Imposition privilégiée d’une indemnité de départ

Le présent litige porte sur l’imposition, en application de la LIFD, du montant de 237’000 fr., que C.________ SA a octroyé à l’intimée après l’avoir démise de son poste au sein de la direction du groupe du même nom.

En principe, à l’exception de certaines prestations en capital versées lors d’un changement d’emploi et réinvesties dans l’année à des fins de prévoyance (cf. art. 24 let. c LIFD), les rétributions spéciales effectuées par les employeurs à leurs employés au moment où ceux-ci quittent l’entreprise sont imposées en tant que revenu sous l’angle de l’impôt fédéral direct. En effet, l’art. 16 al. 1 LIFD dispose que l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. Ainsi, cet impôt couvre, entre autres, tous les revenus provenant d’une activité exercée dans le cadre d’un rapport de travail, y compris les revenus accessoires (cf. art. 17 al. 1 LIFD), les revenus provenant de la prévoyance (art. 22 LIFD), les revenus acquis en lieu et place du revenu d’une activité lucrative (art. 23 let. a LIFD) et les indemnités obtenues lors de la cessation d’une activité ou de la renonciation à l’exercice de celle-ci (art. 23 let. c LIFD).

En règle générale, les indemnités de départ sont ainsi imposables, selon les art. 17 al. 1 ou 23 let. a ou c LIFD, au taux plein avec les autres revenus du contribuable (cf. art. 36 LIFD; ATF 143 II 257 consid. 5). L’imposition au taux plein de ces indemnités connaît toutefois quelques exceptions, notamment dans les cas où la somme versée par l’employeur est analogue au versement d’un capital provenant d’une institution de prévoyance. L’art. 17 al. 2 LIFD dispose en effet que ce type de versements bénéficie du taux d’imposition privilégié prévu par l’art. 38 LIFD pour les prestations en capital provenant de la prévoyance, ce qui signifie qu’il est imposé séparément et soumis à un impôt annuel entier calculé sur la base du taux représentant le cinquième des barèmes ordinaires inscrits à l’art. 36 LIFD (ATF 145 II 2 consid. 4.1; aussi arrêt 2C_538/2009 du 19 août 2010 consid. 3).

Selon l’art. 17 al. 2 LIFD, pour bénéficier de l’imposition privilégiée, les versements de capitaux alloués par l’employeur doivent être analogues aux versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance en relation avec une activité dépendante. La loi ne définit pas précisément ce que recouvre l’analogie avec les versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance. Il s’avère cependant qu’en établissant, à l’art. 17 al. 2 LIFD, une imposition séparée à taux réduit, le législateur a voulu casser la progressivité du taux et privilégier la prévoyance pour des raisons sociales (cf. Message du 25 mai 1983 sur l’harmonisation fiscale, FF 1983 III 186). On peut ainsi inférer du texte et du but visé par le législateur la volonté de limiter le privilège fiscal aux indemnités versées par l’employeur qui ont un lien étroit avec la prévoyance professionnelle.

De jurisprudence constante, le Tribunal fédéral en a déduit que les versements de capitaux analogues aux versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance en lien avec une activité dépendante devaient, pour bénéficier de l’imposition privilégiée, revêtir un caractère de prévoyance prépondérant (arrêts 2C_86/2017 du 26 septembre 2017 consid. 2.3.3; 2C_931/2013 du 6 septembre 2014 consid. 2.2; 2C_538/2009 du 19 août 2010 consid. 4.2, 4.4 et 4.5; 2A.50/2000 du 6 mars 2001 consid. 3e). Il en va en particulier des indemnités de départ versées par l’employeur, lesquelles doivent donc, pour bénéficier de l’imposition privilégiée prévue à l’art. 38 LIFD, avoir un lien étroit avec la prévoyance professionnelle, un tel lien s’examinant à l’aune des circonstances entourant les versements concernés (ATF 145 II 2 consid. 4.2; cf. aussi arrêt 2C_538/2009 du 19 août 2010 consid. 4 et 6).

L’Administration fédérale a aussi édicté, le 3 octobre 2002, la Circulaire n° 1 sur les indemnités de départ et les versements de capitaux de l’employeur (ci-après: la Circulaire n° 1; Archives 71 p. 541 ss). Selon ce texte, « les indemnités de départ ont un caractère de prévoyance lorsqu’elles sont destinées exclusivement et irrévocablement à atténuer les conséquences financières découlant des risques liés à la vieillesse, à l’invalidité et au décès ». Ainsi, pour que des versements de capitaux effectués par l’employeur puissent bénéficier de l’imposition privilégiée de l’art. 17 al. 2 LIFD, trois conditions cumulatives doivent être réunies (cf. ch. 3.2 de la Circulaire n° 1) : le contribuable quitte l’entreprise après avoir atteint l’âge de 55 ans (let. a), son activité lucrative (principale) est définitivement abandonnée ou doit l’être (let. b) et une lacune dans sa prévoyance découle du départ de l’entreprise et de son institution de prévoyance (let. c). Ce texte ne constitue cependant qu’une directive administrative, sans force de loi, ne liant ni les administrés, ni les tribunaux ni même l’administration; la Circulaire n° 1 ne saurait ainsi être appliquée à la lettre et ne dispense pas les autorités de tenir compte des circonstances du cas d’espèce (cf. ATF 145 II 2 consid. 4.3; 133 II 305 consid. 8.1 et la jurisprudence citée; pour un exemple en lien avec la directive précitée, arrêt 2C_86/2017 du 26 septembre 2017 consid. 3 et 4).

Dans son arrêt, le Tribunal cantonal a jugé que l’indemnité de 237’000 fr. perçue par l’intimée en raison de son licenciement de la direction du groupe C.________ remplissait principalement un but de prévoyance. Selon lui, les différentes conditions permettant d’aboutir à un tel constat en application de la Circulaire no 1 seraient réunies. Par ailleurs, d’après les juges cantonaux, le versement, obtenu sept ans avant l’âge de la retraite, aurait objectivement eu pour but de prémunir la recourante contre le risque objectif d’une perte totale ou, à tout le moins, substantielle de revenu à moyen ou long terme. La réaffectation de l’intéressée à une fonction extraopérationnelle dans le groupe aurait en effet conduit, entre autres conséquences, à une diminution de salaire importante, ainsi qu’à la perte d’un régime de prévoyance avantageux réservé aux cadres de l’entreprise.

Dans ses écritures, l’Administration fédérale reproche pour sa part au Tribunal cantonal, en substance, d’avoir procédé à une interprétation erronée des critères de la Circulaire no 1 en assimilant à tort une indemnité de départ à un versement de prévoyance, ce qui constitue selon elle une violation de l’art. 17 al. 2 LIFD. De plus, en appliquant les critères en question comme il l’a fait, le Tribunal cantonal aurait méconnu les règles régissant la répartition du fardeau de la preuve découlant de l’art. 8 CC.

Il ressort de l’arrêt attaqué, d’une manière qui lie le Tribunal fédéral (cf. art. 105 al. 1 LTF), que l’intimée a reçu le capital dont le traitement fiscal est litigieux après avoir dû quitter le poste qu’elle occupait depuis 1986 au sein de la direction de C.________. Elle a été démise de sa fonction fin février 2004 à l’âge de 57 ans à la suite d’une restructuration interne de l’entreprise. Elle s’était dans un premier temps opposée à cette mesure, avant de l’accepter en contrepartie du versement d’une indemnité de 237’000 fr. net (correspondant à 250’000 fr. brut) et d’une réaffectation immédiate à un autre poste au sein d’une autre société du groupe. Selon l’arrêt attaqué, les conditions de cette transaction censée éviter toute action en justice ont été négociées pendant plusieurs mois avant qu’un accord aboutisse. Si la somme précitée a été qualifiée d’  » indemnité de licenciement  » par les parties, la fonction exacte et précise que devait remplir ce capital n’est pas établie par l’arrêt attaqué qui retient, de manière générale, qu’il aurait eu pour but de prémunir la recourante contre le risque objectif de perte totale ou, à tout le moins, substantielle de revenu à moyen ou long terme. Il s’avère en effet que la réaffectation effectuée s’est accompagnée d’une diminution de salaire de presque de moitié, la rémunération mensuelle de l’intimée étant passée de quelque 14’300 fr. net (171’853 fr. / 12) en 2003 à environ 7’400 fr. net par mois en 2004.

Sur la base de ces éléments, l’appréciation du Tribunal cantonal relative au caractère prépondérant de prévoyance du capital versé ne peut être suivie. Certes, en se voyant licenciée de son poste de direction par C.________ SA et réaffectée à un autre poste au sein du groupe, l’intimée ne pouvait, selon toute vraisemblance, plus espérer bénéficier des prestations de prévoyance dont elle profitait jusqu’alors, compte tenu de la perte de revenu consécutive à ce changement de poste. Il n’est ainsi pas exclu que l’indemnité de départ versée ait pu servir, dans une certaine mesure, à compenser cet inconvénient, notamment dans l’hypothèse où l’intimée aurait thésaurisé le montant reçu jusqu’à la retraite, laquelle est finalement intervenue quatre ans plus tard de manière anticipée. On ne voit cependant pas en quoi le capital payé présenterait sur cette seule base un caractère de prévoyance prépondérant au sens de l’art. 17 al. 2 LIFD. Par définition, toute indemnité de départ, voire « parachute doré » versé au cadre d’une entreprise a pour fonction de compenser la perte des divers avantages liés au poste de travail perdu, parmi lesquels figurent, par la force des choses, ceux liés à la prévoyance professionnelle. Aussi le simple fait que l’intimée ait vu ses expectatives de prévoyance péjorées à la suite de la restructuration de la direction de C.________ ne suffit-il pas à fonder un lien étroit entre le capital versé à cette occasion et sa prévoyance professionnelle (cf. pour une considération comparable arrêt 2C_86/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.2). En revanche, force est de relever que l’une des particularités de l’indemnité ici en cause est d’avoir été convenue en même temps qu’une réaffectation immédiate de l’intéressée au sein du groupe, les deux mesures faisant partie d’un même accord transactionnel, lequel était destiné à éviter une action en justice. Il s’avère ainsi que l’intimée ne s’est en réalité jamais retrouvée sans emploi, de sorte qu’il lui était toujours possible de rester affiliée à une caisse de pension et d’y cotiser, ainsi que son employeur. Des montants ont d’ailleurs continué à être versés à ce titre après son changement de fonction, en 2004 et en 2005. Sous cet angle, le capital négocié semble davantage compenser la réduction de salaire à laquelle l’intimée a dû consentir parallèlement à sa réaffectation que la diminution de ses expectatives de prévoyance, qui n’en constitue qu’une conséquence indirecte. Autrement dit, cette indemnité de départ de la direction du groupe ne présente, d’un point de vue strictement objectif, aucun lien étroit ou prépondérant évident avec la prévoyance professionnelle de l’intimée.

Il ne semble par ailleurs pas qu’un tel lien ait existé d’un point de vue subjectif. Dans son arrêt, la Cour de justice reconnaît n’avoir pas pu déterminer la véritable intention de l’intimée et du Groupe C.________ au moment où ceux-ci ont convenu du paiement de l’indemnité de départ litigieuse. Le fait est que l’intimée n’a pas été en mesure de prouver que les parties souhaitaient que le capital versé poursuive un but de prévoyance, notamment en produisant la convention transactionnelle passée en 2004. Il ne ressort pour le reste pas de l’arrêt attaqué – ni d’ailleurs de la réponse de l’intimée – que celle-ci aurait affecté le montant perçu à sa prévoyance de deuxième ou de troisième pilier, ni d’ailleurs qu’elle aurait simplement projeté de le faire. La présente cause se distingue sous cet angle de vue de l’arrêt 2C_538/2009 du 19 août 2010. Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a reconnu qu’un montant de 300’000 fr. versé à un ancien membre de direction licencié – mais non réaffecté – à la suite d’une restructuration présentait un lien étroit avec la prévoyance professionnelle. Il était néanmoins établi que le montant en question, qui ne constituait qu’une partie de l’indemnité de départ plus large, avait été payé par l’employeur précisément afin de compenser une lacune de prévoyance future, son bénéficiaire l’ayant d’ailleurs rapidement investi dans un troisième pilier.

Partant, il n’apparaît pas, à l’aune des circonstances constatées dans l’arrêt attaqué, que l’indemnité de départ de 237’000 fr. versée à l’intimée par C.________ SA entretienne un lien étroit avec la prévoyance professionnelle. Il en résulte que Tribunal cantonal a violé le droit fédéral en considérant que ce versement était analogue à un versement en capital provenant d’une institution de prévoyance et, partant, devait bénéficier de l’imposition privilégiée prévue à l’art. 38 LIFD.

Notons que la somme en question ne peut pas non plus se voir imposée en application de l’art. 37 LIFD qui prévoit un taux particulier pour les paiements uniques destinés à éteindre une créance relative à des prestations périodiques, même si elle a compensé d’une certaine façon une réduction de salaire à venir. En effet, un tel taux s’applique exclusivement aux versements intervenant sous forme d’un capital unique indépendamment de la volonté de leurs bénéficiaires (ATF 145 II 2 consid. 5.2). Il ne peut dès lors profiter à l’intimée qui a accepté un paiement en capital dans le cadre d’une transaction extrajudiciaire avant même que ne naissent d’éventuelles créances salariales.

Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu d’admettre le recours de l’Administration fédérale. L’indemnité de départ de 237’000 fr. perçue par l’intimée durant la période fiscale 2004 doit ainsi être imposée conformément aux art. 17 al. 1 et 36 LIFD, au taux plein conjointement avec les autres revenus obtenus par l’intimée et son époux durant l’année considérée.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_520/2019 du 1er octobre 2019)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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