Rappel d’impôt, arrangement fiscal et protection de la bonne foi

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En matière d’impôt fédéral direct, selon l’art. 151 al. 1 LIFD, lorsque des moyens de preuve ou des faits jusque-là inconnus de l’autorité fiscale lui permettent d’établir qu’une taxation n’a pas été effectuée, alors qu’elle aurait dû l’être, ou qu’une taxation entrée en force est incomplète ou qu’une taxation non effectuée ou incomplète est due à un crime ou à un délit commis contre l’autorité fiscale, cette dernière procède au rappel de l’impôt qui n’a pas été perçu, y compris les intérêts. Le droit d’introduire une procédure de rappel d’impôt s’éteint dix ans après la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n’a pas été effectuée, alors qu’elle aurait dû l’être, ou pour laquelle la taxation entrée en force était incomplète (art. 152 al. 1 LIFD). 

 L’art. 153a al. 1 LIFD prévoit que chacun des héritiers a droit, indépendamment des autres, au rappel d’impôt simplifié sur les éléments de la fortune et du revenu soustraits par le défunt, à condition qu’aucune autorité fiscale n’ait connaissance de la soustraction d’impôt (let. a); qu’il collabore sans réserve avec l’administration pour déterminer les éléments de la fortune et du revenu soustraits (let. b); qu’il s’efforce d’acquitter le rappel d’impôt dû (let. c). L’art. 153a al. 2 LIFD précise que le rappel d’impôt est calculé sur les trois périodes fiscales précédant l’année du décès conformément aux dispositions sur la taxation ordinaire et perçu avec les intérêts moratoires. 

Si, dans le cadre d’un rappel d’impôt simplifié sur des éléments fiscaux non déclarés d’un défunt marié, des éléments fiscaux non déclarés du conjoint survivant sont également découverts, ce dernier ne peut pas demander le rappel d’impôt simplifié (arrêt 2C_790/2015 du 3 mai 2016 consid. 2.4.6, in RF 71/2016 p. 722). En d’autres termes, le rappel d’impôt simplifié au sens de l’art. 153a LIFD est exclu pour les propres éléments imposables du conjoint survivant (cf. art. 175 LIFD) ou lorsque ce dernier a, à tout le moins, intentionnellement participé à l’infraction commise par le conjoint défunt (cf. art. 177 LIFD) (arr êt 2C_807/2017 du 30 mai 2018 consid. 4.2 et 4.4).

En ce qui concerne la notion de « ruling fiscal » – dont se prévalent les recourants – on rappellera qu’un ruling constitue une approbation anticipée par l’autorité fiscale compétente d’un traitement proposé par le contribuable en référence à une opération envisagée à l’avenir. Les « rulings » sont donc des renseignements juridiques donnés par l’administration fiscale; ils ne constituent pas des décisions, mais peuvent, à certaines conditions, avoir des conséquences juridiques en vertu du principe de la bonne foi et de la protection de la confiance (cf. arrêts 2C_26/2022 du 15 février 2022 consid. 3.2.2 et les références; 2C_974/2019 du 17 décembre 2020 consid. 9.1 et les références, in Archives 89 p. 629). 

En l’espèce, et ainsi que l’a retenu à juste titre la cour cantonale, le courrier du 8 juin 2018, qui a été contre-signé par le Service cantonal des contributions (timbre humide « bon pour accord »), ne peut pas être qualifié de « ruling fiscal ». En effet, son contenu ne portait pas sur une opération envisagée à laquelle la recourante aurait pu renoncer, mais bien sur la manière de taxer un état de fait déjà réalisé (comp. arrêt 2C_974/2019 du 17 décembre 2020 consid. 9.2, in Archives 89 p. 629). Contrairement à ce que prétendent les recourants, une dénonciation spontanée ne constitue pas une « opération envisagée » à l’avenir, ne serait-ce déjà parce qu’elle porte sur des éléments imposables qui s’inscrivent dans le passé.

La juridiction cantonale a ensuite constaté que l' »accord » en question ne pouvait pas davantage être considéré comme un « accord de procédure » (sur cette notion, cf. arrêt 2C_603/2012 du 10 décembre 2012 consid. 3.2 et les références, in StE 2013 A 21.14 Nr. 23), ce que les recourants ne contestent pas à raison, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’y revenir. Lorsque les conditions pour conclure un accord de procédure ne sont pas réalisées, il s’agit d’un arrangement fiscal (arrêt 2C_123/2014 du 30 septembre 2015 consid. 7.1). 

Selon la jurisprudence, un arrangement fiscal (Steuerabkommen, Steuerabmachung) vise à établir pour un état de fait concret une réglementation quant à l’existence, à l’étendue ou au mode de l’assujettissement qui s’éloigne des dispositions légales. De tels arrangements ne sont admissibles que si la loi le permet. Faute de base légale, les conventions portant par exemple sur le revenu imposable ou sur le montant de l’impôt sont, du point de vue du droit de l’impôt fédéral direct, nulles et non avenues (arrêts 2C_123/2014 du 30 septembre 2015 consid. 7.1, in RF 70/2015 p. 971; 2C_664/2013 du 28 avril 2014 consid. 4.2 et les références, in Archives 82 p. 737). Le même raisonnement doit s’appliquer en matière d’ICC également (infra consid. 6; cf. arrêt 2C_603/2012 du 10 décembre 2012 consid. 3.1, in StE 2013 A 21.14 Nr. 23). 

 Il ressort des constatations cantonales, qui ne sont pas remises en cause valablement en instance fédérale par les recourants (supra consid. 2.2), que seule environ 1 % de la fortune (déclarée au moment de l’annonce spontanée) appartenait à l’époux décédé. Partant, en s’accordant sur le fait qu’en contrepartie du maintien de l’assujettissement fiscal de l’épouse survivante jusqu’à fin 2019, « l’entier des avoirs non déclarés du couple sans distinction par propriétaire » pouvaient bénéficier du rappel d’impôt simplifié, le Service cantonal des contributions et la recourante ont conclu un arrangement fiscal qui portait sur l’étendue de l’assujettissement d’éléments imposables en s’écartant de la règlementation univoque de l’art. 153a LIFD et de la jurisprudence y relative. En effet, les biens appartenant en propre à l’épouse survivante (soit 99 % des éléments déclarés spontanément) ne pouvaient pas bénéficier du rappel d’impôt simplifié pour les héritiers en contrepartie du maintien d’un assujettissement jusqu’au 31 décembre 2019. Partant, l’accord conclu entre le Service cantonal des contributions est nul de plein droit, en tant qu’il ne repose sur aucune base légale. 

En présence d’un arrangement fiscal déclaré nul, la jurisprudence a considéré qu’il n’était pas exclu que le contribuable puisse invoquer sa bonne foi, afin d’être (néanmoins) traité conformément aux dispositions de la convention. Il faut pour cela que les conditions auxquelles le principe de la bonne foi (art. 9 Cst.) protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il a mise dans les assurances reçues des autorités soient réunies (arrêts 2C_603/2012 du 10 décembre 2012 consid. 3.1 et les références, in StE 2013 A 21.14 Nr. 23; 2C_164/2009 du 13 août 2009 consid. 8.1 et les références, in RDAF 2009 II 531). 

A cet égard, le droit à la protection de la confiance placée dans un renseignement donné par l’administration et s’écartant de la loi l’emporte sur l’intérêt public à la correcte application du droit fiscal matériel à condition que: a) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, b) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences, c) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour d) prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, et e) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée (arrêt 2C_974/2019 du 17 décembre 2020 consid. 9.1 et les références, in Archives 89 p. 629).

 S’agissant en premier lieu du caractère reconnaissable de l’inexactitude du renseignement donné par l’administration, on doit considérer que, contrairement à ce que font valoir les recourants, ceux-ci étaient en mesure de se rendre compte du caractère contraire à la loi du traitement fiscal dont ils avaient demandé l’application. En effet, on constate (art. 105 al. 2 LTF) que lors des premiers échanges relatifs à une éventuelle annonce spontanée, dans son courriel du 25 janvier 2018, le premier mandataire de la recourante a indiqué que « le rattrapage d’impôt s’effectuera de 2008 à 2016 ». Cela tend à démontrer que la contribuable était au courant des conditions légales relatives au rappel d’impôt ordinaire et à la dénonciation spontanée non punissable (au sens des art. 151 et 175 LIFD). De plus, la contribuable était, au moment de l’envoi du courrier du 8 juin 2018 demandant la confirmation de l’application d’un rappel d’impôt simplifié (cf. art. 153a LIFD) portant sur des éléments imposables lui appartenant presque exclusivement, assistée d’un mandataire qui se présentait au public comme un « cabinet fiscal ». Or un conseiller fiscal se doit de déterminer les règles légales ou jurisprudentielles applicables (ATF 128 III 22 consid. 2c; arrêt 4A_63/2011 du 6 juin 2011 consid. 2). Partant, en prenant connaissance du texte clair de l’art. 153a LIFD et de la jurisprudence y relative, le mandataire aurait pu et dû se rendre rapidement compte de l’absence de conformité à la loi du traitement demandé à l’administration fiscale en juin 2018. A cet égard, la présente constellation se distingue d’une situation dans laquelle une question juridique liée à un traitement fiscal ne fait pas l’objet d’une jurisprudence fédérale, est controversée en doctrine, traitée de manière différente d’un canton à l’autre ou encore nullement documentée par des dispositions administratives d’exécution (cf. arrêt 2A.46/2000 du 1 er novembre 2000 consid. 3d/bb, in RDAF 2001 II 328). 

En outre, ainsi que l’a retenu à juste titre la juridiction cantonale et comme le fait valoir l’intimé, la recourante n’a pas pris de disposition qui aurait entraîné un préjudice en retardant son départ de Suisse, conformément à l' »accord », au moins jusqu’au 31 décembre 2019. A cet égard, les recourants ne démontrent pas en quoi le fait qu’une partie du « substrat fiscal » n’a pas pu être transféré à l’étranger avant le 31 décembre 2019 constituerait un tel préjudice.

Il s’ensuit que les recourants ne peuvent pas se prévaloir du principe de la bonne foi en lien avec l’arrangement fiscal litigieux pour l’impôt fédéral direct. Partant, c’est à bon droit que la juridiction cantonale a retenu que le contenu de cet accord n’était pas opposable à l’intimé (= l’administration fiscale).

En ce qui concerne les impôts cantonaux et communaux, dès lors que les dispositions légales applicables en matière d’ICC sont identiques aux art. 151, 152, 153a et 175 LIFD (cf. art. 53, 53a et 56 LHID et art. 158, 159, 159a et 203 de la loi fiscale valaisanne du 10 mars 1976 ([LF; rs/VS 642.1]), il convient de se référer aux développements qui ont été exposés en matière d’impôt fédéral direct pour les ICC.

(Arrêt du Tribunal fédéral 9C_74/2023 du 16 mai 2023)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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