Participation aux résultats : droit aux renseignements et droit de regard de l’employé

L’art. 322a CO prévoit que lorsque le contrat confère au travailleur le droit à une part du bénéfice ou du chiffre d’affaires ou une autre forme de participation au résultat de l’exploitation, l’employeur doit fournir les renseignements nécessaires au travailleur ou, à sa place, à un expert désigné en commun ou par le juge; l’employeur doit autoriser le travailleur ou l’expert à consulter les livres de comptabilité dans la mesure où le contrôle l’exige (al. 2). Si une participation aux bénéfices a été convenue, une copie du compte de résultat doit être remise au travailleur qui en fait la demande (al. 3).

Le travailleur dispose ainsi d’un droit aux renseignements et d’un droit de regard dans les livres comptables de l’employeur. Ce droit de nature matérielle peut être mis en oeuvre dans une procédure indépendante ou dans une action échelonnée.

Certains commentateurs notent que lorsque des données sont indispensables pour établir la prétention du travailleur et que l’employeur fait valoir un intérêt justifié au maintien du secret, il faut ménager ces deux intérêts, ce qui peut être fait par la désignation d’un expert indépendant. Cas échéant, la fourniture d’une attestation du réviseur aux comptes permet d’éviter la désignation d’un expert. D’aucuns réservent les mesures de protection de l’art. 156 CPC.

L’art. 156 CPC enjoint le tribunal d’ordonner les mesures propres à éviter que l’administration des preuves ne porte atteinte à des intérêts dignes de protection des parties ou de tiers, notamment à des secrets d’affaires. Certains auteurs mentionnent les livres comptables comme élément du secret d’affaires.

Dans un ATF 4A_195/2010, l’employeuse refusait de produire ses livres de comptes ; le Tribunal fédéral a donc dû contrôler sous l’angle de l’arbitraire l’application d’une règle de procédure cantonale prescrivant des mesures dans l’administration des preuves afin de sauvegarder des secrets d’affaires ou «d’autres intérêts jugés prépondérants». Son analyse peut se résumer ainsi: l’art. 322a al. 2 CO obligeait l’employeuse à permettre à la salariée de consulter ses livres de comptabilité dans la mesure nécessaire. En l’occurrence, les documents requis étaient nécessaires pour fixer le montant dû à la salariée. Cette nécessité découlait du mode de fixation de la rémunération prévue par le contrat, mode que l’employeuse avait accepté et dont elle devait subir les conséquences. L’unique intérêt invoqué pour s’opposer à la production de pièces comptables était le risque que des concurrents débauchent ses collaborateurs en prenant connaissance de leurs revenus. Outre que ce risque paraissait assez théorique, il ne pouvait contrebalancer l’intérêt de l’employée à obtenir la rémunération convenue.

Le Tribunal fédéral, dans cet arrêt, n’a pas exclu de prendre en compte l’intérêt de l’employeur à sauvegarder des secrets, mais a constaté que l’employeuse ne justifiait aucunement d’un intérêt qui puisse l’emporter sur l’intérêt de la travailleuse à fixer le montant de sa rémunération, l’employeuse devant assumer les conséquences d’un mode de rémunération auquel elle avait consenti.

Dans le cas d’espèce,

il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le rapport précis entre les art. 322a al. 2 CO et 156 CPC. Il apparaît en effet que la décision attaquée, dont les motifs sont résumés ci-dessous, est clairement exempte d’arbitraire.

Les juges cantonaux ont retenu que les parties avaient convenu d’un bonus lié aux résultats de la recourante (l’employeuse) et que le calcul dudit bonus nécessitait de connaître le chiffre d’affaires et l’EBITDA de la recourante afférents au premier semestre 2013.

Ils ont ensuite observé qu’en vertu de l’art. 322a CO, l’intimé avait le droit de s’assurer de l’exactitude des montants communiqués à ce titre. Les juges cantonaux proposaient une solution pragmatique, à savoir que la recourante était invitée à fournir l’attestation de son réviseur au sujet du chiffre d’affaires et de l’EBITDA. Ils ne discernaient pas quel préjudice la révélation de ces données pourrait causer à la recourante; dans la mesure où elles se rapportaient au premier semestre 2013, elles ne permettaient pas de tirer des conclusions sur les activités et la marche des affaires actuelles de l’employeuse.

Dans l’hypothèse peu vraisemblable où l’employeuse viendrait à refuser cette solution, elle devrait alors produire les pièces comptables nécessaires à l’établissement du chiffre d’affaires et de l’EBITDA.

Selon les considérants de l’arrêt attaqué, la recourante peut donc, à choix, produire une attestation de son réviseur quant à son chiffre d’affaires et à son EBITDA relatifs au premier semestre 2013, ou déposer au greffe les documents comptables permettant d’établir ces deux données.

Une telle décision, qui ménage les intérêts du travailleur et de l’employeuse, est clairement exempte d’arbitraire. L’exigence de produire les pièces comptables est subsidiaire, et se restreint aux éléments nécessaires à l’établissement des deux données litigieuses.

En bref, l’autorité précédente n’a pas versé dans l’arbitraire en niant un intérêt prépondérant de l’employeuse à conserver des données secrètes, alors qu’il lui suffit de communiquer deux données brutes dont la révélation n’apparaît pas susceptible de causer un préjudice, et qu’elle ne conteste pas avoir convenu d’un mode de rémunération impliquant d’autoriser l’accès à ses livres comptables.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_390/2016 du 18 janvier 2017)

Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m., Genève et Yverdon

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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