LIRT, les contrats de stage sont ceux s’inscrivant dans une formation scolaire ou professionnelle prévue par la législation cantonale ou fédérale. Le conseil de surveillance du marché de l’emploi statue en cas de litige relatif à l’admission d’une exception.

Selon l’art. 56E RIRT, dans sa version en vigueur dès le 18 octobre 2023, les critères que doivent remplir les contrats de stage au sens de l’art. 39J let. b LIRT sont déterminés par le conseil de surveillance du marché de l’emploi (ci-après : CSME), statuant à l’unanimité (al. 1). Le CSME peut également, à l’unanimité, admettre à titre d’exception au sens de l’art. 39J let. b LIRT d’autres dispositifs assimilables, notamment dans le domaine de l’insertion professionnelle, respectivement sociale (al. 2). L’OCIRT publie, sous forme de directives, les critères propres aux stages et aux dispositifs assimilés sur le site Internet de l’État O______.

Dans sa version antérieure, l’art. 56E RIRT prévoyait que les contrats de stage au sens de l’art. 39J let. b LIRT étaient les stages : (a) d’orientation entre deux formations ; (b) de réinsertion professionnelle, respectivement sociale, régis par le droit fédéral ou cantonal ; (c) de réinsertion professionnelle, respectivement sociale, organisés par les communes, sous réserve de l’approbation unanime du CSME ; (d) prévus dans un cursus de formation ou (e) validés par un institut de formation.

Le site de l’OCIRT (https://www.ge.ch/engager-personne-stage/stages-formation-insertion-reconnus et https://www.ge.ch/ appliquer-salaire-minimum-genevois/qui-n-est-pas-soumis-au-salaire-minimum – état au 31 octobre 2023) indique que le salaire minimum genevois ne s’applique pas : (a) aux salariés âgés de moins de 18 ans révolus ; (b) aux apprentis ; (c) aux bénévoles ; (d) aux mesures et stages d’insertion sociale ou professionnelle prévus par la législation cantonale ou fédérale (par exemple : assurance invalidité, assurance chômage, aide sociale) ; (e) aux stages s’inscrivant dans une formation scolaire ou professionnelle prévue par la législation cantonale ou fédérale (par exemple : maturité professionnelle, ES, HES, Université). Il énumère les conditions fixées par le CSME pour chacune des catégories de stage, et précise qu’elles s’appliquent également aux entreprises non signataires des usages de l’OCIRT.

Par arrêtés annuels successifs (ArSML – J 1 05.03), le Conseil d’État a arrêté le salaire horaire minimum brut à :

CHF 23.- dès le 1er novembre 2020 ; CHF 23.14 dès le 1er janvier 2021 ; CHF 23.27 dès le 1er janvier 2022 ; CHF 24.- dès le 1er janvier 2023 ; CHF 24.32 dès le 1er janvier 2024.

Selon l’art. 39M LIRT, l’OCIRT et l’inspection paritaire des entreprises sont compétents pour contrôler le respect par les employeurs des dispositions sur le salaire minimum (al. 1). Tout employeur doit pouvoir fournir en tout temps à l’office ou à l’inspection paritaire un état détaillé des salaires versés à chaque travailleur et du nombre correspondant d’heures de travail effectuées (al. 2).

L’art. 39N al. 1 LIRT prévoit que lorsqu’un employeur ne respecte pas le salaire minimum, l’OCIRT peut prononcer une amende administrative de CHF 30’000.- au plus. Ce montant maximal de l’amende administrative peut être doublé en cas de récidive. Selon l’al. 2 de la même disposition, l’OCIRT peut également mettre les frais de contrôle à la charge de l’employeur.

Les amendes administratives prévues par la législation cantonale sont de nature pénale. Leur quotité doit ainsi être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal. En vertu de l’art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG – E 4 05), les dispositions de la partie générale du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP – RS 311.0) s’appliquent à titre de droit cantonal supplétif, ce qui vaut également en droit administratif sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 1 et 3 et 107 CP). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût‑ce sous la forme d’une simple négligence. L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP ; principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP).

La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP).

Il doit être également tenu compte, en application de l’art. 106 al. 3 CP, de la capacité financière de la personne sanctionnée. Sont pris en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.).

L’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu’en cas d’excès. Enfin, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.).

En l’espèce, la recourante soutient qu’elle a offert des stages et s’est conformée aux dispositions légales, de sorte que les rémunérations étaient soustraites au salaire minimum. Elle ne peut être suivie.

Elle n’a pas établi que les stages qu’elle affirme avoir offerts s’inscrivaient dans une formation scolaire ou professionnelle prévue par la législation cantonale ou fédérale, comme l’exige l’art. 39J let. b LIRT. (…)

La recourante a même échoué à établir qu’elle aurait véritablement offert des stages. Elle n’a produit aucun contrat de stage. Elle ne soutient pas avoir conclu de convention avec des institutions de formation. Elle ne démontre pas quel lien les stages auraient entretenu avec les formations que suivaient certains de ses employés ni quelles finalités formatrices ils auraient poursuivi dans ce cadre. Elle n’allègue pas qu’elle aurait fixé avec ses stagiaires des objectifs de formation. Elle n’affirme pas qu’elle les aurait encadrés, qu’elle aurait évalué leurs acquisitions et leur aurait délivré des certifications à la fin de leurs stages. Elle n’indique même pas en quoi consistaient exactement les stages et ce que ses stagiaires devaient y apprendre, se contentant d’évoquer de manière toute générale la découverte, la réorientation ou l’exploration de nouvelles voies.

La recourante admet dans ses écritures que compte tenu de ses moyens financiers limités et de son statut de start-up, elle employait notamment des stagiaires « pour compléter ses effectifs ». Cette affirmation suggère qu’elle employait ses stagiaires, dont bon nombre étaient déjà diplômés, à des tâches productives et pour un coût salarial particulièrement bas.

La recourante ne peut être suivie lorsqu’elle soutient qu’un simple profil Linkedin ou un curriculum vitae seraient de nature à établir que l’emploi de stagiaires était conforme aux exigences de la loi ou même tout simplement à avérer la réalité des stages qu’elle prétend avoir offerts. Elle a d’ailleurs admis elle-même qu’elle avait dû revoir son processus d’engagement de stagiaires pour le conformer au droit genevois.

C’est donc de manière conforme au droit que l’OCIRT a conclu que les « stages » que prétendait offrir la recourante n’entraient pas dans les exceptions prévues par la LIRT et que le salaire des « stagiaires » devait être conforme aux dispositions sur le salaire minimum.

La recourante se plaint de la violation de son droit d’être entendue. L’OCIRT n’aurait pas établi sa situation financière pour fixer l’amende.

À ce propos, l’OCIRT observe à juste titre qu’il était loisible à la recourante de faire valoir et documenter sa situation économique lorsqu’elle a été invitée à se déterminer sur les infractions reprochées et l’éventuel prononcé d’une sanction.

En outre, la recourante a pu faire valoir sa situation et produire sa comptabilité devant la chambre de céans, qui dispose d’un plein pouvoir d’examen, de sorte qu’une éventuelle violation de son droit d’être entendue serait réparée.

Le grief sera écarté.

La recourante se plaint enfin d’une violation du principe de proportionnalité.

Il ressort de la procédure que la recourante a rémunéré douze stagiaires CHF 500.- par mois. Trois d’entre eux ont également perçu des bonus allant de CHF 150.- à CHF 250.- par mois. Un stagiaire a perçu CHF 600.- et cinq stagiaires ont perçu à une ou plusieurs reprises CHF 1’000.- par mois. Les semaines de travail comptaient entre 40 et 42 heures, de sorte que les salaires minimaux dus selon la loi allaient de CHF 4’010.93 à CHF 4’235.14 brut par mois. La sous-enchère salariale qui en résulte est particulièrement importante pour chaque travailleur pris individuellement (CHF 500.- représentent 1/8e du salaire dû). Elle porte sur environ la moitié des effectifs de la recourante. Elle totalise CHF 274’327.‑, ce qui constitue un montant significatif. L’activité reprochée à la recourante a en outre duré de novembre 2020 à janvier 2023, soit plus de deux ans. Elle a été dictée par le dessein de réduire ses charges salariales et d’accroître son profit au détriment de ses travailleurs et de leur protection. Avertie par l’OCIRT de la sous-enchère salariale et invitée à la corriger, la recourante n’a ajusté que le salaire de sa femme de ménage. Elle a refusé de compléter les salaires de ses stagiaires et n’a pas produit la documentation réclamée par l’OCIRT. Sa collaboration ne peut être qualifiée de bonne.

La faute commise par la recourante apparait dans ces circonstances comme particulièrement grave. L’amende, dont le montant, arrêté à CHF 28’700.-, est proche du maximum prévu par la loi, apparaît proportionnée à la gravité de la faute de la recourante et apte à dissuader celle-ci de réitérer les agissements qui lui sont reprochés.

La recourante fait valoir que l’amende la menacerait de faillite. S’il ressort certes de son bilan pour l’année 2022 une perte de CHF 4’136’444.57 résultant du bilan, ce dernier affiche également un bénéfice de CHF 102’139.29 ainsi qu’une réserve légale issue du capital de CHF 3’722’399.- équivalant à plus de treize fois le capital‑actions, de CHF 285’661.- et ne comportant apparemment pas de contrepartie à l’actif. Le compte d’exploitation affiche pour sa part un résultat net d’exploitation pour l’année 2022 de CHF 623’384.25 pour un chiffre d’affaires de CHF 3’252’827.89. Il suit de là que l’amende ne saurait représenter elle-même une menace pour la viabilité de la recourante, laquelle semble plutôt fragilisée par la structure de son financement.

Le grief sera écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice [GE] ATA/217/2024 du 14.02.2024)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
Cet article, publié dans salaire minimum, est tagué , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire