On a déjà parlé ici du salaire « excessif », i.e. de la tentation de l’actionnaire-employé d’une personne morale d’atténuer la double imposition économique des rendements de la fortune mobilière en augmentant la part de salaire de sa rémunération et en diminuant celle des dividendes (voir ici, là et encore ici par exemple) . L’actionnaire d’une personne morale doit en effet subir une première imposition au niveau de la société (impôt sur le bénéfice de la personne morale), puis une seconde au moment de la distribution du rendement (impôt sur le revenu de la fortune mobilière).
Les mesures prises pour réduire la double imposition économique des rendements de fortune, surtout depuis la deuxième réforme de l’imposition des entreprises (RIE II), ont toutefois fortement diminué l’intérêt économique d’une distribution cachée de dividende qui passerait par l’octroi d’un salaire ne répondant pas aux conditions de marché. La IIIe réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), bientôt soumise à référendum, en diminuant fortement les taux d’imposition des personnes morales, ne fera probablement que renforcer encore cette tendance en amenant plus d’acteurs économiques à choisir la forme de la société de capitaux.
La tentation « miroir » du salaire excessif s’est donc développée sous la forme du salaire « insuffisant », i.e. une rémunération de l’actionnaire-employé faisant la part trop belle aux rendements de la fortune mobilière, au détriment du salaire, et ce afin de profiter d’une fiscalité plus avantageuse pour les premiers.
La caisse de compensation de Nidwald a donc développé une pratique (dite « pratique de Nidwald ») selon laquelle, en cas de disproportion entre le montant du salaire et le dividende, la part du dividende excédant 15% du capital-actions était requalifiée en salaire déterminant pour l’AVS, i.e. cette rentrait dans le salaire soumis aux cotisations sociales. Cette pratique a, ensuite, été introduite dans les Directives sur le salaire déterminant (DSD) et reprise dans plusieurs jurisprudences.
Le Tribunal fédéral a eu ensuite l’occasion de préciser que l’importance du dividende devrait être calculée proportionnellement à la valeur économique réelle des droits de participation, et non uniquement sur la base de leur valeur nominale (ATF 134 V 297).
Le Tribunal fédéral considère aujourd’hui (ATF 141 V 634) qu’une requalification du dividende en salaire déterminant est possible quand, cumulativement, on est en présence d’une disproportion manifeste entre la prestation de travail et le salaire, ainsi qu’entre le capital investi et le dividende [voir aussi les DSD valables dès le 1er janvier 2016, ch. 2011.1 à 2011.15].
La première condition est vérifiée par le biais de statistiques disponibles sur le marché du travail, essentiellement le calculateur Salarium de l’Office fédéral de la statistique (https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/travail-remuneration/salaires-revenus-cout-travail/niveau-salaires-suisse/salarium%20.html), mais il y en a d’autres.
Pour ce qui est de la seconde condition, il y a présomption que les dividendes sont disproportionnés s’ils atteignent 10% de la valeur fiscale des droits de participation.
[N.Béguin et A.Martin formulent dans un article publié dans GesKR 2016, pp. 104-111 (La requalification de dividendes en salaire déterminant en matière d’AVS), des critiques convaincantes sur la pratique de Nidwald et son application, aujourd’hui confirmée par la jurisprudence et la pratique administrative. En particulier, il conviendrait d’établir une présomption sur le modèle des règles « safe haven /safe harbor » en droit fiscal quant au caractère disproportionné de la rémunération réelle par rapport aux données statistiques. Cela permettrait d’assurer plus de stabilité dans l’application de cette pratique, et plus de prévisibilité pour les acteurs économiques. Il serait aussi nécessaire de pondérer la règle relative au rendement approprié du capital en prenant en compte, notamment, le fait que certaines entreprises présentent de faibles besoins de fonds propres et les spécificités des professions réglementées.]
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m. (tax), Genève – Yverdon