Fonction publique : obligation de domicile et intérêt public

La question est celle de l’obligation, imposée à certains agents publics, de résider à tel ou tel endroit (commune, canton, dans un rayon de X km, etc.) Il s’agit en effet d’une restriction manifeste à la liberté d’établissement (art. 24 Cst), qui doit obéir aux règles de l’art. 36 Cst.

La restriction doit d’abord reposer sur une base légale suffisante.

Il convient ensuite d’examiner si la restriction à la liberté d’établissement repose sur un intérêt public.

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral a jugé qu’il était généralement admis que l’État, en tant qu’employeur, puisse adopter des prescriptions sur le domicile d’un fonctionnaire dans le cadre des règles légales concernant les rapports de service. On pouvait invoquer une série de raisons objectives allant au-delà de la stricte nécessité du service. D’après la conception régnant en Suisse, il fallait s’efforcer de créer certains liens entre, d’une part, le fonctionnaire et, d’autre part, la population et la collectivité, de façon à ce que le fonctionnaire puisse avoir connaissance des problèmes de cette collectivité non seulement dans le cadre de son travail, mais aussi à titre privé (ATF 103 Ia 455 consid. 4a p. 457 s.).

Par la suite, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en ce sens que l’obligation de résidence devait être déterminée en fonction des critères des besoins du service ou des relations particulières avec la population, une limitation pour de simples raisons fiscales étant exclue (ATF 118 Ia 410 consid. 4a p. 413 s. ; 120 Ia 203 consid. 3a p. 205).

C’est ainsi qu’il a été admis qu’une obligation de résidence était justifiée par un intérêt public, notamment pour les fonctionnaires des corps de police et de pompiers (ATF 103 Ia 455 consid. 4a p. 457), pour des enseignants (ATF 115 Ia 207 consid. 3b p. 211 ; ATF 108 Ia 248 consid. 3a p. 251), pour le chef d’un bureau communal de contrôle des habitants (arrêt du Tribunal fédéral 2P.134/1991 du 3 avril 1992, cité in ATF 118 Ia 410 consid. 2 p. 412), pour un gardien de prison (ATF 116 Ia 382 consid. 3 p. 385 s.), de même que pour un greffier de tribunal d’arrondissement (arrêt du Tribunal fédéral P.388/1986 du 27 mars 1987). Cet intérêt a toutefois été nié dans le cas d’un chauffeur-ambulancier (ATF 118 Ia 410 consid. 4a p. 413 s.).

Dans le cadre d’une élection d’un préfet bernois, le Tribunal fédéral a jugé que l’obligation de résidence n’était pas seulement justifiée objectivement par une nécessité liée à l’activité, mais aussi en raison du fait qu’une telle fonction supposait une relation étroite avec la communauté dont elle relevait (ATF 128 I 34 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_335/2013 précité consid. 3.1).

Dans l’ATF 128 I 280, dans lequel un avocat demandait une dérogation à l’obligation de domiciliation pour l’activité notariale dans le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures, le Tribunal a modifié cette jurisprudence. Il a retenu que, dans le cas des notaires, une obligation de domicile ne pouvait pas être maintenue en raison des besoins du service ou des relations particulières avec la population. L’élément décisif était le caractère de puissance publique de l’activité. Vu la large autonomie dans l’exercice d’une tâche de puissance publique, l’activité en cause était comparable à certaines fonctions judiciaires ou à de hautes charges politiques ou encore à des fonctions dirigeantes, pour lesquelles on ne pouvait raisonnablement nier que la collectivité était légitimée à ne désigner que ses propres ressortissants. Cela découlait de l’idée démocratique fondamentale selon laquelle le pouvoir de l’État devait s’exprimer principalement à travers ses sujets eux-mêmes, la souveraineté appartenant également aux cantons au sein de la Confédération suisse. Il se pouvait également que, pour certaines catégories d’employés de l’État, pour lesquels, dans le passé, l’obligation de domicile avait été considérée comme compatible avec la liberté d’établissement, cette obligation ne puisse plus l’être aujourd’hui, notamment lorsqu’il ne s’agissait pas d’une véritable activité de puissance publique (ATF 128 I 280 consid. 4.3 p. 284 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_335/2013 précité consid. 3.2).

La restriction doit aussi obéir au principe de proportionnalité.

Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis.

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public.

Si l’obligation de résidence est en principe justifiée pour certaines catégories de fonctionnaires, la liberté d’établissement peut toujours déployer ses effets dans certains cas concrets lorsque des raisons prépondérantes (objectives ou subjectives) exigent des dérogations en vertu du principe de la proportionnalité (ATF 128 I 280 consid. 4.2 p. 284 ; 118 Ia 410 consid. 2 p. 410 ; 115 Ia 207 consid. 3c p. 211 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_335/2013 précité consid. 3.6.1).

(Exemple : sapeur-pompier professionnel, Ville de Genève – ATA/597/2016)

Me Philippe Ehrenström, Genève-Yverdon

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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