Si le droit suisse autorise en principe les parties à passer un nouveau contrat de durée déterminée à la suite d’un contrat de durée déterminée, l’art. 2 al. 2 CC, qui prohibe la fraude à la loi, s’oppose à la conclusion de «contrats en chaîne» (« Kettenverträge ») dont la durée déterminée ne se justifie par aucun motif objectif et qui ont pour but d’éluder l’application des dispositions sur la protection contre les congés ou d’empêcher la naissance de prétentions juridiques dépendant d’une durée minimale des rapports de travail (ATF 129 III 618 consid. 6.2). À titre d’exemples de motifs objectifs pour la conclusion successive de contrats à durée déterminée, le Tribunal fédéral a notamment mentionné l’engagement d’artistes, de sportifs professionnels ou d’enseignants donnant des cours par semestre ou année académique (arrêt 2P.26/2007 du 28 juin 2007 consid. 3.7, dans lequel le Tribunal fédéral avait rejeté le recours d’un enseignant ayant conclu de multiples contrats successifs sur une durée comparable à celle des rapports de travail entre le demandeur et la défenderesse, son pouvoir de cognition étant néanmoins restreint à l’arbitraire).
S’il est vrai que l’activité d’enseignant peut justifier la conclusion de contrats successifs à durée déterminée, l’examen des circonstances de l’espèce permet d’affirmer qu’il n’existait aucune raison objective justifiant le recours à pareil procédé. Selon les constatations de l’autorité précédente, qui lient le Tribunal fédéral, le demandeur a enseigné au sein de l’école depuis l’an 2000 sans interruption et était dès lors » stabilisé » dans cet emploi. Il s’agissait en l’espèce d’une relation de travail stable portant sur une durée d’environ 14 ans. La situation du demandeur se distinguait ainsi de celle d’un professeur invité par une université à donner un cours sur un semestre ou une année académique sans que l’on sache si le cours en question continuerait à être donné par le professeur en question à l’avenir. Le demandeur, enseignant les mêmes matières dans des conditions identiques ou similaires sur une longue période, se trouvait au contraire de facto dans une relation de travail à durée indéterminée avec la défenderesse. C’est ainsi à juste titre que l’autorité précédente a retenu que rien ne pouvait motiver en l’espèce la conclusion successive de multiples contrats en chaîne si ce n’est la volonté d’éluder l’application des dispositions légales relatives au contrat à durée indéterminée.
Qu’en est-il des conséquences juridiques de la requalification des contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée ?
Le demandeur évoque l’opinion doctrinale, déjà citée par le Tribunal fédéral (arrêt 4A_216/2007 du 13 septembre 2007, consid. 1.3), selon laquelle en cas de «contrats en chaîne», la résiliation ne peut en principe pas intervenir avant l’échéance prévue dans le dernier contrat successif (cf. sur ce point également ATF 119 V 46 consid. 1c). Même si cette opinion devait être suivie, encore faudrait-il qu’un contrat ayant pour terme le 31 juillet 2015 ait été conclu par les parties. Or, ceci ne ressort pas de l’arrêt entrepris. Le dernier contrat à durée déterminée expressément mentionné dans la décision de l’autorité précédente se rapporte à l’année académique 2013/2014. Le 1er mai 2014, la défenderesse a signifié par courrier électronique au demandeur sa décision de mettre un terme à leur collaboration, à l’exception d’un module devant être dispensé en septembre 2014, à compter du semestre suivant.
Le demandeur, qui souhaiterait voir la fin des rapports de travail fixée au 31 juillet 2015, fonde son raisonnement sur, d’une part, la volonté hypothétique des parties si elles avaient su que leur relation contractuelle serait requalifiée en contrat à durée indéterminée et, d’autre part, l’interprétation de leur volonté objective dégagée selon le principe de la confiance. Il allègue que la volonté – réelle ou hypothétique – des parties étaient de s’engager pour des années académiques complètes, sans parvenir toutefois à le démontrer. En particulier, le fait que les parties ont conclu, à partir de 2012, des contrats ayant pour terme la fin de l’année académique, ne signifie ni qu’elles ont prévu une durée minimale des rapports de travail pour l’année académique 2014/2015, ni qu’elles l’auraient fait si elles avaient conclu un contrat à durée indéterminée en lieu et place des contrats successifs.
Le demandeur, qui estime que la volonté réelle des parties ne peut être déterminée en l’espèce et que le juge doit recourir à l’interprétation normative, fait totalement abstraction du courrier électronique du 1er mai 2014 dans lequel la défenderesse exprime son souhait de mettre un terme aux rapports de travail avec le demandeur et de ne plus lui confier de cours à partir du semestre d’automne 2014, à l’exception d’un seul module devant être dispensé en septembre. Si, comme les autorités cantonales l’ont retenu, ce courrier électronique n’était pas susceptible de résilier le contrat de travail en raison d’un vice de forme, il indique sans ambiguïté que la défenderesse n’avait pas la volonté de s’engager contractuellement jusqu’au 31 juillet 2015. S’agissant de la volonté hypothétique des parties, pour le cas où elles n’auraient pas conclu de contrats en chaîne constitutifs d’une fraude à la loi, tout porte à croire qu’elles auraient conclu un contrat à durée indéterminée sans prévoir de terme de résiliation. À ce titre, le raisonnement du Tribunal cantonal, qui se réfère à la convention collective de travail selon laquelle la dénonciation d’un contrat de travail intervient – sauf disposition contraire par écrit – trois mois à l’avance au minimum pour la fin d’un trimestre ou d’un semestre civil, est convaincant. La résiliation des rapports de travail du 21 novembre 2014 a donc produit ses effets à la fin du premier trimestre civil de l’année 2015, soit le 31 mars 2015.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_215/2019, 4A_217/2019 du 7 octobre 2019, consid. 3.1 et 4)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)