La détermination du domicile fiscal

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Les recourants ( = les contribuables) prétendent que l’autorité intimée a procédé à une appréciation erronée des faits, en retenant qu’ils étaient domiciliés dans le Canton de Vaud de 2017 à 2019.

Le principe de l’interdiction de la double imposition intercantonale de l’art. 127 al. 3, 1ère phrase, Cst. s’oppose à ce qu’un contribuable soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet, pendant la même période, à des impôts analogues (double imposition effective) ou à ce qu’un canton excède les limites de sa souveraineté fiscale et, violant les règles de conflit jurisprudentielles, prétende prélever un impôt dont la perception est de la seule compétence d’un autre canton.

Selon les art. 3 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct  (LIFD ; RS 642.11 ) et 3 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID; RS 642.14), les personnes physiques sont assujetties à l’impôt à raison du rattachement personnel notamment lorsque, au regard du droit fiscal, elles sont domiciliées en Suisse respectivement dans le canton (al. 1); une personne a son domicile en Suisse respectivement dans le canton au regard du droit fiscal lorsqu’elle y réside avec l’intention de s’y établir durablement ou lorsqu’elle y a un domicile légal spécial en vertu du droit fédéral (al. 2). Les personnes physiques domiciliées dans le canton, au regard du droit fiscal, doivent l’impôt au lieu de leur domicile (art. 3 al. 2 LHID).

D’après la jurisprudence fédérale rendue en application de l’art. 127 al. 3, 1ère phrase, Cst., l’imposition du revenu et de la fortune mobilière d’une personne revient au canton où cette personne a son domicile fiscal. On entend par là en principe le domicile civil, c’est-à-dire le lieu où la personne réside avec l’intention de s’y établir durablement (art. 23 al. 1 CC), ou le lieu où se situe le centre de ses intérêts. Le domicile politique ne joue, dans ce contexte, aucun rôle décisif: le dépôt des papiers et l’exercice des droits politiques ne constituent, au même titre que les autres relations de la personne assujettie à l’impôt, que des indices propres à déterminer le domicile fiscal. Le lieu où la personne assujettie a le centre de ses intérêts personnels se détermine en fonction de l’ensemble des circonstances objectives, et non en fonction des déclarations de la personne; dans cette mesure, il n’est pas possible de choisir librement un domicile fiscal. Ainsi, il est nécessaire que ces circonstances puissent être objectivement constatées; les liens d’un contribuable avec l’endroit qu’il allègue être son domicile ne sauraient avoir un simple caractère affectif.

Si une personne séjourne alternativement à deux endroits, ce qui est notamment le cas lorsque le lieu de travail ne coïncide pas avec le lieu de résidence habituelle, son domicile fiscal se trouve au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites. Pour le contribuable exerçant une activité lucrative dépendante, le domicile fiscal se trouve en principe à son lieu de travail, soit au lieu à partir duquel il exerce quotidiennement son activité lucrative, pour une longue durée ou pour un temps indéterminé, en vue de subvenir à ses besoins. Pour le contribuable marié qui exerce une activité lucrative dépendante sans avoir de fonction dirigeante, ainsi que pour les personnes vivant en concubinage dans la même situation, les liens créés par les rapports personnels et familiaux (époux, concubin, enfants) sont tenus pour plus forts que ceux tissés au lieu de travail; pour cette raison, ces personnes sont imposables en principe au lieu de résidence de la famille, même lorsqu’elles ne rentrent dans leur famille que pour les fins de semaine et durant leur temps libre,

Les liens rattachant les couples mariés sans enfants au lieu où ils habitent et travaillent pendant la semaine l’emportent généralement sur ceux qu’ils entretiennent en fin de semaine avec une résidence secondaire, même s’ils y possèdent un logement, s’y rendent régulièrement et y ont un cercle d’amis et de connaissances. Dans certaines circonstances exceptionnelles, le domicile fiscal principal pourra toutefois se trouver au lieu de séjour régulièrement fréquenté pendant les fins de semaine et le temps libre.

Le lieu du séjour en fin de semaine ou durant les vacances n’est pas suffisant pour constituer objectivement un domicile fiscal principal. Il a ainsi été jugé que les relations personnelles et matérielles entretenues durant la semaine avec le lieu du travail ou celui à partir duquel le travail est exercé (Wochenaufenthaltsort) l’emportaient sur celles que ces mêmes contribuables peuvent nouer ailleurs pendant le week-end (v. ATF 125 I 54; cf. en outre arrêts FI.2011.0007 du 24 juin 2011; FI.2010.0045 du 18 octobre 2010; FI.2009.0127 du 13 avril 2010; FI.2004.0145 du 18 avril 2005; FI.2000.0043 du 29 septembre 2000). En particulier, le Tribunal fédéral a relevé sur ce point que l’appartenance à des sociétés locales traditionnelles n’était guère significative au point que l’on doive conclure à une implication prépondérante en un lieu déterminé (cf. arrêts TF 2C_794/2013 du 2 mai 2014 consid. 3.6, 2C_178/2011 du 2 novembre 2011 consid. 3.4; voir aussi arrêt FI.2003.0055 du 26 janvier 2004; cf. également arrêt FI.2017.0016 du 28 août 2017 consid. 4c).

Contrairement à ce qui prévaut dans les situations internationales (ATF 138 II 300 consid. 3.3), le domicile fictif de l’art. 24 al. 1 CC – selon lequel toute personne conserve son domicile aussi longtemps qu’elle ne s’en est pas créé un nouveau – ne s’applique pas en cas de changement de domicile à l’intérieur de la Suisse. Si le contribuable a rompu les liens avec son ancien domicile, il n’y est plus assujetti. L’ancien domicile doit néanmoins être considéré comme toujours déterminant lorsque la preuve que celui-ci a été déplacé ne peut être apportée. Pour constituer un nouveau domicile, la volonté de le déplacer n’est pas suffisante. Cette volonté doit se traduire par des actes concrets, c’est à dire que le contribuable doit avoir déplacé le centre de ses intérêts vitaux à cet endroit.

En matière fiscale, il appartient à l’autorité d’établir les faits qui justifient l’assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment. En ce qui concerne le domicile, cela implique qu’il appartient à l’autorité qui veut imposer le contribuable sur son territoire d’apporter les éléments de fait nécessaires pour établir le domicile fiscal déterminant pour l’assujettissement. Selon la jurisprudence, il est toutefois possible d’imposer au contribuable dans les relations intercantonales la preuve de l’assujettissement qu’il prétend avoir dans un nouveau lieu pour autant que l’assujettissement admis par l’autorité fiscale apparaisse comme très probable pour la période fiscale litigieuse. Si la preuve du transfert de domicile n’est pas apportée, l’ancien domicile est supposé comme continuant d’exister.

En l’occurrence, l’autorité intimée a retenu que les recourants, mariés, avaient eu leur domicile fiscal dans le Canton de Vaud pendant plus de 10 ans. En dépit de l’annonce de leur prise de domicile en Valais, les recourants auraient continué à séjourner dans une mesure similaire à Nyon, où ils résidaient majoritairement en semaine et d’où le recourant 1 se rendait à son travail à Genève. Les liens qu’entretiennent les recourants avec Crans-Montana ne différeraient pas de ceux entretenus par des personnes séjournant dans leur résidence secondaire en fin de semaine. L’ACI relève par ailleurs que l’estimation fiscale du bien immobiliers situé à Nyon (1’326’000 fr.), par rapport à celle du bien sis à Crans-Montana (160’858 fr.) démontre également la prééminence du rattachement des recourants au Canton de Vaud.  

Les recourants soutiennent au contraire que leurs liens avec le Valais doivent être tenus pour prépondérants. 

Il convient d’abord de constater que les recourants ont été assujettis fiscalement à leur domicile de Nyon pendant les périodes fiscales antérieures à 2017. Ils n’ont pas contesté cet assujettissement et aucun élément du dossier ne laisse penser que ce serait à tort que l’autorité intimée aurait considéré que les recourants avaient leur domicile à Nyon pendant cette période. Il en résulte qu’il appartient en principe aux recourants d’apporter la preuve d’une modification de leur domicile dans le Canton du Valais à compter du 30 novembre 2016, leur simple déclaration de départ auprès du contrôle des habitants ne suffisant manifestement pas à modifier la charge de la preuve.

 Il n’est pas contesté par les recourants que le recourant 1 exerce une activité lucrative dépendante à Genève et qu’il résidait de ce fait régulièrement durant la semaine à Nyon pour se rendre à son lieu de travail, activité qu’il exerce à temps complet. Le recourant 1 a certes produit une attestation de son employeur, selon laquelle il est régulièrement en déplacement, notamment auprès de sa clientèle basée à l’étranger et en Suisse, principalement en Valais. On ne peut toutefois rien déduire de cette pièce en ce qui concerne la fréquence des déplacements et l’ampleur que représente le portefeuille de clients du recourant 1 situés en Valais par rapport à ceux qui se trouvent ailleurs en Suisse et à l’étranger. Les recourants n’établissent en outre pas que les modalités d’exercice de l’activité lucrative du recourant 1 auraient connu une évolution déterminante en fin d’année 2016, qui induirait une présence accrue en Valais. Il convient par conséquent de retenir, à l’instar de l’autorité intimée, que le couple séjournait habituellement ensemble, que ce soit à Nyon une partie de la semaine à tout le moins et à Crans-Montana durant les week-ends et les jours fériés.

Si les recourants évoquent leur présence soutenue en Valais pour les besoins de la formation de leurs enfants, ils ne remettent pas en cause le fait que leurs deux enfants, alors âgés de 27 et 25 ans, avaient achevé les formations entreprises en Valais et s’étaient tous deux constitués des logements distincts, hors du foyer familial, dès 2017. Les liens que les recourants ont maintenu avec leurs enfants, majeurs depuis longtemps, en fin de semaine ne sauraient revêtir la même portée que lorsque les enfants séjournent continuellement avec leurs parents.

Les recourants soutiennent en outre qu’ils apportent une attention particulière à la mère du recourant 1, depuis son veuvage en 2015. Les pièces du dossier ne permettent toutefois pas de retenir que l’intensité de l’aide apportée supposait une présence plus régulière des recourants en Valais en 2017 déjà. La mère du recourant 1 bénéficiait en effet d’une aide à domicile chargée de lui fournir les soins requis. Les preuves produites par les recourants établissent leur implication surtout à compter de l’année 2020, qui correspond d’ailleurs à la vente de leur bien immobilier à Nyon. Le mandat pour cause d’inaptitude et la procuration générale signée en faveur du recourant 1 sont en effet tous deux datés d’août 2020. 

Les recourants établissent certes l’existence de liens étroits avec le Valais, notamment la fréquentation de médecins et de prestataires de services (coiffeurs, bouchers, commerces), ainsi que la participation à des activités locales (golf, ski, culture) et la fréquentation d’un cercle d’amis importants. Ces liens ne sont toutefois pas considérablement plus intenses que ceux d’une personne qui passe ses fins de semaine et son temps libre dans sa résidence secondaire. Les recourants concèdent également de telles dépenses dans les environs de Nyon, où ils ont consulté des médecins, y ont leur garagiste et recourent aux prestations de service d’un coiffeur. C’est par ailleurs à leur adresse de Nyon que leur étaient communiquées durant les périodes litigieuses les correspondances de leur banque, des CFF, du club de golf, ainsi que de leur assurance, ce qui constitue un indice supplémentaire pour le maintien de la domiciliation à Nyon. En outre, le fait d’être membre actif du club de golf ou de disposer d’un abonnement de ski, activités typiques de loisirs et de weekend, ne distingue pas les recourants d’une personne qui serait en résidence secondaire en Valais. Quant à la qualité des recourants de membre de diverses associations, il ne ressort pas du dossier que celle-ci entraînerait de leur part une implication intense au point de considérer que ces associations prennent plus d’importance dans leur vie que le travail du recourant 1.

Les autres pièces du dossier, en particulier les décomptes bancaires et les décomptes d’électricité, ne permettent à première vue pas de mettre en évidence une présence accrue des recourants dans le Canton du Valais par rapport au Canton de Vaud.

S’agissant en effet de la répartition des dépenses, l’autorité intimée a procédé à une répartition précise des diverses dépenses des recourants. Ils relèvent toutefois que les décomptes produits illustrent leur absence du canton de Vaud 231 jours en 2017 et 203 jours en 2018, ce qui contredirait l’hypothèse d’une prépondérance des liens avec le Canton de Vaud. Le nombre de transactions effectuées dans le Canton du Valais serait en outre considérablement plus élevé que dans le Canton de Vaud. Les recourants ne sauraient toutefois tirer un quelconque argument du fait qu’aucune dépenses n’a été consentie certains jours de l’année. Cela ne signifie en effet pas encore qu’ils étaient effectivement absents du Canton de Vaud. Peu importe en outre le nombre de transactions journalières, qui ne témoigne pas d’une présence accrue dans l’un ou l’autre canton. Avec l’autorité intimée, il convient en effet d’admettre que le critère du nombre de jours paraît être le plus probant de la présence effective des recourants, soit dans la région de l’arc lémanique, soit dans le Canton du Valais. Or, les observations de l’autorité intimée permettent de confirmer le constat selon lequel les recourants résident généralement en semaine dans l’arc lémanique et en fin de semaine en Valais.

Les recourants exposent également que la recourante 2 a effectué en Valais des séjours dans le cadre de sa rééducation. Les séjours pour cure ne modifient toutefois en principe pas le lieu de domicile (cf. art. 3 al. 4 LIFD). La nécessité pour la recourante d’accomplir sa rééducation en Valais s’explique par la présence de la clinique romande de rééducation de la SUVA à Sion et ne saurait constituer un élément déterminant permettant de retenir que le domicile des recourants se situerait en Valais.

Les considérations subjectives des recourants sont enfin sans pertinence. Sans doute, le recourant 1 a conservé des attaches profondes avec le canton du Valais. Cela étant, force est d’admettre que sa situation ne diffère à cet égard pas fondamentalement de celle du ressortissant d’un autre canton, voire même du travailleur immigré (sic !), venu prendre un emploi en un lieu déterminé, parfois loin de chez lui, et qui rentre dans son lieu d’origine le plus souvent possible pour y passer le plus clair de son temps libre. S’il est indéniable que les liens affectifs, voire même familiaux, de ce contribuable sont demeurés en ce dernier lieu, ses intérêts vitaux sont, eux, passés au lieu de son travail.

On ne voit pour le surplus pas en quoi les divers investissements immobiliers entrepris par les recourants en Valais auraient une quelconque portée pour établir le centre de leurs intérêts vitaux, dès lors que ces projets ne se sont en définitive pas réalisés. Avec les recourants, on doit en revanche admettre que la seule différence d’estimation fiscale entre le bien immobiliers sis à Crans-Montana et celui sis à Nyon ne constitue pas un aspect relevant, dans la mesure où les deux biens en question présentent à première vue une superficie et un confort similaire. Cette seule circonstance ne saurait toutefois suffire pour remettre en cause l’appréciation de l’autorité intimée, selon laquelle le centre des intérêts des recourants se trouvait toujours à Nyon entre 2017 et 2019. Il importe peu également que l’autorité intimée n’ait pas revendiqué, pour des motifs de péremption du droit de taxer la possibilité de taxer les recourants en 2016.

En définitive, il convient de retenir que les circonstances invoquées par les recourants ne sont pas de nature à renverser la présomption selon laquelle leur domicile fiscal principal était dans le canton de Vaud durant les périodes fiscales 2017 à 2019, d’où le recourant 1 partait habituellement à son travail. Les recourants, qui doivent apporter la preuve que leur domicile a été modifié, ne sont pas parvenus à établir que la situation prévalant jusqu’en fin d’année 2016 avait connu une évolution suffisamment importante pour retenir que le centre de leurs intérêts vitaux s’était déplacé dans le Canton du Valais. 

(Arrêt de la Cour de droit administratif et public (VD) FI.2021.0117 du 12.07.2022, consid. 2)

Note (en sourdine) : à lecture, on se demande si la preuve du déplacement des centres d’intérêt en VS apparaît seulement possible, eu égard à la hauteur de la barre que doivent passer les sauteurs dans le cas d’espèce….

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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