Le droit d’accès du proche aux données d’une personne décédée

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Le titulaire du droit d’accès est la personne (physique ou morale) au sujet de laquelle les données personnelles sont traitées (art. 3 let. a et b, 8 al. 1 LPD), à qui appartient dès lors la légitimation active pour agir en justice dans ce cadre.

Le droit d’accès aux données personnelles relevant des droits de la personnalité, il est non transmissible à cause de mort, non cessible et ne se prescrit pas. La personnalité s’éteignant par la mort (art. 31 al. 1 CC), les données des personnes décédées ne devraient donc pas être régies par la LPD. Elles font néanmoins l’objet d’une disposition figurant dans l’ordonnance relative à la loi fédérale sur la protection des données du 14 juin 1993 (RS 235.11; ci-après OLPD). Ainsi, le proche qui demanderait à consulter le dossier d’une personne décédée auprès d’une personne privée pourrait se prévaloir de l’art. 1 al. 7 OLPD, à teneur duquel la consultation des données d’une personne décédée est accordée lorsque le requérant justifie un intérêt à la consultation et qu’aucun intérêt prépondérant de proches de la personne décédée ou de tiers ne s’y oppose. Un intérêt est établi en cas de proche parenté ou de mariage avec la personne décédée. Une pesée des intérêts doit ainsi avoir lieu entre, d’une part, l’intérêt du requérant à obtenir les données de la personne décédée et, d’autre part, les intérêts de tiers ou de proches du défunt. Outre les intérêts prépondérants de tiers ou de proches de la personne décédée, l’intérêt du défunt devrait être pris en compte. Le secret professionnel ou médical, notamment, peut ainsi s’opposer au droit des descendants.

Une partie de la doctrine estime que l’art. 1 al. 7 OLPD est contraire à la loi et ne satisfait pas aux exigences constitutionnelles de base légale, dans la mesure où la LPD ne prévoit pas de droit d’accès pour les tiers (…). D’autres voient plutôt dans ce droit non pas un droit d’accès à proprement parler, mais un droit sui generis de consultation d’un dossier, qui ne consiste pas en un droit du défunt se transmettant aux héritiers, mais en un droit propre des proches (…).

La jurisprudence fédérale a laissé la question ouverte, notamment dans l’ATF 140 V 464. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a néanmoins rappelé que l’article 8 LPD permettait uniquement à la personne concernée de consulter les informations la concernant et que ce droit d’accès n’était pas transmissible aux héritiers. En tout état, le droit à la protection des données ne s’appliquait que dans la mesure où il était mis au service des intérêts que la règle était destinée à protéger, soit, s’agissant de l’art. 8 LPD, de permettre à la personne concernée d’exercer ses autres droits en matière de protection des données. Cela valait également pour l’article 1 OLPD. Dans la mesure où la demande de la recourante tendait uniquement à la revendication d’un droit successoral, elle ne coïncidait pas avec l’objectif de la LPD. La recourante ne pouvait donc pas s’en prévaloir. Suivant ce constat, restait ouverte la question de savoir si l’article 1 al. 7 OLPD était légal (ATF 140 V 464consid. 4.2, traduit in Revue de droit administratif et de droit fiscal des 3-4-5 septembre 2015, p. 285-287).

Le tribunal cantonal zurichois a quant à lui refusé à un fils, qui se prévalait de l’art. 1 al. 7 OLPD, d’accéder aux données de son père décédé, jugeant que cette disposition était contraire à la loi (arrêt de l’Obergericht de Zurich du 16 novembre 2016 rendu dans la cause NP160017-O/U consid. IV.2).

Le Conseil fédéral avait prévu, dans le cadre du projet de révision de la LPD, d’insérer un article portant sur l’accès aux données de personnes décédées. Cet article aurait précisé les conditions auxquelles le droit d’accès pouvait être accordé et ajouté notamment que l’intérêt du défunt devait être pris en compte. Cette disposition a cependant été supprimée par le Parlement dans la nouvelle LPD telle qu’adoptée en septembre 2020, celui-ci ayant estimé que la question était déjà suffisamment réglementée, notamment par le Code civil. Il ressort du rapport explicatif que la consultation de données d’une personne décédée n’a pas non plus été reprise dans la nouvelle OLPD car, d’une part, régler cette question dans une ordonnance n’était pas adéquat et, d’autre part, le Parlement avait refusé d’introduire un projet d’article à ce sujet dans la nouvelle LPD (Révision totale de l’ordonnance relative à la loi fédérale sur la protection des données, rapport explicatif relatif à la procédure de consultation du 23 juin 2021, p. 11).

En l’espèce, l’appelante réclame la communication de nombreux documents dont dispose l’intimée à son sujet et au sujet de son défunt mari et de ses enfants prédécédés.

Si elle peut fonder, le cas échéant, ses prétentions la concernant sur le droit d’accès de l’art. 8 LPD, que ce soit en sa qualité de titulaire d’un compte, d’ayant droit économique, de titulaire d’une procuration ou autre, elle ne peut le faire s’agissant de ses proches, qui étaient seuls titulaires de ce droit, qui s’est définitivement éteint à leurs décès.

L’appelante s’estime légitimée à le faire en raison de son lien de parenté direct avec ceux-ci et reproche au premier juge d’avoir retenu qu’elle n’avait pas établi être la seule représentante de sa famille encore en vie sans l’avoir interpelée à ce sujet, violant ainsi la maxime inquisitoire sociale.

L’appelante, en tant que veuve et mère, rentre manifestement dans la définition de parents proches énoncés ci-dessus. Si l’art. 1 al. 7 OLPD pourrait lui permettre de consulter les données de feu C______, feu D______ et feue E______, reste que les intérêts des autres proches et tiers devraient être pris en compte. En l’occurrence, il ressort de la procédure que son fils aurait institué une héritière par testament et qu’une procédure est pendante en lien avec la succession de celui-ci, ce que l’appelante ne conteste pas. L’intérêt de l’héritière instituée, dont les liens avec le défunt ne sont pas connus, pourrait donc s’opposer à celui de l’appelante d’accéder aux informations bancaires sollicitées.

Quoi qu’il en soit, conformément à ce que considère une partie de la doctrine, il doit être considéré que l’art. 1 al. 7 OLPD est contraire à la loi, la LPD ne régissant pas l’accès aux données d’une personne décédée dans la mesure où le droit d’accès relève des droits de la personnalité, laquelle s’éteint par la mort. L’appelante ne peut dès lors s’en prévaloir pour justifier sa demande en tant qu’elle concerne des données des membres décédés de sa famille, soit des données qui ne lui sont pas propres.

Cette possibilité a d’ailleurs été écartée dans le cadre de la réforme du droit de la protection des données.

Ainsi, pour cette raison également, la demande, en tant qu’elle vise à récupérer les données concernant feu C______, feu D______ et feue E______, doit être rejetée.

(Arrêt de la Cour de justice du Canton de Genève ACJC/562/2022 du 26.04.2022 consid. 5)

(Cet arrêt est présenté et commenté par Célian Hirsch, Droit d’accès : L’art. 8 LPD voit ses limites confirmées, publié le : 16 août 2022 par le Centre de droit bancaire et financier, https://cdbf.ch/1243/, mais surtout sous l’angle de l’art. 8 LPD [droit d’accès direct de la personne concernée, et non pour des proches décédés]).

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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