Les activités accessoires de l’officier supérieur

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A.________, né en 1964, a travaillé dès le 1 er mai 1997 en qualité d’instructeur auprès de l’Armée suisse. Il a notamment été engagé par le Centre de compétences des systèmes et de conduite des Forces terrestres, centre subordonné au Commandement des Opérations, du 1 er juillet 2018 au 30 juin 2020. A compter du 1 er juillet 2020, il a exercé une fonction au sein de l’Etat-major du Commandement de l’instruction (ci-après: l’employeur), poste qu’il avait précédemment occupé. Il a atteint en dernier lieu le grade de lieutenant-colonel. 

Le 19 janvier 2021, A.________ a indiqué à son employeur qu’il exerçait une activité accessoire en tant que membre du comité directeur de l’Association de soutien, de gestion et de promotion de la Patrouille des Glaciers (ASPdG). Sur demande de son employeur, il a présenté un aperçu de cette activité le 9 mars 2021. Lors d’un entretien le 19 mars 2021, le Chef du Commandement de l’instruction a informé A.________ qu’il ne pouvait pas accepter la demande d’exercer cette activité accessoire: un conflit d’intérêts avec sa fonction actuelle d’officier de carrière ne pouvait être exclu; les indemnités liées à cette activité étaient susceptibles de nuire à l’image de l’Armée suisse; l’investissement de temps pouvait avoir une influence négative sur sa capacité à remplir son cahier des charges. A la demande de l’employeur, A.________ a démissionné du comité directeur de l’ASPdG avec effet au 30 avril 2021. Constatant que A.________ avait commenté la composition du personnel de la Patrouille des glaciers sur la plateforme de réseau social Linkedln, son employeur l’a instamment prié de s’abstenir de tout autre commentaire public sur ces questions, le 8 juin 2021. 

Lors d’un entretien le 1 er septembre 2021, le Chef du Commandement de l’instruction a annoncé à A.________ qu’il envisageait de mettre fin au contrat de travail dans le délai de résiliation ordinaire, soit au 31 mars 2022, et de le suspendre avec effet immédiat: les informations erronées ou incomplètes fournies en lien avec l’activité accessoire en tant que membre du comité directeur de l’ASPdG ainsi que d’autres manquements avaient entraîné une détérioration irrémédiable de la relation de confiance. 

Selon des certificats médicaux établis dès le 25 août 2021, A.________ s’est trouvé en incapacité de travail, d’abord à 50% puis à 100% dès le 2 septembre 2021. Cette incapacité de travail est toujours actuelle.

Par décision du 25 mai 2022, l’employeur a résilié le contrat de travail de A.________ avec effet au 30 novembre 2022 et l’a suspendu avec effet immédiat. Pour l’essentiel, il était reproché au travailleur d’avoir, des années durant, de manière systématique et manifestement à dessein, fourni des informations erronées concernant son activité accessoire au sein du comité directeur de l’ASPdG. La déclaration du travailleur sur Linkedln était aussi mentionnée comme élément jetant le discrédit sur l’Armée suisse. 

Par arrêt du 26 septembre 2023, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours dirigé par A.________ contre cette décision.

Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d’annuler l’arrêt du Tribunal administratif fédéral du 26 septembre 2023 (ch. 2). Il sollicite d’être mis au bénéfice du délai de protection légal avec paiement du salaire avec effet rétroactif depuis le 1 er décembre 2022 (ch. 3). Il demande aussi, pour autant que la cause ne soit pas renvoyée à l’instance précédente pour nouveau jugement, l’allocation de deux indemnités équivalant à une année de salaire (ch. 4). Enfin, il conclut à la condamnation de la Confédération au paiement des frais et à une équitable indemnité pour ses propres dépens (ch. 5).  [….]

Le recourant soutient d’abord que son congé lui a été notifié en temps inopportun au sens des art. 31a al. 1 de l’ordonnance du 3 juillet 2001 sur le personnel de la Confédération (OPers; RS 172.220.111.3).

 A teneur de l’art. 31a al. 1 OPers, en cas d’incapacité de travailler pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur peut, une fois la période d’essai écoulée, résilier les rapports de travail de manière ordinaire au plus tôt pour la fin d’une période d’incapacité de travail d’au moins deux ans. Cette disposition reprend les principes dégagés à l’art. 336c CO en cas de résiliation en temps inopportun du contrat de travail. Cette dernière disposition a été introduite non pas du fait que l’état du travailleur au moment de la réception de la résiliation l’empêcherait de chercher un autre emploi, mais parce qu’un engagement par un nouvel employeur à la fin du délai de congé ordinaire paraît hautement invraisemblable en raison de l’incertitude quant à la durée et au degré de l’incapacité de travail (Message du Conseil fédéral du 9 mai 1984, in FF 1984 II 628). 

Cette disposition est inapplicable en cas de maladie dans la seule hypothèse où l’atteinte à la santé s’avère tellement insignifiante qu’elle ne peut en rien empêcher d’occuper un nouveau poste de travail (ATF 128 III 212 consid. 2c; en dernier lieu arrêt 4A_587/2020 du 28 mai 2021 consid. 3.1.1), ce que la jurisprudence retient lorsque l’incapacité de travail est limitée au poste de travail (arrêt 4A_391/2016 du 8 novembre 2016 consid. 5; STÉPHANIE PERRENOUD, in Commentaire romand CO, 3 e éd. 2021, ad art. 336c CO N 36; PORTMANN/RUDOLPH, in Basler Kommentar OR, 7e éd. 2020, ad art. 336c CO N 6). Cette jurisprudence est appliquée à la fonction publique sous la notion de « arbeitsplatzbezogene Arbeitsunfähigkeit » (arrêt 8C_451/2013 du 20 novembre 2013 consid. 6.3). 

A teneur de l’art. 4 al. 2 let. g de la loi fédérale du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération (LPers; RS 172.220.1), l’employeur emploie son personnel de façon adéquate, économique et responsable sur le plan social; il met en œuvre les mesures notamment propres à assurer la protection de la personnalité et de la santé ainsi que de la sécurité au travail de son personnel. Le harcèlement psychologique constitue par exemple une violation du devoir d’assistance de l’employeur, qui implique de protéger la personnalité du travailleur, selon l’art. 328 CO, disposition qui vaut également dans les relations de travail fondées sur le droit public (arrêt 8C_732/2016 du 26 septembre 2017 consid. 6.2).

 En l’espèce, l’instance inférieure a renoncé à trancher la question de savoir si le recourant était déjà empêché de travailler en raison d’une maladie au moment où l’intimé lui a communiqué les manquements reprochés et son intention de résilier les rapports de travail. Elle a en effet retenu que l’incapacité de travail en question était intimement liée au poste de travail de l’intéressé auprès de l’intimé. […]  […], en l’absence de harcèlement psychologique à l’encontre du recourant, l’intimé n’était pas tenu de prendre des mesures particulières pour protéger la personnalité ou la santé de son employé. Dans la mesure où le recourant dirige ses critiques exclusivement contre l’absence de mesures de protection de sa personnalité, mais ne remet pas en cause que son état de santé était intimement lié à son poste de travail, l’instance précédente pouvait retenir sans violer le droit que la période de protection ne s’appliquait pas. Le grief de violation des art. 31a al. 1 OPers et 4 al. 2 let. g LPers n’est donc pas fondé. Le recours doit être rejeté sur ces points. 

Le recourant conteste l’existence de motifs objectivement suffisants susceptibles de fonder une résiliation de son contrat de travail. Il formule un grief en lien avec le temps consacré à ses activités accessoires et relativise la portée du commentaire exprimé sur la plateforme de réseau social Linkedln. Il se plaint d’une violation de l’art. 10 al. 3 LPers. 

 Les rapports de travail entre la Confédération et son personnel sont régis par la LPers et par l’OPers, qui s’appliquent au personnel de l’administration fédérale (art. 1 et 2 al. 1 let. a LPers). Font partie de ce personnel notamment les militaires de métier et les militaires contractuels (art. 47 de la loi fédérale du 3 février 1995 sur l’armée et l’administration militaire [LAAM; RS 510.10]). A teneur de l’art. 10 al. 3 LPers, l’employeur peut résilier un contrat de durée indéterminée en cas de motifs objectivement suffisants, notamment en cas de violation d’obligations légales ou contractuelles importantes (let. a) et de manquements dans les prestations ou dans le comportement (let. b). 

Selon l’art. 20 al. 1 LPers, l’employé est tenu d’exécuter avec soin le travail qui lui est confié et de défendre les intérêts légitimes de la Confédération et de son employeur. L’employé a ainsi un devoir de gestion, qui vise l’accomplissement des tâches publiques, et un devoir de fidélité, dont l’obligation d’obéissance est le corollaire. S’agissant du personnel militaire, cette obligation est au surplus inhérente à la structure et à la mission de l’armée, l’art. 32 al. 2 LAAM disposant que les militaires doivent obéissance à leurs supérieurs dans les affaires relevant du service (ATF 149 I 129 consid. 3.2). S’agissant en particulier des activités accessoires, l’art. 91 OPers – qui s’inscrit dans le cadre de l’art. 23 al. 3 LPers relatif à l’abstention d’actes perturbant les relations de travail – prescrit de manière générale une obligation d’annonce (al. 1). Ces activités requièrent une autorisation si elles mobilisent l’employé dans une mesure susceptible de compromettre ses prestations dans l’activité exercée pour le compte de la Confédération (al. 2 let. a) ou si elles risquent, de par leur nature, de générer un conflit avec les intérêts du service (al. 2 let. b).

 Le principal manquement reproché au recourant concerne son activité au sein du comité directeur de l’ASPdG. Il convient sur ce point de se reporter aux faits établis par l’instance précédente. 

Le recourant a été membre du comité directeur de l’ASPdG de 2015 à avril 2021. Il n’a pas annoncé cette activité pour les années 2015 et 2016. Pour l’année 2017, il a annoncé qu’il exercerait une activité pour une autre association, l’Association Promotion du Sport et d’événements (APSE), qu’il y consacrerait annuellement 160 heures et qu’il percevrait 75 fr. d’honoraires par an. Le 19 janvier 2018, au moyen du processus électronique prévu à cet effet, le recourant a annoncé – pour la première fois – qu’il exercerait du 1er janvier 2018 au 30 juin 2019 une activité accessoire au sein du comité directeur de l’ASPdG. Il a précisé qu’il consacrerait annuellement 150 heures à cette activité et qu’il percevrait, par année, 500 fr. d’honoraires et 75 fr. de dédommagement pour ses frais. Sans avoir formulé d’autre annonce, le recourant a poursuivi cette activité pendant le second semestre de l’année 2019 ainsi que tout au long de l’année 2020, période pendant laquelle il a occupé la présidence de l’association durant quatre mois. Le 19 janvier 2021, le recourant a lancé le processus pour obtenir l’autorisation d’exercer la même activité accessoire pour une période allant du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2023. La procédure a ensuite établi que le recourant avait perçu de l’ASPdG, pour la période allant de 2015 à 2020, la somme totale de 169’368 fr. 75 à titre de salaire, d’indemnité et de bonus. Le recourant n’a jamais contesté ce montant.

Sur la base de ces éléments, référence étant faite aux dispositions légales applicables, les juges précédents ont statué que le recourant aurait dû annoncer son activité accessoire auprès de l’ASPdG dès 2015, alors qu’il n’avait procédé à une annonce correcte qu’en janvier 2018; il aurait aussi dû annoncer son activité à compter du 1er juillet 2019 et tout au long de l’année 2020. Les indications concernant sa rémunération étaient au surplus inexactes et de nature à induire en erreur son employeur. Enfin, le temps consacré à l’ASPdG représentait un taux d’occupation supérieur à 10% en 2018 et 2019 respectivement supérieur à 25% en 2020. A cela s’ajoutait que le recourant occupait, avec l’accord de son employeur, d’autres activités accessoires impliquant notamment 10 jours de congés payés par année en 2018 et 2021 pour se consacrer à la charge de conseiller municipal puis de syndic de sa commune.

 Un tel comportement contrevient manifestement au devoir général de diligence et de fidélité du travailleur prescrit à l’art. 20 al. 1 LPers et renforcé encore dans le cadre militaire. Cette violation crasse des obligations, que doit respecter un haut cadre de l’armée est suffisamment illustrée par les éléments suivants, entièrement imputables au recourant: non-respect des obligations prescrites pour annoncer les activités accessoires; omission de déclarer une activité accessoire importante en temps consacré et en rémunération perçue, cela sur plusieurs longues périodes; indications fausses données sur l’ampleur des rémunérations prévues. Au vu du temps qu’elle impliquait, cumulée avec d’autres activités autorisées dans les règles, l’activité accessoire litigieuse était susceptible de compromettre les prestations du recourant dans le cadre de son contrat de travail (art. 91 al. 2 let. a OPers). 

Dans ces conditions, l’instance précédente n’a pas violé le droit fédéral en considérant que les manquements graves et répétés rappelés ci-dessus constituaient des motifs objectivement suffisants pour entraîner une rupture du lien de confiance entre l’employeur et l’employé; elle pouvait aussi retenir que ces manquements constituaient une faute du recourant, laquelle justifiait la résiliation de son contrat. Comme ces éléments sont déjà suffisants en eux-mêmes pour fonder une résiliation ordinaire des relations de travail, point n’est besoin d’apprécier encore, dans ce contexte, la portée du commentaire désobligeant que le recourant a formulé sur une plateforme électronique.

Par conséquent, le grief tiré de la violation de l’art. 10 al. 3 LPers doit être rejeté.

Le recourant formule encore un grief de violation du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.) : il reproche en particulier à son employeur de ne lui avoir communiqué « aucun avertissement préalable » avant la résiliation des rapports de travail et d’avoir fait preuve d’une « absence complète de considération pour les conséquences très lourdes du licenciement décidé en termes de retraite et de pension ».

Sur le premier point, le recourant ne conteste pas que – comme le rappelle l’instance précédente – la loi ne mentionne pas l’avertissement à titre de préalable à une résiliation des rapports de travail. Il ne critique pas non plus spécifiquement les nombreux éléments retenus par les juges précédents pour estimer que, de toute manière, on ne pouvait faire grief à l’employeur de ne pas avoir prononcé un avertissement préalable puisque le lien de confiance était définitivement rompu.

Sur le second point, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de contrôler si l’application correcte du droit fédéral, en l’espèce l’art. 10 al. 3 LPers, est susceptible de porter atteinte au principe de proportionnalité. Les lois fédérales sont supposées intégrer cette dimension dans leur contenu.

Par conséquent, ces griefs doivent être aussi rejetés.

Le recourant prétend aussi que la résiliation de ses rapports de travail serait abusive. Il soutient à cet égard avoir fait l’objet de mobbing. Le harcèlement psychologique n’a cependant pas été démontré, de sorte que les faits susceptibles de rendre plausible que le congé serait abusif ne sont pas établis. 

Mal fondé, ce grief doit être écarté dans la faible mesure de sa recevabilité.

(Arrêt du Tribunal fédéral 1C_595/2023 du 26 mars 2024)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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