
Le recourant se prévaut d’une violation de l’art. 179 quater CP.
Selon l’art. 179quater CP, celui qui, sans le consentement de la personne intéressée, aura observé avec un appareil de prise de vues ou fixé sur un porteur d’images un fait qui relève du domaine secret de cette personne ou un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
Sont protégés les faits qui se déroulent dans la sphère privée au sens étroit, c’est-à-dire qui ne peuvent être perçus sans autre par tout un chacun. Pour délimiter la sphère privée au sens étroit des autres domaines, il convient d’examiner si l’on peut sans autre – c’est-à-dire sans surmonter un obstacle physique ou juridico-moral – prendre connaissance des événements concernés. Fait partie de la sphère privée au sens étroit le domaine privé protégé dans le contexte de la violation de domicile (art. 186 CP), soit une maison, un appartement, une pièce fermée d’une maison ou une place, une cour ou un jardin clos aux environs immédiats d’une maison. Si l’auteur pénètre physiquement dans le domaine privé protégé par l’art. 186 CP pour y observer un fait au moyen d’un appareil de prise de vues ou pour le fixer sur un porteur d’images, il remplit les conditions de l’infraction prévue à l’art. 179quater CP. Conformément au sens et au but de cette disposition, l’observation ou l’enregistrement d’un fait se déroulant dans la sphère domestique au moyen d’un appareil de prise de vues est également punissable si l’auteur n’a pas à franchir physiquement la limite de cette sphère. L’art. 179quater CP protège aussi les environs immédiats d’une habitation, indépendamment du fait qu’ils soient clos ou non au sens de l’art. 186 CP et, si tel est le cas, sans égard au fait que l’observation puisse se dérouler sans effort ou seulement après avoir franchi un obstacle physique. Selon la jurisprudence, fait donc partie du domaine privé au sens étroit non seulement ce qui se passe dans la maison elle-même, mais aussi ce qui se déroule dans ses environs immédiats, utilisés par les habitants comme une surface appartenant encore à la maison ou reconnaissables comme tels par des tiers. Cet environnement comprend notamment la zone située juste devant la porte d’entrée d’une maison d’habitation. L’habitant d’une maison qui franchit le seuil de sa porte d’entrée, par exemple pour venir y chercher un objet déposé à cet endroit ou relever son courrier, reste dans la sphère privée au sens étroit ( Privatsphäre im engeren Sinne) – dans tous les cas protégée par l’art. 179quater CP – même s’il se trouve dans un espace public jouxtant la sphère privée ( privatöffentlicher Bereich). Il en va de même pour celui qui franchit le seuil de sa porte d’entrée pour saluer ou accueillir quelqu’un (ATF 118 IV 41 consid. 4e; voir cependant ATF 137 I 327 consid. 6.1 p. 336; arrêts 6B_56/2021 du 24 février 2022 consid. 2.2.3; 6B_569/2018 du 20 mars 2019 consid. 3.3).
L’art. 179quater al. 1 CP ne trouve cependant pas application lorsque les faits se déroulent devant l’entrée et sur le palier d’un immeuble comportant plusieurs logements et opposent les habitants de cet immeuble entre eux. Il s’agit en effet d’un espace utilisé de manière égale par les différents habitants de l’immeuble et sur lequel aucun ne dispose d’un droit exclusif. En conséquence, dans leurs relations internes, les habitants de l’immeuble ne bénéficient pas dans ces espaces de la même protection de leur sphère privée que celle qui prévaut dans leur appartement ou à proximité de l’entrée d’une maison individuelle sur laquelle une personne dispose un droit exclusif. Dans ces espaces communs, les habitants de l’immeuble ne peuvent pas se prévaloir de l’art. 179quater al. 1 CP les uns contre les autres (cf. arrêt 6B_1149/2013 du 13 novembre 2014 consid. 1.3).
La cour cantonale a retenu que le consentement des copropriétaires concernés par l’installation d’une caméra de vidéosurveillance devait être exprès. Il résultait d’ailleurs d’une des images produites par le recourant que la caméra de vidéosurveillance avait été aspergée de peinture noire, acte que celui-ci attribuait à son frère ou à sa belle-soeur, ce qui démontrait à tout le moins que ces derniers n’avaient pas consenti à cette mesure de surveillance. Au demeurant, les infractions dont le recourant entendait se protéger n’étaient à l’évidence pas d’une gravité suffisante pour justifier l’installation d’une caméra sans obtenir l’accord des habitants de l’immeuble. Faute de danger imminent, l’état de nécessité n’entrait pas davantage en ligne de compte; l’installation d’une caméra dans un tel contexte démontrait d’ailleurs que le danger n’était pas amené à se concrétiser de manière immédiate.
Le recourant soutient que le jardin serait une partie commune de l’immeuble, ce qui résulterait des faits retenus par la cour cantonale en lien avec un autre aspect du litige. L’art. 179quater al. 1 CP qui protège le domaine secret ou privé ne trouverait dès lors pas application dans le cas d’espèce. Le recourant souligne que la cour cantonale aurait d’ailleurs considéré que cette disposition n’était pas applicable aux faits reprochés à l’intimée 3, au motif qu’ils s’étaient déroulés dans le jardin, partie commune de l’immeuble.
En l’espèce, il ressort du jugement cantonal que le recourant a installé une caméra de vidéosurveillance en direction « du jardin et du potager de la maison » et que l’intimé 2 était filmé sans son consentement à chaque fois qu’il se rendait en ces lieux. Or lorsqu’elle s’est prononcée sur la réalisation de l’infraction en cause, la cour cantonale a omis d’examiner si les lieux visés par la caméra de vidéosurveillance réalisaient l’élément constitutif objectif du domaine secret ou privé.
Lors de l’examen du caractère licite des preuves produites, la cour cantonale avait retenu que la caméra de vidéosurveillance était placée à l’extérieur du logement du recourant et de sa compagne avec pour fonction de surveiller des parties communes de l’immeuble, en l’occurrence le jardin potager. Également appelée à se prononcer sur des faits s’étant déroulés dans le jardin de la maison et imputés à l’intimé 2, respectivement à l’intimée 3, la cour cantonale a rappelé, aux termes d’un examen circonstancié, que tant le jardin que le jardin potager étaient des parties communes de l’immeuble. Autrement dit, les occupants de l’immeuble – soit le recourant et sa compagne, d’une part, et les intimés 2 et 3, d’autre part, – n’y disposent pas d’un droit exclusif les uns par rapport aux autres; dans ces circonstances, ils ne bénéficient pas entre eux d’une protection de leur sphère privée en ces lieux. Dans la mesure où la caméra de vidéosurveillance du recourant était dirigée vers ces endroits – et non en direction d’un espace relevant de leur domaine privé au sens étroit -, les intimés 2 et 3 ne peuvent pas invoquer une violation de leur domaine privé pour se plaindre de cette installation.
Un élément constitutif objectif de l’art. 179quater al. 1 CP fait dès lors défaut, de sorte que l’infraction n’est pas réalisée. Le recours doit être admis sur ce point, le recourant devant être acquitté de ce chef d’accusation.
(Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1171/2022 du 19 octobre 2023)
Me Philippe Ehenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)