A teneur de l’art. 20 al. 1 LPers, l’employé est tenu d’exécuter avec soin le travail qui lui est confié et de défendre les intérêts légitimes de la Confédération et de son employeur. Le devoir de fidélité et de sauvegarde des intérêts se rapporte en première ligne à l’obligation principale de l’employé, à savoir aux prestations de travail qu’il doit fournir. Ainsi, l’employé a l’obligation d’accomplir son travail fidèlement et consciencieusement, mais également d’éviter et d’annoncer les risques ou de veiller sur les affaires confiées. En particulier, il viole son devoir de fidélité et de sauvegarde des intérêts lorsqu’il n’observe pas les règles de droit, les accords contractuels, les directives ou les instructions données. L’étendue du devoir de fidélité qui lui incombe s’inspire de l’art. 321e CO. Il se détermine en fonction de la relation de travail particulière, en tenant compte du risque professionnel, du degré de formation ou des connaissances spéciales qui sont exigées, ainsi que des capacités et qualités de l’employé que l’employeur connaissait ou devait connaître.
Les devoirs accessoires tombent aussi sous la définition du devoir de diligence et de sauvegarde des intérêts. Ainsi, il est exigé de l’employé qu’il s’abstienne d’actes perturbant les relations de travail, par exemple, en matière d’activités accessoires (art. 23 LPers), de violation du secret professionnel (art. 22 LPers), d’acceptation de dons ou autres avantage dans l’exercice de ses fonctions (art. 21 al. 3 LPers) ou des actes illicites ou relevant du droit pénal qui perturbent la relation de travail. L’étendue du devoir de fidélité dépend fortement de la place de l’employé dans le service. Ainsi, si l’employé est un cadre, dit devoir sera plus élevé que s’il s’agit d’un subordonné (cf. arrêt du TF 4A_298/2011 du 6 octobre 2011 consid. 2 et réf. cit.).
A la différence de l’art. 321a al. 1 CO, le devoir de fidélité issu de la LPers contient une « double obligation de loyauté » (doppelte Loyalitätsverpflichtung), dans la mesure où l’employé soumis à la LPers ne se doit pas uniquement de sauvegarder les intérêts publics et d’être loyal envers son employeur (devoir de confiance particulier), mais également – en tant que citoyen – envers l’Etat (devoir de confiance général). Le devoir de fidélité vise à assurer le fonctionnement de l’administration publique, de façon à ce que la confiance des administrés placée dans l’Etat ne soit pas décrédibilisée. Comme toute norme juridiquement indéterminée, sa portée doit être déterminée par une pesée des intérêts.
S’agissant plus spécifiquement du devoir de fidélité des agents de police, le Tribunal fédéral a déjà précisé que leur comportement pendant et en dehors du service était soumis à de hautes exigences parce qu’ils incarnent la force publique de manière plus accrue que les autres employés de l’administration. En tant que représentants de l’état chargés de faire respecter la sécurité et l’ordre publics, ils ne sont en aucun cas autorisés à enfreindre les lois qu’ils protègent et qu’ils s’imposent de respecter. Le Tribunal administratif fédéral a jugé que cette jurisprudence était également applicable par analogie aux gardes-frontières qui, en tant que représentants de l’État, sont également chargés de garantir la sécurité et l’ordre public. Ceux-ci doivent en effet assurer la mise en œuvre de diverses prescriptions juridiques et, au besoin, les faire respecter par la force (arrêt du TAF A-4586/2014 consid. 3.4.3.1). Ainsi, l’étendue du devoir de fidélité dans la sphère privée de l’employé dépend non seulement de la fonction de celui-ci, mais également de la nature et de la sensibilité du domaine dans lequel il évolue. Aussi, dans la mesure où l’employé est tenu de s’abstenir de tout acte susceptible d’affecter la confiance du public dans l’intégrité de l’administration et de ses employés, il importe peu, sur le principe, que le comportement incriminé ait effectivement, dans le cas considéré, été rendu public et ait attiré l’attention.
En l’espèce, sur le plan technique, la qualité des prestations du recourant n’est pas contestée. Sont en revanche visés ses comportements dans le domaine privé ainsi que son manque de transparence vis-à-vis de sa hiérarchie. A cet égard, il faut d’abord relever que le recourant occupe une fonction de (…). En cette qualité et en raison notamment des tâches (…) qui y sont inhérentes, il doit assumer un rôle d’exemple. En outre, le recourant fait partie du personnel assermenté, de sorte que son devoir de diligence et de fidélité s’en trouve encore accru. Cela tient non seulement au fait qu’en prêtant serment, il s’est expressément et formellement engagé à remplir en conscience les devoirs de sa charge, mais également parce qu’il en découle un statut privilégié en vertu duquel l’assermenté voit ses compétences étendues. De surcroît, dans un domaine sensible tel que le domaine douanier où les agents publics ont pour mission d’assurer la sécurité publique et de faire respecter de nombreuses lois et ordonnances, le degré d’exemplarité requis apparaît primordial, en particulier sur le plan pénal. Il apparaîtrait inadmissible que ceux qui, investis de prérogatives de puissance publique pour faire respecter des dispositions légales, ne s’y conforment pas eux-mêmes. Il en va non seulement du crédit de (indication de la fonction) vis-à-vis de ses subordonnés mais également de celui de l’AFD vis-à-vis de l’extérieur, crédit nécessaire pour que l’institution puisse mener efficacement les missions d’intérêt public qui lui échoient. Or, non seulement le recourant s’est rendu coupable de plusieurs infractions, dont certaines ont par ailleurs été commises à réitérées reprises – ce qui exclut l’hypothèse d’un dérapage ponctuel – mais encore d’une infraction à la législation sur les armes en omettant d’indiquer l’existence d’une procédure pénale pendante à son encontre en remplissant le formulaire idoine pour acquérir une arme. Or, si la commission de cette dernière infraction par le citoyen lambda peut paraître somme toute d’une faible gravité, il en va différemment lorsque l’auteur est actif dans le domaine des douanes, de surcroît lorsque ladite personne occupe une fonction de (…). En effet, ce faisant, le recourant n’a pas seulement enfreint une règle pénale, mais il a violé une règle qui est rattachée à son domaine d’activité professionnelle. Aussi, le recourant a été condamné pour avoir traité un tiers de « sale frontalier », respectivement de lui avoir déclaré « sale frontalier tu viens me faire chier chez moi ». Ces propos, tenus hors cadre professionnel, sont de nature à éveiller des doutes chez l’observateur extérieur sur l’objectivité et la neutralité avec lesquelles les agents de l’AFD exercent, dans le cadre professionnel, leurs missions d’intérêt public.
Le fait que les comportements du recourant aient eu lieu hors service n’est pas décisif, le devoir de fidélité pouvant s’étendre – en fonction notamment de la fonction hiérarchique de l’intéressé et de la sensibilité du domaine concerné – hors le cadre professionnel. Cette extension des devoirs à charge de l’employé dans sa vie privé – qui n’est certes pas l’apanage du droit public, mais qui revêt en ce domaine une importance accrue en raison de la confiance que les citoyens doivent pouvoir placer en l’Etat – est nécessaire pour une protection effective notamment de la réputation et du crédit de l’employeur, dès lors que la frontière entre la sphère privée et la sphère professionnelle n’est pas imperméable, respectivement que le comportement dans l’une peut se répercuter dans l’autre. Cette perméabilité entre les deux sphères est d’ailleurs illustrée par la présente affaire, puisque ce sont des tiers (les dénonciateurs) qui en ont appelé à l’employeur du recourant pour se plaindre de comportements pourtant commis dans le domaine privé. Ainsi, bien que dans une moindre mesure, il est manifeste que par son comportement hors service le recourant a porté atteinte au crédit et à la réputation de son employeur. Au demeurant, dans la mesure où l’employé est tenu de s’abstenir de tout acte susceptible d’affecter le crédit et la réputation de l’Etat, les répercussions effectives du comportement incriminé ne sont pas, sur le principe, décisives.
En conclusion, au vu de sa fonction de (…) et de son statut de membre du personnel assermenté, ainsi que du domaine sensible de la douane dans lequel il évolue, le recourant était tenu de s’abstenir, dans le privé, d’adopter des comportements tels que ceux qui lui sont reprochés, afin de préserver le prestige et la crédibilité de l’AFD ainsi que la sienne propre. Ainsi, en adoptant les comportements incriminés dans sa sphère privée, le recourant a violé ses obligations professionnelles.
(Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-180/2019 du 22 octobre 2019, consid. 5.3)
Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)