
Le fondement légal de l’obligation de la prise en charge des coûts de vêtements professionnels est une question divisée sur laquelle la doctrine est divisée.
Selon le premier courant, cette obligation est fondée sur l’art. 327a CO (REHBINDER/STÖCKLI, in BK zum Arbeitsvertrag: Der Einzelarbeitsvertrag, Art. 319-330b OR, 2010, art. 327a CO n. 3 ; CARUZZO, Le contrat individuel de travail, 2009, n. 2). L’alinéa 1 de l’art. 327a CO dispose que l’employeur rembourse au travailleur tous les frais imposés par l’exécution du travail […]. Selon l’alinéa 2, les accords en vertu desquels le travailleur supporte lui-même tout ou partie de ses frais nécessaires sont nuls. Les vêtements professionnels tombent donc sous la catégorie de frais imposés par l’exécution du travail et sont sans exceptions pris en charge par l’employeur.
Selon le deuxième courant de doctrine, la question de la prise en charge des coûts des vêtements professionnels est traitée par l’art. 327 CO (PROBST, in Stämpfli Kommentar zum Arbeitsvertrag, 2021, Art. 327 OR, n. 3 ; PORTMANN in BSK zum Obligationenrecht I, 7e éd. 2019, art. 327 CO n. 8 ; MÜLLER /STENGEL, Berufskleidung im Arbeitsrecht – Vorschriften, Kostentragung, Depot, in PJA 2011, p. 228 ss ; MAHON, in Le contrat de travail – Code annoté, 2e éd. 2010, art. 327a CO, n. 1.2). En vertu de l’alinéa 1 de l’art. 327 CO, sauf accord ou usage contraire, l’employeur fournit au travailleur les instruments de travail et les matériaux dont celui-ci a besoin. L’alinéa 2 dispose que si, d’entente avec l’employeur, le travailleur fournit lui-même des instruments de travail ou des matériaux, il est indemnisé convenablement, sauf accord ou usage contraire.
En l’espèce, la Cour examinera l’obligation de prise en charge sur la base de l’art. 327 CO, les vêtements ayant été fournis par l’employeur. C’est du reste la base légale retenue tant par le premier juge que par le recourant. Elle précise que, sur le vu de ce qui va suivre, la base légale finalement retenue n’a pas d’influence sur le sort de la cause.
Se pose désormais la question de savoir ce qu’il faut comprendre par habits professionnels. Ces derniers ne sont définis ni dans la loi, ni dans le message (cf. a contrario Message du 25 août 1967 concernant la révision des titres dixième et dixième bis du code des obligations, FF 1967 II 348 s.)
MÜLLER/STENGEL propose de manière concluante une définition en cascade (MÜLLER/STENGEL, p. 222 ss). D’abord, ils précisent la différence entre habits de travail et habits professionnels. Celle[1]ci est importante, dans la mesure où seuls les habits professionnels sont concernés par l’art. 327 CO et donc susceptibles d’être pris en charge par l’employeur (MÜLLER/STENGEL, p. 229 ss).
Par habits de travail, il faut comprendre tout habit porté pendant l’exercice d’une activité professionnelle. L’habit de travail est ainsi un terme générique qui comprend notamment les habits professionnels. Par habits professionnels, il faut comprendre tout habit qui est porté typiquement pour l’exercice d’une certaine activité professionnelle. L’habit en question n’a pas à être destiné exclusivement à l’activité professionnelle concernée pour être qualifié d’habit professionnel. Les habits professionnels se divisent en trois sous-catégories. La première catégorie concerne les habits de protection. Cette catégorie comprend tout habit qui protège des effets négatifs ou de dangers dans le cadre de l’exercice de l’activité professionnelle. Cette notion trouve des précisions dans le commentaire du SECO relatif à l’art. 27 OLT 3 (www.seco.admin.ch, rubrique Travail, Conditions de travail, loi sur le travail et ordonnances, commentaires relatifs à la loi sur le travail et ses ordonnances, commentaire des ordonnances 3 et 4 relatives à la loi sur le travail [consulté le 15 mars 2022], selon lequel » Les équipements dédiés à la protection de la santé en général doivent protéger contre toutes sortes de facteurs de risque : la chaleur ou le froid gênants, l’humidité, le vent ou les courants d’air, les poussières, les allergènes, la suie, les substances irritantes liquides ou gazeuses « . Dans la deuxième catégorie tombent les uniformes de travail. Ceux-ci ont une fonction de « corporate Identity » et servent à offrir un caractère distinctif aux travailleurs pour donner de la visibilité à l’employeur (MÜLLER/STENGEL, p. 224). On notera qu’un habit peut revêtir autant une fonction d’uniformité qu’une fonction de protection (MÜLLER/STENGEL, p. 224). La troisième catégorie concerne tout habit qui ne correspond pas à la première et la deuxième catégorie mais qui reste néanmoins un habit porté typiquement pour l’exercice d’une certaine activité professionnelle (MÜLLER/STENGEL, p. 224), qu’on nommera ici habits professionnels divers. Pour entrer dans cette catégorie d’habit, encore faut-il que les habits en question soient nécessaires, soit qu’il ne soit pas raisonnable pour le travailleur d’exercer son activité professionnelle dans des habits normaux, par exemple en cas d’usure particulièrement rapide de vêtements, d’humidité ou encore d’activité salissante.
L’art. 327 CO pose une présomption de prise en charge par l’employeur des coûts des habits professionnels. Cette présomption tombe si un accord contraire explicite ou un usage prévoit une prise en charge des coûts par l’employé. Un accord contraire peut ressortir notamment d’une convention collective de travail ou d’un contrat-type. Cette logique s’applique autant à la deuxième (uniforme) qu’à la troisième catégorie (habits professionnels divers). La prise en charge des coûts d’habits de protection est réglée quant à elle par l’art. 6 loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (Loi sur le travail, Ltr; RS 822.11), qui s’applique comme lex specialis aux dispositions du Code des obligations en vertu de l’art. 342 let. b CO et impose une obligation de prise en charge des coûts des vêtements de protection par l’employeur. Dès lors, des stipulations ou usages contraires au sens de l’art. 327 CO ne sauraient instaurer d’exceptions à cette règle.
En l’espèce, les habits en question protègent notamment de l’usure, du vent, du froid et de la poussière. Le haut est composé d’un gilet jaune fluorescent avec des bandes grises réfléchissantes ainsi que d’une veste de couleur foncée, et le pantalon est partiellement jaune fluorescent avec de bandes grises réfléchissantes. De plus, le nom de l’entreprise employeuse figure en grand sur le dos de la veste. Il est évident que de tels vêtements sont nécessaires pour travailler sur un chantier et qu’il ne viendrait à l’idée de personne d’aller travailler sur un chantier avec des habits ordinaires de ville ou de loisirs, que ce soit pour des raisons de sécurité, d’usure, de sérieux ou de simple protection contre les salissures. De plus, de tels habits sont destinés à l’activité sur le chantier ou professionnelle et ne peuvent pas être portés le reste du temps, que ce soit pour les loisirs ou pour d’autres activités de la vie courante. Finalement, le logo de l’entreprise figure de manière bien visible au dos de la veste de telle sorte que le caractère d’uniforme du vêtement est également donné. Il s’agit donc d’habits professionnels dont la prise en charge découle des règles prévues par l’art. 327 CO, à savoir par l’employeur, sauf existence d’un accord ou d’un usage contraire, lequel n’a pas été établi. En effet, comme l’a retenu le premier juge, la convention collective nationale du secteur de la construction ne règle pas cette question et il n’a pas été établi qu’un règlement de la défenderesse obligeant le recourant ou qu’un accord particulier entre cette dernière et le recourant a porté sur la question du financement des habits. L’existence d’un accord spécifique dérogeant à la règle de l’art. 327 CO n’a pas été prouvée non plus. Il s’ensuit l’admission du recours sur cette question sans qu’il ne soit encore nécessaire d’examiner si les habits en question sont des équipements individuels de protection au sens de l’art. 27 OLT 3, lesquels seraient nécessairement pris en charge par l’employeur.
(Arrêt de la IIe Cour d’appel civil du Tribunal cantonal (FR) 102 2021 188 du 15.03.2022)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)