
B______ exploite – sous son nom – une entreprise individuelle active dans le domaine du carrelage qui a son siège à Genève.
Par contrat de travail conclu le 4 juin 2018 pour une durée indéterminée, B______ (ci-après également l’employeur) a engagé A______ (ci-après également l’employé) en qualité de carreleur (…). La Convention Collective de Travail Romande du Second Œuvre (CCT-SOR) était applicable aux rapports de travail. (…)
Par lettre de son assurance protection juridique (ci-après : C______) du 4 novembre 2019, A______ a informé B______ que le laser en croix mis à sa disposition [par l’employeur en remplacement d’un outil qui lui appartenait] ne présentait pas les mêmes qualités que son ancien laser à trois lignes. L’employeur était ainsi prié de remettre à A______ un laser à trois lignes ou de lui verser la somme de 285 fr. afin qu’il puisse en racheter un.
Le 18 novembre 2019, B______ a convoqué A______ dans son bureau pour lui signifier son licenciement. Il lui a également donné de l’argent pour lui permettre d’acheter un nouveau laser à trois lignes. (…)
Par pli de son assurance protection juridique du 13 décembre 2019, A______ a informé B______ qu’il faisait opposition à son licenciement qu’il estimait abusif. Par oral, le précité lui avait en effet expliqué « que la raison de son congé était due à la lettre reçue de sa protection juridique concernant le remboursement du laser disparu ». Il s’agissait donc d’un congé de représailles. (…)
Dans sa réponse du 6 janvier 2020 adressée à C______, B______ a (…) contesté le caractère abusif du licenciement, exposant que le congé n’avait aucun lien avec la réclamation de l’employé quant au laser disparu. Il avait d’ailleurs versé à celui-ci de l’argent pour l’achat d’un nouveau laser, ce qu’il avait fait « de bon cœur » alors que rien ne l’y obligeait. Comme indiqué oralement, c’était principalement pour des raisons économiques que A______ avait été licencié. S’y ajoutaient les motifs suivants : l’employé avait reçu plusieurs amendes avec son véhicule de fonction, ce qu’il avait caché à l’employeur; il ne respectait pas ses horaires de travail; il adoptait un comportement inadéquat et colérique devant ses collègues et la clientèle.
Le 5 mars 2020, B______ a indiqué – sur l’attestation de l’employeur destinée à l’assurance-chômage – que le motif du licenciement de A______ résidait dans un « manque de travail ».
Par demande déposée le 16 juillet 2020, déclarée non conciliée le 21 septembre 2020 et introduite devant le Tribunal le 5 janvier 2021, A______ a assigné B______ en paiement de 30’000 fr. avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er février 2020, à titre d’indemnité pour licenciement abusif.
(….)
L’appelant (= le travailleur) reproche au Tribunal d’avoir retenu que son licenciement n’était pas abusif.
Le contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties (art. 335 al. 1 CO). Le droit suisse du contrat de travail repose en effet sur la liberté contractuelle. Le droit fondamental de chaque cocontractant de mettre unilatéralement fin au contrat est cependant limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO).
Aux termes de l’art. 336 al. 1 let. d CO, qui vise le congé de représailles (ou congé-vengeance), le licenciement est abusif s’il est donné par une partie parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail. Cette disposition tend en particulier à empêcher que le licenciement soit utilisé pour punir le travailleur d’avoir fait valoir des prétentions auprès de son employeur en supposant de bonne foi que les droits dont il soutenait être le titulaire lui étaient acquis.
La notion de « prétentions résultant du contrat de travail » s’entend au sens large et comprend la loi, les conventions collectives de travail, les règlements d’entreprise, voire la pratique. De telles prétentions portent notamment sur des salaires, des primes ou des vacances.
L’employé doit être de bonne foi, laquelle est présumée (art. 3 al. 1 CC). Il importe peu qu’en réalité, sa prétention n’existe pas. Il suffit qu’il soit légitimé, de bonne foi, à penser que sa prétention est fondée. La réclamation ne doit toutefois être ni chicanière ni téméraire, car elle empêcherait alors une résiliation en elle-même admissible.
Les prétentions émises par l’employé doivent avoir joué un rôle causal dans la décision de l’employeur de le licencier. Ainsi, le fait que l’employé émette de bonne foi une prétention résultant de son contrat de travail n’a pas nécessairement pour conséquence de rendre abusif le congé donné ultérieurement par l’employeur. Encore faut-il que la formulation de la prétention en soit à l’origine et qu’elle soit à tout le moins le motif déterminant du licenciement. Plus les deux évènements seront rapprochés dans le temps et plus facilement l’on pourra y inférer un indice du caractère abusif du congé. (…)
Selon la jurisprudence, un « motif économique » constitue un intérêt digne de protection qui exclut généralement de considérer que le congé est abusif. Des motifs économiques peuvent se définir comme des motifs non inhérents à la personne du salarié, c’est-à-dire des raisons liées à la situation économique de l’entreprise, comme sa fermeture totale ou partielle, sa restructuration ou sa rationalisation, qui rendent nécessaires la suppression ou la modification de postes de travail. En principe, la mauvaise marche des affaires, le manque de travail ou des impératifs stratégiques commerciaux constituent des motifs économiques admissibles. Ainsi en va-t-il lorsque l’entreprise se trouve dans une situation financière difficile, en raison d’un recul des commandes, et qu’elle ne peut plus assumer le paiement des salaires convenus. L’employeur a le droit d’anticiper des difficultés prévisibles dans la marche des affaires; il n’a pas besoin d’attendre d’être dans des difficultés économiques pour prendre les mesures de restructuration qui s’imposent. (…)
En l’espèce, l’appelant – à qui il incombe de prouver que le licenciement est abusif – échoue à apporter des indices susceptibles d’établir que le motif du congé avancé par l’intimé (= l’employeur) serait fictif.
En premier lieu, c’est à tort que l’appelant soutient que l’intimé aurait fait preuve d’incohérence s’agissant du motif invoqué à l’appui de la résiliation du contrat de travail. Au contraire, l’employeur n’a pas varié dans ses explications, puisqu’il s’est régulièrement prévalu de raisons économiques pour motiver le congé (…).
Contrairement à ce que plaide l’appelant, les deux lettres de licenciement produites par l’intimé, datées des 28 novembre et 2 décembre 2019, sont propres à étayer le congé pour motif économique. En effet, ces lettres, même caviardées, permettent de retenir que l’appelant et deux autres collaborateurs ont été licenciés à intervalles rapprochés. Il semble peu plausible que ces congés aient été donnés pour trois raisons différentes. Il apparaît au contraire vraisemblable que ces collaborateurs ont tous été licenciés pour le même motif, ce qui appuie la thèse d’un licenciement économique. (…)
Il est par ailleurs constant que le salaire horaire de l’appelant était plus élevé que le salaire minimum prévu par la CCT-SOR. (…)
Conformément aux principes rappelés ci-avant, une situation financière délicate, induite par un recul des commandes, est un motif admissible pour justifier la suppression de postes de travail. L’employeur peut, en outre, anticiper une baisse de la marche des affaires et prendre les mesures de restructuration qui s’imposent, cela sans attendre d’être dans des difficultés économiques. La décision de l’intimé de supprimer en priorité des postes de travail – en vue de réduire la masse salariale et les charges sociales – dans le but de préserver la santé financière de son entreprise n’apparaît dès lors pas critiquable, à plus forte raison qu’il s’agit d’une entreprise de services dont le carnet de commandes est susceptible de fluctuer sensiblement d’un mois à l’autre.
Partant, le Tribunal était fondé à retenir que le motif économique avancé par l’intimé semblait hautement vraisemblable.
En ce qui concerne le congé de représailles plaidé par l’appelant, il sera tout d’abord relevé que la prétention litigieuse, soit le remboursement du laser à trois ligne, ne trouve aucun fondement dans la loi, dans la CCT-SOR ou dans le contrat de travail. (…) C’est ainsi à bien plaire que l’intimé a accepté de le faire, ainsi qu’il l’a relevé dans son courrier du 6 janvier 2020. Pour cette raison déjà, la thèse soutenue par l’appelant apparaît peu plausible, indépendamment de la question de savoir si celui-ci était de bonne foi lorsqu’il a fait valoir cette prétention.
En tout état, le lien de causalité entre la prétention de l’appelant et le congé n’est nullement établi. Ainsi que l’a retenu le Tribunal, il paraît difficilement concevable que l’intimé, après avoir accepté de verser à l’appelant un salaire sensiblement supérieur au salaire minimum prévu par la CCT-SOR, ait pris la décision de le licencier par mesure de représailles, du seul fait qu’il lui réclamait 285 fr. pour s’acheter un nouveau laser. L’hypothèse d’un congé-vengeance convainc d’autant moins que l’intimé s’est acquitté du montant réclamé (…) à première demande alors qu’il n’y était pas tenu. En soi, le bref laps de temps qui s’est écoulé entre la réception de la lettre de C______ et le licenciement ne suffit pas à établir un lien de causalité entre la prétention de l’appelant et le licenciement. Au contraire, les différents éléments du dossier déjà examinés ci-dessus tendent à confirmer qu’il s’agit d’un simple concours de circonstances. Le fait que la question du laser a été discutée lors de l’entretien du 18 novembre 2019 ne démontre pas non plus l’existence d’un lien de causalité. Il apparaît plutôt vraisemblable que l’intimé a souhaité – au moment de résilier le contrat de travail de l’appelant – solder leurs comptes et régler cette question, comme l’a justement relevé le Tribunal. L’appelant échoue ainsi à établir que sa prétention en remboursement du laser aurait joué un rôle causal dans la décision de l’intimé de le licencier.
En définitive, c’est à raison que le Tribunal a considéré que le licenciement n’était pas abusif. L’appel étant infondé, le jugement attaqué sera confirmé.
(Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice (GE) CAPH/173/2022 du 03.11.2022)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)