Le Tribunal fédéral, dans un arrêt 4A_38/2022 du 31 octobre 2022 (consid. 3-5), traite des diligences de l’avocat et de sa rémunération. La décision est intéressante en ce qu’elle montre les limites d’une appréciation rétrospective du travail effectué : ce qui se justifiait, au vu des circonstances à un moment « t », peut être très différent du résultat d’une analyse « standard » de la procédure effectuée postérieurement. Extraits :
Il n’est pas contesté que les parties étaient liées par un contrat de mandat (art. 394 ss CO). Le litige porte sur la rémunération de la demanderesse. Les honoraires de l’avocat sont dus en vertu de l’art. 394 al. 3 CO. Ils sont fixés en première ligne par la convention des parties. Sur le fond, la défenderesse estime que la demanderesse a perdu son droit à toute rémunération en raison du choix d’une voie de droit vouée au rejet et d’une information déficiente, rendant ses prestations inutiles et inutilisables. A tout le moins devrait-elle être réduite pour cause d’exécution défectueuse.
En tant que mandataire, l’avocat ne répond pas d’un résultat, mais de la bonne et fidèle exécution du mandat (art. 398 al. 2 CO). L’étendue de son devoir de diligence se détermine selon des critères objectifs. Les exigences qui doivent être posées à cet égard ne peuvent pas être fixées une fois pour toutes, car la qualité des services que le mandant peut attendre de l’avocat dépend des circonstances et du degré des difficultés auxquelles celui-ci est confronté. L’exercice de sa profession deviendrait impossible si le mandant pouvait le rendre responsable après coup de tout insuccès, compte tenu, d’une part, de la complexité de la législation et des faits, des aléas des procédures et, d’autre part, de certaines imperfections humaines mineures qui se manifestent nécessairement lors de l’exercice d’une telle profession, empreinte de risques. Cependant, s’agissant d’un mandataire au bénéfice d’un diplôme de capacité professionnelle, qui s’est vu délivrer une autorisation officielle de pratiquer et qui exerce son activité contre rémunération, on doit pouvoir attendre de lui une diligence particulière en relation avec ses connaissances spécifiques et compter, notamment, qu’il conseille et oriente son client quant aux possibilités juridiques ou pratiques qui se présentent à lui dans certaines situations. En définitive, l’avocat ne méconnaît son devoir de diligence que si le manquement qui lui est reproché représente la violation de règles généralement reconnues et admises, telles que le respect de délais de péremption ou de prescription.
La violation, par l’avocat, de son devoir de diligence constitue, du point de vue juridique, une inexécution ou une mauvaise exécution de son obligation de mandataire. Sa rémunération peut être le cas échéant réduite, voire supprimée.
En cas d’exécution défectueuse, le droit du mandataire à des honoraires subsiste, mais le montant des honoraires convenus peut être réduit pour rétablir l’équilibre des prestations contractuelles. En effet, la rémunération due au mandataire représente une contre-prestation pour l’activité diligente qu’il exerce dans l’affaire dont il est chargé et s’il n’agit pas avec le soin requis, il ne peut prétendre, au titre de l’art. 394 al. 3 CO et de la convention des parties, à l’entier des honoraires convenus, c’est-à-dire à la rémunération qui serait équitablement due à un mandataire diligent.
En cas d’inexécution totale, soit lorsque le mandataire demeure inactif ou que ses prestations se révèlent inutiles ou inutilisables ( vollständig unbrauchbar), celui-ci peut perdre son droit à la rémunération. En effet, la rémunération du mandataire n’est due que pour les prestations utiles et non pour celles qui sont inutilisables.
En l’espèce, la Cour cantonale a écarté l’ensemble des critiques que la recourante adressait au travail de son avocate. Sur les deux points qui intéressent la Cour de céans, ses motifs se traduisent en ces termes.
Certes, l’avocate avait déposé une demande en divorce pour rupture du lien conjugal au sens de l’art. 115 CC, alors que les conditions de cette disposition ne semblaient pas réalisées, de prime abord. Et par ailleurs, le délai biennal de séparation conjugale de l’art. 114 CC n’était pas acquis. Cela étant, le choix d’une demande en divorce plutôt que celui d’une requête de mesures protectrices de l’union conjugale obéissait à la logique suivante. Tout d’abord, il était à ce stade envisageable que l’époux ne s’oppose pas au principe du divorce. Ensuite, la défenderesse avait exprimé sa crainte que son époux ne saisisse le premier les juridictions étrangères. L’objectif poursuivi par la recourante était donc de créer et figer une litispendance matrimoniale en Suisse, ce qui ne pouvait être atteint au moyen d’une requête de mesures protectrices de l’union conjugale. Ainsi, la décision d’agir en divorce plutôt qu’en mesures protectrices était à tout le moins défendable et ne relevait pas d’une mauvaise exécution du contrat. S’y ajoutait que l’avocate avait dû agir dans l’urgence durant l’été, afin de préserver au mieux les intérêts de sa cliente, en saisissant rapidement un tribunal en Suisse et alors que le dossier était en mains d’un précédent mandataire qui faisait obstacle à sa remise.
La Cour cantonale a également estimé que l’avocate n’avait pas violé son devoir d’information, contrairement à ce que sa cliente avançait en se plaignant de n’avoir pas saisi la stratégie adoptée. Celle-ci avait consisté à agir en divorce et en reddition de comptes, ce qui résultait tant de la procuration que de la convention sur les honoraires. Et les parties avaient nourri de très nombreux contacts, aussi bien en personne que par téléphone et par e-mail, lors desquels la recourante avait reçu tous les renseignements utiles, y compris s’agissant de la stratégie adoptée.
La recourante voit dans ce raisonnement une violation des art. 398 al. 2 CO et 97 CO. A son sens, la demande en divorce était viciée ab ovo et il n’était pas possible de tabler sur un accord ultérieur de l’époux au principe du divorce, accord qu’il n’a d’ailleurs pas donné dans les faits. En effet, explique-t-elle, si l’intention de son conjoint était de saisir un tribunal à l’étranger, il avait tout intérêt à contrecarrer cette procédure. Elle fustige à ce propos l’analyse rétrospective à laquelle la Cour cantonale a procédé, en retenant ce qui s’apparentait à ses yeux à une pure hypothèse théorique (l’accord que l’époux donnerait ultérieurement). Elle affirme également que le but qu’elle poursuivait à l’époque n’était pas de créer la litispendance en Suisse et d’empêcher son mari de saisir le premier une juridiction à l’étranger, mais bien d’assurer sa subsistance. Ainsi, comme elle ne pouvait espérer qu’une contribution d’entretien fût fixée par mesure provisionnelle, sachant que la demande de divorce était vouée à l’échec, le dépôt d’une requête de mesures protectrices de l’union conjugale était seul adéquat.
La recourante estime enfin que son avocate aurait dû l’informer du risque lié au choix d’une voie de droit insolite, déraisonnable et téméraire, ce dont elle se serait abstenue.
Au moment où il s’est agi de déterminer la voie de droit adéquate, car c’est bien ce moment qui est déterminant, la recourante craignait que son mari ne saisisse le premier un tribunal à l’étranger et voulait figer une litispendance matrimoniale en Suisse. Elle n’affirme pas que ce fait, constaté souverainement par la Cour cantonale, serait arbitraire, ce qui clôt le débat. Comme l’arrêt cantonal le souligne, cette crainte a d’ailleurs été exprimée très explicitement dans la demande en divorce que la recourante a relue attentivement – à en juger par le nombre de questions qu’elle a posées à sa mandataire au sujet de son contenu – avant le dépôt de ce mémoire en justice. Et cette inquiétude pouvait aisément se concevoir, sachant que les époux avaient quitté S.________ quelques années auparavant et que le mari avait récemment mis en vente la villa de Genève, comme cela était exposé dans la demande.
L’enjeu était manifestement d’une certaine importance, si l’on se représente notamment qu’une juridiction étrangère aurait pu avoir une vision fort différente de l’entretien que l’un des conjoints doit à l’autre en cas de séparation et si l’on considère les sommes en jeu.
L’avocate pouvait dès lors légitimement en tenir compte, ce d’autant que – si la requête de mesures provisionnelles ne devait point aboutir, pour un motif lié à la demande en divorce à laquelle elle était adossée ou au refus de l’époux de consentir au principe du divorce – elle pouvait aisément lui substituer une requête de mesures protectrices de l’union conjugale, l’art. 173 al. 3 CC lui permettant dans ce contexte de réclamer des contributions d’entretien non seulement pour l’avenir, mais également pour l’année qui précède l’introduction de la requête (possibilité également donnée en cas de vie séparée dans le cadre de l’art. 176 CC).
La stratégie consistant à ouvrir action en divorce et requérir en parallèle le prononcé de mesures provisionnelles n’était ainsi pas déraisonnable dans ce contexte précis, d’autant que le mari a continué à verser à son épouse la contribution d’entretien qu’elle réclamait alors, correspondant à 25’000 fr. par mois, sans attendre d’y être sommé par mesures provisionnelles. Ce n’est dès lors pas comme si la recourante s’était trouvée privée de moyens de subsistance en raison de ce choix procédural, ce qui aurait justifié de revoir cette option stratégique.
Il est bien évident que le refus de l’époux de consentir au divorce – qui n’avait rien de certain, cette décision n’étant pas dictée par une logique prédéterminée – devait également dicter une remise en question de la stratégie adoptée initialement. Mais il ne prive pas celle-ci de tout sens ab ovo.
Le Tribunal fédéral ne discerne dès lors pas de violation du devoir de diligence dont l’avocate de la recourante aurait été l’auteur.
Quant à l’absence d’information que la recourante pourfend également, elle ne trouve pas d’assise dans le jugement cantonal qui souligne au contraire que celle-ci a reçu tous renseignements utiles de son avocate, notamment sur la stratégie adoptée. C’est là un fait établi (…).
Partant, l’avocate n’a pas non plus violé son devoir d’information et sa rémunération n’a pas à être réduite ou supprimée en conséquence. La recourante n’en conteste pas spécifiquement le montant, sur lequel la Cour cantonale s’était d’ailleurs largement exprimée, et que le Tribunal fédéral n’a nulle raison de revoir.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)