
Quelques remarques sur l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 mars 2025 RG n° 22/16356 :
L’arrêt oppose deux sociétés françaises exerçant dans le secteur des formations en codage informatique : d’une part, La L et sa filiale Le W, qui exploitent des formations profesionnelles intensives sous forme de bootcamps, et d’autre part, La C, également opérateur de bootcamps. L’enjeu du litige repose sur la publication, sur un blog, d’un article critique visant Le W, et attribué de manière indirecte à La C.
Le raisonnement de la Cour est structuré selon deux axes : l’analyse des pratiques commerciales déloyales trompeuses, en application du Code de la consommation, puis celle des actes de concurrence déloyale, en application de l’article 1240 du Code civil français.
I. Pratiques commerciales déloyales et trompeuses
La Cour commence par rappeler le cadre juridique applicable aux pratiques commerciales déloyales, lesquelles sont interdites en vertu de l’article L. 121-1 du Code de la consommation. Elle souligne qu’une pratique est déloyale si elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur.
Elle distingue ensuite trois composantes essentielles dans l’analyse des faits reprochés à La C : l’absence d’identification claire de l’éditeur du site et de l’auteur de l’article, les informations erronées sur le contenu des formations concurrentes, et enfin l’intention commerciale dissimulée.
A. L’absence d’identification de l’auteur : une tromperie par omission
L’article incriminé, intitulé « Avis Le W, est-ce le meilleur choix pour vous ? », a été publié anonymement sur un blog nommé « xxxxxx ». Il reprenait le contenu d’un premier article supprimé, rédigé par un ancien élève de La C. Or, ce blog ne comportait ni mentions légales ni indications sur l’éditeur du site. La Cour considère que cette absence d’identification constitue en soi une pratique commerciale trompeuse, au sens de l’article L. 121-2, 3° du Code de la consommation. Le consommateur ne peut identifier la personne pour le compte de laquelle le contenu a été mis en ligne, ce qui le prive d’informations essentielles.
L’anonymat de la publication a obligé les sociétés Le W et La L à saisir le tribunal judiciaire pour obtenir, via l’AFNIC, les informations d’enregistrement du nom de domaine. Elles ont alors découvert que les dirigeants de La C étaient les réservataires du domaine, ce qui accrédite l’intention de masquer l’origine réelle du contenu.
B. Des informations fausses ou partiales sur le service concurrent
Sur le fond, la Cour relève plusieurs inexactitudes factuelles dans l’article, portant sur des éléments décisifs pour le choix d’un programme de formation. Il y est affirmé que les promotions du W comprendraient entre 80 et 100 élèves, alors que la réalité est d’un maximum de 50. Il est aussi critiqué le choix du langage « Ruby » en back-end, jugé obsolète, alors que Le W enseigne également JavaScript en front-end. Ces présentations erronées ou biaisées, qui décrivent les formations du W comme étant inadaptées, sont jugées susceptibles d’induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques essentielles du service, en violation de l’article L. 121-2, 2° b) du Code de la consommation.
La Cour souligne ici que la qualité trompeuse de ces allégations n’est pas atténuée par le fait qu’elles ne concernent pas les produits ou services de l’auteur, mais ceux de ses concurrents. Elle rejette expressément l’argument de La C selon lequel seuls les propos portant sur ses propres prestations pourraient relever de la tromperie.
C. Une intention commerciale dissimulée : un défaut de transparence
Enfin, la Cour note que l’article se présente comme un avis indépendant, exprimé par un ancien élève du W, alors qu’il s’agit en réalité d’une stratégie de promotion indirecte au profit de La C. Le blog ne contient aucun indice permettant au lecteur de comprendre qu’il s’agit d’un contenu sponsorisé, ni que son auteur a suivi la formation de La C et non celle du W. Il s’agit donc d’une pratique trompeuse par omission, en ce que l’intention commerciale réelle de l’auteur n’est pas révélée, contrairement aux exigences de l’article L. 121-3 du Code de la consommation.
II. Actes de concurrence déloyale
La seconde partie du raisonnement mobilise le droit commun de la responsabilité délictuelle, fondé sur l’article 1240 du Code civil. À la différence des pratiques commerciales trompeuses, la concurrence déloyale suppose la réunion de trois éléments : une faute, un préjudice et un lien de causalité. Nous examinerons les deux premiers, la causalité de posant guère de problèmes :
A. La caractérisation d’une faute par des procédés déloyaux
La Cour constate que l’article litigieux, qui reprend visuellement le logo du W, oriente clairement le lecteur vers la formation concurrente dispensée par La C, en lui vantant les mérites du langage JavaScript, tout en discréditant la formation du W. Elle relève aussi que l’auteur ne se fonde pas sur une expérience directe mais sur les « feedbacks » d’un entourage non identifié.
Le caractère partisan et mensonger du contenu, conjugué à son référencement optimal sur Google (l’article apparaissait en premier résultat à la recherche « avis Le W »), démontre selon la Cour une stratégie délibérée de captation de clientèle par des moyens déloyaux. Elle insiste également sur le fait que le site « xxxxxx » semble avoir été spécifiquement conçu pour publier cet unique contenu.
B. L’existence d’un préjudice économique et moral
La preuve du préjudice est abordée sous deux angles : la perte de chance économique et l’atteinte à l’image.
Sur le plan économique, Le W et La L ont produit des données de trafic et des statistiques de conversion issues de Google Analytics et Ahrefs. Elles établissent une chute du nombre de candidatures à leurs formations juste après la publication de l’article, suivie d’une remontée après son retrait. La Cour valide ce raisonnement, mais ajuste à la baisse l’estimation du préjudice, retenant une perte de chance à hauteur de 40 % et fixant l’indemnisation à 18.186 euros.
Concernant le préjudice moral, la Cour reconnaît l’impact négatif d’un article faussement objectif, reprenant le nom et le logo du W, apparaissant en tête des résultats de recherche, et véhiculant des informations erronées. Elle accorde à ce titre une réparation symbolique d’un euro, mais rappelle le caractère réel de l’atteinte à l’image.
Conclusion
La Cour d’appel de Paris propose une analyse rigoureuse et pédagogique des deux fondements juridiques invoqués. Elle distingue clairement la pratique commerciale trompeuse, entendue comme une infraction autonome régie par le Code de la consommation, de la concurrence déloyale, qui relève de la responsabilité civile générale. Néanmoins, les faits étant identiques, les deux qualifications se croisent et se complètent.
Cette affaire illustre les risques juridiques associés à l’utilisation de contenus soi-disant neutres sur internet pour influencer subrepticement les choix des consommateurs. Elle confirme que la transparence commerciale et l’honnêteté dans la comparaison concurrentielle sont des exigences de fond, dont le non-respect peut entraîner des sanctions financières et réputationnelles notables.
[Repéré par Me Alexandre Archambault : https://www.linkedin.com/posts/aarchambault_ca-paris-14032025-2216356-activity-7309865072632160256-U9ns?utm_source=share&utm_medium=member_desktop&rcm=ACoAAAX2b5oB2W8RFgEb7aoRz8wscswBHlxf0Mg]
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM