Le 11 mai 2016, la Direction générale des finances publiques française (DGFP; ci-après : l’autorité requérante ou l’autorité française) a adressé une demande d’assistance administrative en matière fiscale à l’Administration fédérale des contributions (ci-après : l’Administration fédérale ou l’AFC) fondée sur l’art. 28 de la Convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (ci-après : CDI CH-FR, RS 0.672.934.91). (….)
Le 28 septembre 2020, A.________ a informé l’Administration fédérale qu’elle s’opposait à la transmission de tout renseignement la concernant à l’autorité requérante, en se prévalant notamment de l’immunité qu’elle prétendait attachée aux fonctions qu’elle avait exercées comme membre du Tribunal administratif de l’ONU (ci-après : TANU) et comme arbitre du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (ci-après : CIRDI) et qui, selon elle, faisait obstacle à la transmission de renseignements bancaires la concernant. L’Administration fédérale lui a demandé de fournir une confirmation, émanant des organes compétents, de l’existence et de l’absence de levée de l’immunité en lien avec les renseignements dont la transmission était envisagée. A.________ n’a jamais produit de document correspondant à cette demande.
Par décision finale du 27 avril 2021, l’Administration fédérale a accordé l’assistance administrative à l’autorité requérante concernant A.________.
Par arrêt du 8 novembre 2022, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours de l’intéressée.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral, principalement, d’annuler l’arrêt du 8 novembre 2022 du Tribunal administratif fédéral, et d’admettre notamment l’inviolabilité de tous les papiers et documents aux renseignements bancaires objets de la demande d’assistance administrative du 11 mai 2016 et de déclarer l’Administration fédérale et le Tribunal administratif fédéral incompétents pour les traiter; (…).
La demande d’assistance administrative du 11 mai 2016 formée par l’État requérant est régie par l’art. 28 CDI CH-FR et sur le chiffre XI du Protocole additionnel à la CH-FR. Sur le plan interne, c’est la LAAF, applicable en l’espèce (cf. art. 24 LAAF), qui concrétise l’exécution en Suisse de l’assistance administrative en matière d’échange de renseignements sur demande (cf. art. 1 LAAF; ATF 146 II 150 consid. 5.4; 143 II 224 consid. 6.1; 628 consid. 4.3). (…)
Consid. 6 :
Sur le fond, la recourante fait d’abord valoir qu’au regard de ses fonctions passées en tant que juge au TANU et en tant qu’arbitre du CIRDI, elle bénéfice d’immunités et de privilèges garantis par plusieurs instruments internationaux, lesquels incluent l’inviolabilité de tous ses « papiers et documents » et que cette immunité fait obstacle à la transmission de renseignements bancaires la concernant, parce qu’ils contiennent des informations liées auxdites fonctions.
Il convient au préalable de souligner qu’à l’instar des clauses d’échange de renseignements calquées sur l’art. 26 du Modèle OCDE de Convention sur le revenu et la fortune, l’art. 28 CDI CH-FR ne prévoit aucune restriction à l’échange de renseignements sur demande qui serait liée à la fonction occupée par la personne visée par la demande. Par ailleurs, le point de savoir si cette personne est soumise à l’impôt dans l’État requérant ou si elle y est au contraire exonérée, en raison de sa fonction au sein d’une organisation internationale par exemple, relève de l’application des dispositions matérielles applicables dans l’Etat requérant. Or, comme la jurisprudence l’a maintes fois souligné, l’application du droit interne échappe à la cognition de l’Etat requis dans le cadre de l’examen d’une demande d’assistance administrative (cf. not. ATF 142 II 161 consid. 2.2.2; 218 consid. 3.6; arrêt 2C_791/2021 du 6 juillet 2022 consid. 7.1.2). La recourante ne peut donc pas invoquer la CDI CH-FR pour s’opposer à l’échange de renseignements dans le cas d’espèce. Elle ne le fait du reste pas. En revanche, elle invoque l’immunité qui serait attachée à ses fonctions au sein du TANU et du CIRDI pour s’opposer à la transmission de renseignements bancaires.
S’agissant de sa fonction de juge au TANU, comme déjà souligné, le Tribunal administratif fédéral a constaté, d’une manière qui lie le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF), que ce tribunal a cessé de fonctionner à la fin de l’année 2009. La recourante ne peut donc pas, quoi qu’elle en dise, sur la base au demeurant d’une argumentation brève, vague et sans lien avec le cas d’espèce, se prévaloir de cette fonction pour s’opposer à la transmission de renseignements, qui portent uniquement sur les années 2010 à 2015. A cela s’ajoute que la recourante n’a de toute manière fourni aucune explication claire qui permettrait de comprendre quelles informations ou quels documents liés au compte bancaire dont elle était titulaire au sein de la Banque pourraient être concernés par la prétendue immunité liée à sa fonction de juge au TANU.
En lien avec sa fonction d’arbitre au sein du CIRDI, la recourante se prévaut de plusieurs textes internationaux qui, selon elle, font obstacle à la transmission des renseignements.
Elle mentionne l’art. 21 de la Convention du 18 mars 1965 pour le Règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, entrée en vigueur pour la Suisse le 14 juin 1968 (RS 0.975.2; ci-après : la Convention CIRDI). Cette disposition prévoit ce qui suit :
Le Président, les membres du Conseil Administratif, les personnes agissant en qualité de conciliateurs, d’arbitres ou de membres du Comité prévu à l’art. 52, al. (3), et les fonctionnaires et employés du Secrétariat :
a. Ne peuvent faire l’objet de poursuites en raison d’actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions, sauf si le Centre lève cette immunité;
b. Bénéficient, quand ils ne sont pas ressortissants de l’État où ils exercent leurs fonctions, des mêmes immunités en matière d’immigration, d’enregistrement des étrangers, d’obligations militaires ou de prestations analogues et des mêmes facilités en matière de change et de déplacements, que celles accordées par les États contractants aux représentants, fonctionnaires et employés de rang comparable d’autres États contractants.
Cette disposition n’instaure manifestement aucune inviolabilité de documents. La recourante se limite du reste à la citer, sans expliquer ce qu’elle entend tirer concrètement de cette Convention pour s’opposer à la transmission de renseignements bancaires la concernant.
La recourante mentionne également la Convention du 21 novembre 1947 sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées, entrée en vigueur pour la Suisse le 25 septembre 2012 (RS 0.192.110.03). Toutefois, et comme l’a aussi constaté le Tribunal administratif fédéral, le CIRDI ne fait pas partie de la liste des « institutions spécialisées » visées par cette Convention (cf. la liste des institutions spécialisées figurant à son art. I Section 1ch. ii). Quoi que la recourante en dise, le fait que le CIRDI a été constitué, selon le Préambule de la Convention CIRDI, « sous les auspices de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement » et que ladite Banque fait partie des institution spécialisées visées par la Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées n’y change rien.
La recourante évoque encore incidemment la Convention du 13 février 1946 sur les privilèges et immunités des Nations Unies (RS 0.192.110.02), ainsi que l’Accord des 11 juin/1 er juillet 1946 sur les privilèges et immunités de l’Organisation des Nations Unies, conclu entre le Conseil fédéral suisse et le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (RS 0.192.120.1). Elle n’explique toutefois pas en quoi ces instruments lui permettraient de s’opposer valablement à la transmission de renseignements bancaires la concernant. Elle invoque aussi la « coutume internationale », sans toutefois indiquer en vertu de laquelle elle pourrait échapper à l’échange de renseignements instauré par l’art. 28 CDI CH-FR. Il n’y a donc pas lieu de s’attarder plus avant sur ces points.
Au vu de ce qui précède, c’est en vain que la recourante se prévaut de ses fonctions au TANU et au CIRDI et des immunités qui y seraient attachées pour s’opposer à la transmission à l’autorité requérante de renseignements sur le compte bancaire dont elle était titulaire en Suisse durant la période visée par la demande.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_956/2022 du 12 juin 2024, consid. 6)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
