La résiliation conventionnelle des rapports de travail

Photo de Pixabay sur Pexels.com

Aux termes de l’art. 341 al. 1 CO, le travailleur ne peut pas renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultant de dispositions impératives de la loi ou d’une convention collective. Cette disposition ne prohibe que la renonciation unilatérale du travailleur à des droits qu’elle protège.

L’art. 341 al. 1 CO n’interdit donc pas aux parties de rompre en tout temps le contrat de travail d’un commun accord (convention de résiliation; Aufhebungsvertrag), les parties empêchant ainsi la naissance de nouvelles prétentions. Si toutefois leur convention emporte renonciation du travailleur à des prétentions (existantes) de droit impératif, un tel accord n’est valable que sous la forme d’une véritable transaction, comprenant des concessions d’importance comparable de la part de chaque partie. En passant une convention de résiliation, le travailleur perd notamment ses droits à la protection contre les licenciements abusifs (art. 336 ss CO); en particulier, l’art. 336c CO (licenciement en temps inopportun / délai de protection) ne s’applique plus.

En l’absence de concessions réciproques, l’accord ne produit aucun effet. S’agissant des conséquences juridiques d’un accord de résiliation qui ne sortit aucun effet, il convient de faire abstraction dudit accord et d’appliquer, en ses lieu et place, les dispositions relevant du régime légal ordinaire, c’est-à-dire les règles du Code des obligations ou d’une convention collective de travail qui régissent l’extinction des rapports de travail, seul étant disputé le point de savoir si ceux-ci prennent fin, nonobstant le défaut de validité de l’accord en question, ou s’ils se poursuivent de ce fait sous réserve du cas particulier visé par l’art. 336c al. 2 CO. En d’autres termes, il y a lieu de replacer les parties dans la situation qui serait la leur si elles n’avaient pas conclu l’accord de résiliation.

Lorsque, comme c’est généralement le cas, il a été mis fin aux rapports de travail, au moyen de l’accord inefficace, avant l’expiration du délai de résiliation, il faut se demander si l’employeur aurait résilié le contrat de manière ordinaire ou avec effet immédiat dans l’hypothèse où l’accord de résiliation n’eût pas été conclu. Suivant la réponse apportée à cette question, le travailleur pourra soit faire valoir une prétention de salaire jusqu’à la fin du délai de résiliation ordinaire, le cas échéant pour la durée prolongée découlant de l’application des art. 324a et 336c CO, soit réclamer des dommages-intérêts et une indemnité fondés sur l’art. 337c al. 1 et 3 CO

L’art. 341 al. 1 CO ne fait pas non plus obstacle à une transaction (Vergleich) sur les modalités de la fin des rapports de travail, à condition qu’il y ait une équivalence appropriée des concessions réciproques, c’est-à-dire que les prétentions auxquelles chaque partie renonce soient de valeur comparable. Le travailleur ne peut pas disposer librement des créances résultant de dispositions impératives de la loi ou d’une convention collective et, en particulier, il ne peut pas y renoncer sans contrepartie correspondante. La transaction ne visant que les modalités de la fin des rapports de travail (et non en soi la résiliation du rapport contractuel), les dispositions légales relatives à la protection contre les congés (art. 336 ss CO, en particulier l’art. 336c CO) ne sont pas concernées et les parties y restent soumises. Ainsi, lorsque l’employeur résilie unilatéralement le contrat et qu’il passe simultanément ou postérieurement un accord régissant les modalités de la fin du contrat, l’acceptation de la résiliation par l’employé est à elle seule insuffisante pour admettre qu’il a renoncé (implicitement) à la protection que lui assurent les art. 336 ss CO.

Ces deux accords ci-dessus se distinguent en ce sens que la convention de résiliation vise à empêcher la naissance de nouvelles prétentions, tandis que la transaction (régissant les modalités de la fin des rapports de travail) implique la renonciation à des prétentions existantes (et, partant, présuppose le respect des exigences tirées de l’art. 341 al. 1 CO). Dès lors, si les parties entendaient exclure la protection conférée au travailleur par les art. 336 ss CO, l’accord sera qualifié de convention de résiliation (qui présuppose la renonciation à une éventuelle contestation future du congé); dans la situation inverse (la protection des art. 336 ss CO n’est pas écartée), l’accord sera qualifié de transaction.

Savoir si les parties ont passé l’un ou l’autre de ces deux accords et, partant, la qualification juridique de leur accord, est affaire d’interprétation de leurs manifestations de volonté, conformément aux principes développés par la jurisprudence et donc sans égard aux termes inexacts dont elles ont pu se servir (art. 18 al. 1 CO).

Une résiliation conventionnelle du contrat de travail ne doit toutefois être admise qu’avec retenue. Elle suppose notamment que soit prouvée sans équivoque la volonté des intéressés de se départir du contrat. Lorsque l’accord est préparé par l’employeur, il faut en outre que le travailleur ait pu bénéficier d’un délai de réflexion et n’ait pas été pris de court au moment de la signature.

Exemple no 1 :

Dans le cas d’espèce, il résulte clairement de l’accord conclu par les parties que l’employé s’est engagé à ne déposer aucune action devant un tribunal découlant de l’emploi et/ou de sa résiliation – ce qui revient à renoncer à une éventuelle prétention future découlant de règles impératives, notamment à son droit de contester la résiliation ordinaire qui lui a été signifiée au motif qu’elle serait abusive -: l’accord doit donc être qualifié de convention de résiliation ( Aufhebungsvertrag), que l’on se fonde sur la volonté réelle des parties ou, subsidiairement, comme semble le faire la cour cantonale, sur le principe de la confiance.

Lorsqu’il vérifie si la convention de résiliation, qui est une transaction, respecte l’art. 341 al. 1 CO, le tribunal doit s’assurer que la renonciation du travailleur soit compensée par une prestation comparable de l’employeur. Comme la transaction a pour but de résoudre une situation incertaine et litigieuse, il ne faut pas poser des exigences trop strictes pour admettre sa validité; il est suffisamment tenu compte du besoin de protection du travailleur si la transaction conduit à un règlement équitable de la situation.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_13/2018, 4A_17/2018 du 23 octobre 2018)

Exemple no 2 :

Ce qui précède est à distinguer de la transaction extrajudiciaire ordinaire, contrat synallagmatique et onéreux au moyen duquel les parties mettent fin, par des concessions réciproques, à une incertitude subjective ou objective touchant les faits, leur qualification juridique, l’existence, le contenu ou l’étendue d’un rapport de droit. Les concessions réciproques peuvent notamment prendre la forme d’une reconnaissance de dette, d’une remise de dette, d’une remise d’intérêts moratoires ou de délais de paiement. De telles concessions, qui n’ont nullement besoin d’être égales, ont été admises par exemple dans le cas où le débiteur avait reconnu l’intégralité de la créance litigieuse et avait obtenu en contrepartie des facilités de paiement. En tant que contrat, la transaction extrajudiciaire est en principe soumise aux règles sur les vices du consentement.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_90/2018 du 31 août 2018, consid, 3.2.1)

Exemple no 3 :

En l’espèce, il est constant que la défenderesse (= l’employeuse) a pris l’initiative de la résiliation des rapports de travail en rédigeant une lettre de congé et en la présentant le 12 avril 2011 à la demanderesse (= l’employée) qui reprenait son travail après un arrêt maladie. Comme l’ont relevé à raison les juges cantonaux, les termes utilisés dans cet écrit ne permettent pas de douter du caractère unilatéral de son contenu.

La défenderesse soutient toutefois que le comportement adopté par la demanderesse avant ou pendant la réception et la signature de cette lettre devrait faire inférer qu’elle a donné son accord à la résiliation des rapports de travail et que l’on serait ainsi en présence d’une résiliation conventionnelle.

Or, le fait que la demanderesse ait contresigné la lettre de résiliation, qu’elle ait accepté la résiliation, et même qu’elle ait espéré recevoir son congé, compte tenu des tensions provoquées par ses divers arrêts de travail, ne constitue pas un comportement sans équivoque permettant de déduire l’existence d’une résiliation conventionnelle et d’une volonté implicite de la demanderesse de renoncer à la protection accordée par les art. 336 ss CO.

Au surplus, on ne voit pas, dans l’hypothèse d’une résiliation conventionnelle, en quoi il y aurait eu des concessions réciproques d’importance comparable permettant de conclure qu’il s’agit nettement d’un cas de transaction. La défenderesse entendait de toute façon renoncer à la prestation de travail puisqu’elle avait déjà engagé une autre personne; une telle renonciation ne peut constituer une concession suffisante puisque l’art. 324 al. 1 CO ne libère pas l’employeur de l’obligation de rémunérer le travailleur (arrêt 4C.250/2001 du 21 novembre 2001 consid. 1b). En revanche, la demanderesse aurait fait une concession importante en se privant de la protection conférée par les règles sur le report de l’échéance contractuelle en cas de grossesse ou d’incapacité de travail non imputable à sa faute (art. 336c al. 1 let. b et c, al. 2 et 3 CO), hypothèses qui n’avaient rien d’aléatoire au moment où la lettre de congé a été contresignée. Par ailleurs, la défenderesse ne saurait sérieusement prétendre qu’elle aurait renoncé à titre transactionnel à un licenciement pour justes motifs le 12 avril 2011, alors qu’elle indique elle-même qu’elle avait choisi d’adresser un licenciement ordinaire à la demanderesse, sur les conseils de sa fédération.

En réalité, comme l’ont relevé à raison les juges cantonaux, force est de constater que l’on n’est pas en présence d’un accord de résiliation, mais bien d’un accord sur les modalités de la résiliation, qui avait pour seul objet de régler les conditions de la fin des rapports de travail ensuite de la résiliation unilatérale signifiée par la défenderesse, avec pour conséquence que la protection accordée par l’art. 336c CO restait applicable.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_362/2015 du 1er décembre 2015, consid. 3)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
Cet article, publié dans Fin des rapports de travail, est tagué , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s