Contrat de travail simulé entre un psychiatre et un psychothérapeute délégué

A et B ont signé un contrat intitulé « contrat de travail pour la psychothérapie déléguée » le 21.12.2018, et qui prévoyait l’exercice par B de psychothérapie déléguée dans le cabinet de A et sous sa surveillance, et qui contenait également certaines clauses usuelles d’un contrat de travail. A a délivré des fiches de salaires à B et l’a effectivement déclaré aux assurances sociales. A a par ailleurs signé une attestation établissant que B avait travaillé à raison de 20% pendant une certaine période, ce qui était alors une exigence dans le cadre d’une formation suive par B. Enfin A et B ont signé un contrat de sous-location portant sur l’usage exclusif d’une pièce au sein du cabinet A, permettant aussi à B de recevoir ses propres clients. B a également transféré le siège de sa société à cette nouvelle adresse. B a pris (ailleurs) un travail à 60% en 2020. B pouvait par ailleurs en tout cas partiellement décider de l’ampleur de son activité.

Avant le 01.07.2022, la psychothérapie déléguée par un médecin à un psychothérapeute était prise en charge par l’assurance si elle remplissait les conditions alors prévues par la LAMAL, soit que cette thérapie était exercée dans les locaux du médecin, sous sa surveillance et sa responsabilité. Il devait s’agir de mesures qui pouvaient être déléguées à un thérapeute non médecin compte tenu des règles de la science médicale, de l’éthique professionnelle et des circonstances concrètes du cas. Le médecin devait exécuter personnellement tous les actes strictement médicaux nécessités par la psychothérapie, notamment le diagnostic, le choix de la thérapie et la prescription de médicaments. Par contre l’exécution du traitement psychologique déterminé par le médecin pouvait être délégué au thérapeute.

Il n’existe pas de présomption que le contrat entre un psychiatre et un psychothérapeute délégué doive être qualifié de contrat de travail au sens des art. 319 ss CO. Les circonstances du cas d’espèce sont déterminantes, et les relations entre le psychiatre et le psychothérapeute délégué peuvent donc prendre la forme d’autres contrats.

Dans le cas d’espèce, A soutenait que le contrat de travail était simulé, et qu’il n’avait pour seul but que les prestations de B soient prises en charge par l’assurance-maladie. La question consistait dès lors à déterminer si le contrat de travail n’était intervenu qu’en apparence (art. 18 CO).

B ne consacrait pas toute sa force de travail à l’activité de psychothérapeute déléguée (clients propres, travail à 60% dès 2020). B n’était donc pas économiquement dépendante de A. Le « contrat de travail » ne prévoyait rien sur le temps de travail, le taux d’occupation, le droit au salaire en cas de maladie, les heures supplémentaires et l’obligation de diligence et de fidélité. La rémunération de B était fixée en fonction des honoraires encaissés par celle-ci (90% à B, 10% à A en plus du loyer), quand bien même A a établi (tardivement) des fiches de salaire. B a tardé à réclamer ce qu’elle considérait comme des arriérés de salaire, alors même qu’elle était assistée d’un avocat. Les cotisations sociales étaient acquittées exclusivement par B sur les honoraires reçus. C’est donc B qui supportait l’essentiel du risque économique. Enfin, la surveillance de l’activité de B par A (rencontre des patients, suivi des thérapies) découlait du système-même de la psychothérapie déléguée, et ne traduisait pas un rapport de sujétion propre au contrat de travail.

En conséquence, le contrat de travail était simulé, les parties ayant contracté uniquement pour que B puisse fournir ses prestations à charge de l’assurance maladie de base. Il n’y avait pas de rapport de sujétion, ni d’obligation de fournir un travail. La Cour ne retient pas davantage de prétentions fondées sur un autre contrat, dans la mesure où B a été rémunérée conformément à l’accord passé entre les parties sur les honoraires et non en vertu d’un « salaire » théorique.

(Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice CAPH/47/2024 du 3 juin 2024)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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