
Un contrat de travail soumis au droit public peut être résilié par l’employeur qui, dès lors, est astreint de par la loi (art. 34ss LPers) à signifier cette résiliation par le biais d’une décision, sujette à recours. Toutefois, le contrat de droit public peut également être résilié unilatéralement par l’employé. Dans ce cas, l’employé qui résilie son contrat exerce un droit formateur résolutoire, comme en droit privé en vertu de l’art. 6 al. 2 LPers. En tant que droit formateur, la résiliation est un droit subjectif dont l’exercice, par une manifestation claire de volonté soumise à réception, modifie unilatéralement la situation du cocontractant. De plus, la résiliation est irrévocable, et ce dès l’instant où elle parvenue dans la sphère de son destinataire car, étant soumise à réception, elle ne produit d’effet que lorsqu’elle parvient au cocontractant.
Dans le cas d’espèce, le courrier recommandé de l’employée ( = la recourante) du 4 février 2019 est parvenu dans la sphère de l’employeur le 5 février 2019. Cette date de réception n’est pas contestée par la recourante elle-même, qui mentionne dans son courrier du 8 février 2019 un échange à propos de ce courrier avec sa supérieure le 5 février 2019. Partant, la recourante a exercé un droit formateur résolutoire par sa démission du 4 février 2019. La résiliation unilatérale a déployé ses effets juridiques et est devenue irrévocable dès sa réception, le 5 février 2019. C’est à tort que l’employée se prévaut, dans sa deuxième lettre datée du 8 février 2019, d’une possibilité de « revenir sur sa décision », les liens juridiques, après avoir été unilatéralement résiliés, ne pouvant pas être reformés unilatéralement.
En conséquence, le contrat de droit public a été résilié unilatéralement le 5 février 2019 par la recourante.
La recourante allègue alors qu’elle n’avait pas sa capacité de discernement lorsqu’elle avait résilié ses rapports de travail en raison d’un trouble psychique (état dépressif).
Aux termes de l’art. 16 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC, RS 210), toute personne qui n’est pas privée de la faculté d’agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d’ivresse ou d’autres causes semblables, est capable d’agir au sens du code civil. Les autres causes semblables se réfèrent à des états anormaux suffisamment graves pour avoir effectivement altéré la faculté d’agir raisonnablement dans le cas particulier et le secteur d’activité considéré provoqués par la consommation de substances ayant des effets similaires à ceux de l’alcool.
Cette disposition comporte donc deux éléments, un élément intellectuel, la capacité d’apprécier le sens, l’opportunité et les effets d’un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d’agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté. La capacité de discernement est relative, en ce sens qu’elle ne s’apprécie pas de façon abstraite, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l’acte.
La preuve de la capacité de discernement pouvant se révéler difficile à apporter, la pratique considère que celle-ci doit en principe être présumée, sur la base de l’expérience générale de la vie. Par conséquent, il appartient à celui qui prétend qu’elle fait défaut de le prouver (art. 8 CC). Cette présomption n’existe toutefois que s’il n’y a pas de raison générale de mettre en doute la capacité de discernement de la personne concernée, ce qui est le cas des adultes qui ne sont pas atteints de déficience mentale, troubles psychologiques ou de faiblesse d’esprit. Pour ceux qui en sont atteints, la présomption est inversée, de sorte que l’incapacité de discernement est présumée. La contre preuve, selon laquelle un individu présentant un état mental constitutif d’une incapacité de discernement aurait agi dans un intervalle de lucidité, incombe alors à celui qui prétend à l’existence de cette capacité.
Au sens de l’art. 18 CC, les actes de celui qui est incapable de discernement n’ont pas d’effet juridique; demeurent réservées les exceptions prévues par la loi.
Selon la mandataire, « suite à ces événements et prenant conscience de l’atteinte à sa santé psychique, la recourante s’est rendue, le 8 février 2019, auprès du docteur […], médecin psychiatre, qui a constaté que la recourante était en incapacité de travail et n’était pas à même de prendre des décisions concernant son avenir professionnel » (recours ch. 13).
La recourante a ainsi produit un premier certificat médical du 8 février 2019 établi et signé par son médecin généraliste, indiquant qu’elle était en incapacité de travail depuis le 8 février 2019 pour « maladie ». Ce certificat ne donne aucune indication sur sa capacité de discernement au 4 février 2019, pas plus que celui du 18 février 2019 du même médecin, ni celui du 11 février 2019 d’un autre médecin généraliste.
Le premier certificat médical du médecin psychiatre de la recourante date du 22 février 2019 et se borne à constater une incapacité de travail sans autre motif que « maladie ». Dans son certificat du 1er mars 2019, le médecin psychiatre de la recourante déclare que cette dernière « lors de notre première consultation, soit le 8 février 2019, du fait des troubles psychiques diagnostiqués, elle ne possédait pas sa capacité à prendre des décisions concernant son avenir professionnel » et que cet état psychique était superposable les jours précédents.
La recourante n’invoque ainsi pas une déficience mentale, des troubles psychologiques ou de faiblesse d’esprit permanents en raison desquels une incapacité de discernement devrait être présumée. Elle n’allègue par ailleurs pas que son état psychologique en février 2019 serait de nature à entraîner un renversement de la présomption et du fardeau de la preuve.
Il doit ainsi être constaté que, dans le cas d’espèce, la capacité de discernement de la recourante est présumée. Il doit donc être examiné si la recourante amène la preuve qu’elle était incapable de discernement au début du mois de février 2019.
La résiliation des rapports de travail n’est pas un acte juridique complexe à effectuer et ne demande aucune compétence particulière ni connaissances juridiques (arrêt du TAF A-344/2009 consid. 4.1). Les conséquences d’une résiliation des rapports de travail (perte du salaire, éventuelles pénalités de l’assurance chômage, difficulté de retrouver un emploi, etc.) ne sont également en rien difficiles à appréhender et découlent du cours ordinaire de la vie, ce d’autant plus que la recourante avait 25 ans de service à la Confédération et ne saurait se prévaloir d’une candeur juvénile à ce propos. Dès lors, les exigences en matière de preuve d’une incapacité de discernement pour réaliser un tel acte sont élevées.
Selon la note de la responsable des ressources humaines, la recourante aurait déclaré le 5 février 2019 ne pas être malade mais s’être annoncée comme telle sur recommandation de sa supérieure. Dans ses écritures, la recourante se détermine sur cette note et n’infirme pas ce qui précède (autre que par la contestation générale de ce qui n’est pas expressément admis).
Il semblerait par ailleurs que la lettre de démission était déjà prête avant le 4 février 2018, ce qui serait cohérent avec les déclarations précitées de la recourante du 5 février 2019.
Toujours est-il que même si tel ne devait pas être le cas, le 4 février 2019, la recourante a trouvé un modèle de résiliation des rapports de travail de droit privé (apparemment sur internet), l’a adapté (adresses et dates) pour son employeur et est allée à un guichet de poste pour envoyer son pli en recommandé. Ceci souligne d’une volonté manifeste d’agir de la sorte (recherche, adaptation, signature et envoi auprès d’un guichet de poste) de la recourante et n’est guère compatible avec une incapacité de discernement.
Le certificat médical du 1er mars 2019 indique que la recourante aurait présenté une incapacité de discernement en lien avec son avenir professionnel le 8 février 2019.
Or, l’employée a justement écrit ce jour-là à son employeur, également en pli recommandé, pour annuler son courrier du 4 février 2019 et demander sa réintégration. Dès lors, la recourante a pris l’initiative de contacter son ancien employeur afin de renouer les rapports de travail, démontrant qu’elle avait très bien compris la portée de son pli du 4 février 2019. Ainsi, il doit être considéré que si la recourante a su se projeter sur son avenir professionnel le 8 février 2019 malgré son incapacité de discernement alléguée, il n’y a pas lieu de considérer qu’il en allait autrement le 4 février 2019. En dernier lieu dans son pli du 8 février 2019, la recourante relève une réaction émotionnelle de sa part (« dans un contexte de vulnérabilité, de stress et de déception suite à l’entretien […] »).
Il résulte de ce qui précède, que l’absence de capacité de discernement de la recourante lorsqu’elle a écrit et posté son courrier du 4 février 2019 n’est pas démontrée, la recourante ne produisant pas de moyens de preuve ou d’élément suffisants pour renverser le fardeau de la preuve. De même, au vu des éléments précités, le Tribunal ne considère pas nécessaire de procéder à une expertise psychiatrique de la recourante.
La recourante allègue ensuite qu’elle était sous l’emprise d’une crainte fondée (art. 29 du Code des obligations du 30 mars 1911 [CO, RS 220]) lorsqu’elle avait résilié ses rapports de travail. La résiliation serait donc nulle.
Selon l’art. 29 al. 1 CO, un contrat peut également être invalidé par la partie qui l’a contracté sous l’empire d’une crainte fondée que lui aurait inspiré sans droit l’autre partie ou un tiers. Selon l’art. 30 al. 1 CO, la crainte est réputée fondée lorsque la partie menacée devait croire, d’après les circonstances, qu’un danger grave et imminent la menaçait elle-même ou l’un de ses proches, dans sa vie, sa personne, son honneur ou ses biens. Ainsi, la cause de la crainte est la menace d’un mal futur dans l’hypothèse d’un refus d’obtempérer ; elle altère la volonté au stade de sa formation. Pour qu’un contrat soit invalidé au titre de la crainte fondée, les quatre conditions suivantes doivent être réunies : une menace dirigée sans droit contre une partie ou l’un de ses proches, la crainte fondée qui en résulte, l’intention de l’auteur de la menace de déterminer le destinataire à faire une déclaration de volonté et le lien de causalité entre la crainte et le consentement.
La crainte de voir son interlocuteur exercer un droit dont il dispose ne peut toutefois être prise en considération que si le cocontractant exploite la gêne de l’autre en vue d’obtenir des avantages excessifs non couverts par le droit exercé (art. 30 al. 2 CO). Enfin, le vice du consentement doit être communiqué à l’autre partie dans l’année qui suit la découverte de l’erreur ou la disparition de la crainte ; à défaut, le contrat est tenu pour ratifié (art. 31 CO).
En l’espèce, il ressort du dossier que la séance du 4 février 2019 était un entretien d’orientation. Au cours de celui-ci, la recourante s’était vue impartir un délai pour améliorer son comportement et ses prestations avant que l’employeur n’examine la possibilité de prononcer un avertissement formel. Reconnaître dans une telle constellation que l’employée était dans une situation laissant penser qu’un danger grave et imminent la menaçait elle-même ou l’un de ses proches, dans sa vie, sa personne, son honneur ou ses biens est infondé et au surplus pas démontré. D’une part, de tels entretiens sont prévus par la législation et visent à garantir que l’employé sache ce qui lui est reproché et lui donner la possibilité de remédier à ses carences ou défauts. Il ne ressort pas du dossier que d’autres mesures (menace de mort, de rétorsion, etc.) que celles relevant du droit du personnel n’ont été exprimées par l’employeur. D’autre part, même un avertissement formel – conforme au droit – avant résiliation des rapports de travail ne serait pas de nature à créer une crainte fondée. Enfin, après plus de 25 ans de service au sein de la Confédération, la recourante ne pouvait que savoir que si elle estimait les reproches de sa supérieure infondés, elle pouvait en référer aux ressources humaines et qu’ainsi d’autres voies que la démission lui étaient ouvertes.
Les éléments constitutifs de la crainte fondée ne sont pas réalisés et ce grief doit être rejeté.
Il ressort de ce qui précède que la recourante n’était pas privée de sa capacité de discernement le 4 février 2019 et n’a pas démissionné en raison d’une crainte fondée. Dès lors, il doit être considéré que la résiliation est valable au sens du droit civil, qu’elle a été valablement notifiée à l’employeur et a déployé ses pleins effets juridiques
(Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1447/2019 du 14 octobre 2019)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)