Maltraitance au travail : à propos d’une tribune publiée dans le Temps

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Yasmine Motarjemi pulie, dans le Temps du 26 août 2015, une tribune intitulée « La maltraitance au travail, pas seulement chez Amazon, mais aussi en Suisse ».

Le ton est absolument apocalyptique :

En Suisse, les cas de harcèlement, y compris de cadres dirigeants, seraient « nombreux ». La Suisse n’offrirait que peu de protection sur le plan légal. La justice serait une « utopie », et pour les salariés de multinationales, la procédure en justice serait un  « cauchemar » : très coûteuse, longue, pénible et douloureuse, avec une issue « incertaine » et un résultat « insignifiant ». Elle serait également « incompatible avec l’obtention d’un autre emploi ».

Selon l’auteur, si «les employés résistent à l’envie de se suicider, ils souffrent terriblement, et nombreux sont ceux qui tombent malades. Le chômage et la procédure en justice font le reste pour les achever psychiquement et physiquement (…) ».

Les employeurs, « rarement condamnés », ne seraient pas pénalisés « à la mesure de ce qu’ils ont commis ». Par conséquent, les victimes de maltraitance au travail seraient peu nombreuses à tenter leur chance devant les tribunaux, faute de moyens financiers.

« A contrecœur », les employés céderaient à la solution d’un accord à l’amiable avec leur employeur « triomphant », « ce qui ne fait en rien cesser la perversité de la situation ».

Conclusion inévitable, il n’y aurait en Suisse ni le cadre légal ni le cadre matériel pour lutter contre la maltraitance au travail.

Loin de moi l’idée de sous-estimer les souffrances subies dans le cadre du travail, la pratique m’a montrée qu’en effet elles pouvaient être considérables, avec des effets tout à fait ravageurs sur la personne du travailleur et son entourage.

Mais il est parfaitement inexact de dire que la cadre légal serait inexistant, que les actions en justice seraient vaines et coûteuses et que les accords amiables avec l’employeur seraient des leurres destinés à flatter des patrons « triomphants ».

Concernant le cadre légal, il suffira de renvoyer aux art. 328 et ss CO, à la LTr, à la jurisprudence du Tribunal fédéral sur l’obligation de mettre sur pied une structure de gestion des conflits, etc. De toute façon, 9 fois sur 10, les cas de maltraitance (mobbing) sont liés à des licenciements abusifs ou injustifiés, ce qui augmente la force de frappe des plaignants.

Pour ce qui est des contentieux, ceux-ci ne sont jamais, comme ceux des autres branches du droit, assez rapide et les tribunaux assez diligents. Mais le nouveau code de procédure civile a plutôt eu un effet positif, les tribunaux fonctionnent bien dans la plupart des cantons, et la comparaison internationale suffirait à montrer que la Suisse ne s’en tire pas si mal dans ce domaine. L’argument relatif aux coûts des procédures est aussi inexact : l’assistance judiciaire est assez largement accordée dans les conflits découlant des rapports de travail.

Enfin, dans la pratique, l’essentiel des conflits du travail trouvent des issues négociées entre l’employeur et l’employé. Il faut plutôt s’en féliciter : cela montre que les parties et leurs représentants arrivent fréquemment à trouver des accords équilibrés évitant des pertes de temps et d’argent inutiles.

Tout n’est pas parfait, bien sûr, tant en ce qui concerne le cadre légal que le contentieux. On peut donc comprendre certaines des frustrations de l’auteur, mais la question mérite mieux et plus que cette longue suite de lieux communs.

Pour en savoir plus sur les contentieux du travail en Suisse romande: Philippe Ehrenström / Eugénie Iacconi, Guide de survie aux prud’hommes, Zurich, 2014

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A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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Un commentaire pour Maltraitance au travail : à propos d’une tribune publiée dans le Temps

  1. Sachez que les employés qui acceptent un arrangement avec leur employeur, suite à un mobbing ou à un licenciement, le font car ils savent que la procédure judiciaire, en plus pas certaine, durera des années … Cette situation est totalement anormale. D’ailleurs Mme Motarjemi a mis des années pour enfin obtenir qu’un procès ait lieu. le procès a commencé le 1er décembre 2015 et les audition des témoins auront lieu jusqu’en juin 2016 ….. Votre article ne tient pas compte du parcours du combattant qu’il faut réaliser en Suisse pour obtenir un procès contre une grande entreprise. Ni de l’énergie gigantesque qu’il faut déployer pour y arriver. Raison pour laquelle la majorité des employés signent un arrangement.

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