Selon l’art. 337 al. 1 CO, l’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs. Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui donne le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO).
Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat; lorsqu’il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement.
Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, mais d’autres incidents peuvent également justifier une résiliation immédiate. Ce qui est déterminant, c’est que les faits invoqués à l’appui du congé immédiat aient entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Il ne suffit pas que la relation de confiance entre les parties soit détruite sur le plan subjectif. Encore faut-il que, objectivement, la continuation des rapports de travail jusqu’à l’échéance du contrat ne puisse pas être attendue de la partie qui donne le congé.
A cet égard, le non-respect de directives générales ou d’instructions particulières de l’employeur au sens de l’art. 321d CO justifiera un licenciement immédiat lorsque le manquement, particulièrement grave, est de nature à détruire le lien de confiance devant exister entre les parties au contrat de travail; tel peut être le cas lorsque sont enfreintes des directives concernant l’attitude à adopter lors d’une urgence dans un établissement médico-social (cf. arrêt 4A_496/2008 du 22 décembre 2008 consid. 4).
Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). Il applique les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC). A cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l’importance des manquements.
En l’espèce,
le manquement qui a conduit l’intimée à licencier l’aide-soignante avec effet immédiat consiste à n’avoir pas respecté, dans le cas de D.________, la directive applicable dans la résidence en cas de détérioration significative de l’état de santé d’un pensionnaire pendant la nuit.
Il est établi que la recourante ( = l’employée) connaissait le contenu de la directive, quand bien même elle n’en avait pas lu la version écrite, et que la marche à suivre prévue, en tout cas en matière de soins médicaux, est à peu près identique dans tous les EMS. Il n’est pas contesté non plus que, cette nuit-là, l’aide-soignante n’a ni vérifié les paramètres vitaux de D.________, ni appelé l’infirmière de piquet, comme la directive en cause le prévoyait. La question est donc de savoir si la recourante devait, lors de la veille litigieuse, suspecter une aggravation significative de l’état de santé de la pensionnaire.
Selon le jugement attaqué, plusieurs indices laissaient clairement supposer une détérioration de l’état de santé de la résidente, nécessitant une prise en charge médicale. Les éléments retenus à ce sujet par l’autorité cantonale sont pertinents.
En effet, lorsqu’elle a pris son service de nuit, l’aide-soignante savait que la pensionnaire s’était déjà plainte de maux d’estomac. Or, au cours de la nuit, la résidente a réitéré ses plaintes et vomi; elle a également souffert de douleurs à une épaule. Quoi qu’en dise la recourante, ces symptômes, pris ensemble, sont connus pour être susceptibles d’annoncer une crise cardiaque, spécialement chez les femmes. Il est établi par ailleurs qu’en appelant les veilleuses à plusieurs reprises, la pensionnaire a adopté un comportement nocturne qui ne lui était pas habituel. Les appels de la résidente à son fils et au curé ne pouvaient pas manquer non plus d’alerter la recourante sur la souffrance réelle de D.________. L’aide-soignante a du reste admis avoir multiplié, par acquit de conscience, les passages dans la chambre de la résidente, reconnaissant par là le caractère inquiétant de la situation. Il apparaît ainsi que la recourante – au bénéfice d’une formation d’aide-soignante et d’une expérience de deux ans dans le home – était en mesure de se rendre compte de la péjoration importante de l’état de santé de la résidente. En ne mettant pas en oeuvre la marche à suivre indiquée par l’employeur dans ce cas-là, la recourante a violé ses obligations contractuelles.
Ce manquement est particulièrement grave, car le respect de la directive en cause est fondamental au sein d’un EMS. En effet, par définition, un tel établissement assure une assistance médicale permanente aux personnes qui y résident et ne sont plus en mesure de vivre de manière autonome. Contrairement à ce que la recourante prétend, ni l’âge élevé de la pensionnaire, ni la fatalité ne sont des éléments propres à relativiser la gravité du manquement imputé à l’aide-soignante. Certes, D.________ serait peut-être décédée le 26 juin 2013 même si la recourante avait fait appel à l’infirmière de piquet. Mais là n’est pas la question. Ce qui a motivé le licenciement de l’aide-soignante, ce n’est pas le décès de la résidente en tant que tel, mais bien le fait de n’avoir pas identifié une situation nécessitant l’application de la directive. De même, ni l’âge de l’employée, ni l’absence d’autres griefs à son égard n’apparaissent comme des facteurs pertinents lorsque, comme en l’espèce, le manquement reproché est grave au point de rompre le rapport de confiance entre les parties au contrat de travail.
Dans ces circonstances, le Juge cantonal n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant que la transgression de la directive par la recourante lors de la veille fatidique était propre à justifier un licenciement immédiat fondé sur l’art. 337 CO.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_659/2015 du 28 juin 2016)
Me Philippe Ehrenström, Genève – Yverdon