Salaire minimum

IMG_4639Le 27 novembre 2011, le peuple neuchâtelois a accepté un décret constitutionnel introduisant dans la Constitution de la République et canton de Neuchâtel du 24 septembre 2000 (Cst./NE; RS/NE 101) un nouvel art. 34a intitulé « salaire minimum », dont la teneur est la suivante:

L’Etat institue un salaire minimum cantonal dans tous les domaines d’activité économique, en tenant compte des secteurs économiques ainsi que des salaires fixés dans les conventions collectives, afin que toute personne exerçant une activité salariée puisse disposer d’un salaire lui garantissant des conditions de vie décentes. L’Assemblée fédérale a octroyé la garantie fédérale à l’art. 34a Cst./NE par arrêté fédéral du 11 mars 2013 (in FF 2013 2335, ch. 6).

Le 28 mai 2014, le Grand Conseil a (notamment)modifié comme suit la loi cantonale du 25 mai 2004 sur l’emploi et l’assurance-chômage (LEmpl/NE; RS/NE 813.10) :

Art. 21

1 Les employeurs appliquent des conditions de travail et de salaire conformes aux usages de la profession et de la région et veillent ainsi à ne pas provoquer de sous-enchère salariale, mais au contraire à offrir aux travailleurs un salaire leur garantissant des conditions de vie décentes, au sens de l’article 32d.

2 Ils fixent notamment les conditions de travail et de salaire de façon à exclure toute discrimination en raison de l’origine ou du sexe.

3 Ils se réfèrent pour le surplus aux conventions collectives de travail de la branche dans laquelle ils exercent leurs activités.

Art. 32a (nouveau)

L’institution du salaire minimum a pour but de lutter contre la pauvreté et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine.

Art. 32b (nouveau)

Les relations de travail des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton sont soumises aux dispositions relatives au salaire minimum.

Art. 32c (nouveau)

Le Conseil d’Etat peut édicter des dérogations pour des rapports de travail particuliers, tels que ceux s’inscrivant dans un contexte de formation ou d’intégration professionnelle.

Art. 32d (nouveau)

1 Le salaire minimum au sens de l’article 34a de la Constitution est de 20 francs par heure.

2 Ce montant est adapté chaque année à l’évolution de l’indice suisse des prix à la consommation du mois d’août de l’année précédente, l’indice de base étant celui du mois d’août 2014.

3 Par salaire, il faut entendre le salaire déterminant au sens de la législation en matière d’assurance-vieillesse et survivants, indemnités de vacances et pour jours fériés non comprises.

Art. 32e (nouveau)

Pour les secteurs économiques visés par l’article 2, alinéa 1, lettres d et e, de la Loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (LTr), du 13 mars 1964, le Conseil d’Etat peut fixer des salaires minimum dérogeant à l’article 32d, alinéa 1, dans le respect de l’article 32a.

Art. 76 (nouveau)

1 Les partenaires sociaux disposent d’un délai échéant le 31 décembre 2014 pour modifier les conventions collectives de travail existantes de manière à fixer des salaires satisfaisant aux exigences de l’article 32d.

2 A défaut d’accord dans le délai susmentionné, ou si le salaire minimum convenu est inférieur à celui fixé à l’article 32d, c’est ce dernier qui s’applique à partir du 1er janvier 2015.

Art. 76a (nouveau)

Sur préavis favorable de la commission tripartite « salaire minimum », au sens de l’article 77, prise à la majorité qualifiée des trois quarts de ses membres, le Conseil d’Etat peut exceptionnellement prolonger, au maximum jusqu’au 31 décembre 2016, le délai fixé à l’article qui précède lorsque la situation particulière d’une catégorie de travailleurs ou d’un secteur économique l’exige.

La loi portant modification de la loi sur l’emploi et l’assurance-chômage (LEmpl/NE) (salaire minimum) du 28 mai 2014 a été publiée dans la Feuille officielle de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: la Feuille officielle) du 13 juin 2014. Par arrêté du 7 juillet 2014, paru dans la Feuille officielle du 11 juillet 2014, le Conseil d’Etat de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: le Conseil d’Etat) a promulgué la loi du 28 mai 2014.

Cette modification législative a fait l’objet de quatre recours en matière de droit public. Les recourants invoquent notamment une violation de la liberté économique et de la primauté du droit fédéral. Ils considèrent également que la LEmpl/NE contrevient à certaines dispositions du Code suisse des obligations du 30 mars 1911 (CO; RS 220) en matière de contrat de travail et entrave l’application de la loi fédérale du 28 septembre 1956 permettant d’étendre le champ d’application de la convention collective de travail (LECCT; RS 221.215.311).

Lorsqu’il doit se prononcer dans le cadre d’un contrôle abstrait de normes, ce qui est le cas en l’espèce, le Tribunal fédéral s’impose une certaine retenue eu égard notamment aux principes découlant du fédéralisme et de la proportionnalité; il n’annule les dispositions cantonales attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit constitutionnel ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées de façon contraire à la Constitution et au droit fédéral. Pour en juger, il faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante, et des circonstances dans lesquelles ladite norme sera appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme aux droits fondamentaux. Les explications de l’autorité cantonale sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait.

La liberté économique fait partie des droits fondamentaux, qui confèrent des droits subjectifs justiciables aux particuliers dont ils protègent les intérêts (individuels) essentiels.

En vertu de l’art. 94 al. 1 Cst., la Confédération et les cantons respectent le principe de la liberté économique. De manière générale, l’Etat reconnaît que l’économie relève principalement de la société civile et qu’il doit lui-même respecter les éléments essentiels du mécanisme de la concurrence. Il est donc en règle générale interdit à l’Etat de prendre une quelconque mesure susceptible d’empêcher la libre concurrence dans le but d’assurer ou de favoriser certaines branches économiques ou certaines formes d’activité économique, voire de diriger la vie économique selon un plan déterminé. L’art. 94 al. 4 Cst. prévoit que les dérogations au principe de la liberté économique, en particulier les mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont prévues par la Constitution fédérale ou fondées sur les droits régaliens des cantons.

Contrairement aux mesures d’ordre économique, qui sont susceptibles d’entraver, voire même de déroger à la libre concurrence, les mesures étatiques poursuivant des motifs d’ordre public, de politique sociale ou des mesures ne servant pas, en premier lieu, des intérêts économiques (par exemple, aménagement du territoire, politique environnementale) sortent d’emblée du champ de protection de l’art. 94 Cst. La jurisprudence définit les mesures dites sociales ou de politique sociale en tant que mesures qui tendent à procurer du bien-être à l’ensemble ou à une grande partie des citoyens, ou à accroître ce bien-être par l’amélioration des conditions de vie, de la santé ou des loisirs.

D’après les recourants, le montant du minimum salarial, prévu à l’art. 32d LEmpl/NE, ne répondrait pas à de véritables motifs de politique sociale, mais relèverait de la politique économique contraire au principe de la liberté économique, dans la mesure où il ne se limiterait pas à ce qui est vraiment nécessaire au travailleur pour mener une existence décente. Ils considèrent par ailleurs que la méthode choisie par le législateur neuchâtelois pour fixer le montant de 20 fr. par heure sort du cadre de la politique sociale, dès lors qu’elle se fonde sur le modèle des assurances sociales, soit sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, sans égard notamment aux charges effectives des intéressés et leurs véritables conditions de vie, d’une part, et, sans tenir compte de l’ensemble des prestations offertes par l’employeur, soit d’éventuelles prestations en nature, la durée des vacances, les jours fériés, les heures supplémentaires, l’horaire et les autres conditions de travail, d’autre part.

Il sied donc de déterminer si les objectifs poursuivis par la révision de la LEmpl/NE relèvent de la politique sociale, que les cantons demeurent libres d’adopter, ou d’une mesure de politique économique, qu’en principe seule la Confédération serait en droit d’adopter, aux conditions de l’art. 94 Cst.

Aux termes de l’art. 32a LEmpl/NE, l’institution du salaire minimum a pour but de lutter contre la pauvreté et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine (art. 7 Cst.). Selon le Rapport du Conseil d’Etat, l’objectif principal de l’instauration d’un salaire minimum à Neuchâtel est d’assurer aux travailleurs des conditions de vie décentes. En 2014, le canton de Neuchâtel disposait d’un taux d’aide sociale de 7,2%, ce qui constitue le taux le plus élevé de Suisse (cf. Office fédéral de la statistique, Bénéficiaires de l’aide sociale et taux d’aide sociale par canton, 2014). Le Grand Conseil expose que, en 2013, 2’359 personnes exerçant une activité lucrative dans le canton de Neuchâtel étaient bénéficiaires de l’aide sociale. L’instauration d’un salaire minimum toucherait 4,3 % des travailleurs du canton de Neuchâtel – dont la majorité sont des femmes -, lesquels gagnent moins de 20 fr. par heure (cf. Rapport du Conseil d’Etat, p. 12 et 13). Dans son rapport, le Conseil d’Etat souligne que ces « working poor » (à savoir les travailleurs qui, bien qu’exerçant une activité réelle et effective, touchent un revenu qui ne suffit pas pour vivre ou faire vivre leur famille sont voués à la précarité et au soutien de l’aide sociale, malgré leur emploi (cf. Rapport du Conseil d’Etat, p. 2).

Il suit des motifs fournis par la loi cantonale et les travaux préparatoires que l’instauration d’un salaire minimum vise tant à lutter, de manière générale, contre la pauvreté dans le canton de Neuchâtel qu’à enrayer, de façon spécifique, le phénomène des « working poor », en améliorant les conditions de vie des travailleurs et en leur permettant de vivre de leur emploi sans devoir recourir à l’aide sociale étatique.

En ce qui concerne le montant d’un salaire minimum cantonal, le Tribunal fédéral a déjà jugé que les montants des salaires minima « devront se situer à un niveau relativement bas, proche du revenu minimal résultant des systèmes d’assurance ou d’assistance sociale, sous peine de sortir du cadre de la ‘politique sociale’ pour entrer dans celui de la ‘politique économique’ […] » (arrêt 1C_357/2009 du 8 avril 2010 consid. 3.3).

En l’occurrence, le salaire minimum instauré se fonde sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI. Celles-ci sont destinées à la couverture des besoins vitaux (cf. art. 2 al. 1 de la loi fédérale du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires; LPC; RS 831.30). D’emblée, cette circonstance répond donc à la préoccupation énoncée par la jurisprudence, en se limitant au cadre de la politique sociale. Par ailleurs, s’agissant de la méthode de calcul du montant litigieux, pour déterminer un salaire minimum qui garantisse à la fois des conditions de vie décentes et ne sorte pas du cadre de la politique sociale, les autorités cantonales disposaient de deux possibilités pour rester dans les limites fixées par le droit fédéral, à savoir se fonder sur le revenu minimal résultant des systèmes soit de l’assurance sociale, soit de l’assistance sociale (cf. arrêt 1C_357/2009 du 8 avril 2010 consid. 3.3). En se basant sur diverses études et rapports, notamment les travaux de la Commission extraparlementaire instaurée le 4 juillet 2012 et composée des principaux partis politiques du canton de Neuchâtel et de représentants des partenaires sociaux (ci-après: la Commission extraparlementaire), les autorités cantonales ont estimé que le modèle de l’aide sociale cantonale posait de nombreux problèmes pour le calcul d’un revenu minimum unique (cf. Rapport du Conseil d’Etat, p. 6). En effet, l’aide sociale prévoit, hormis un forfait fixe pour l’entretien, d’autres frais qui dépendent de la situation personnelle du bénéficiaire, tels que les coûts de son logement. Dans le cadre de la mise en oeuvre de l’initiative, les autorités cantonales ont en effet constaté que si elles partaient du système de l’aide sociale – comme le préconisent les recourants – cela aurait pour conséquence que les employeurs devraient enquêter sur la situation financière de chaque employé avant de fixer le salaire, ce qui posait des difficultés pratiques non négligeables (cf. Rapport du Conseil d’Etat, p. 2 et 6). Il n’était pas raisonnablement envisageable de déterminer un salaire minimum pour chaque travailleur fondé sur sa situation individuelle. Les autorités cantonales ont donc estimé qu’il était préférable de se fonder sur le revenu minimal net selon les prestations complémentaires (PC) à l’AVS/AI, lesquelles servent à venir « en aide lorsque les rentes et autres revenus ne permettent pas de couvrir les besoins vitaux » (cf. Rapport du Conseil d’Etat, p. 6). Les autorités cantonales ont, en outre, considéré, d’une part, qu’il se justifiait de prévoir un montant minimum permettant à toute personne salariée seule exerçant une activité lucrative à plein temps de subvenir à ses propres besoins, sans tenir compte, dans chaque cas particulier, de ses charges effectives, soit en particulier de la nécessité, le cas échéant, de contribuer à l’entretien des enfants dont elle a la charge. D’autre part, elles ont estimé que, dans la mesure où il s’agissait d’un seuil plancher, les autres éléments tels que la qualification et l’expérience de l’employé devaient être traités dans le cadre du partenariat social, notamment au travers des conventions collectives de travail (Rapport du Conseil d’Etat, p. 5). Or, dans la mesure où ces considérations sont motivées par des critères objectifs et raisonnables et qu’elles demeurent dans le cadre posé par la jurisprudence pour que l’instauration d’un salaire minimum soit considérée comme relevant de la politique sociale admissible, on ne voit pas que l’on puisse les qualifier de contraires au principe de la liberté économique.

En conclusion, les justifications fournies par les autorités à l’appui de l’introduction du salaire minimum cantonal dénotent, de façon prépondérante, des préoccupations de politique sociale et ne poursuivent pas, quoi qu’en disent les recourants, la finalité d’influencer la libre concurrence. La modification législative sous examen s’avère ainsi conforme au principe constitutionnel de la liberté économique. Il y a donc lieu d’écarter les griefs fondés sur l’art. 94 Cst.

Etant donné que la consécration d’un salaire minimum cantonal ne contredit pas le principe de la liberté économique dans sa dimension institutionnelle, il convient encore d’examiner si et, le cas échéant, dans quelle mesure la loi cantonale litigieuse se conforme, à l’aune des conditions prévues à l’art. 36 Cst., à la liberté économique individuelle dont les recourants se prévalent également.

Invocable tant par les personnes physiques que morales, la liberté économique (art. 27 Cst.) protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d’un gain ou d’un revenu. Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst.).

La novelle de la LEmpl/NE impose aux employeurs l’obligation de verser un salaire minimum déterminé aux travailleurs à bas revenu accomplissant leur activité dans le canton de Neuchâtel. Cette obligation limite le libre exercice de la liberté économique des employeurs sur le territoire du canton et représente dès lors une restriction à ce droit fondamental. Introduit par une modification de la LEmpl/NE adoptée par le Grand Conseil neuchâtelois, l’acte entrepris constitue une loi au sens formel, si bien que la restriction repose sur une base légale suffisante, au sens de l’art. 36 al. 1 Cst. Comme il a été vu auparavant, l’acte attaqué poursuit des objectifs de politique sociale, ce qui fonde un intérêt public reconnu au sens de l’art. 36 al. 2 Cst. Par ailleurs, on ne voit pas que l’acte attaqué porterait atteinte à l’essence de la liberté économique (cf. art. 36 al. 4 Cst.). Reste donc la question de savoir si, tel que le soutiennent les recourants, les dispositions litigieuses ne respectent pas le principe de la proportionnalité (cf. art. 36 al. 3 Cst.).

Le principe de la proportionnalité exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts.

Du point de vue de la règle de l’aptitude, les recourants ne peuvent être suivis lorsqu’ils affirment que le salaire minimum prévu par la réglementation litigieuse ne constitue pas un moyen propre à remédier à la pauvreté, objectif que le canton de Neuchâtel s’est fixé. Ce faisant, ils évoquent des arguments relatifs à l’opportunité ou la prérogative décisionnelle du législateur cantonal, sans toutefois démontrer concrètement en quoi le salaire minimum constituerait une atteinte disproportionnée à leur liberté économique. Il en va ainsi de l’avis des recourants selon lequel l’instauration d’un salaire minimum ne contribuera pas à diminuer le taux d’aide sociale dans le canton de Neuchâtel et pourrait, au contraire, avoir pour conséquence que les propriétaires de petites entreprises se trouvent dans l’incapacité de verser les salaires fixés par l’Etat et dès lors contraints de licencier du personnel. Il en va de même des autres arguments des recourants, tels que le fait que le Conseil fédéral aurait constaté que la pauvreté en Suisse serait due à des causes multiples et ne s’expliquerait qu’en partie par des salaires bas ou que l’instauration d’un salaire minimum ne saurait amener une amélioration des conditions de vie pour les personnes sans activité lucrative.

S’agissant du critère de la nécessité, les recourants soutiennent que les buts poursuivis par l’introduction du salaire minimum neuchâtelois peuvent être atteints par des mesures moins intrusives prévues dans des conventions collectives de travail et des contrats-types de travail. Ils relèvent, en particulier, que l’art. 360a CO permet d’édicter des salaires minima impératifs sur demande de la commission tripartite lorsque des situations de sous-enchères salariales répétées et abusives sont détectées.

Le but de l’instauration d’un salaire minimum cantonal n’est pas de lutter contre des situations de sous-enchères salariales répétées et abusives dans une branche économique ou une profession particulière, mais de lutter, de manière générale, contre la pauvreté dans le canton de Neuchâtel, afin que les travailleurs puissent subvenir à leurs besoins, sans recourir à l’aide sociale. Le problème des « working poor » dans le canton de Neuchâtel ne se limite d’ailleurs pas à un secteur économique (cf. Rapport du Conseil d’Etat, p. 9). En outre, comme le relève le Conseil d’Etat dans son rapport, pour les travailleurs non couverts par une convention collective, les commissions tripartites n’ont pas de moyen découlant du droit fédéral pour lutter contre la sous-enchère salariale, dans la mesure où leurs compétences se limitent à la possibilité de proposer aux autorités compétentes l’extension des dispositions d’une convention collective, mais uniquement si le secteur en est pourvu (cf. Rapport du Conseil d’Etat, p. 3). C’est donc à tort que les recourants estiment que le recours, considéré comme moins incisif, aux mesures prévues dans les CCT permettrait d’atteindre des résultats équivalents à ceux poursuivis par la législation querellée.

Sous l’angle du critère de la proportionnalité au sens étroit, les recourants considèrent que le tarif de 20 fr. par heure « dépasse de loin le montant permettant de garantir des conditions de vie décentes ». Ils reprochent en outre au législateur neuchâtelois de ne pas avoir tenu compte des salaires prévus dans les CCT et d’avoir instauré un salaire minimum pour tous les travailleurs, indépendamment de leur âge, de leur formation, ainsi que d’autres critères objectifs. Partant, la loi cantonale entreprise ferait, en substance, porter un fardeau économique disproportionné et déraisonnable aux employeurs concernés.

S’agissant de la fixation d’un tarif horaire minimum unique de 20 fr., le Grand Conseil explique de manière convaincante que l’art. 34a Cst./NE vise à assurer des conditions de vie décentes à toute personne exerçant une activité salariale dans le canton de Neuchâtel; l’art. 34a Cst./NE prévoit en effet que « l’Etat institue un salaire minimum cantonal dans tous les domaines d’activité économique ». Or, le montant permettant dans un même canton de vivre « décemment » ne diffère pas d’un secteur économique à l’autre, ni d’ailleurs en principe d’une personne à l’autre. Par ailleurs, le Grand Conseil a considéré qu’il n’était pas légitimé au regard du droit fédéral pour fixer des montants différents pour chaque secteur économique (cf. arrêt 1C_357/2009 du 8 avril 2010 consid. 3.3).

Contrairement à ce que prétendent les recourants, la réglementation litigieuse prend par ailleurs en considération les difficultés que certains secteurs spécifiques – en particulier agricoles – rencontrent dans l’application du salaire de 20 fr. par heure (art. 32d al. 1 LEmpl/NE), notamment en raison du nombre élevé d’heures pratiquées dans ce domaine, d’une concurrence importante et des faibles revenus que cette activité génère de manière générale (cf. propositions de la Commission parlementaire, p. 2 s. et annexe: il ressort des travaux préparatoires que les secteurs agricole, viticole et maraîcher ont particulièrement préoccupé la Commission parlementaire; celle-ci s’est d’ailleurs réunie à deux reprises avec des représentants de la Chambre neuchâteloise d’agriculture et de viticulture). L’art. 32e LEmpl/NE prévoit que, pour les secteurs économiques visés par l’art. 2 al. 1 let. d et e de la loi fédérale du 13 mars 1964 sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (LTr; RS 822.11) – soit certaines entreprises agricoles ou se livrant à la production horticole, lesquelles sont du reste exclues du champ d’application de la LTr -, le Conseil d’Etat peut fixer des salaires minima dérogeant à l’art. 32d al. 1 LEmpl/NE, dans le respect de l’art. 32a LEmpl/NE. L’art. 32e LEmpl/NE a pour but de concilier l’objectif d’un salaire décent avec la volonté de ne pas mettre en péril ces secteurs (cf. propositions de la Commission parlementaire, p. 3). La loi litigieuse permet en outre de tenir compte du fait que les employés dans ce secteur travaillent plus de 45 heures par semaine. Afin de concilier les limites posées par le droit fédéral, d’une part, et le risque que les entreprises agricoles et viticoles du canton ne puissent pas payer le salaire minimum prévu par la LEmpl/NE, d’autre part, la solution envisagée est de prévoir par voie réglementaire que ces travailleurs jouissent du même revenu mensuel minimum que les autres personnes exerçant une activité lucrative dans le canton de Neuchâtel; ils effectueront cependant un nombre plus élevé d’heures de travail par semaine selon un salaire horaire de l’ordre de 17 fr. par heure (cf. propositions de la Commission parlementaire, p. 3). Il convient également de relever que l’art. 32c LEmpl/NE investit expressément le Conseil d’Etat du droit d’édicter des dérogations pour des rapports de travail particuliers, tels que ceux s’inscrivant dans un contexte de formation ou d’intégration professionnelle. Enfin, les art. 77 et 77a LEmpl/NE prévoient qu’une commission composée de représentants des employeurs, des travailleurs et de l’administration observera l’application des dispositions relatives au salaire minimum pendant une période de huit ans, durant laquelle elle soumettra ses remarques et ses propositions au Conseil d’Etat.

Il suit de cette réglementation que l’introduction par le législateur cantonal d’un salaire minimum unique s’accompagne de suffisamment de clauses de souplesse et de réévaluations périodiques aux fins de sauvegarder l’intérêt à prémunir les travailleurs contre le phénomène des « working poor » et, simultanément, de tenir compte des situations particulières, qui se présentent notamment dans certains secteurs économiques.

En tant que les recourants perçoivent, toujours sous l’angle du critère de la proportionnalité au sens étroit, un rapport déraisonnable entre la détermination du montant du salaire minimum dans la loi attaquée et la liberté économique (entrepreneuriale) dans le canton, il est vrai que la question de savoir quel est le montant qui permettrait de garantir des conditions de vie décentes ne ressort ni de la législation fédérale, ni de la jurisprudence. Pour fixer le tarif horaire minimum, le Grand Conseil, auquel un grand pouvoir d’appréciation législatif doit être reconnu en la matière, s’est toutefois fondé sur des critères objectifs et raisonnables. Il est en effet parti du revenu minimal selon les prestations complémentaires AVS/AI pour une personne seule vivant dans le canton de Neuchâtel, en supposant que la personne travaille 52 semaines par année et 41 heures par semaine. La durée hebdomadaire de travail de 41 heures repose sur les données de l’Office fédéral de la statistique relatives à la durée normale du travail dans les entreprises selon les cantons (cf. Office fédéral de la statistique, « Durée normale du travail dans les entreprises selon les sections économiques et les cantons en heures par semaine », 2012). Le calcul du salaire comprend un montant destiné à la couverture des besoins vitaux, soit 19’219 fr. par année, auquel s’ajoute un montant de 13’200 fr. par année pour le loyer et les frais accessoires (depuis le 1er janvier 2015, le montant destiné à la couverture des besoins vitaux par année s’élève à 19’290 fr.; cf. Mémento, « Prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI », Centre d’information AVS/AI, 1er janvier 2015, p. 3). A cela s’ajoute encore le montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins, fixé par la Confédération pour le canton de Neuchâtel à 4’776 fr. par année, ce qui donne un revenu annuel minimal net total de 37’286 fr. (cf. Rapport du Conseil d’Etat, p. 7; Mémento, « Votre droit aux prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI », état au 1er janvier 2013, Centre d’information AVS/AI, décembre 2012, p. 5). Un montant annuel pour les cotisations aux assurances sociales de 4’573 fr. a été additionné pour arriver à un salaire minimum annuel brut de 41’759 fr., soit un salaire minimum brut horaire de 19 fr. 59 par heure, lequel a été arrondi à 20 fr. pour tenir compte notamment des frais potentiellement liés à l’acquisition du revenu (cf. Rapport du Conseil d’Etat, p. 6 à 8). En outre, selon le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), en 2010, selon la méthode appliquée et la source de données utilisées, le seuil de bas salaire en Suisse se situait entre 22 fr. et 23 fr. 90 de l’heure (cf. SECO, « Bas salaires en Suisse et alternatives à l’initiative sur les salaires minimums dans le domaine des conditions aux conventions collectives de travail étendues et à l’adoption de contrats-types de travail », CER-E août 2013, p. 6), ce qui dépasse le salaire cantonal de 20 fr. par heure prévu par la réglementation neuchâteloise (cf. aussi Rapport du Conseil d’Etat, p. 7).

On relèvera par ailleurs que les auteurs de l’initiative populaire neuchâteloise avaient initialement envisagé l’introduction d’un salaire horaire de 22 fr., lequel a été réduit à 20 fr. à la suite des négociations qui ont eu lieu dans le cadre des travaux législatifs. Le projet de loi jurassien mettant en oeuvre une initiative populaire similaire prévoyait un salaire minimum de 19 fr. 25 par heure. L’initiative populaire fédérale du 23 janvier 2012 pour l’introduction d’un salaire minimum en Suisse (initiative « Pour la protection de salaires équitables [initiative sur les salaires minimums] »), qui a certes été rejetée lors de la votation populaire du 18 mai 2014, proposait quant à elle un salaire minimum de 22 fr. par heure. En outre, dans le cadre d’une étude récente sur les pays de l’OCDE relative aux inégalités salariales, les calculs – pour la Suisse – ont été effectués sur la base « d’un hypothétique salaire minimal de 22 francs de l’heure » (Message du Conseil fédéral du 16 janvier 2013, p. 1120).

Sur la base de ce qui précède, il y a lieu d’admettre que la réglementation litigieuse fixe un tarif général dont le montant se situe dans une fourchette raisonnable et reposant sur des critères objectifs. De plus, la législation querellée contient des dispositions visant à modérer les effets négatifs potentiels de la loi attaquée sur la liberté économique des employeurs, moyennant un système de dérogations et de réévaluations périodiques cohérent. En conséquence, l’on ne saurait affirmer, dans le cadre du présent contrôle normatif abstrait, que l’instauration d’un salaire minimum d’un montant de 20 fr. par heure constitue une atteinte disproportionnée à la liberté économique des recourants.

En conclusion, la réglementation prévue constitue une mesure de politique sociale qui repose sur une base légale suffisante et poursuit un intérêt public reconnu par le droit constitutionnel. Elle n’apparaît par ailleurs pas disproportionnée et est en conséquence conforme à la liberté économique. Les griefs développés sous l’angle de l’art. 27 Cst. seront partant écartés.

Les recourants se plaignent également d’une violation du principe de la primauté du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.). Ils soutiennent, en substance, que les dispositions litigieuses seraient, d’une part, contraires à la répartition constitutionnelle et légale des compétences en matière de droit du travail et de fixation des salaires. D’autre part, elles violeraient le sens et l’esprit de l’art. 357 CO en relation avec l’art. 4 al. 1 LECCT et les conventions collectives en vigueur.

En vertu du principe de la primauté du droit fédéral ancré à l’art. 49 al. 1 Cst., les cantons ne sont pas autorisés à légiférer dans les matières exhaustivement réglementées par le droit fédéral. Dans les autres domaines, ils peuvent édicter des règles de droit pour autant qu’elles ne violent ni le sens ni l’esprit du droit fédéral, et qu’elles n’en compromettent pas la réalisation. Cela concerne en particulier les règles de droit public cantonal qui sont en concours avec le droit civil fédéral, dans leurs rapports avec ce droit. De telles règles, que les cantons peuvent édicter en vertu de l’art. 6 CC, ne sont admissibles qu’à la triple condition que le législateur fédéral n’ait pas entendu réglementer la matière de manière exhaustive, que les règles cantonales soient justifiées par un intérêt public pertinent et, enfin, qu’elles n’éludent ni ne contredisent le sens ou l’esprit du droit civil fédéral.

L’existence ou l’absence d’une législation fédérale exhaustive constitue donc le premier critère pour déterminer s’il y a conflit avec une règle cantonale. Toutefois, même si la législation fédérale est considérée comme exhaustive dans un domaine donné, une loi cantonale peut subsister dans le même domaine si elle poursuit un autre but que celui recherché par le droit fédéral. Ce n’est que lorsque la législation fédérale exclut toute réglementation dans un domaine particulier que le canton perd la compétence pour adopter des dispositions complétives, quand bien même celles-ci ne contrediraient pas le droit fédéral ou seraient même en accord avec celui-ci.

Enfin, il convient de relever que l’un des principes essentiels d’interprétation en matière de fédéralisme est celui de l’interprétation conforme à la Constitution. Ce principe prend un sens particulier dans ce domaine. Non seulement le Tribunal fédéral recherchera s’il est possible de conférer à la norme cantonale une portée qui la fasse apparaître comme conforme à la répartition des compétences et à la règle fédérale applicable, mais il s’efforcera encore d’interpréter cette règle fédérale de façon à éviter qu’elle entre en conflit avec la première. Tant qu’il est possible, d’après les méthodes et les principes d’interprétation traditionnels, d’établir une concordance entre les deux normes, il n’y a pas de conflit; celles-ci peuvent coexister, et le principe de la primauté du droit fédéral n’est pas violé.

La répartition des compétences entre la Confédération et les cantons en matière de droit du travail – dans le cadre duquel s’inscrit la problématique d’un salaire minimum – résulte de l’art. 110 Cst. pour le droit public et de l’art. 122 Cst. pour le droit civil.

En vertu de l’art. 122 al. 1 Cst., la législation en matière de droit civil et de procédure civile relève de la compétence de la Confédération.

En adoptant, en particulier, le CC et le CO, le législateur fédéral a entendu codifier l’ensemble du droit privé. Sous réserve des compétences que le droit privé fédéral a expressément laissées aux cantons (cf. art. 5 CC), le volet du droit privé fédéral relatif au droit du travail a été, par conséquent, exhaustivement réglementé par le droit fédéral.

Les règles relatives à la conclusion et aux effets des conventions collectives de travail sont fixées aux art. 356 ss CO et relèvent elles aussi du droit privé fédéral. L’art. 110 al. 1 let. d et al. 2 Cst. donne à la Confédération la compétence de légiférer sur l’extension du champ d’application des CCT, ce à quoi elle a exhaustivement procédé en adoptant la LECCT, qui permet d’étendre la validité de la convention collective à tous les employeurs et travailleurs de la branche considérée (art. 1er LECCT). Le Tribunal fédéral a précisé que la déclaration d’extension ne modifie pas le contenu de la convention collective de travail; la nature juridique du contrat collectif subsiste: il s’agit toujours de droit objectif né de l’accord entre deux sujets de droit investis à cet effet par le législateur (ATF 128 II 13 consid. 1 d/bb). Ainsi, même lorsqu’elles ont fait l’objet d’une décision d’extension par le Conseil fédéral, les CCT renferment du droit privé fédéral, y compris pour les personnes qui ne sont pas assujetties à la convention. Il s’ensuit que les clauses des CCT étendues conservent leur caractère de droit privé, sans réglementer par des prescriptions de droit public la relation entre les acteurs des arts et métiers et l’Etat.

Les rapports de travail ne sont pas uniquement soumis au droit privé (art. 319 ss CO), mais également à toutes sortes de prescriptions de droit public, adoptées par les cantons ou la Confédération, afin d’assurer une protection minimale des travailleurs. L’art. 342 al. 1 let. b CO rappelle d’ailleurs que « sont réservées les dispositions de droit public de la Confédération et des cantons sur le travail et la formation professionnelle ». S’agissant spécifiquement des CCT, l’art. 358 CO prévoit que le droit impératif de la Confédération et des cantons l’emporte sur la convention; toutefois, les dérogations stipulées en faveur des travailleurs sont valables, à moins que le droit impératif ne s’y oppose expressément. Le droit impératif au sens de l’art. 358 CO comprend toutes les dispositions impératives, fédérales ou cantonales, qui s’appliquent directement aux rapports de travail individuels ou collectifs, quels que soient la loi, l’ordonnance ou le règlement dont elles émanent.

La Confédération peut légiférer sur la protection des travailleurs et sur les rapports entre employeurs et travailleurs, conformément à l’art. 110 al. 1 let. a et b Cst. La Confédération dispose en la matière de compétences concurrentes non limitées aux principes. Elle a fait usage de ses compétences en adoptant la loi fédérale du 13 mars 1964 sur le travail (LTr ; RS 822.11) qui contient, notamment, des dispositions sur la protection de la santé. D’après la jurisprudence, avec l’adoption de la LTr et des ordonnances y afférentes, la Confédération a élaboré une réglementation très étendue concernant la protection générale des travailleurs (ATF 139 I 242 consid. 3.1 notamment).

En vertu de son champ d’application, la LTr règle d’une manière exhaustive la protection des travailleurs en tant que telle; la LTr n’empêche cependant pas l’adoption de mesures qui, sans avoir pour but principal de protéger les travailleurs, ont accessoirement un effet protecteur. D’une part, l’art. 71 let. c LTr réserve en effet les prescriptions cantonales et communales de police, notamment celles qui concernent la police des constructions, la police du feu, la police sanitaire et la police des eaux, ainsi que le repos dominical et les heures d’ouverture de certaines entreprises. D’autre part, elle ne fait pas obstacle à l’adoption de certaines mesures de politique sociale; ce même lorsque celles-ci ne sont pas expressément couvertes par l’art. 71 lit. c LTr, dont la formulation est du reste exemplative. Dans ces limites, les cantons restent partant libres d’édicter des dispositions de droit public visant un autre but que la protection des travailleurs.

En l’occurrence, l’examen des griefs développés au titre de la liberté économique a permis de conclure que la loi querellée poursuit les objectifs consistant tant à lutter contre la pauvreté qu’à enrayer le phénomène des « working poor » dans le canton de Neuchâtel, en améliorant les conditions de vie des travailleurs et en leur permettant de vivre de leur emploi sans devoir recourir à l’aide sociale (cf. aussi art. 32a [nouveau] LEmpl/NE qui prévoit que « l’institution du salaire minimum a pour but de lutter contre la pauvreté et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine »; comparer avec le nouvel al. 3 de l’art. 13 Cst./TI [RS/TI 1.1.1.1], adopté par vote populaire du 14 juin 2015 (cf. RS 131.229), selon la première phrase duquel: « Ogni persona ha diritto ad un salario minimo che le assicuri un tenore di vita dignitoso »). L’art. 21 al. 1 LEmpl/NE précise d’ailleurs que les employeurs veillent « à ne pas provoquer de sous-enchère salariale, mais au contraire à offrir aux travailleurs un salaire leur garantissant des conditions de vie décentes, au sens de l’art. 32d » (cf. également le Rapport du Conseil d’Etat au Grand Conseil à l’appui d’un projet de loi portant modification de la loi sur l’emploi et l’assurance-chômage (LEmpl) (Salaire minimum) du 4 novembre 2013, p. 2 et 6 [ci-après: Rapport du Conseil d’Etat], dans lequel celui-ci souligne « son attachement à la justice sociale, à la lutte contre les inégalités qui touchent une part croissante de la population [working poor] »).

Les objectifs ainsi poursuivis par la législation cantonale neuchâteloise relèvent, de façon prépondérante, de la politique sociale. Les mesures consacrées par la LEmpl/NE modifiée s’insèrent, par conséquent, dans la législation protectrice de droit public que les cantons demeurent en principe autorisés à adopter, en dépit des dispositions de droit civil fédéral relatives au travail, ainsi qu’en complément aux mesures de droit public fédéral que consacrent la LTr et ses ordonnances. On précisera, de surcroît, que la LTr ne régit pas la question des salaires minima, mais prévoit que, dans certaines situations, par exemple en cas de travail du dimanche, des suppléments de salaire doivent être versés (.

S’il se peut, certes, que de telles prescriptions cantonales déploient, indirectement, un effet protecteur pour les travailleurs, un tel effet est néanmoins admis dans la mesure où ces règles poursuivent un autre objectif principal que celui visé par la LTr. Or, en l’espèce, il apparaît, tel que le soutiennent également les autorités neuchâteloises (cf. Observations du Grand Conseil du 26 mai 2015 dans la cause 2C_813/2014; Rapport du Conseil d’Etat, p. 3), que les objectifs poursuivis par la LEmpl/NE dépassent de loin le but de protection des travailleurs que tend déjà à réaliser le droit public fédéral.

Il y a également lieu de rappeler que ce sont les cantons qui sont compétents en matière d’aide sociale (art. 115 Cst.), laquelle a pour but non seulement de fournir une aide matérielle, mais également de favoriser l’intégration professionnelle des personnes dans le besoin. L’aide matérielle est donc subsidiaire par rapport au revenu que les personnes concernées peuvent se procurer par leurs propres moyens en exerçant une activité lucrative. Cela suppose toutefois que les personnes exerçant une activité lucrative à plein temps perçoivent un revenu qui leur suffit pour vivre. L’art. 41 al. 1 let. d Cst. énonce en outre comme but social que la Confédération et les cantons s’engagent à ce que toutes les personnes capables de travailler puissent assurer leur entretien par un travail qu’elles exercent dans des conditions équitables.

Au vu de ce qui précède, les recourants affirment à tort que les cantons n’ont pas la compétence de fixer un salaire minimum pour des motifs de politique sociale.

Les recourants ne peuvent être davantage suivis lorsqu’ils soutiennent que, en vertu de l’art. 322 CO, le salaire convenu entre les parties ne peut de toute façon pas être inférieur au salaire usuel ou à celui fixé par un contrat-type de travail ou une convention collective. Comme le relève avec raison le Grand Conseil, l’art. 322 CO prévoit que l’employeur paie au travailleur – alternativement – le salaire convenu, usuel ou fixé par un contrat-type de travail ou par une convention collective, si bien que la systématique de l’art. 322 CO n’exclut pas qu’un salaire convenu puisse se situer au-dessous du salaire usuel et potentiellement affecter le droit de l’employé d’obtenir une rémunération suffisante pour vivre dignement. On ajoutera, de façon plus générale, que l’application d’un contrat individuel de travail, d’une CCT, voire du salaire usuel ne fait pas obstacle à ce qu’un canton définisse, à la manière d’un filet de sécurité, une limite salariale en-deçà de laquelle l’employé ne saurait être rémunéré.

Le grief tiré de la violation de la primauté du droit fédéral est dès lors rejeté.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_774/2014; 2C_813/2014; 2C_815/2014; 2C_816/2014 du 21 juillet 2017, destiné à la publication)

Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon

 

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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