Roberto Mata ouvre action en justice contre Avianca Inc. en soutenant avoir été blessé par un chariot pendant un vol entre le Salvador et l’aéroport John F. Kennedy à New-York.
Les parties sont en désaccord sur le délai de prescription applicable à l’action de Roberto Mata, l’une soutenant qu’il découlerait de la Convention de Montréal pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, l’autre que ce sont les dispositions sur la faillite qui devraient s’appliquer – dans la mesure où Avianca Inc. s’était mise entre temps « sous protection ».
Dans leur réponse à l’écriture d’Avianca Inc. qui soulevait la prescription sous l’angle de la Convention de Montréal, les avocats de Roberto Mata ont introduit une « Affirmation in Opposition » qui citait diverses décisions publiées dans le Federal Reporter, le Federal Supplement et Westlaw.
Avinca a alors répondu qu’il lui était impossible de retrouver nombre des décisions de justice citées par les Conseils de Roberto Mata, et que les décisions qui avaient pu être retrouvées ne semblaient pas conforter la position de celui-ci.
Le Tribunal effectua également des recherches pour retrouver les décisions citées à l’appui de l’écriture de Roberto mata, sans plus de succès. Il fut avéré ensuite que six décisions citées avaient été « fabriquées » par ChatGPT, en d’autres termes qu’il s’agissait d’« hallucinations » induites par l’intelligence artificielle, qui avaient été incorporées sans relecture ni critique dans les mémoires judiciaires, et qu’elles n’existaient effectivement pas.
Les Conseils de Roberto Mata ont donc produit les « décisions » imaginaires auxquelles ils se référaient, et qu’ils ont tenu, sans guère de vérification, pour vraies. Il ne s’agit, dit la Cour, que de résumés et / ou d’extraits produits par ChatGPT, dont le contenu aurait dû attirer l’attention des Conseils : parties imaginaires, fautes de style et de raisonnement, changement d’identité des parties dans la « décision », le résumé de la procédure « (…) is difficult to follow and borders on nonsensical », absence de dispositif, numéros de cause faux, décision qui se cite elle-même comme précédent, etc. Ces décisions imaginaires se réfèrent par ailleurs également à des décisions qui sont tout aussi imaginaires ou dont le contenu n’est pas celui qu’on leur prête.
Il est intéressant de voir que ChatGPT avait d’abord répondu de manière très générale aux demandes des avocats de Roberto Mata (description de la Convention de Montréal, mécanisme de la prescription etc.) avant, devant les demandes répétées et de plus en plus insistantes de l’avocat, de commencer à « halluciner » les six décisions susmentionnées (voir Mata v. Avianca, Inc., Opinion and Order on Sanctions, no 39).
Il est utile de citer ici ce qu’écrit le Juge Castel sur le rôle de l’avocat comme « gatekeeper » :
« Lorsqu’il s’agit de rechercher et de rédiger des conclusions judiciaires, les bons avocats se font aider de manière appropriée par des juristes débutants, des étudiants en droit, des juristes contractuels, des encyclopédies juridiques et des bases de données telles que Westlaw et LexisNexis. Les progrès technologiques sont monnaie courante et l’utilisation d’un outil d’intelligence artificielle fiable à des fins d’assistance n’a rien d’intrinsèquement répréhensible. Mais les règles existantes imposent aux avocats un rôle de gardien [gatekeeper] pour garantir l’exactitude de leurs déclarations.
[Les conseils de Roberto Mata] ont abandonné leurs responsabilités lorsqu’ils ont soumis des avis judiciaires inexistants avec de fausses citations créées par l’outil d’intelligence artificielle ChatGPT, puis ont continué à soutenir les faux avis après que des ordonnances judiciaires ont remis en question leur existence. La partie adverse perd du temps et de l’argent en exposant la tromperie. La partie adverse perd du temps et de l’argent pour démasquer la tromperie. Le temps de la Cour est pris sur d’autres activités importantes. Le client peut être privé d’arguments fondés sur des précédents judiciaires authentiques. La réputation des juges et des tribunaux dont les noms sont faussement invoqués en tant qu’auteurs des faux avis et la réputation d’une partie à qui l’on attribue un comportement fictif sont potentiellement affectées. Cela favorise le cynisme à l’égard de la profession juridique et du système judiciaire américain. Et un futur plaideur pourrait être tenté de défier une décision de justice en invoquant de manière fallacieuse des doutes quant à son authenticité. » (Mata v. Avianca, Inc., Opinion and Order on Sanctions, Introduction, traduction libre)
On ne saurait mieux dire.
(Mata v. Avianca, Inc., No. 1:2022cv01461 – Document 54 (S.D.N.Y. 2023) – consulté ici les 29 et 30 septembre 2024 : https://law.justia.com/cases/federal/district-courts/new-york/nysdce/1:2022cv01461/575368/54/#:~:text=Mata%20v.%20Avianca,%20Inc.,%20No.%201:2022cv01461)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
