Que faire en cas d’acquisition d’une maison hantée? Stambovsky v. Ackley, NY, 1991

Les circonstances ne se présentent pas tous les jours, mais imaginez : vous trouvez la maison de vos rêves, vous l’achetez et – patatras – vous découvrez qu’elle est hantée par un fantôme. Est-ce un défaut ? Pouvez-vous annuler la transaction ?

Pour ceux qui imaginent que les fantômes puissent toujours être des créatures romantiques, rappelons que les films d’horreur, la littérature et l’opéra en connaissent de toutes sortes, plus ou moins plaisants, et que vous ne voudriez certainement pas acheter une maison hantée par un esprit amateur de rap ou de yodel…

La Cour suprême de l’Etat de New York, dans un arrêt Stambovsky v. Ackley, 169 AD 2d 254 (NY App. Div. 1991) s’est penché sur les questions délicates qu’une telle acquisition pouvait soulever :

L’affaire concerne une transaction immobilière dans le village de Nyack, dans l’État de New York. Jeffrey Stambovsky, le demandeur, a accepté d’acheter une maison victorienne à Helen Ackley, la défenderesse. Après avoir signé le contrat et versé un acompte de 32 500 dollars, Stambovsky a découvert qu’Ackley avait publiquement affirmé que sa maison était hantée. Mme Ackley avait raconté des histoires de fantômes à la presse et les avait présentées dans des publications telles que le Reader’s Digest, rendant ainsi la présence de fantômes dans sa maison bien connue localement. Cependant, Stambovsky, un nouvel arrivant dans la région, n’était pas au ce cette possession au moment de l’acquisition. Lorsqu’il a appris que la maison était soi-disant hantée, il a cherché à annuler (rescind) l’acquisition et à récupérer son acompte, en faisant valoir que la réputation de la propriété avait eu un impact négatif sur sa valeur.

Le litige soulevait les questions juridiques suivantes :

Caveat Emptor (« Buyer beware ») : soit le principe selon lequel les acheteurs ont la responsabilité d’inspecter et de se renseigner sur l’état d’un bien immobilier avant de l’acheter. Aux États-Unis, les vendeurs ne sont généralement pas tenus de divulguer les problèmes non matériels, à moins qu’on ne le leur demande directement.

Défauts matériels ou immatériels : le tribunal a dû décider si la présence de fantômes dans une maison constituait un « défaut matériel » qui aurait dû être divulgué.

Déclarations frauduleuses et obligations de divulgation : la vendeuse avait-elle l’obligation légale de divulguer la présence de fantômes, étant donné qu’elle avait elle-même répandu ces informations dans différents médias ?

Décision du tribunal de première instance

Le tribunal de première instance s’est rangé du côté d’Ackley et a rejeté les demandes de Stambovsky. Il a jugé que la doctrine du caveat emptor s’appliquait parce que Stambovsky aurait pu faire preuve d’une diligence raisonnable pour découvrir les problèmes liés à la maison. En outre, il n’a trouvé aucune raison de conclure que la réputation de possession du bien immobilier constituait un défaut matériel, car il ne s’agissait pas d’un problème physique affectant l’état de la propriété. Étant donné qu’Ackley n’avait pas fait de fausses déclarations directement à Stambovsky, le tribunal de première instance a conclu qu’il n’y avait pas eu de fausse déclaration frauduleuse.

Raisonnement et décision de la Cour suprême de l’Etat de New York

La Cour a annulé la décision du tribunal de première instance dans une décision très commentée (et empreinte d’un certain sens de l’humour dans sa rédaction…)  Elle a plus mis l’accent sur la justice et l’équité plutôt que sur l’application stricte du principe caveat emptor. Voici les points clés de son raisonnement :

Reconnaissance de la possession : la Cour a pris la décision inhabituelle d’accepter, pour les besoins de l’argumentation, que la maison était hantée parce que le vendeur l’avait affirmé publiquement et à plusieurs reprises. En conséquence, elle a jugé qu’Ackley avait « en droit » rendu la propriété hantée.

Importance de la réputation : la Cour a estimé que la présence de fantômes (des poltergeists en fait), bien qu’elle ne constitue pas un défaut physique, a eu un impact significatif sur la valeur marchande de la propriété. La large publicité faite autour de la possession des lieux a créé une stigmatisation susceptible de dissuader les futurs acheteurs et d’affecter l’investissement de Stambovsky.

Obligation de divulguer les défauts uniques : la Cour a estimé que les vendeurs ont l’obligation de divulguer les défauts qui ne peuvent pas être découverts lors d’une inspection ordinaire mais qui affectent sensiblement la valeur d’un bien immobilier. La réputation de possession par des fantômes de la maison a été considérée comme une circonstance unique et inhabituelle que Stambovsky n’aurait pas pu raisonnablement découvrir avant l’achat.

L’équité et la justice : « par souci d’équité, la loi devrait favoriser l’acheteur de bonne foi ». La Cour a souligné que M. Stambovsky, acheteur hors de l’État, ne pouvait raisonnablement pas être au courant de la publicité locale entourant la possession de la maison. La Cour l’a donc autorisé à résilier le contrat et à récupérer son acompte.

Remarques

La décision pointe les limites du principe Caveat Emptor. Alors que les acheteurs sont généralement censés enquêter sur les propriétés, les vendeurs peuvent être tenus de divulguer des défauts inhabituels si ces défauts ont une incidence matérielle sur la valeur de la propriété et ne sont pas faciles à découvrir.

Par ailleurs la Cour souligne que des facteurs intangibles, tels que la réputation ou la stigmatisation, peuvent constituer une question importante dans les transactions immobilières.

En droit français, on renverra à F. Buy/M.Lamoureux, Surnaturel et droit des contrats, in : J.-C. Roda, Droit et surnaturel, Issy-les-Moulinaux, LGDJ, 2015, pp. 19-32, et surtout pp. 25-28.

Il n’existe pas, à ma connaissance, de contributions scientifiques ou d’arrêts sur ce thème en droit suisse. Cela étant dit, vu la croissance démographique insensée de notre pays depuis plusieurs années, et ses conséquences sur le bâtiment (destruction de maisons anciennes pour bâtir des PPE hideuses, surdensification, constructions de cages à lapin diverses et variées…), on ne saurait s’attendre à des cas de possession faute… d’esprit.

La décision est consultable (notamment) ici: https://casetext.com/case/stambovsky-v-ackley

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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