Le litige porte sur la question de savoir si le bonus provisionné dans les comptes 2010 de la société et versé en 2011 à M. C______ doit être pris en considération dans le calcul pour 2011 du salaire admissible et du salaire excessif selon la méthode valaisanne.
Les art. 57 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD – RS 642.11) et 11 de la loi genevoise sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM – D 3 15) prévoient que l’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net. Le bénéfice net imposable comprend tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l’usage commercial tels que, notamment, les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial (art. 58 al. 1 let. b LIFD).
L’art. 63 LIFD fait état des provisions pouvant être constituées à la charge du compte des résultats.
Bien qu’elles ne le mentionnent pas expressément, les dispositions concernées de la LIFD visent notamment les distributions dissimulées de bénéfice, soit des prélèvements qui ne sont pas conformes au droit commercial et qui doivent donc être réintégrés au bénéfice imposable.
Selon la jurisprudence, il y a prestation appréciable en argent – également qualifiée de distribution dissimulée de bénéfice – devant être réintégrée dans le bénéfice imposable de la société, lorsque les conditions cumulatives suivantes sont réalisées : la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ; cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le touchant de près ; elle n’aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers ; la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que le caractère insolite de la prestation est reconnaissable par les organes de la société (arrêts du Tribunal fédéral 2C_421/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.1 et 2C_188/2008 du 19 août 2008 consid. 5.2 ; ATA/184/2015 précité consid. 5a ; ATA/623/2014 précité consid. 3b ; ATA/389/2014 précité consid. 2b ; ATA/736/2013 précité consid. 6 ; ATA/633/2011 du 11 octobre 2011 consid. 6). Il ne s’agit pas d’examiner si les parties ont reconnu la disproportion, mais plutôt si elles auraient dû la reconnaître (ATA/184/2015 consid. 5a ; ATA/623/2014 consid. 3b ; ATA/389/2014 consid. 2b).
En matière de fardeau de la preuve, il appartient à l’administration fiscale de prouver que la prestation de la société est disproportionnée car effectuée sans contrepartie. Si cette preuve est apportée, il revient à la société de renverser cette présomption et de prouver que les prestations en question sont justifiées par l’usage commercial afin que les autorités fiscales puissent s’assurer que seules des raisons commerciales, et non les étroites relations personnelles et économiques entre la société et les bénéficiaires de la prestation, ont conduit à l’octroi d’une prestation insolite.
En présence d’une prestation appréciable en argent, les conséquences fiscales sont multiples. Par exemple, au niveau de la société, l’autorité fiscale réintégrera la prestation dans les bénéfices imposables de celle-ci, alors qu’au niveau du bénéficiaire pourront se poser d’importantes questions en matière d’impôt anticipé et d’imposition de l’actionnaire.
Les prestations appréciables en argent peuvent apparaître de diverses façons. Ainsi, le versement d’un salaire disproportionné accordé à un actionnaire-directeur constitue une situation classique de distribution dissimulée de bénéfice. L’avantage octroyé doit s’expliquer par le lien particulier entre le bénéficiaire de la prestation et la société. Entrent avant tout en ligne de compte les actionnaires majoritaires. Ce qui caractérise objectivement la distribution dissimulée de bénéfice n’est pas l’influence que peut exercer l’actionnaire, mais le fait que la prestation n’aurait pas été effectuée ou aurait été notablement plus faible, si le bénéficiaire avait été une personne étrangère à la société.
Bien qu’il n’appartienne pas à l’administration de substituer sa propre appréciation en matière de salaire à celle de la société, la liberté de l’employeur n’est pas sans limite sous l’angle fiscal. En effet, la rémunération doit correspondre à celle qui aurait été octroyée à une tierce personne dans des circonstances identiques. Il s’agit de la sorte de s’assurer que le montant de la rémunération est justifié par des fins commerciales et non par le fait qu’il existe une étroite relation économique ou personnelle (actionnaire ou proche) entre le bénéficiaire de la prestation et la société.
En l’absence de points de comparaison suffisants avec le marché, la méthode la plus communément appliquée pour déterminer le salaire admissible d’employés actionnaires est la méthode valaisanne. Elle consiste à déterminer un salaire de base moyen, puis à l’augmenter d’une participation au chiffre d’affaires de la société (1 % jusqu’à CHF 1’000’000.-, 0,9 % jusqu’à CHF 5’000’000.- et 0,8 % au-delà, la participation étant doublée pour les sociétés de services afin de tenir compte de la marge brute élevée de ce type de sociétés) ainsi qu’une part au bénéfice (1/3 pour les sociétés employant moins de vingt collaborateurs et 1/4 pour les entreprises plus grandes).
En l’espèce, pour procéder à l’examen de l’admissibilité du salaire versé à l’actionnaire-employé, l’’administration s’est fondée sur la déclaration fiscale de la société et les pièces produites, soit le certificat de salaire de l’intéressé et les comptes de l’entreprise. Aucun de ces documents ne fait état de modalités particulières de détermination de la rémunération de l’actionnaire-employé. Le certificat de salaire établi pour l’année 2011 ne mentionne pas l’existence d’un bonus et aucune rubrique du compte d’exploitation ou du bilan n’est détaillée à ce sujet. De même, le paragraphe 2 consacré aux « provisions pour risques et charges » de l’annexe B « dettes et provisions 2010 » à la déclaration fiscale 2010 ne comporte aucun élément sur ce point. Or, il incombait à la société, conformément à la répartition du fardeau de la preuve rappelée ci-dessus, d’apporter la démonstration des éléments qui étaient, selon elle, susceptibles d’influencer la taxation. En l’absence d’explication, l’administration n’avait pas à envisager et à retenir un autre montant que celui qui figurait dans les certificats de salaires 2011.
En cours de procédure, la recourante a expliqué qu’une provision avait été créée en 2010, en vue de gratifier l’actionnaire-employé d’un bonus en 2011. Elle a cherché à démontrer cela par la production des extraits du compte 2002 « divers à payer » établi pour l’année 2010 et du compte 1______« salaire C______». Y est mentionnée la création, le 31 décembre 2010, d’une provision pour gratification brute 2010 de CHF 300’000.-. Or, comme cela a été déjà dit, l’existence d’une telle provision ne ressort pas de états financiers 2010 de la société et de l’annexe B à sa déclaration 2010.
Par contre, le bonus tout comme le salaire versés à l’actionnaire-employé ont été prélevés sur l’exercice 2011 et ont diminué le résultat 2011. Par conséquent, c’est à juste titre que l’administration s’est fondée sur le certificat de salaire produit et le salaire effectivement versé lors de l’année en cours pour déterminer si le salaire était excessif. D’ailleurs, le bonus ne pouvait être affecté à la taxation 2010, dès lors que tant qu’il n’était pas versé, son montant n’était pas définitivement connu (NB: contrairement à du salaire variable payé après l’exercice mais dont le montant est acquis et déterminé pendant celui-ci).
Pour ces motifs, l’argent de la rémunération que la société qualifie de bonus accordé à son administrateur-actionnaire unique doit être pris en considération pour la détermination de la part de rémunération devant être considérée comme excessive. Par conséquent, l’administration a procédé correctement et conformément au certificat de salaire, soit un document ayant force probante et corrélé par une annexe présumée exacte de la déclaration fiscale 2011 de la société.
(ATA/94/2016)
Pour en savoir plus sur le salaire et ses variantes :
Se former : Salaire, bonus, gratification, intéressement – comprendre et maîtriser les aspects légaux de la rémunération, Lausanne, 15 mars et 11 octobre 2016
Lire : Philippe Ehrenström, Le salaire. Droit du travail, fiscalité, prévoyance – regards croisés, Zurich, 2015