La newsletter de l’avocat: publicité licite?

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La pratique est assez répandue: différentes Etudes adressent des newsletter sur des sujets juridiques à des clients passés ou actuels, à des personnes intéressées, etc. Le Tribunal fédéral, dans une affaire tessinoise, s’est penché sur la question de l’envoi indiscriminé d’une telle newsletter à des clients actuels et anciens, sans que ceux-ci aient manifesté un intérêt en premier lieu:

5. En l’espèce, il n’est pas contesté qu’en vertu de l’art. 12 lit. d LLCA et de l’ancien art. 16 al. 2 CSD (aujourd’hui art. 25 CSD), les avocats peuvent faire de la publicité pour leur étude. Il est également incontesté que l’envoi des lettres d’information litigieuses [newsletter envoyée par une Etude d’avocat] constitue une publicité au sens des dispositions précitées et que cette dernière satisfait au critère de l’objectivité. En revanche, la question de savoir si ces lettres d’information correspondent aux besoins d’information du public est débattue. En effet, le Tribunal fédéral ne s’est pas encore prononcé sur la question de savoir si l’envoi de tels documents par un avocat à ses clients répond au critère précité.

5.1. De l’avis des recourants, qui citent quelques contributions doctrinales, (….) l’envoi de newsletters par un avocat constituerait une publicité ciblée qui répondrait à un besoin d’information du public et serait donc licite.

5.2. Si la doctrine n’exclut pas que l’on puisse, en principe, envoyer un bulletin, une brochure ou une lettre circulaire dans le but de faire connaître un avocat ou un cabinet d’avocats, les auteurs divergent quant aux exigences – relatives au contenu et aux destinataires – auxquelles de tels envois doivent répondre pour satisfaire au critère du besoin d’information du public. En ce qui concerne le contenu, la doctrine est unanime sur le fait que seules des informations objectives sont admissibles, à l’exception de toute mention de clients, de volume d’affaires ou de résultats obtenus (…). En ce qui concerne les destinataires, en revanche, les avis divergent. Certains auteurs (….) considèrent que les envois individualisés – c’est-à-dire l’envoi de tels documents aux clients et relations d’affaires actuels pour lesquels le contenu pourrait être intéressant ou qui en auraient fait la demande – sont admissibles, alors qu’un envoi indifférencié, c’est-à-dire à des destinataires inconnus ou non précisés, ne répondrait pas aux besoins d’information du public (….). 

D’autres auteurs (….) sont en revanche d’avis que l’envoi généralisé est permis (….).

En tout état de cause, l’envoi ne doit pas être de nature à importuner les destinataires, notamment en raison de sa fréquence, de son caractère intrusif ou de son contenu. Par exemple, il est impensable qu’un avocat envoie des informations sur le droit du divorce ou le droit des successions à des personnes qui ne l’ont jamais sollicité (….).

5.3. En l’espèce, s’agissant des besoins d’information du public, le Tribunal administratif cantonal a considéré que les lettres d’information traitaient de sujets disparates et avaient été envoyées indistinctement à tous les clients – actuels ou non – du cabinet d’avocats. Selon les juges tessinois, un envoi généralisé à tous ceux qui s’étaient adressés au cabinet pour des domaines qui n’étaient pas nécessairement liées aux sujets traités dans les lettres d’information et qui, de surcroît, n’avaient pas consenti à les recevoir, n’était pas admissible. En effet, une telle publicité, adressée à un large public, est, selon eux, illicite car elle est susceptible d’inciter les personnes à solliciter les services de l’avocat alors même qu’elles n’en ont pas besoin. (….)  Ils sont donc arrivés à la conclusion que l’envoi des lettres d’information litigieuses ne répondait pas au besoin d’information du public et contrevenait ainsi à l’art. 12 lit d LLCA. (…)

5.4. Au vu des faits établis sans arbitraire par l’autorité précédente, qui lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF ; …), à savoir que les newsletters litigieuses ont été envoyées à tous les clients passés et actuels de l’étude sans tenir compte des raisons pour lesquelles ils s’étaient adressés à elle, l’avis de la cour administrative cantonale – qui considère ces envois massifs indifférenciés comme de la publicité illicite en méconnaissance de l’art. 12 lit. d LLCA – apparaît correct et doit donc être confirmé. A cet égard, il convient notamment de souligner que les destinataires des newsletters n’avaient pas manifesté leur intérêt ni donné leur consentement à les recevoir, dont le contenu ne se limitait pas à des informations spécifiques sur le cabinet d’avocats mais traitait de sujets plus juridiques sans rapport avec les raisons pour lesquelles ces personnes s’étaient adressées au cabinet d’avocats. Selon la doctrine majoritaire, une telle publicité ne correspond pas au besoin d’information du public, qui doit être plus ciblé, et ne répond donc pas aux exigences de la jurisprudence rappelée ci-dessus (….). Le Tribunal administratif cantonal n’a donc pas méconnu le droit fédéral en arrivant à la conclusion que les envois litigieux violent l’art. 12 lit. d LLCA.

5.5. Les arguments soulevés par les recourants à cet égard ne permettent pas de tirer une conclusion différente. D’abord, parce que dans la mesure où ils prétendent que les envois litigieux remplissaient les conditions de la publicité ciblée, tel n’est pas du tout le cas, comme cela a déjà été relevé ci-dessus (….). Ensuite, parce que les contributions doctrinales auxquelles ils se réfèrent (…) n’apparaissent pas pertinentes in concreto. En effet, même si les auteurs cités plaident en faveur de l’admissibilité d’une « zielgruppenorientierte Werbung » – dont la newsletter contentieuse serait un exemple – ils considèrent néanmoins qu’une telle publicité doit être envoyée à un groupe précis de destinataires, à savoir des clients potentiels déterminés sur la base des domaines de spécialisation du cabinet d’avocats (…). Il s’ensuit que leur avis ne présente pas d’intérêt en l’espèce puisque les envois litigieux ont été effectués sans détermination précise du cercle des destinataires potentiels (…).

(Traduction libre [it.] de l’Arrêt du Tribunal fédéral 2C_1006/2022 du 28 novembre 2023, destiné à la publication)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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