Suspension du droit à l’indemnité chômage en cas de comportement fautif du salarié

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En vertu de l’article 30 al. 1 let. a LACI, le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage est suspendu lorsqu’il est établi que celui-ci est sans travail par sa propre faute. Est notamment réputé sans travail par sa propre faute l’assuré qui, par son comportement, en particulier par la violation de ses obligations contractuelles de travail, a donné à son employeur un motif de résiliation du contrat de travail (art. 44 al. 1 let. a OACI).

Pour qu’une sanction se justifie, il faut que le comportement de l’assuré ait causé son chômage. Un tel lien fait défaut si la résiliation est fondée essentiellement sur un autre motif que le comportement du travailleur. Il n’est pas nécessaire que son comportement constitue une violation des obligations contractuelles et il est indifférent que le contrat ait été résilié de façon immédiate ou pour justes motifs ou à l’échéance du délai de congé légal ou contractuel. Il suffit que le comportement à l’origine de la résiliation ait pu être évité si l’assuré avait fait preuve de la diligence voulue en se comportant comme si l’assurance n’existait pas. Il est nécessaire en outre que l’assuré ait délibérément contribué à son renvoi, c’est-à-dire qu’il ait au moins pu s’attendre à recevoir son congé et qu’il se soit ainsi rendu coupable d’un dol éventuel, cette condition étant posée par l’article 20 let. b de la Convention no 168 de l’Organisation internationale du travail (OIT) concernant la promotion de l’emploi et la protection contre le chômage du 21 juin 1988 (RS 0.822.726.8). Le dol simple entraîne a fortiori une sanction.

Une suspension du droit à l’indemnité ne peut toutefois être infligée à l’assuré que si le comportement reproché à celui-ci est clairement établi. Lorsqu’un différend oppose l’assuré à son employeur, les seules affirmations de ce dernier ne suffisent pas à établir une faute contestée par l’assuré et non confirmée par d’autres preuves ou indices aptes à convaincre l’administration ou le juge. En cas de différend entre les parties, on ne peut sans autre conclure à l’existence d’un comportement fautif de l’employé lorsque l’employeur invoque des motifs vagues qu’il ne peut étayer par aucune preuve. Les allégations de l’employeur doivent à tout le moins être vérifiées, notamment par le biais de témoignages ou par des renseignements écrits ; de simples informations obtenues par téléphone ne suffisent en principe pas. Lorsqu’un renseignement est recueilli oralement, il y a lieu de procéder à une audition verbalisée, l’assuré devant être mis en mesure de prendre position sur la preuve littérale ou sur le procès-verbal d’audition.

À cet égard, la procédure dans le domaine des assurances sociales est régie par le principe inquisitoire d’après lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’assureur (art. 43 al. 1 LPGA) ou, éventuellement, par le juge (art. 61 let. c LPGA). Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée peut être restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Si le principe inquisitoire dispense les parties de l’obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d’absence de preuve, c’est à la partie qui voulait en déduire un droit d’en supporter les conséquences, sauf si l’impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s’applique toutefois que s’il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d’établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui paraissent les plus probables. Il n’existe pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré.

En l’occurrence, la décision attaquée retient que « l’assurée a éprouvé des difficultés à suivre les directives de l’employeur et qu’elle n’a pas réussi à respecter les demandes telles que rattraper le retard », ajoutant que « la même problématique est constatée chez le précédent employeur ». Étant donné que la suspension litigieuse est fondée sur le comportement prétendument fautif de la recourante dans son activité auprès de A.________ Sàrl et qu’elle n’a en outre jamais été invitée à s’exprimer sur les motifs d’un précédent licenciement, les considérations de l’intimée à ce sujet sont hors de propos et violent au surplus le droit d’être entendue de l’assurée. En ce qui concerne les autres éléments retenus à son égard pour justifier la suspension prononcée à son encontre, soit ils ne sont pas établis, soit ils ne sont même pas invoqués par l’employeur. Il en va ainsi des difficultés que l’intéressée aurait éprouvées « à suivre les directives » et au retard qu’elle n’aurait pas rattrapé malgré les demandes. En effet, on ne trouve nulle trace au dossier de reproches de cet ordre. Dans son courrier du 22 décembre 2022, l’employeur a mentionné une « cahier des charges non rempli » sans autre précision et « une attitude nonchalante avec manque flagrant de motivation ». Dans ses déterminations ultérieures du 9 mai 2023, il a indiqué que son « prédécesseur réussissait à effectuer les tâches imparties en travaillant à 20 % » et qu’elle avait « mis l’entreprise en péril par son comportement et ses graves négligences au travail », sans indiquer à quel comportement et quelles graves négligences il faisait allusion. La recourante a certes admis que le retard s’accumulait, mais tout en l’expliquant par un taux d’activité insuffisant (20 %) pour accomplir toutes les tâches qui lui étaient dévolues. Si, comme le prétend l’employeur, le secrétaire comptable précédent y parvenait, on ne saisit dès lors pas pourquoi il a consenti à augmenter le taux d’activité de la recourante – par ailleurs « nonchalante » et non motivée – à partir du 1er août 2022 de 20 % à 50 %, ni pourquoi il l’a ensuite remplacée au même taux d’activité. On doit bien plutôt en déduire que la charge de travail de l’assurée était effectivement disproportionnée au regard de son taux à l’engagement, ce qui l’avait naturellement mise en difficulté, sans qu’on puisse lui reprocher un comportement fautif. Quant à l’affirmation de la CCNAC selon laquelle elle n’aurait pas respecté les demandes de son employeur de rattraper le retard accumulé, elle est d’autant plus inexacte que la recourante a exposé, sans être contredite par l’employeur, que dans le mois qui a suivi l’augmentation de son taux d’activité à 50 %, elle avait rattrapé tout son retard. Au demeurant, même si elle n’était pas parvenue à donner entière satisfaction à son employeur, ce qui n’est pas établi, cela ne signifierait pas encore qu’elle aurait adopté un comportement fautif sous l’angle de l’assurance-chômage. On n’arrive par ailleurs pas à se défaire de l’impression désagréable que d’autres raisons, non énoncées explicitement dans la procédure, ont pesé dans la manière d’agir de l’employeur qui, faut-il le rappeler, a engagé au mois de juillet 2022 la remplaçante de la recourante dont il venait pourtant d’augmenter le taux d’activité quand bien même elle mettait soi-disant en péril sa société par ses graves négligences.

En l’absence d’un comportement fautif clairement établi de la part de l’assurée, c’est à tort que la CCNAC a prononcé une suspension de son droit à l’indemnité de chômage.

(Arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal [NE] CDP.2023.222 du 19.02.2024)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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