
A.________ est enseignant.
Le 1er décembre 2020, le Ministère public de l’arrondissement de Lausanne (ci-après: le Ministère public) a décidé de l’ouverture d’une instruction pénale contre A.________ pour homicide par négligence et violation grave qualifiée, subsidiairement violation grave, des règles de la circulation routière. Le 28 novembre 2020, l’intéressé avait perdu la maîtrise de son véhicule sur l’autoroute, ce qui avait entraîné un accident mortel.
Informé de l’ouverture de cette enquête par le Ministère public et de l’opposition de A.________ à la communication à l’autorité administrative compétente, le Procureur général du canton de Vaud (ci-après: le Procureur général) a renoncé à toute communication à l’employeur du prénommé.
Par ordonnance de reprise d’enquête du 11 juin 2021, le Ministère public a informé les parties qu’à la suite d’une procédure de fixation du for intercantonal, il avait été saisi d’une enquête initialement ouverte par les autorités du canton de X.________ contre A.________ pour infraction à la loi fédérale sur les armes, les accessoires d’armes et les munitions (LARM; RS 514.54). Dans le cadre de cette procédure, il était reproché à l’intéressé d’avoir, au mois d’octobre 2020, pris un pistolet SIG au domicile de son père, à l’insu de celui-ci, et de s’être rendu en forêt et dans une zone industrielle pour effectuer des tirs en l’air.
Le 4 novembre 2022, le Ministère public a décidé de l’extension de l’instruction pénale ouverte contre A.________ pour tentative de lésions corporelles simples qualifiées. Il lui était reproché d’avoir, le 3 novembre 2022, vers 23h40, tenté d’asséner un coup de couteau au gérant d’un commerce de la gare CFF de U.________.
Entendu par la police le 4 novembre 2022, A.________ a admis avoir insulté une caissière, puis, se sentant menacé, avoir sorti un couteau; il a déclaré ne pas se souvenir de ce qu’il avait fait ensuite. Entendu le lendemain par le procureur, il a exposé qu’il avait consommé de l’alcool à la suite de l’arrêt de la production d’Antabus et qu’il s’était senti menacé; il n’avait cependant jamais eu l’intention d’agresser ou de blesser quiconque et était désolé.
Par courrier du 25 novembre 2022, A.________ s’est opposé à la communication de l’ouverture de cette nouvelle enquête à son employeur.
Par avis du 19 décembre 2022, le Ministère public a informé le Procureur général de l’extension de l’instruction pénale.
Par ordonnance du 30 décembre 2022, le Procureur général a dit que l’employeur de A.________ devait se voir communiquer l’ouverture de l’instruction pénale dirigée contre A.________ pour les faits qui se sont déroulés les 28 novembre 2020 et 3 novembre 2022.
Par arrêt du 15 mars 2023, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois (ci-après: la Chambre des recours pénale) a rejeté le recours formé par A.________ contre l’ordonnance du 30 décembre 2022.
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l’arrêt du 15 mars 2023. Il conclut principalement à sa réforme en ce sens qu’il soit renoncé à la communication de l’ouverture de l’instruction le concernant à son employeur. A titre subsidiaire, il conclut à son annulation, le dossier étant renvoyé à l’autorité précédente – qu’il appartiendra au Tribunal fédéral de désigner – pour nouvelle décision dans le sens des considérants. En tout état, il requiert qu’il soit renoncé à la publication de l’arrêt à intervenir sur le site internet du Tribunal fédéral. A.________ sollicite en outre l’octroi de l’effet suspensif.
(…)
Le recourant soutient que l’art. 19 al. 1 de la loi vaudoise du 19 mai 2009 d’introduction du Code de procédure pénale suisse (LVCPP; BLV 312.01) ne constituerait pas une base légale suffisante pour permettre la communication d’informations sur une procédure pénale à une autorité administrative d’un autre canton. Il fait en outre valoir que sa profession ne figurerait pas dans la directive n° 2.8 intitulée « Communication des décisions à l’autorité disciplinaire ou de surveillance de la profession exercée par le prévenu », émise par le Procureur général le 1 er novembre 2016 (dans sa teneur au 14 octobre 2022; citée ci-après: la directive n° 2.8).
Conformément à l’art. 36 al. 1 Cst., toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale; les restrictions graves doivent être prévues par une loi; les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés.
Selon l’art. 75 al. 4 CPP, outre les cas d’information obligatoire prévus aux alinéas précédents de la disposition, la Confédération et les cantons peuvent astreindre ou autoriser les autorités pénales à faire d’autres communications à des autorités. De telles dérogations au secret de fonction nécessitent une base légale formelle (arrêt 1B_103/2022 du 6 avril 2022 consid. 2.1 et la référence citée).
Intitulé « Droits et devoirs de communication » et faisant expressément référence à l’art. 75 al. 4 CPP, l’art. 19 LVCPP a notamment la teneur suivante: les autorités pénales ne peuvent communiquer à d’autres autorités fédérales ou cantonales, à l’exclusion des autorités de poursuite pénale, des informations sur les procédures pénales qu’elles conduisent que si l’intérêt public à ce que ces informations soient communiquées l’emporte sur l’intérêt des parties à voir leurs droits de la personnalité respectés (al. 1); les parties sont informées de la communication, sauf si un intérêt public prépondérant exige que celle-ci demeure secrète (al. 3). Figurant dans une loi au sens formel, cette disposition constitue une clause générale permettant la communication d’informations par les autorités pénales à des autorités administratives. Son application nécessite toutefois une pesée d’intérêts dans chaque cas particulier (arrêt 1B_103/2022 du 6 avril 2022 consid. 2.1 et la référence citée).
(…) En l’espèce, le recourant se contente de reprendre l’argumentation formulée devant la Chambre des recours pénale. En outre, bien qu’il soutienne que le raisonnement de l’autorité cantonale confinerait à l’arbitraire, il n’expose pas en quoi l’application des dispositions en cause le serait. Pour ce motif déjà, le grief se révèle irrecevable (cf. art. 106 al. 2 LTF).
Quoi qu’il en soit, la motivation de l’autorité précédente concernant l’application de l’art. 19 LVCPP et de la directive n° 2.8 est parfaitement soutenable. La Chambre des recours pénale a exposé sans arbitraire que l’art. 19 al. 1 LVCPP constituait une base légale suffisante pour permettre la communication d’informations aux autorités administratives cantonales ou fédérales, ce qui impliquait les autorités d’autres cantons. Elle s’est fondée à cet égard sur sa propre jurisprudence ainsi que sur un arrêt récent du Tribunal fédéral dont il résulte que l’art. 19 LVCPP constitue une clause générale permettant ce type de communication. Comme le soulève le recourant, cette jurisprudence a certes été rendue dans un cas concernant un prévenu exerçant dans le canton de Vaud; il n’en demeure pas moins qu’on ne voit pas que l’autorité précédente ait fait preuve d’arbitraire en considérant que l’expression « d’autres autorités fédérales ou cantonales » ne limitait pas la communication aux seules autorités vaudoises, mais englobait également les autorités d’autres cantons, respectivement de la Confédération.
Le recourant se prévaut également d’une décision du 9 mars 2021 du Procureur général dans la présente cause, dont il résulterait qu’il aurait été renoncé à une communication dans la mesure où le recourant exerçait sa profession hors du canton de Vaud. Ce faisant, il fonde son argumentation sur un élément ne ressortant pas de l’arrêt querellé, dans une démarche purement appellatoire et, partant, irrecevable. En tout état, quand bien même une autre interprétation de la disposition en cause serait concevable, le recourant ne démontre pas que l’interprétation qu’en livre l’autorité cantonale dans la présente cause serait arbitraire dans son résultat.
Le recourant soutient que la directive n° 2.8 ne constituerait pas une base légale suffisante (recours, n° 112) tout en en faisant grand cas pour affirmer qu’elle ne concernerait pas sa profession – qui ne serait par conséquent pas sujette à communication (recours, nos 114 à 118) -, respectivement qu’elle ne viserait pas les autorités d’autres cantons (recours, nos 119 et 121). Or il ne résulte pas de l’arrêt querellé que la Chambre des recours pénale aurait considéré que la directive n° 2.8 serait une loi formelle. Tout au plus l’a-t-elle prise en compte pour déterminer que la profession du recourant était concernée par la directive, laquelle visait les « enseignants ». Sur ce point, le recourant ne démontre pas – ni même ne tente de le faire – que cette appréciation serait arbitraire, étant souligné que la directive dresse une liste non exhaustive des professions visées. Quoi qu’il en soit, il n’établit pas davantage qu’il aurait été manifestement insoutenable de considérer, sur la base du seul art. 19 al. 1 LVCPP, qu’une information à son autorité d’engagement n’aurait pas été possible au vu de la profession exercée.
En définitive, la Chambre des recours pénale n’a pas violé les principes de la légalité ni de l’interdiction de l’arbitraire en considérant que l’art. 19 al. 1 LVCPP permettait la communication de l’ouverture d’une procédure pénale aux autorités administratives compétentes, y compris d’autres cantons et, dans le cas d’espèce, à l’employeur du recourant.
Le recourant reproche à l’autorité cantonale d’avoir violé le principe de la proportionnalité lors de la pesée des intérêts en présence. Il soutient que des faits déterminants auraient été arbitrairement omis. Invoquant les art. 13 Cst. et 8 CEDH, il fait valoir que la pesée des intérêts aurait dû privilégier son intérêt privé à ne pas voir sa personnalité bafouée, voire sa carrière se terminer.
(…)
Le principe de la proportionnalité exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts).
A teneur de l’art. 13 al. 1 Cst., toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu’elle établit par la poste et les télécommunications. L’alinéa 2 de cette disposition précise que toute personne a le droit d’être protégée contre l’emploi abusif des données qui la concernent.
L’art. 13 Cst. protège la sphère privée dans une acception large, qui comprend la protection des données personnelles. Sont visés l’identité, les relations sociales et les comportements intimes de chaque personne physique, l’honneur et la réputation ainsi que, notamment, toutes les informations se rapportant à une personne qui ne sont pas accessibles au public, en particulier les informations relatives aux dossiers de procédures civiles, pénales ou administratives, qui porteraient atteinte à sa considération sociale. Dans le domaine de la protection des données, le droit à l’autodétermination en matière d’informations personnelles, consacré par la Constitution (art. 13 al. 2 Cst. et art. 8 CEDH), garantit que l’individu demeure en principe maître des données le concernant, indépendamment du degré de sensibilité effectif des informations en cause.
La Chambre des recours pénale a en substance retenu que le recourant avait commis trois infractions d’une gravité certaine en trois ans. Elle a pris en compte les problèmes personnels et médicaux du recourant; tout en reconnaissant que son état psychique semblait s’être amélioré, elle a cependant considéré que seule l’expertise psychiatrique en cours permettrait de déterminer s’il présentait ou non un risque de récidive. Dans ces conditions, la cour cantonale a estimé que l’on pouvait douter que le recourant, enseignant, soit en mesure de se comporter adéquatement en toutes circonstances avec ses élèves et ce, même s’il prétendait sa situation psychologique stabilisée. Selon la cour cantonale, l’intérêt public à la communication l’emportait clairement sur l’intérêt privé à la non-divulgation des enquêtes pénales.
En l’espèce, le recourant fait grief à la Chambre des recours pénale de n’avoir pas pris en compte le fait que son état de santé serait désormais parfaitement stable et souligne qu’une expertise serait en cours pour déterminer sa responsabilité lors de l’accident de la circulation du 28 novembre 2020.
Lors de la pesée des intérêts en présence, l’autorité cantonale a retenu que l’instruction avait révélé que le recourant rencontrait des problèmes personnels et médicaux (dépression et surconsommation d’alcool) et semblait éprouver des difficultés à contenir ses émotions, en particulier sous l’emprise de l’alcool, comme paraissait l’attester l’événement du 3 novembre 2022. (…)
Quoi qu’il en soit, la Chambre des recours pénale a pris en compte le certificat médical du 16 janvier 2023 du Dr C.________ produit par le recourant, relevant sur cette base que l’état psychique de l’intéressé semblait s’être amélioré.
Cela étant, la cour cantonale a à juste titre retenu que seule l’expertise psychiatrique en cours permettrait de déterminer si le recourant présentait ou non un risque de récidive. Partant, elle ne disposait pas de tous les éléments pertinents pour procéder à la pesée des intérêts en présence. Mise en œuvre dans le cadre de l’enquête concernant l’accident du 28 novembre 2020, cette expertise n’était en effet pas achevée au jour de la reddition de l’arrêt querellé. La Chambre des recours pénale aurait par conséquent dû attendre la réception de l’expertise psychiatrique alors en cours, voire interpeller l’expert sur cet aspect, avant de se prononcer sur le recours. En effet, l’état de santé du recourant, respectivement le risque de récidive, était en l’espèce un élément déterminant à prendre en compte dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de la mesure. Au vu des enjeux inhérents à une telle décision, en particulier des conséquences sur le parcours professionnel du recourant, il était prématuré de se prononcer sans connaître le risque de récidive.
Autrement dit, sans connaître le risque de récidive présenté par le recourant, la cour cantonale ne pouvait pas considérer que l’intérêt public à la communication de l’information litigieuse à son employeur devait prévaloir sur l’intérêt privé du recourant à voir sa personnalité protégée. Ce d’autant plus que s’agissant de l’intérêt public à la communication dans le cas d’espèce, elle s’est contentée d’une assertion laconique, à savoir que l’on pouvait « douter » que le recourant « soit en mesure de se comporter adéquatement en toutes circonstances avec ses élèves », sans étayer cette assertion par des éléments concrets.
Pour ce motif, le recours doit être admis et la cause renvoyée à l’autorité précédente, à laquelle il incombera d’annuler l’ordonnance du 30 décembre 2022 et de statuer sur les frais. Vu l’admission de ce grief, les autres griefs du recourant en lien avec la pesée des intérêts deviennent sans objet.
(Arrêt du Tribunal fédéral 7B_129/2023 du 3 janvier 2024, consid. 4-5)
Nota bene :
Le raisonnement du Tribunal fédéral apparaît difficile à suivre.
Si on le suit bien, l’appréciation du risque de récidive serait déterminant, alors qu’une expertise médicale en lien avec les première infractions (routières) serait toujours en cours. Or il suffit de constater qu’à deux reprises au moins l’intéressé a eu un comportement dangereux avec des armes, la dernière fois le 3 novembre 2022, et qu’il est par ailleurs enseignant. On n’ose envisager ce qui se passerait lors d’un nouveau « pétage de plomb » devant ses élèves. Et quid de la protection de ceux-ci ? S’agit-il d’enfants ?
A cela s’ajoute le fait que la communication sera rendue très difficile en début de procédure dans certaines circonstances, faute d’évaluation circonstanciée du risque de récidive (les expertises prennent leur temps…). On attend la récidive pour en apprécier le risque ?!
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)