Contrôle du pass-sanitaire et du port du masque dans un café-restaurant

Par jugement du 3 mars 2022, le Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois a condamné B.A.________ et A.A.________ pour infraction à la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (Loi sur les épidémies; LEp [RS 818.101]) à une amende de 4’500 fr. chacun.

Par jugement du 20 juillet 2022, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l’appel formé par B.A.________ et A.A.________ contre le jugement du 3 mars 2022, qu’elle a confirmé. En substance, elle a retenu en fait que, le 24 septembre 2021, à 21h50, B.A.________ et A.A.________ n’avaient pas contrôlé le « Pass sanitaire » de leurs clients et le respect du port du masque au sein d’un café-restaurant à U.________, dont ils étaient les exploitants.

B.A.________ et A.A.________ interjettent un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 20 juillet 2022, en concluant principalement à sa réforme en ce sens qu’ils soient acquittés et qu’une indemnité pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de leurs droits de procédure leur soit allouée. À titre subsidiaire, ils concluent à l’annulation du jugement attaqué et au renvoi de la cause à l’autorité précédente pour nouvelle décision. Ils sollicitent en outre l’effet suspensif. (…)

Les recourants contestent leur condamnation pour infraction à la LEp. Se plaignant d’une violation du principe de la légalité au sens de l’art. 1 CP, ils soutiennent que leur condamnation ne reposerait pas sur une base légale suffisante et que les comportements reprochés ne seraient pas décrits par la loi de manière suffisamment précise.

 Une peine ou une mesure ne peut être prononcée qu’en raison d’un acte expressément réprimé par la loi (art. 1 CP). Le principe de la légalité ( nulla poena sine lege) est également ancré expressément à l’art. 7 CEDH et se déduit des art. 5 al. 1, 9 et 164 al. 1 let. c Cst. Le principe est violé lorsqu’une personne est poursuivie pénalement en raison d’un comportement qui n’est pas visé par la loi; lorsque l’application du droit pénal à un acte déterminé procède d’une interprétation de la norme pénale excédant ce qui est admissible au regard des principes généraux du droit pénal; ou si quelqu’un est poursuivi en application d’une norme pénale qui n’a pas de fondement juridique. Le principe s’applique à l’ensemble du droit pénal. Il n’exclut pas une interprétation extensive de la loi à la charge du prévenu-

Le principe de la précision ( nulla poena sine lege certa), qui fait partie intégrante du principe de la légalité et qui s’applique également au droit pénal accessoire, exige que les éléments constitutifs des infractions soient décrits de manière suffisamment précise. La loi doit être formulée de manière telle qu’elle permette au citoyen de s’y conformer et de prévoir les conséquences d’un comportement déterminé avec un certain degré de certitude dépendant des circonstances . Une norme pénale en blanc ( Blankettstrafnorm), qui doit être lue et interprétée conjointement avec d’autres normes dites de remplissage  (blankettausfüllende Normen), satisfait à ces exigences (ATF 145 IV 329 consid. 2.2; arrêt 6B_22/2022 du 9 décembre 2022 consid. 6.2.2 et la réf. citée). L’exigence de précision de la base légale ne doit cependant pas être comprise d’une manière absolue. Le législateur ne peut pas renoncer à utiliser des définitions générales ou plus ou moins vagues, dont l’interprétation et l’application sont laissées à la pratique. Le degré de précision requis ne peut pas être déterminé de manière abstraite. Il dépend, entre autres, de la multiplicité des situations à régler, de la complexité ou de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas particulier, du destinataire de la norme, ou de la gravité de l’atteinte aux droits constitutionnels. Il dépend aussi de l’appréciation que l’on peut faire, objectivement, lorsque se présente un cas concret d’application.

Le Conseil fédéral peut, après avoir consulté les cantons, ordonner des mesures visant des individus ou la population, lorsqu’il y a une situation particulière (art. 6 al. 1 et 2 let. a et b LEp). Les autorités cantonales compétentes ordonnent les mesures nécessaires pour empêcher la propagation de maladies transmissibles au sein de la population ou dans certains groupes de personnes (art. 40 al. 1 1re phrase LEp). Tant les cantons que (dans une situation particulière et extraordinaire) le Conseil fédéral peuvent dès lors ordonner des mesures de lutte contre les maladies transmissibles de l’homme, prérogative dont ce dernier a fait usage en adoptant l’ordonnance du 23 juin 2021 (état le 20 septembre 2021) sur les mesures destinées à lutter contre l’épidémie de COVID-19 en situation particulière (Ordonnance COVID-19 [RS 818.101.26]), aujourd’hui abrogée. 

 L’art. 83 al. 1 let. c LEp prescrit qu’est puni d’une amende quiconque, intentionnellement, enfreint les dispositions visant à prévenir la transmission de maladies. L’art. 19 LEp – auquel l’art. 83 al. 1 let. c LEp renvoie expressément – dispose que la Confédération et les cantons prennent les mesures visant à contrôler et à écarter ou atténuer les risques de transmission de maladies (al. 1); le Conseil fédéral peut enjoindre aux entreprises et aux organisateurs de manifestations dont les activités augmentent le risque de transmission de maladies de mettre à disposition du matériel de prévention et d’information et de respecter certaines règles de conduite (al. 2 let. b). 

Les mesures ordonnées par le Conseil fédéral dans l’Ordonnance COVID-19 visaient en particulier à prévenir la propagation du coronavirus (art. 1 al. 2 Ordonnance COVID-19). Elles étaient ainsi comprises dans le comportement réprimé par l’art. 83 al. 1 let. c LEp renvoyant à l’art. 19 LEp sous le chapitre 4 intitulé « Mesures de prévention ». Aussi, contrairement à ce que soutiennent les recourants, l’art. 83 al. 1 let. c LEp constituait une base légale formelle pour fonder une condamnation en cas de non-respect de ces mesures, soit notamment de celles prévues aux art. 10 et 12 de l’Ordonnance COVID-19 (cf. sur l’art. 83 al. 1 let. j LEp: arrêt 6B_1433/2021 du 3 mars 2022 consid. 3.3 et les réf. citées). Il en allait dès lors de même – quoi qu’en disent les recourants – de l’obligation faite aux exploitants de vérifier le certificat des clients souhaitant accéder à leur établissement (art. 10 al. 3 cum 12 al. 1 let. a de l’Ordonnance COVID-19; cf. consid. 2.3.2 infra), quand bien même une telle mesure induisait le contrôle de l’identité du détenteur d’un certificat (cf. arrêt 2C_740/2022 du 1er mai 2023 consid. 6.3 et 6.7). 

 Cela étant, il reste à examiner, sous l’angle du principe de la légalité, si les faits reprochés aux recourants sont décrits par la loi de manière suffisamment précise. 

 Réprimant de l’amende celui qui « enfreint les dispositions visant à prévenir la transmission de maladies », l’art. 83 al. 1 let. c LEp constitue une norme en blanc (Blankettstrafnorm), à savoir une disposition de nature pénale qui déclare globalement punissables des actes décrits dans d’autres dispositions légales ou réglementaires

L’art. 83 al. 1 let. c LEp doit donc être lu et interprété conjointement avec d’autres normes dites de remplissage (blankettausfüllende Normen), telles que celles relatives aux mesures de prévention ordonnées par le Conseil fédéral dans l’Ordonnance COVID-19

 Les mesures visant les installations et les établissements accessibles au public ainsi que les manifestations sont énoncées par l’Ordonnance COVID-19 aux art. 10 à 24 (section 4). L’Ordonnance COVID-19 prévoit à l’art. 12 des dispositions particulières pour les établissements de restauration, les bars et les boîtes de nuit. L’art. 12 al. 1 let. a de l’Ordonnance COVID-19 prescrit à cet effet que les établissements de restauration, les bars et les boîtes de nuit doivent limiter l’accès à l’intérieur, pour les personnes de 16 ans et plus, à celles disposant d’un certificat. 

L’art. 10 al. 1 de l’Ordonnance COVID-19 dispose que les exploitants d’installations ou d’établissements accessibles au public, y compris les établissements de formation, et les organisateurs de manifestations élaborent et mettent en oeuvre un plan de protection. Lorsque, pour les personnes de 16 ans et plus, l’accès n’est pas limité aux seules personnes disposant d’un certificat, le plan de protection doit notamment prévoir des mesures garantissant le respect de l’obligation de porter un masque facial conformément à l’art. 6 (art. 10 al. 2 let. b de l’Ordonnance COVID-19). Lorsque, pour les personnes de 16 ans et plus, l’accès est limité aux seules personnes disposant d’un certificat, le plan de protection doit en revanche prévoir des mesures concernant l’hygiène et l’application des restrictions d’accès (art. 10 al. 3 de l’Ordonnance COVID-19).

Les prescriptions visées à l’art. 10 al. 2 et 3 précité sont détaillées à l’annexe 1 (art. 10 al. 4 de l’Ordonnance COVID-19). Ainsi, selon le ch. 2 de cette annexe – intitulé « Plan de protection pour les installations et les établissements accessibles au public ainsi que pour les manifestations limitant l’accès, pour les personnes de 16 ans et plus, aux seules personnes disposant d’un certificat » -, le plan de protection comprend des mesures concernant les points suivants:

a. l’organisation ordonnée et complète du contrôle d’accès, formation du personnel comprise;

a bis. la vérification de l’identité des personnes lors du contrôle d’accès visé à la let. a; la vérification se fait à l’aide d’un document d’identité adapté avec photo;

a ter. le traitement des données personnelles lors du contrôle d’accès visé à la let. a; les règles suivantes s’appliquent:

1. l’exploitant ou l’organisateur doit informer à temps les personnes concernées du traitement des données,

2. les données ne peuvent pas être traitées à d’autres fins,

3. les données ne peuvent être stockées que si cela est nécessaire pour garantir le contrôle d’accès; dans ce cas, elles doivent être détruites au plus tard douze heures après la fin de la manifestation;

b. l’information des visiteurs et des participants sur la nécessité d’un certificat et sur les mesures d’hygiène et de conduite en vigueur;

c. l’hygiène, notamment la mise à disposition de désinfectant, les nettoyages périodiques et l’aération;

d. l’obligation éventuelle de porter un masque facial pour les employés et les autres personnes actives lors de la manifestation ayant sur place un contact avec les visiteurs.

 Le rapport explicatif du Département fédéral de l’intérieur (ci-après: le DFI) concernant l’Ordonnance COVID-19 situation particulière du 23 juin 2021 (RS 818.101.26) précise qu’au vu de la nouvelle teneur de l’art. 12 al. 1, les établissements de restauration ne doivent prendre aucune autre mesure que l’élaboration et la mise en oeuvre d’un plan de protection au sens de l’art. 10 al. 3 de l’Ordonnance COVID-19. Cela implique pour ces établissements qu’ils mettent en place un contrôle du certificat à l’entrée ou au plus tard lors du premier contact du personnel de service avec les clients à table ou à la caisse. Si le contrôle du certificat n’est pas effectué à l’entrée de l’établissement, le plan de protection doit prévoir l’obligation de porter un masque à l’intérieur jusqu’au contrôle du certificat. Les exploitants sont chargés de veiller à ce que ces mesures soient appliquées de manière cohérente. Ils demeurent libres de décider s’ils veulent également limiter l’accès à l’extérieur. Sans restriction à l’extérieur, les exigences antérieures, relatives à la distance à respecter ou à la mise en place de séparations efficaces en particulier, restent en vigueur (cf. rapport explicatif du DFI concernant l’ordonnance COVID-19 situation particulière du 23 juin 2021, p. 1 s. ad art. 12 al. 1, 2 et 3). 

 En l’espèce, les recourants font valoir que l’obligation de l’exploitant d’un restaurant était, au moment des faits, de mettre en place un plan de protection avec ou sans le port du masque facial selon que l’accès était restreint ou non aux personnes disposant d’un certificat. Il ne ressortirait, selon eux, ni expressément ni implicitement des dispositions de l’Ordonnance COVID-19 que l’exploitant avait l’obligation de contrôler lui-même si les personnes souhaitant accéder à son établissement disposaient d’un certificat. Les recourants reprochent ainsi à l’autorité précédente, pour peu qu’on les comprenne, d’avoir violé le principe de la légalité en considérant que l’Ordonnance COVID-19 leur imposait d’autres mesures que celle qui consistait à indiquer, à l’entrée de leur établissement, que l’accès à celui-ci était strictement restreint aux personnes disposant d’un certificat. 

 Un tel raisonnement ne saurait toutefois être suivi. 

Les prescriptions à respecter par les exploitants, qui relevaient du domaine contraventionnel, étaient décrites de manière suffisamment claire et précise. Il ressortait en effet expressément de l’art. 12 al. 1 let. a de l’Ordonnance COVID-19 que les restaurants, les bars et les boîtes de nuit ne pouvaient, pour les personnes de 16 ans et plus, accorder l’accès à l’intérieur qu’à celles qui disposaient d’un certificat (cf. à ce propos art. 3 de l’Ordonnance COVID-19). Aussi, pour accueillir des personnes à l’intérieur, ces établissements avaient l’obligation de respecter un plan de protection prévoyant des mesures concernant l’hygiène et l’application des restrictions d’accès (art. 10 al. 3 de l’Ordonnance COVID-19). Conformément au ch. 2 de l’annexe 1 – à laquelle renvoie expressément l’art. 10 al. 4 de l’Ordonnance COVID-19 -, un tel plan de protection devait comprendre des mesures relatives notamment au contrôle de l’accès aux établissements concernés, soit en particulier la vérification du certificat et de l’identité des clients qui souhaitaient y accéder. Il pouvait en outre être déduit de l’art. 10 al. 2 let. b de l’Ordonnance COVID-19 que si l’accès n’était pas limité aux personnes disposant d’un certificat dès l’entrée dans l’établissement, le plan de protection devait prévoir l’obligation de porter un masque à l’intérieur jusqu’au contrôle du certificat (cf. rapport explicatif du DFI concernant l’ordonnance COVID-19 situation particulière du 23 juin 2021; consid. 2.3.3 supra). 

Les conséquences en cas de violation par les exploitants des prescriptions précitées étaient en outre prévisibles, dans la mesure où les dispositions pénales prévoyaient une peine d’amende pour celui qui, en tant qu’exploitant, enfreignait intentionnellement ou par négligence les obligations qui lui incombaient en vertu des art. 10 al. 1 à 3 et 12 de l’Ordonnance COVID-19 notamment (cf. art. 28 let. a de l’Ordonnance COVID-19 et art. 83 al. 1 let. c LEp).

En définitive, il apparaît que la condamnation des recourants en raison de leur refus de contrôler le certificat de leurs clients et le port du masque facial, en date du 24 septembre 2021, n’est pas contraire au principe de la légalité. Les normes visant à réprimer un tel comportement constituaient une base légale suffisante et étaient formulées de manière suffisamment claire et précise pour permettre aux recourants de s’y conformer et de prévoir les conséquences possibles de leur violation.

Le grief doit dès lors être rejeté.

 (Arrêt du Tribunal fédéral 7B_214/2022 du 27 août 2024, consid. 2)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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