
Aux termes de l’art. 12 al. 1 de la loi du 20 décembre 1946 sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS; RS 831.10), est considéré comme employeur quiconque verse à des personnes obligatoirement assurées une rémunération au sens de l’art. 5 al. 2. Sont tenus de payer des cotisations tous les employeurs ayant un établissement stable en Suisse ou occupant dans leur ménage des personnes obligatoirement assurées (al. 2).
Chez une personne qui exerce une activité lucrative, l’obligation de payer des cotisations dépend, notamment, de la qualification du revenu touché dans un certain laps de temps; il faut se demander si cette rétribution est due pour une activité indépendante ou pour une activité salariée (cf. art. 5 et 9 LAVS, art. 6ss du règlement du 31 octobre 1947 sur l’assurance-vieillesse et survivants [RAVS; RS 831.101]).
Selon l’art. 5 al. 2 LAVS, on considère comme salaire déterminant toute rétribution pour un travail dépendant effectué dans un temps déterminé ou indéterminé; quant au revenu provenant d’une activité indépendante, il comprend tout revenu du travail autre que la rémunération pour un travail accompli dans une situation dépendante (art. 9 al. 1 LAVS). Le point de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée ne doit pas être tranché d’après la nature juridique du rapport contractuel entre les partenaires. Ce qui est déterminant, bien plutôt, ce sont les circonstances économiques. Les rapports de droit civil peuvent certes fournir, éventuellement, quelques indices, mais ils ne sont pas déterminants.
D’une manière générale, est réputé salarié celui qui dépend d’un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, et ne supporte pas le risque encouru par l’entrepreneur. Ces principes ne conduisent cependant pas, à eux seuls, à des solutions uniformes, applicables schématiquement. Les manifestations de la vie économique revêtent en effet des formes si diverses qu’il faut décider dans chaque cas particulier si l’on est en présence d’une activité dépendante ou d’une activité indépendante en considérant toutes les circonstances de ce cas. Souvent, on trouvera des caractéristiques appartenant à ces deux genres d’activité; pour trancher la question, on se demandera quels éléments sont prédominants dans le cas considéré.
Les principaux éléments qui permettent de déterminer le lien de dépendance quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise sont le droit de l’employeur de donner des instructions, le rapport de subordination du travailleur à l’égard de celui-ci, ainsi que l’obligation de l’employé d’exécuter personnellement la tâche qui lui est confiée. Un autre élément permettant de qualifier la rétribution compte tenu du lien de dépendance de celui qui la perçoit est le fait qu’il s’agit d’une collaboration régulière, autrement dit que l’employé est régulièrement tenu de fournir ses prestations au même employeur. En outre, la possibilité pour le travailleur d’organiser son horaire de travail ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’une activité indépendante.
Le risque économique d’entrepreneur peut être défini comme étant celui que court la personne qui doit compter, en raison d’évaluations ou de comportements professionnels inadéquats, avec des pertes de la substance économique de l’entreprise. Constituent notamment des indices révélant l’existence d’un tel risque le fait que la personne concernée opère des investissements importants, subit les pertes, supporte le risque d’encaissement et de ducroire, assume les frais généraux, agit en son propre nom et pour son propre compte, se procure elle-même les mandats, occupe du personnel et utilise ses propres locaux commerciaux.
Le risque économique de l’entrepreneur n’est cependant pas à lui seul déterminant pour juger du caractère dépendant ou indépendant d’une activité. La nature et l’étendue de la dépendance économique et organisationnelle à l’égard du mandant ou de l’employeur peuvent singulièrement parler en faveur d’une activité dépendante dans les situations dans lesquelles l’activité en question n’exige pas, de par sa nature, des investissements importants ou de faire appel à du personnel. En pareilles circonstances, il convient d’accorder moins d’importance au critère du risque économique de l’entrepreneur et davantage à celui de l’indépendance économique et organisationnelle.
On ajoutera que les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante; leur activité ne peut être qualifiée d’indépendante que lorsque les caractéristiques de la libre entreprise dominent manifestement et que l’on peut admettre, d’après les circonstances, que l’intéressé traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail. Et qu’une personne assurée peut exercer plusieurs activités lucratives en parallèle et être assujettie simultanément comme salariée et comme indépendante; lorsque cela est le cas, il y a lieu de se demander pour chacun des revenus réalisés par la personne assurée si celui-ci provient d’une activité salariée ou d’une activité indépendante.
Selon les chiffres 4024s des Directives de l’Office fédéral des assurances sociales sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG (DSD), dans leur teneur dès le 1er janvier 2021, une activité indépendante doit être admise lorsqu’au moins une des caractéristiques principales suivantes est prouvée: existence d’une organisation d’entreprise (chiffre 2024) ou prise en charge régulière de travaux adjugés directement par des tiers, tels que propriétaire de l’ouvrage, maître d’ouvrage, architecte, etc. (chiffre 2025). Une organisation d’entreprise existe lorsqu’il y a un atelier équipé d’installations et de machines en usage dans la branche, ou d’importants moyens d’exploitation appartenant au tâcheron ou loués par lui, tels que bétonneuses, monte-charge pour matériaux de construction, trax, pelles mécaniques, compresseurs, presses, installations de câblage et tracteurs articulés pour transports de bois, etc., ou le matériel utilisé, tel que fers à béton, matériel d’isolation, tuyaux, radiateurs, agencements intérieurs, papiers peints, etc., est fourni par le tâcheron lui-même, ou en règle générale, le tâcheron dispose de plusieurs équipes d’ouvriers différentes travaillant simultanément sur divers chantiers.
En l’espèce est litigieuse la question de savoir si la recourante doit être considérée comme employeur de B.________ et de C.________, et donc la qualification, au regard de la LAVS, de l’activité professionnelle de ceux-ci, et partant, de leur statut d’affiliés.
Concernant B.________, cette question a déjà été tranchée par la Caisse [AVS] Par décision sur opposition du 29 octobre 2019 faisant suite à sa demande d’affiliation en tant qu’indépendant. Pour rendre sa décision, la Caisse s’était basée sur la lettre du 23 janvier 2019 de la SUVA. Celle-ci considérait que B.________ ne remplissait pas les conditions requises pour que son activité puisse être reconnue comme indépendante du fait qu’il n’exécutait pas de travaux adjugés directement, ne disposait pas d’une organisation d’entreprise, n’était pas soumis au risque commercial, mettait uniquement sa main-d’œuvre à la disposition des tiers – ce qui revient à louer ses propres services –, ne disposait d’aucun matériel d’équipement significatif et n’assumait pas de risque d’entrepreneur. La Caisse étant liée par la décision de la SUVA, elle a refusé de l’affilier comme personne indépendante en l’absence de nouvel élément susceptible de modifier l’état de fait, B.________ n’ayant jamais apporté les factures de clients privés annoncées dans le cadre de la procédure d’opposition. Cette décision sur opposition n’a pas été contestée. En outre, force est de constater que la Caisse n’aurait pas pu reconnaître le statut d’indépendant à B.________. En effet, celui-ci ne remplit pas au moins une des caractéristiques principales pouvant conduire à l’admission d’une activité indépendante pour un travailleur à la tâche. Il n’existe tout d’abord pas d’organisation d’entreprise: B.________ n’a pas ni ne loue d’importants moyens d’exploitation ni n’utilise son propre matériel. De plus, si la recourante suppose qu’il dispose d’un atelier et mentionne qu’il employerait une ou deux personnes, cela n’est pas établi et est même contraire aux indications figurant dans le formulaire de demande du 25 septembre 2018. En effet, l’intéressé a répondu par la négative aux questions de savoir s’il dispose de locaux pour la pratique de l’activité et s’il occupe du personnel. Il n’y a pas non plus de prise en charge régulière de travaux adjugés directement par des tiers, les factures figurant au dossier étant toutes adressées à la recourante. Ainsi, sur la base de ces différents éléments, force est d’admettre que B.________ ne supporte pas de risque d’entrepreneur et dépend économiquement de la recourante, étant précisé que plus de 60% du montant nouvellement soumis à cotisation suite au contrôle d’employeur par la Caisse concerne les activités de ce dernier (CHF 170’063.- sur CHF 265’663.-), ce qui va dans le droit sens précité. Au surplus, aucun élément de nature à modifier cette appréciation ne figure au dossier, de nouveaux documents n’ayant pas été produits depuis la décision sur opposition et B.________ ne s’étant pas déterminé sur le recours. C’est dès lors à juste titre que la Caisse a considéré que les revenus que la recourante lui a versés durant les années considérées constituaient des salaires.
Il en est de même concernant C.________. Le 18 octobre 2018, la SUVA a en effet de même refusé de lui reconnaître le statut d’indépendant, en raison, malgré de nombreux rappels, de sa non[1]coopération pour clarifier sa situation. Sur la base de cette décision, la Caisse ne lui a pas non plus reconnu le statut d’indépendant par décision du 19 octobre 2018. Aucun élément figurant dans le dossier ne permet par ailleurs de savoir si celle-ci aurait été contestée. Ensuite, il n’apparaît pas que C.________ dispose d’un atelier équipé d’installations et de machines en usage dans la branche, qu’il possède ou loue d’importants moyens d’exploitation et qu’il occupe plusieurs équipes d’ouvriers différents travaillant simultanément sur divers chantiers. Cela n’est pas établi et ne correspond en outre pas non plus aux réponses figurant dans le formulaire de demande du 29 mai 2018: l’intéressé a en effet indiqué qu’il disposait seulement d’un bureau à son domicile et qu’il n’employait aucun personnel. Il convient de se fier à ces éléments dont rien ne permet de douter de leur véracité. De plus, si deux des sept factures produites sont détaillées et indiquent que le matériel est fourni par le précité, rien ne permet d’en conclure que tel est aussi le cas pour d’autres tâches: les cinq autres factures figurant au dossier ne comportent en effet pas d’indication à ce sujet. On ne peut dès lors pas retenir que C.________ dispose d’une organisation d’entreprise. Il n’est pas non plus possible d’admettre une prise en charge régulière de travaux adjugés directement par des tiers: sur les sept factures figurant au dossier, trois sont adressées à la recourante pour un montant total de près de CHF 50’000.-, contre quatre adressées aux trois personnes et société susmentionnées pour une somme globale d’environ CHF 4’570.- seulement. La recourante a par conséquent contribué à raison de près de 90% à ce revenu, ce qui autorise d’en conclure que l’intéressé dépend ainsi financièrement largement d’elle.
Au vu de ce qui précède, la Caisse a à juste titre considéré que B.________ et C.________ travaillent comme salariés pour la recourante, d’autant plus qu’il n’est pas allégué et qu’il n’apparaît pas non plus que ceux-ci auraient demandé à la SUVA de revoir sa position; de même, aucune nouvelle pièce propre à établir leur indépendance par rapport à la recourante n’a été produite et, comme déjà mentionné, leurs avis de taxation et leurs « chiffres d’affaires » ne pourraient de toute manière y contribuer. Soulignons que, même si le Tribunal de céans n’est pas lié par la position de la SUVA, il ne peut s’en départir que si des éléments concrets laissent apparaître que ses conclusions sont discutables, ce qui n’est manifestement pas le cas ici.
Partant, le recours doit être rejeté et la décision sur opposition du 10 décembre 2021 est confirmée.
(Arrêt 608 2022 13 de la IIe Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal fribourgeois, 12 juillet 2022)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)