A.________ SA (ci-après: la société ou la contribuable) est une société anonyme dont le siège se trouve à U.________/GE. Elle a pour but la fourniture de prestations dans le domaine de l’audit, du conseil fiscal, ainsi que du conseil d’entreprise. Elle exerce par ailleurs des activités entrant dans le cadre d’une société fiduciaire.
Dans sa déclaration fiscale relative à la période fiscale 2021, la société a annoncé un bénéfice net imposable dans le canton de Genève de 78’123 fr., ainsi qu’un bénéfice net imposable en Suisse de 153’216 fr. Son bilan comptable annexé de l’année 2021 faisait en outre état de « provisions à court terme » pour un montant de 2’044’982 fr.
En réponse à une demande de renseignements provenant de l’administration fiscale cantonale du canton de Genève (ci-après: l’Administration fiscale), la contribuable a indiqué que ces « provisions à court terme » comprenaient notamment une « provision pour vacances » de 250’000 fr.
L’Administration fiscale a procédé à la taxation de la contribuable pour l’impôt fédéral direct (ci-après: IFD) et les impôts cantonaux et communaux (ci-après: ICC) de l’année 2021 (bordereaux de taxation du 7 juillet 2022). Elle a refusé de prendre en compte, à titre de déduction, la provision « pour vacances » motif pris que celle-ci s’apparentait à une provision pour charge future présentée principalement pour faire ressortir une marge brute effective plus favorable et de permettre par ce biais une diminution du résultat fiscal.
Par décision sur réclamation du 21 septembre 2022, l’Administration fiscale a rejeté la réclamation de la contribuable. [Recours de la société rejeté par le Tribunal administratif de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le TAPI) le 13.03.2023 ; recours contre le jugement du TAPI rejeté par la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative (ci-après: la Cour de justice) le 27.02.2024] Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ SA conclut en substance à l’admission de la provision « pour vacances » d’un montant de 250’000 fr. en tant que charge justifiée « économiquement » pour la période fiscale 2021. (…)
Le litige porte sur la reprise dans le bénéfice et le capital imposables de la recourante pour la période fiscale 2021 du montant de 250’000 fr. à titre de provision « pour vacances ».
La juridiction cantonale a tout d’abord considéré que la provision litigieuse ne pouvait être admise car elle visait à neutraliser l’impact du report, d’année en année, de vacances des employés sur le chiffre d’affaire de la société. Un tel procédé violait le principe de périodicité, car il avait en définitive pour but de tenter de compenser les résultats des exercices entre eux ce que la jurisprudence n’admettait pas. À cela s’ajoutait que la variation d’une année à une autre du chiffre d’affaires d’une entreprise était inhérente à toute activité entrepreneuriale et que celle-ci était dépendante de nombreux facteurs qui n’étaient pas maîtrisables. De plus, il n’apparaissait pas que la société allait cesser ses activités en 2022, de sorte qu’il n’existait aucun risque concret que des vacances non prises par les employés dussent être effectivement payées. La société n’avait pas davantage démontré, alors qu’il le lui appartenait, qu’en raison de la rupture de rapports de travail avec certains de ses employés, elle aurait été obligée de rémunérer des jours de vacances non pris.
Aux termes de l’art. 57 LIFD, l’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net. Selon l’art. 58 al. 1 LIFD, le bénéfice net imposable comprend notamment le solde du compte de résultats (let. a), ainsi que tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultats, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l’usage commercial (let. b).
Il ressort des art. 57 et 58 LIFD que le droit fiscal renvoie au droit comptable pour déterminer le bénéfice net imposable et que les comptes établis conformément aux règles du droit comptable lient les autorités fiscales, à moins que des normes impératives du droit commercial ne soient violées ou que des normes fiscales correctrices ne l’exigent (principe de l’autorité du bilan commercial ou de déterminance).
Selon l’art. 63 al. 1 LIFD, des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultats notamment pour les engagements de l’exercice dont le montant est encore indéterminé (let. a) et pour les autres risques de pertes imminentes durant l’exercice (let. c). D’après l’art. 63 al. 2 LIFD, les provisions qui ne se justifient plus sont ajoutées au bénéfice imposable.
Pour être admise en droit fiscal, la provision doit avoir été dûment comptabilisée, être justifiée par l’usage commercial et porter sur des faits dont l’origine se déroule durant la période de calcul. Lorsque des provisions, qui ont été passées en charge du compte de résultats, ne sont pas admissibles, l’autorité fiscale est en droit de procéder à la dissolution de la provision. La dissolution a lieu lors de la période durant laquelle l’absence de justification commerciale de la réserve est constatée. La société contribuable supporte le fardeau de la preuve de la conformité à l’usage commercial. La question de savoir si une provision est justifiée par l’usage commercial doit être examinée sur la base de tous les éléments en présence et à la lumière de la situation prévalant au moment où le bilan est établi.
Le principe de périodicité interdit, de manière générale, de réduire (artificiellement) le bénéfice imposable par le biais de provisions exagérées.
Les provisions pour les engagements (Verpflichtungen) de l’exercice au sens de l’art. 63 al. 1 let. a LIFD sont autorisées pour les engagements existant au cours de l’exercice et dont le montant n’est pas encore déterminé; sont en particuliers visés par cette disposition les engagements incertains ou des pertes imminentes résultant d’affaires en cours. Ceux-ci doivent pour le surplus reposer sur un contrat ou sur une loi. L’art. 63 al. 1 let. a LIFD couvre également les engagements conditionnels, pour autant que la réalisation de la condition soit très vraisemblable.
En outre, les provisions constituées en vue d’une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que l’entreprise devra supporter en raison de son activité future représentent des réserves; en tant que telles, elles font partie du revenu imposable et ne sauraient être déduites de ce dernier avant que la société n’ait à supporter les charges en cause, conformément au principe de périodicité du droit fiscal.
Le cas de figure de l’art. 63 al. 1 let. c LIFD vise les risques de pertes qui ne reposent pas encore sur des engagements effectifs et qui ne concernent pas les actifs circulants. Leur prise en compte sur le plan fiscal est soumise à deux conditions. D’une part, le risque de pertes doit déjà avoir existé au cours de l’exercice lui-même; des provisions pour risques futurs ne sont pas admissibles. D’autre part, le risque doit être imminent. Le droit fiscal n’admet pas la constitution de réserves latentes par le biais de provisions, pourtant tolérées en droit des obligations et selon les usages du commerce. La constitution de provision à la charge du compte de résultat n’est possible que dans des limites relativement étroites et, du point de vue temporel, que si elle se trouve dans une relation claire de connexité avec l’exercice commercial en cause (« durant l’exercice »; « nel corso dell’esercizio »; « die im Geschäftsjahr bestehen »)
À l’encontre du raisonnement de la cour cantonale, la contribuable justifie en substance la provision litigieuse comme suit. Elle allègue qu’un collaborateur qui effectuerait durant une certaine année un nombre d’heures plus important car il n’aurait pas épuisé tout son droit aux vacances « augmentera sa production et ainsi indirectement sa contribution au chiffre d’affaires de la société ». En conséquence et toujours selon la contribuable, l’employé en question diminuera « automatiquement » sa production durant l’exercice suivant et le « chiffre d’affaires […] diminuera proportionnellement à cette réduction de productivité ». Or et selon la société, il existerait pour elle un impact substantiel si l’ensemble des collaborateurs devait prendre une semaine de vacances en moins « durant l’année N et une semaine de plus durant l’année N+1 ». En outre, tout refus de la déduction de la provision litigieuse « serait à l’évidence une violation de l’ensemble des principes de droit comptable » énumérés à l’art. 958c CO.
La recourante méconnaît manifestement la notion de provision au sens de l’art. 63 LIFD, dont son argumentation ne tient pas compte. En effet, étant donné les conditions de l’art. 63 al. 1 let. a et let. c, telles que rappelées ci-avant, la provision litigieuse ne peut pas être admise au sens de cette disposition. En effet, la provision « pour vacances » ne peut pas être considérée comme ayant été comptabilisée en lien avec des engagements incertains ou des pertes imminentes résultant d’affaires en cours (cf. art. 63 al. 1 let. a LIFD) ou en relation avec un risque de pertes qui ne reposerait pas encore sur des engagements effectifs et qui ne concernent pas les actifs circulants (cf. art. 63 al. 1 let. c LIFD).
En se référant ensuite à l’impact qu’aurait la variation des jours de vacances pris par ses collaborateurs sur « sa marge brute », la contribuable souhaiterait en réalité créer, par le biais d’une provision, une réserve latente indue du point de vue du droit fiscal et, de la sorte, réduire artificiellement son bénéfice imposable. Or le principe de périodicité s’oppose à un tel procédé, qui conduirait la contribuable à compenser les résultats des exercices entre eux par le biais de provisions. La recourante ne saurait davantage être suivie lorsqu’elle prétend que le droit comptable l’obligerait à constituer de telles provisions (ce qui aurait pour conséquence que la provision « pour vacances » de 250’000 fr. devrait être admise sur le plan fiscal). En effet et même à supposer que tel fût le cas au regard du droit des obligations – question qui peut souffrir de demeurer indécise en l’espèce -, l’art. 63 LIFD autorise dans tous les cas l’autorité fiscale à reprendre ladite provision lorsqu’elle viserait à créer une pure réserve latente, ce qui est le cas ici.
Au demeurant, l’autre pan du raisonnement de la cour cantonale relatif à l’absence de risque concret pour la recourante de devoir payer effectivement l’équivalent des vacances non prises, qui n’est pas remis en cause par celle-ci en instance fédérale, échappe à toute critique.
Le recours en matière d’IFD doit donc être écarté. [Même solution en droit cantonal : cf. art. 10 al. 1 let. b et 24 al. 1 let. a LHID : 11, 12 al. 1 let. e et 16B de la loi genevoise sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM; rs/GE D 3 15)]
(Arrêt du Tribunal fédéral 9C_192/2024 du 3 juillet 2024)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
