Licenciement abusif en cas de pluralité de motifs

IMG_4290 Selon l’art. 335 al. 1 CO, le contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties. Celles-ci sont donc en principe libres de résilier le contrat sans motif particulier. Toutefois, le droit de mettre unilatéralement fin au contrat est limité notamment par les dispositions sur le congé abusif au sens des arts. 336 ss CO.

Selon l’art. 336 al. 1 let. a CO, le congé est abusif lorsqu’il est donné par une partie pour une raison inhérente à la personnalité de l’autre partie, à moins que cette raison n’ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l’entreprise.

La maladie est une raison inhérente à la personnalité au sens de la disposition précitée. Toutefois, si elle porte atteinte à la capacité de travail, la maladie n’est pas considérée comme une cause abusive de résiliation. Ainsi, la résiliation des rapports de travail en raison d’une incapacité prolongée perdurant au-delà du délai de protection de l’art. 336c CO n’est pas abusive, à moins  que l’incapacité trouve sa cause dans une violation de ses obligations par l’employeur (harcèlement psychologique par exemple).

Pour qu’un congé soit abusif, il doit exister un lien de causalité entre le motif répréhensible et le licenciement. En d’autres termes, il faut que le motif illicite ait joué un rôle déterminant dans la décision de l’employeur de résilier le contrat. Lorsque plusieurs motifs de congé entrent en jeu et que l’un d’eux n’est pas digne de protection, il convient de déterminer si, sans le motif illicite, le contrat aurait tout de même été résilié: si tel est le cas, le congé n’est pas abusif.

En vertu de l’art. 8 CC, la partie congédiée doit prouver le caractère abusif du congé. En ce domaine, la jurisprudence a tenu compte des difficultés qu’il pouvait y avoir à apporter la preuve d’un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui a donné le congé. Selon le Tribunal fédéral, le juge peut présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n’a pas pour résultat d’en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de « preuve par indices ». De son côté, l’employeur ne peut rester inactif; il n’a pas d’autre issue que de fournir des preuves à l’appui de ses propres allégations quant au motif du congé.

Dans le même ordre d’idées, la jurisprudence a précisé qu’en cas de pluralité de motifs, dont l’un au moins s’avère abusif, il incombe à l’employeur de démontrer qu’il aurait licencié le travailleur même en l’absence du motif abusif (arrêt 4P.205/2000 du 6 mars 2001 consid. 3a, in JAR 2002 p. 238, cité dans les arrêts 4A_430/2010 du 15 novembre 2010 consid. 2.1.3 et 4A_19/2015 précité consid. 4.6).

En l’espèce, il ressort des constatations de fait opérées par la cour cantonale que le congé donné au demandeur reposait sur une pluralité de motifs, en ce sens que des difficultés économiques avérées ont conduit l’entreprise à réduire le personnel dans différents départements, dont celui auquel le demandeur était rattaché, où il a été décidé de supprimer l’un des deux postes de préparateurs de véhicules; le choix de licencier le demandeur plutôt que son collègue a été dicté par le fait que le premier était en incapacité de travail en raison d’actes de l’employeuse. Il s’avère ainsi que l’indisponibilité du demandeur due à son incapacité de travail a joué un rôle déterminant dans la décision de l’employeuse de résilier son contrat de travail. Or, comme la cour cantonale l’a retenu, l’incapacité de travail de l’employé provoquée par un comportement imputable à l’employeuse ne constitue pas un motif de congé digne de protection.

Alors que le demandeur a apporté des éléments suffisants pour que le juge en déduise qu’un motif abusif était à l’origine de son congé, l’employeuse n’a pas démontré qu’elle aurait licencié le demandeur même en l’absence du motif abusif. En bref, le demandeur a établi à satisfaction de droit qu’un motif abusif est à l’origine de son congé, et l’employeur n’a pas établi qu’il y aurait un autre motif non abusif.

Il résulte de ce qui précède que le licenciement du demandeur doit être tenu pour abusif au sens de l’art. 336 al. 1 let. a CO.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_437/2015 du 4 décembre 2015)

Sur le licenciement abusif:

Formation: Workshop Résiliation des rapports de travail (17 mars / 12 octobre 2016)

Lecture: Philippe Ehrenström, Le droit du travail suisse de A à Z, Zurich, 2015, pp. 118-120

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A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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