Congé-représailles après l’invocation de faits de mobbing?

Photo de u0410u043bu0435u043au0441u0430u043du0434u0440 u041cu0430u043au0435u0434u043eu043du0441u043au0438u0439 sur Pexels.com

L’appelant (= l’employé) invoque une violation des art. 328 et 336 al. 1 let. d CO.

Selon lui, le motif réel de congé résidait dans l’invocation, par l’appelant, de ses droits de la personnalité, à savoir l’existence d’un mobbing de la part de sa supérieure Z.________. Il s’agirait donc d’un congé-représailles.

En vertu de l’art. 328 al. 1 CO, l’employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur. Les actes de mobbing sont prohibés par cette disposition. L’employeur qui n’empêche pas que son employé subisse un mobbing contrevient à l’art. 328 CO.

Le harcèlement psychologique (ou mobbing) se définit comme un enchaînement de propos et/ou d’agissements hostiles, répétés fréquemment pendant une période assez longue, par lesquels un ou plusieurs individus cherchent à isoler, à marginaliser, voire à exclure une personne sur son lieu de travail. La victime est souvent placée dans une situation où chaque acte pris individuellement, auquel un témoin a pu assister, peut éventuellement être considéré comme supportable, alors que l’ensemble des agissements constitue une déstabilisation de la personnalité, poussée jusqu’à l’élimination professionnelle de la personne visée. Les attaques ne sont généralement pas virulentes, mais de faible intensité, et c’est par leur caractère répétitif qu’elles constituent du harcèlement et en deviennent illicites. Il peut s’agir d’actes banals, comme ne pas saluer quelqu’un, ne plus lui adresser la parole, l’interrompre, ne pas tenir compte de ce qu’il dit, terminer une conversation au moment où il veut y prendre part, qui ne dépassent jamais la limite admise et qui ne sont ainsi pas punissables pénalement. Il peut également s’agir de la critique régulière d’un employé en présence de ses collègues, du dénigrement de la qualité de son travail, de la prise à partie systématique du travailleur concerné, de l’attribution de nouvelles tâches sans discussion préalable, de l’attribution de tâches nettement inférieures ou nettement supérieures à ses compétences aux fins de discréditer le travailleur.

Il n’y a toutefois pas harcèlement psychologique du seul fait d’un conflit dans les relations professionnelles, d’une mauvaise ambiance de travail, ou d’une incompatibilité de caractères. Il résulte des particularités du mobbing que ce dernier est généralement difficile à prouver, si bien qu’il faut éventuellement admettre son existence sur la base d’un faisceau d’indices convergents. Il sied cependant de garder à l’esprit que le mobbing peut n’être qu’imaginaire et qu’il peut même être allégué abusivement pour tenter de se protéger contre des remarques ou mesures pourtant justifiées. L’appréciation de l’existence d’un harcèlement psychologique ou de son inexistence présuppose une appréciation globale des circonstances. Dans tous les cas, le tribunal dispose d’une certaine marge d’appréciation des circonstances d’espèce et des indices pouvant entrer en ligne de compte dans la définition du mobbing.

Le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties (art. 335 al. 1 CO). En droit suisse du travail, la liberté de résiliation prévaut de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. Le droit de chaque cocontractant de mettre fin au contrat unilatéralement est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO).

L’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère une liste de cas dans lesquels la résiliation est abusive. Est notamment abusif le congé donné par une partie parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (art. 336 al. 1 let. d CO). Cette disposition vise le congé de représailles ou congé-vengeance. Il tend en particulier à empêcher que le licenciement soit utilisé pour punir le travailleur d’avoir fait valoir des prétentions auprès de son employeur en supposant de bonne foi que les droits dont il soutenait être le titulaire lui étaient acquis. En principe, la bonne foi du travailleur est présumée (art. 3 al. 1 CC) et il importe peu que les prétentions invoquées de bonne foi soient réellement fondées. Il suffit que le travailleur soit légitimé, de bonne foi, à penser que sa prétention est fondée. La réclamation ne doit cependant être ni chicanière ni téméraire car elle empêcherait une résiliation en elle-même admissible.

Les prétentions émises par l’employé doivent avoir joué un rôle causal dans la décision de l’employeur de le licencier. Ainsi, le fait que l’employé émette de bonne foi une prétention résultant de son contrat de travail n’a pas nécessairement pour conséquence de rendre abusif le congé donné ultérieurement par l’employeur. Encore faut-il que la formulation de la prétention en soit à l’origine et qu’elle soit à tout le moins le motif déterminant du licenciement. Pour dire si un congé est abusif, il faut se fonder sur son motif réel.

En application de l’art. 8 CC, il appartient en principe à la partie qui a reçu son congé de démontrer que celui-ci est abusif. La jurisprudence a toutefois tenu compte des difficultés qu’il peut y avoir à apporter la preuve d’un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui donne le congé. Le juge peut ainsi présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n’a pas pour résultat d’en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de « preuve par indices ». De son côté, l’employeur ne peut pas rester inactif ; il n’a pas d’autre issue que de fournir des preuves à l’appui de ses propres allégations quant au motif du congé.

En l’espèce, les premiers juges ont retenu que l’intimée avait licencié l’appelant pour cause d’inadéquation au poste occupé, le licenciement n’étant pas abusif. S’agissant du harcèlement prétendu, les premiers juge ont estimé que Z.________ était exigeante et attentive aux détails envers tous les collaborateurs et qu’aucun manquement ne pouvait lui être reproché. Ils ont relevé que le micro-management reproché avait concerné tous les collaborateurs et ne visait pas spécifiquement l’appelant, ce qui était décisif pour nier l’existence d’un harcèlement visant à isoler ou marginaliser l’employé. Raisonner autrement reviendrait à admettre que les collaborateurs puissent imposer un certain niveau d’exigence à l’encadrement d’une entreprise, alors qu’il appartient à l’évidence à l’employeur de décider quelles prestations de travail correspondent à ses attentes et quelles lacunes dans le travail ne sont pas acceptables.

L’appelant prétend que le véritable motif de congé réside dans le fait qu’il s’est plaint d’être harcelé par Z.________. Comme cela a été retenu ci-dessus, l’insuffisance des prestations professionnelles de l’appelant a été démontrée à satisfaction. Le dernier rapport d’évaluation PIP date du 30 août 2018 et le licenciement du lendemain. Il ne fait donc aucun doute que la décision de licencier a été prise au terme de ce processus, dont les résultats escomptés n’ont pas été atteints. A l’inverse, l’appelant ne parvient pas à démontrer un rapport causal entre ses plaintes de harcèlement et son licenciement. Il se contente de relever s’être plaint auprès des ressources humaines le 9 mars, le 23 mars et le 26 avril 2018, soit quatre mois avant la décision de licencier. Or la chronologie des événements démontre un rapport de cause à effet entre le licenciement et la fin du processus PIP [Performance Improvement Plan] et non avec les plaintes de harcèlement.

Par ailleurs, l’appelant n’est pas parvenu à apporter la preuve d’avoir été victime de mobbing de la part de Z.________.

Quant au micro-management pratiqué par Z.________, confirmé par les témoins H.________ et X.________, qui ont expliqué que Z.________ revérifiait le moindre détail, posait et reposait les mêmes questions, ce qui avait pour effet de dévaloriser la personne et son travail, d’empêcher la personne de contribuer au travail commun, qu’elle mettait énormément de pression, il convient d’y opposer les éléments suivants. D’abord, ces exigences étaient appliquées vis-à-vis de l’ensemble des collaborateurs. Ensuite, il a été démontré que l’appelant commettait des erreurs dans son travail et que ses performances n’étaient pas suffisantes. Dans ces circonstances, l’on ne saurait reprocher à Z.________ d’avoir surveillé attentivement le travail de l’appelant et il apparaît douteux que cette technique ait été utilisée pour dévaloriser ce collaborateur précisément. A cela s’ajoute que le micro-management était aussi pratiqué par le top chef, selon les déclarations de X.________. Par conséquent, ce style de management n’était pas dirigé spécifiquement à l’encontre de l’appelant ou de certains collaborateurs, mais était généralement appliqué au sein de l’entreprise. Or, il n’appartient pas aux collaborateurs de décider si la technique de management de l’employeur est adéquate, en particulier si leur travail doit être ou non vérifié minutieusement.

Demeurent réservées des atteintes à la personnalité. En l’occurrence, il n’y a qu’une situation qui pourrait constituer une telle atteinte, à savoir les propos reproduits à l’allégué 34 de la demande (« A réception d’un rapport sur les marchés en Allemagne, Z.________ a dit au demandeur, dans l’open space : C’est toi qui a rédigé ? C’est trop bon pour que ce soit toi. »). Toutefois, il s’agit d’une situation unique, impropre à fonder un mobbing.

L’appelant échoue à apporter la preuve d’avoir été victime de harcèlement de la part de sa supérieure. Au contraire, la vérification du travail fourni par l’appelant s’est avérée justifiée puisque des erreurs avaient été commises, qu’il a admises.

La cour de céans retient en définitive que le congé n’a pas été donné en raison des plaintes de harcèlement formulées par l’appelant, mais par le manque de performance de celui-ci et son inadéquation au poste occupé. Peu importe dès lors de savoir si l’appelant a émis ses plaintes de bonne foi, puisque ce n’est pas cette prétention qui a mené au congé.

Les premiers juges n’ont ainsi pas violé l’art. 336 CO en niant le caractère abusif du licenciement, ni l’art. 328 CO en écartant l’existence d’un mobbing. Le rejet des prétentions de l’appelant formulées en lien avec ces dispositions doit être confirmé.

(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois HC / 2022 / 959 du 27 décembre 2022)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
Cet article, publié dans Harcèlement psychologique/sexuel, Licenciement abusif, Protection de la personnalité, est tagué , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s