Imposition d’une indemnité transactionnelle versée par l’employeur?

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Le Tribunal fédéral, dans un arrêt 2C_546/2021 du 31 octobre 2022, destiné à la publication, se prononce pour la première fois sur la question de savoir si les indemnités versées à titre d’indemnisation pour licenciement abusif au sens de l’art. 336a CO entrent dans la catégorie des versements à titre de réparation du tort moral qui doivent être exonérés de l’impôt au sens de l’art. 24 let. g LIFD. Extraits :

A.________ a été employée par B.________ SA entre 2000 et 2016, avant d’être informée, lors d’un entretien qui s’est tenu le 27 janvier 2016, de son licenciement pour le 30 avril 2016 et de sa libération de son obligation de travailler jusqu’au terme du délai de résiliation. En incapacité de travail totale à compter de cette date jusqu’au 31 décembre 2016 pour des troubles dépressifs nécessitant un traitement psychiatrique et psychothérapeuthique, elle a vu le terme de son contrat de travail reporté au 31 mars 2017. 

 Le 20 juin 2017, A.________ a ouvert action contre son ancien employeur par le dépôt d’une requête en conciliation auprès du Tribunal de prud’hommes de l’arrondissement de Lausanne. Estimant que les motifs de son licenciement étaient abusifs, elle concluait au paiement d’une indemnité nette de 30’000 fr., avec intérêts à 5% l’an dès le 1er avril 2017, correspondant à un peu moins de cinq mois de salaire pour rester dans le cadre de la compétence du Tribunal de prud’hommes. 

Lors de l’audience de conciliation, qui s’est tenue le 15 août 2017, A.________ et B.________ SA sont parvenus à l’accord suivant:

 » I. B.________ SA s’engage à verser à A.________ un montant de CHF 25’000.- (vingt-cinq mille francs), non soumis à charges sociales, dans un délai au 31 août 2017, sur le compte de cette dernière […]; 

II. Au vu de ce qui précède, les parties se donnent quittance pour solde de tout compte et de toute prétention du chef de leurs relations contractuelles de travail et se déclarent hors de cause et de procès; 

III. Chaque partie renonce à ses dépens.  » 

Le certificat de salaire 2017, établi le 15 février 2018 par B.________ SA, mentionne le montant faisant l’objet de cette transaction sous la rubrique « prestations non périodiques » au titre de « Ind. départ non soumise ».

 (….)

Par décision du 27 novembre 2018, l’Office d’impôt des districts de Lausanne et Ouest lausannois (ci-après: l’Office d’impôt) a arrêté le revenu brut imposable de A.________ pour l’impôt cantonal et communal 2017 à 78’500 fr. (82’300 fr. pour l’impôt fédéral direct), y ajoutant l’indemnité de départ de 25’000 fr. reçue cette année-là.   […]

Le présent litige porte [donc] sur l’imposition, à titre de revenu en matière d’IFD et d’ICC pour la période 2017, de l’indemnité de 25’000 fr. versée à l’intimée par son ancien employeur à la suite de la transaction passée lors de l’audience de conciliation devant le Tribunal de prud’hommes du 15 août 2017.

 L’arrêt attaqué, interprétant cette transaction, a considéré en substance que l’indemnité litigieuse pouvait être qualifiée d’indemnité pour licenciement abusif prévue à l’art. 336a CO. Dès lors que, selon la doctrine et la jurisprudence cantonale, une telle indemnité entre dans la catégorie des versements à titre de réparation du tort moral, au sens des art. 24 let. g LIFD et 28 let. h de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux [LI/VD; RS/VD 642.11], les juges précédents ont conclu qu’elle devait être exonérée. 

 La recourante [= l’administration fiscale] conteste tout d’abord la qualification juridique retenue par le Tribunal cantonal de l’indemnité de 25’000 fr. versée à l’intimée. Elle estime que ni l’interprétation de la transaction ni les circonstances d’espèce ne sont propres à prouver que le licenciement était abusif et, partant, que l’indemnité correspondait à une indemnité pour licenciement abusif au sens de l’art. 336a CO. L’examen auquel s’est livré le Tribunal cantonal pour parvenir à cette conclusion procéderait donc d’une interprétation arbitraire des faits et violerait l’art. 8 CC. De plus, la solution retenue dans l’arrêt attaqué ne pourrait être mise en pratique par les autorités fiscales, car elle impliquerait d’interpeller l’employeur afin d’obtenir sa version des faits, ce qui ne serait pas conciliable avec les contraintes liées au secret fiscal auxquelles elles sont soumises. A titre subsidiaire, la recourante estime que même s’il fallait considérer que l’indemnité visait à compenser un licenciement abusif au sens de l’art. 336a CO, le versement d’une telle indemnité poursuit une double fonction, punitive et réparatrice, de sorte qu’elle ne saurait être considérée d’emblée comme constituant, dans son ensemble, une réparation pour tort moral. Dès lors que, faute d’informations suffisantes, l’éventuelle part de l’indemnité qui serait consacrée à la réparation du tort moral est impossible à déterminer, il se justifierait de qualifier l’indemnité litigieuse de revenu imposable, en application des art. 16 ss LIFD et 19 ss LI. 

Avant d’examiner la question du traitement fiscal d’un montant versé à titre d’indemnité pour licenciement abusif, il convient, dans un premier temps, de se demander si c’est à juste titre que le Tribunal cantonal a considéré que les 25’000 fr. reçus par l’intimée à la suite de la transaction du 15 août 2017 entraient dans cette catégorie, ce que conteste la recourante.

 La Cour de céans étant compétente pour statuer sur la question de l’imposition de l’indemnité litigieuse au titre de l’ICC et de l’IFD pour la période 2017, elle l’est aussi pour trancher, à titre préjudiciel, la question de la nature juridique de ladite indemnité dans le cas d’espèce (cf. art. 31 LTF), pour autant toutefois que l’autorité formellement compétente pour connaître du litige civil ne se soit pas encore prononcée: si la question a déjà été tranchée par une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral est en principe lié.

En l’occurrence, la décision de transaction du Tribunal de prud’hommes de l’arrondissement de Lausanne du 15 août 2017, seule autorité civile s’étant prononcée sur la cause, a les effets d’une décision entrée en force et revêt l’autorité de la chose jugée. Toutefois, cette autorité ne s’est pas prononcée sur la nature de l’indemnité litigieuse; elle s’est limitée à prendre acte de l’accord passé entre les parties en cours de procédure. Le Tribunal de prud’hommes n’a ainsi pas rendu de décision sur le fond même si, formellement, il a rayé la cause du rôle (art. 241 al. 3 CPC). Il s’ensuit que la question de la nature juridique de l’indemnité versée à l’intimée n’a pas fait l’objet d’une décision judiciaire par l’autorité civile compétente, de sorte que cette question peut être examinée dans le cadre du présent litige.

 Les situations dans lesquelles la résiliation d’un contrat de travail peut être qualifiée d’abusive sont régies aux articles 336 ss CO. Selon la jurisprudence, un congé peut notamment être abusif en raison de la manière dont il est donné (cf. ATF 132 III 115 consid. 2.2), parce qu’il contrevient de manière caractéristique au principe de la bonne foi (ATF 135 III 115 consid. 2.2), ou lorsqu’il est donné par un employeur qui viole les droits de la personnalité du travailleur (ATF 132 III 115 consid. 2.2). 

 En l’occurrence, comme déjà indiqué, il n’y a pas eu de procédure judiciaire permettant de qualifier juridiquement le congé donné à l’intimée, mais celle-ci a introduit une procédure prud’homale qui a débouché sur une transaction. Selon l’arrêt attaqué, la recourante estimait que les critiques formulées à son encontre par son ancien employeur étaient infondées et qu’elle n’avait jamais eu la possibilité de se défendre ni de se faire entendre. De plus, aucune enquête interne n’avait été menée et elle avait souffert d’un épisode dépressif sévère l’ayant contrainte à suivre un traitement. Dans ce contexte, on ne peut reprocher au Tribunal cantonal d’avoir examiné les circonstances du dépôt de la requête de conciliation au Tribunal de prud’hommes et d’avoir interprété la transaction pour déterminer la nature de l’indemnité versée. Contrairement à ce que prétend la recourante, on ne voit pas pourquoi un tel examen ne pourrait être imposé aux autorités fiscales, ce d’autant plus qu’il peut se faire sur la base des pièces du dossier. 

 S’en prenant à l’interprétation faite par le Tribunal cantonal, la recourante invoque l’arbitraire (art. 9 Cst.) dans l’établissement des faits.   […]

En l’espèce, le Tribunal cantonal a examiné les pièces du dossier et a retenu que l’intimée, qui considérait que les motifs de son licenciement étaient abusifs au sens de l’art. 336a CO, avait introduit une procédure prud’homale contre son ancien employeur en concluant au versement d’une indemnité nette de 30’000 fr., ce qui correspondait à un peu moins de cinq mois de salaire. Cette autorité a également relevé que l’ancien employeur ne s’était pas déterminé par écrit sur les prétentions de l’intimée avant l’audience de conciliation, ce qui était souvent le cas en pratique, mais que lors de cette audience, il avait accepté, à titre de compromis, de s’acquitter d’une indemnité nette de 25’000 fr. Bien qu’assisté par un avocat, l’ancien employeur de l’intimée n’avait pas assorti son engagement d’une réserve telle que « sans reconnaissance de responsabilité », « à bien plaire » ou encore « par gain de paix ». Sur la base de ces éléments, les juges précédents ont admis que l’accord passé devait être interprété comme comprenant la reconnaissance du caractère abusif du licenciement litigieux. 

 Cette interprétation ne peut être qualifiée d’arbitraire. En effet, au vu de l’ensemble des circonstances, et en particulier du fait que dans le cadre d’une procédure pour licenciement abusif, l’ancien employeur avait accepté de verser une indemnité équivalant à plus de 80% du montant réclamé sans formuler la moindre réserve de responsabilité, il n’apparaît pas insoutenable de retenir, à l’instar du Tribunal cantonal, que la transaction comportait une reconnaissance du caractère abusif du licenciement. 

Sur le vu de ce qui précède, les griefs tirés de la violation de l’arbitraire et des règles générales sur le fardeau de la preuve doivent être écartés. Le Tribunal fédéral confirmera donc l’interprétation de l’arrêt attaqué selon laquelle l’indemnité litigieuse constituait une indemnité pour licenciement abusif au sens de l’art. 336a CO. 

Sur le fond, il reste à examiner si, en considérant que l’indemnité litigieuse devait être exonérée d’impôt, le Tribunal cantonal a violé l’art. 24 let. g LIFD, comme le soutient la recourante. Selon elle, une indemnité pour licenciement abusif, au sens de l’art. 336a CO, ne constitue pas nécessairement un versement à titre de réparation du tort moral, au sens de l’art. 24 let. g LIFD.

 L’art. 16 al. 1 LIFD prévoit que l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. Cette disposition exprime, pour l’imposition du revenu des personnes physiques, le concept de l’accroissement du patrimoine, respectivement de l’imposition du revenu global net. Fondés sur cette clause générale, tous les revenus provenant d’une activité exercée dans le cadre de rapports de travail, qu’elle soit régie par le droit privé ou par le droit public, y compris les revenus accessoires, sont imposables (cf. art. 17 al. 1 LIFD). En font donc également partie, conformément à l’art. 23 let. c LIFD, les indemnités obtenues lors de la cessation d’une activité ou de la renonciation à l’exercice de celle-ci. 

Constituent toutefois des revenus exonérés les différents cas de figure énumérés exhaustivement à l’art. 24 LIFD. Il s’agit d’exceptions qui, dans un système caractérisé par un impôt général sur le revenu, doivent être interprétées restrictivement. Parmi la liste de l’art. 24 LIFD figure en particulier les « versements à titre de réparation du tort moral » (art. 24 let. g LIFD).

 Les versements à titre de réparation du tort moral visés par l’art. 24 let. g LIFD ont pour objectif de réparer le tort moral subi en raison d’atteinte aux droits de la personnalité. Comme ils visent à compenser une atteinte immatérielle au moyen d’une réparation matérielle, le Tribunal fédéral a estimé, sous le régime de l’AIFD, qu’il serait choquant de les soumettre à l’imposition en tant que revenu en application de la théorie de l’accroissement net du patrimoine (Archives 56 p. 61, StE 1987 B 21.1 n° 1, RDAF 1989 II 56, p. 60), car l’Etat s’enrichirait alors du malheur de ses citoyens. Pour cette raison, les prestations en réparation du tort moral ne constituent pas un revenu imposable en vertu de l’art. 24 let. g LIFD (cf. Gladys Laffely Maillard, in Noël/Aubry Girardin, Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2ème éd., 2017, n° 51 ad art. 24). 

 Quant à l’art. 336a al. 1 et 2 CO, il prévoit que la partie qui a résilié abusivement doit à l’autre une indemnité à fixer par le juge et correspondant à six mois de salaire au plus. Le montant doit être évalué selon les règles du droit et de l’équité, conformément à l’art. 4 CC. 

 La Cour de céans ne s’est encore jamais prononcée sur le point de savoir si les indemnités versées à titre d’indemnisation pour licenciement abusif, au sens de l’art. 336a CO, entraient dans la catégorie des versements à titre de réparation du tort moral qui doivent être exonérés de l’impôt, au sens de l’art. 24 let. g LIFD.

 Dans le domaine des assurances sociales, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser que les indemnités fondées sur l’art. 336a CO devaient être soustraites du salaire déterminant pour la fixation des cotisations d’assurances sociales (ATF 123 V 5 consid. 5). A l’appui de ce constat figure notamment le fait que de telles indemnités sont indépendantes de toute prestation de travail, de sorte qu’il n’existe aucun lien, juridique ou économique – même indirect – avec une prestation de travail.

 Les jurisprudences cantonales divergent sur l’imposition d’une telle indemnité. [….]

La doctrine est également divisée sur la réponse à apporter à cette problématique. Une majorité des auteurs s’étant prononcés sur l’art. 24 LIFD estime toutefois que les indemnités versées par l’ancien employeur à la suite d’un licenciement abusif, au sens de l’art. 336a CO, doivent être entièrement traitées, sous l’angle fiscal, comme des versements à titre de réparation du tort moral […] 

 Il convient [à ce stade] de rappeler la nature de l’indemnité pour licenciement abusif prévue à l’art. 336a CO. […] cette indemnité a une double finalité, réparatrice et punitive. La finalité réparatrice de l’indemnité découle notamment du fait qu’elle couvre en principe tout le tort moral subi par le travailleur licencié, qu’elle est versée à la victime elle-même, et qu’elle est due même si le travailleur ne subit aucun dommage. Cette finalité se reflète également dans certains des critères à prendre en compte dans la fixation du montant de l’indemnité, tels que la gravité de l’atteinte à la personnalité de l’employé, la durée de la relation de travail ou encore les effets du licenciement. La finalité punitive de l’indemnité, quant à elle, vise à sanctionner un comportement fautif de l’ancien employeur au moyen d’une prestation matérielle, sans que l’employé n’ait à démontrer une quelconque atteinte à sa personnalité. 

 Compte tenu de la particularité de l’indemnité pour licenciement abusif au sens de l’art. 336a CO, il convient de suivre la position de la doctrine majoritaire, appliquée du reste dans plusieurs cantons, et d’admettre que cette indemnité entre, dans son ensemble, dans le cadre des versements à titre de réparation du tort moral prévus à l’art. 24 let. g LIFD. L’indemnité de l’art. 336a CO vise en effet à compenser l’atteinte subie par l’employé découlant du caractère abusif de son licenciement et qui, de par sa nature, implique une atteinte à la personnalité. La première finalité de cette indemnité tend du reste à compenser le tort moral causé par le licenciement. Le fait que cette indemnité ait pour seconde finalité de sanctionner le comportement de l’employeur n’est pas propre à occulter sa première finalité. Une telle indemnité doit ainsi entièrement entrer dans la catégorie des versements à titre de réparation du tort moral, au sens de l’art. 24 let. g LIFD. Il est en effet impossible en pratique de différencier les parts de l’indemnité affectées à ces finalités, alors que l’art. 336a CO n’exige pas de les distinguer. Dès lors, comme cela prévaut du reste dans le domaine des assurances sociales, c’est à bon droit que le Tribunal cantonal a jugé que l’indemnité pour licenciement abusif au sens de l’art. 336a CO versée à l’intimée devait entièrement être soustraite de son revenu déterminant pour la période fiscale 2017, en application de l’art. 24 let. g LIFD. 

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2021 du 31 octobre 2022, destiné à la publication)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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