FAQ no 74: quels sont les droits du salarié visé par une enquête interne?

La notion d’ « enquête interne » n’est définie nulle part en droit suisse.

On peut la définir comme un ensemble de démarches menées à l’intérieur d’une entreprise en vue de clarifier, à l’aide de mesures d’enquête non contraignantes, un état de fait en rapport avec un soupçon de violation de règles légales diverses. Elle pourra aussi avoir des effets plus larges, notamment pour ce qui est de l’identification des risques, de l’amélioration de systèmes de surveillance, etc. et emporter certaines conséquences pour le(s) employé(s) concerné(s) (sanctions, licenciement, etc.)

Le salarié, dans le cadre d’une enquête interne, peut d’abord être soupçonné d’avoir commis les actes litigieux ou d’y avoir participé de toute manière. Il peut aussi devoir participer à la manifestation de la vérité, par exemple par des témoignages, des attestations, la fourniture de renseignements divers, etc. Nous nous concentrerons sur le 1er aspect, i.e. sur l’employé qui est l’objet de l’enquête.

La source des droits du salarié, dans le cadre d’une telle enquête, ne se trouve pas dans les les droits fondamentaux et les libertés constitutionnelles, tant et aussi longtemps qu’il s’agit d’un processus n’impliquant que deux acteurs de droit privé (le salarié, l’employeur). Il ne saurait y avoir, en effet, d’application « horizontale » des droits fondamentaux dans ce domaine, faute de norme légale spécifique. Les droits des salariés sont donc à déduire du CO, de la LTr, de la LPD essentiellement.

Le premier des droits de l’employé concerné par une enquête interne est celui de prendre part à l’exécution de celle-ci (droit de participation, qui n’est en fait qu’une expression du droit d’être entendu). L’employé devra donc être informé de l’ouverture d’une enquête le concernant, dans le respect toutefois des intérêts de l’employeur et du principe de proportionnalité. L’employeur peut ainsi devoir diligenter certaines mesures de surveillance secrètes pour s’assurer de la réalité des faits avant d’ouvrir, spécifiquement, une enquête interne en rapport. L’employé devra recevoir les documents et données en lien avec les faits concernés par l’enquête (cas échéant dûment caviardés pour protéger les intérêts de tiers) et pourra se déterminer. Cette communication devra être objective et ne pas induire en erreur. L’employé devra également se voir reconnaître un droit d’accès au dossier de l’enquête (procès-verbaux, courriers, etc.) L’employé devra aussi pouvoir proposer des mesures d’instruction et requérir la rectification de certaines données, mais il ne pourra demander à assister personnellement à tous les actes d’instruction. Il devra, enfin, être informé de la fin de l’enquête interne et des conséquences de celle-ci.

Le second droit de l’employé est celui d’être assisté d’un Conseil (avocat, mandataire syndical, personne de confiance) durant les actes de l’enquête interne le concernant (audition, confrontation, etc.) On relèvera que la présence d’un Conseil, sur un plan pratique, est souvent à même de faciliter le déroulement de l’enquête interne et le traitement de ses conséquences. Le salarié devra prendre en charge ses frais de Conseil, sauf si l’enquête interne qui les cause est « imposée » par l’exécution du travail et qu’aucune faute ne peut, in fine, être reproché à l’employé (art. 327a al. 1 CO).

Troisième droit, celui de ne pas s’auto-incriminer. La problématique est délicate, dans la mesure où l’employé est tenu par un devoir de fidélité envers l’employeur, qui a notamment pour conséquence que le salarié devra tout faire pour diminuer le dommage causé à l’employeur, défendre ses intérêts et sa réputation, etc. Ce devoir sera d’autant plus grand que la position hiérarchique sera élevée. Par ailleurs, l’application du principe Nemo Tenetur est controversée en dehors du droit pénal. La balance penchera donc plutôt vers un devoir de collaborer certain, découlant de l’obligation de fidélité. Le droit de ne pas s’auto-incriminer pourra par contre être plus important en vertu des conséquences de l’enquête interne, et notamment sur le plan interne ou international. On peut penser à la transmission de données à des autorités étrangères par exemple.

Quatrième droit, celui d’être rémunéré pour le temps consacré aux actes de l’enquête interne. En effet, il s’agit d’actes pour lesquels l’employé consacre son temps pendant les heures de travail et dans le cadre de l’exécution du contrat de travail.

Cinquième droit, celui d’être informé de ses droits. Il convient de retenir ici un certain nombre de devoirs d’information de la part de l’employeur, devoirs dont le respect est aussi dans l’intérêt de celui-ci, notamment pour ce qui est de l’acceptation ou de la contestation des conclusions de l’enquête. Cette communication devrait être faite au moment de celle relative à l’ouverture d’une enquête interne.

On relèvera, pour finir, que le Tribunal fédéral a, dans un arrêt 4A_694/2015 du 4 mai 2016, semblé élargir encore les droits de l’employé visé par une enquête interne en retenant que celui-ci devrait pouvoir bénéficier de garanties identiques à celles qui seraient les siennes dans le cadre d’une instruction pénale. La portée de cet arrêt reste encore à définir plus précisément.

(Bibliographie : D. Raedler, L’employé comme partie faible dans l’enquête interne, in : Olivier Hari (éd.), Protection de certains groupements de personnes ou de parties faibles versus libéralisme économique : quo vadis ?, Genève-Zurich-Bâle, 2016, pp. 345-365)

Me Philippe Ehrenström, Genève-Yverdon

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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