Vente d’une voiture d’occasion, exclusion de garantie, dol

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Selon l’article 197 CO, relatif au contrat de vente, le vendeur est tenu de garantir l’acheteur en raison des qualités promises et en raison des défauts qui, matériellement ou juridiquement, enlèvent à la chose soit sa valeur, soit son utilité prévue, ou qui les diminuent dans une notable mesure (al. 1), et il répond de ces défauts même s’il les ignorait (al. 2).

Le défaut est une notion juridique. Il réside dans la divergence entre l’état réel de la chose qui a été livrée et l’état de la chose qui aurait dû être livrée selon le contrat. La chose peut donc être défectueuse – au sens de l’article 197 al. 1 CO – même si elle est exempte de tout défaut intrinsèque ; à l’inverse, elle peut être exempte de défaut au sens de cette disposition même si elle est affectée de défauts intrinsèques. Ce qui importe, c’est la conformité de la chose livrée avec la chose convenue par les parties. Le vendeur répond notamment des qualités promises, soit des assurances (manifestations de volonté) qu’il a pu donner à l’acheteur eu égard aux qualités de la chose. Il peut avoir positivement assuré que la chose présentait certaines qualités ou, négativement, que la chose ne souffrait pas de certains manquements. Toute divergence entre l’état de la chose livrée et ces assurances constitue un défaut. Il n’est pas nécessaire que le vice en question affecte la valeur ou l’utilité de la chose pour que la responsabilité du vendeur soit engagée. Sont des qualités attendues celles qui n’ont pas été convenues par les parties ou promises par le vendeur, mais sur lesquelles l’acheteur pouvait compter selon les règles de la bonne foi. La responsabilité du vendeur est donc moins stricte que pour les qualités promises, puisqu’il faut que le vice ait une certaine gravité, entraînant – au moins – une diminution notable de la valeur ou de l’utilité de la chose. C’est le cas lorsque l’acheteur n’aurait pas conclu le contrat ou ne l’aurait pas conclu aux mêmes conditions s’il avait connu le défaut.

La Cour de céans a admis – dans le cas d’un véhicule effectivement présenté comme ayant été accidenté, mais aussi comme ayant été réparé par un garage agréé, ce qui faisait que l’acheteur pouvait s’attendre à ce qu’il l’ait été dans les règles de l’art, le fait que cela n’était pas le cas ne pouvant pas être remarqué par un acheteur qui ne connaissait pas la mécanique – que le véhicule était entaché d’un défaut et qu’il ne devait pas être attendu que l’acheteur le fasse encore examiner par un tiers, sauf à présumer que le vendeur lui avait menti, au sujet d’une réparation présentée comme conforme aux règles de l’art, mais qui ne l’était en réalité pas. Il fallait admettre que l’acheteur n’aurait pas conclu le contrat aux mêmes conditions s’il avait connu les défauts affectant la voiture vendue, en particulier le fait que pour une mise en état selon les règles de l’art, il fallait compter avec des réparations qui coûteraient plusieurs milliers de francs (arrêt de la Cour d’appel civile du 26.06.2023 [CACIV.2023.34] cons. 3.e).

Le Tribunal civil [qui a rendu le jugement dont est appel] a ici retenu que les modifications effectuées sur le véhicule avant la vente n’avaient pas été faites dans les règles de l’art mécanique. De plus, il existait un cache moteur, ce qui rendait les modifications difficilement décelables par tout un chacun. Dès lors, les défauts du véhicule reposaient sur l’absence de qualités attendues et entachaient grandement la valeur du véhicule, ainsi que son utilité. L’intimé [= l’acheteur] n’aurait pas conclu la vente s’il avait eu connaissance des défauts. (…)

Contrairement à ce que l’appelant [= le vendeur] affirme, le véhicule ne présentait pas « aucun problème, ni défaut » avant sa vente le 16 mars 2020. Le fait que le véhicule ait passé avec succès l’inspection au SCAN ne permet pas de conclure que le véhicule était exempt de défauts. En effet, l’inspection effectuée par le SCAN n’a pas pour but d’examiner si un véhicule est exempt de défaut, à mesure qu’elle est réalisée sur un temps relativement limité et vise seulement à s’assurer que le véhicule répond aux exigences de sécurité. Ceci vaut d’autant plus en présence d’un défaut qui ne serait décelable qu’en enlevant le cache moteur, opération qui ne fait pas partie d’une inspection de type administratif. Ainsi, le fait que le Tribunal civil ait retenu la présence de défaut n’entre pas en contradiction avec un rapport d’inspection favorable du SCAN. Les défauts présents sur le véhicule ont été constatés par deux professionnels de l’automobile. (…)  Les deux spécialistes ont déclaré que les réparations réalisées sur le véhicule n’avaient pas été réalisées conformément aux règles de l’art mécanique – ce que l’appelant ne conteste pas en tant que tel dans le cadre de son appel, disant plutôt l’avoir ignoré – et qu’elles engendraient de graves défauts. Il est évident que l’intimé s’attendait à recevoir un véhicule fonctionnel, disposant des pièces adaptées au modèle du véhicule et qu’il n’aurait pas conclu le contrat s’il avait eu connaissance de toutes les modifications effectuées sur le véhicule et des problèmes mécaniques qu’elles ont engendrés. Comme l’a retenu le Tribunal civil, les défauts du véhicule (i.e. spécialement un moteur qui n’est pas adapté à la structure de la voiture, avec pour conséquence de multiples et graves problèmes de fonctionnement) reposent sur l’absence de qualités attendues et entachent sa valeur ainsi que son utilité.

Il faut donc examiner si l’appelant a adopté un comportement dolosif qui permettrait d’écarter la clause exclusive de garantie. Les parties étaient en effet convenues de supprimer la garantie pour les défauts dans le cadre du contrat de vente conclu le 16 mars 2020.

Selon l’article 199 CO, une clause qui supprime ou restreint la garantie est nulle si le vendeur a frauduleusement dissimulé à l’acheteur les défauts de la chose. D’après l’article 201 CO, l’acheteur est tenu de signaler les défauts aussitôt qu’il les découvre (al. 1), sinon la chose est tenue pour acceptée, même avec ces défauts (al. 3). Cependant, l’article 203 CO prévoit que le vendeur qui a induit l’acheteur en erreur intentionnellement ne peut se prévaloir du fait que l’avis des défauts n’aurait pas eu lieu en temps utile. L’action en garantie pour les défauts de la chose vendue se prescrit par deux ans dès la livraison faite à l’acheteur, même si ce dernier n’a découvert les défauts que plus tard (art. 210 al. 1 CO), mais ce délai ne s’applique notamment pas lorsque le vendeur a induit l’acheteur en erreur intentionnellement (art. 210 al. 6 CO) : dans ce cas‑là, les prétentions en garantie sont soumises à la prescription décennale de l’article 127 CO (cf. notamment arrêt du TF du 07.09.2010 [4A_301/2010] cons. 3.2).

Malgré la variété des termes utilisés dans les normes ci-dessus (« dissimuler frauduleusement »« induire en erreur intentionnellement »), c’est la même notion de dol qui est en jeu (arrêt du TF du 07.09.2010 précité, cons. 3.2). Le dol est une tromperie intentionnelle qui détermine la dupe, dans l’erreur, à conclure un contrat qu’elle n’aurait pas conclu, ou du moins pas conclu aux mêmes conditions, si elle avait eu une connaissance exacte de la situation (le dol éventuel suffit). Le vendeur agit par dol non seulement lorsqu’il fournit des indications fausses sur la qualité de la chose, mais également lorsqu’il passe sous silence certains faits que la loi, le contrat ou les règles de la bonne foi lui commandent de révéler. En particulier, il y a dol lorsque le vendeur omet consciemment de communiquer un défaut à l’acheteur – qui l’ignorait et ne pouvait le découvrir en raison de son caractère caché – tout en sachant qu’il s’agissait d’un élément important pour l’acquéreur. La tromperie doit être en rapport de causalité naturelle et adéquate avec la conclusion du contrat : sans cette tromperie, la dupe n’aurait pas conclu le contrat, ou l’aurait fait à des conditions plus favorables (arrêt du TF du 29.12.2020 [4A_437/2020] cons. 4.1). Ceci présuppose que le vendeur ait une connaissance effective du défaut ; l’ignorance due à une négligence même grave ne suffit pas. La connaissance ne doit pas nécessairement être complète ni porter sur tous les détails ; il suffit que le vendeur soit suffisamment orienté sur la cause à l’origine du défaut pour que le principe de la bonne foi l’oblige à en informer l’acheteur (arrêt du TF du 24.08.2021 [4A_627/2020] cons. 4.2). Le dol éventuel suffit. Il est commis par celui qui présente des faits comme réels et certains en acceptant consciemment l’éventualité qu’ils n’existent pas. Ainsi, celui qui donne les chiffres d’un bilan sans en connaître le véritable montant commet un dol éventuel. Si, par chance, les faits prétendus sont avérés, le dol éventuel n’aura pas de conséquences juridiques. Ne demeure que le reproche moral à l’adresse de celui qui a couru le risque. Récemment, la Cour de céans a retenu qu’avait agi par dol éventuel, ce qui excluait que le vendeur puisse se prévaloir de la suppression contractuelle de toute garantie, de l’éventuelle tardiveté de l’avis des défauts et du délai de prescription de deux ans, celui qui avait garanti que le véhicule vendu n’était pas accidenté alors qu’il l’était (arrêt de la Cour d’appel civile du 20.09.2023 [CACIV.2023.47] cons. 4.e). (…)

En l’espèce, même s’il [le vendeur] dit ne pas être un professionnel en la matière, il a confié son véhicule à un tiers – sans s’assurer de ses compétences – afin de réparer le moteur. Malgré des modifications importantes à ce qui est quand même le cœur d’un véhicule, le vendeur a sciemment omis d’informer l’acheteur de défauts initiaux importants et des réparations entreprises, et ce afin de pouvoir conclure la vente sans que l’acheteur puisse les voir et en être dissuadé. C’est assez typiquement une situation de défaut caché dolosivement. Il en découle que le vendeur ne peut pas se prévaloir de l’exclusion de la garantie des défauts et doit répondre des défauts.

Selon l’article 208 al. 1 CO, en cas de résiliation de la vente, l’acheteur est tenu de rendre au vendeur la chose avec les profits qu’il en a retirés. Le vendeur doit restituer à l’acheteur le prix payé, avec intérêts, ainsi que les frais de procès et les impenses (art. 208 al. 2, 1er phrase). Sauf convention contraire, les intérêts sur le prix payé se calculent selon l’article 73 CO ; ils sont dus dès le jour du versement du prix au vendeur. Les impenses incluent les frais d’entretien de la chose et les frais d’assurance. En outre, le vendeur doit indemniser l’acheteur pour le dommage « résultant directement de la livraison des marchandises défectueuses » (art. 208 al. 2 CO, 2e phrase). Dans ce cadre, il convient de déterminer si le dommage est direct, d’après l’intensité du lien de causalité entre le défaut et le dommage en question (ATF 133 III 257 cons. 2.5).

[La Cour d’appel civile confirme le jugement dont est appel, lequel condamnait notamment le vendeur à rembourser le prix de vente].

(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal [NE] CACIV.2023.78 du 16.01.2024)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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