
Alors que le Tribunal fédéral a rendu très récemment un arrêt, contestable, sur les obligations de l’employeur de droit privé concernant les enquêtes internes (commenté ici : https://droitne.ch/files/analyses/droitdutravail/6-24-mar-analyse-4a-368-2023-raedler.pdf), la Cour de droit public du Tribunal cantonal [NE] a rendu un arrêt intéressant sur une résiliation des rapports de service pendant la période probatoire basée sur un rapport d’enquête gravement défectueux :
A.________ a été engagée à titre provisoire par le Conseil communal de la Commune X.________ (ci-après : conseil communal) à partir du 1er septembre 2021 en qualité de collaboratrice administrative (…).Le 10 février 2023, un entretien annuel de développement portant sur l’année 2022 s’est déroulé entre l’intéressée et la cheffe du service [aaa], B.________. (…) Par courrier du 21 mars 2023, C.________, de l’entreprise I.________, a indiqué à la commune être relevée de sa confidentialité relativement au dossier de A.________ et être intervenue auprès d’elle le 20 janvier. En substance, l’intéressée l’avait informée que, selon B.________, son engagement définitif était compromis en raison d’allégations racistes envers l’apprenti D.________, d’un manque de compétences métier et d’un manque de savoir-être vis-à-vis de l’apprenti. Elle souhaitait être entendue sur ces accusations et soutenait par ailleurs être victime de mobbing. C.________ suggérait dès lors la mise en œuvre d’une analyse du climat de travail afin de recueillir des témoignages. Procédant elle-même à cette analyse, elle a retenu dans son rapport du 3 mai 2023 que la collaboratrice avait fait preuve d’intolérance à l’égard de l’apprenti, qu’elle l’avait dénigré lors de séances en janvier et février 2023, qu’elle avait eu des propos racistes et discriminatoires à son égard et qu’elle n’avait quant à elle pas été victime de propos dénigrants. C.________ a conclu qu’il n’était « pas recommandé de la confirmer dans ses fonctions, mais de procéder à un licenciement ».
Sur cette base, le conseil communal a avisé l’intéressée de son intention de résilier son engagement provisoire et l’a invitée à exercer son droit d’être entendue (courrier du 31.05.2023 remis en mains propres). Dans ce cadre, cette dernière a notamment requis une version non caviardée du rapport d’analyse du climat de travail (courrier du 09.06.2023). Le conseil communal lui a répondu que les données caviardées ne la concernaient pas et qu’elles n’entraient pas en considération dans le cadre de la décision devant être prise à son encontre (courrier du 14.06.2023). Dans ses observations, la collaboratrice a contesté la valeur probante du rapport ainsi que les manquements reprochés et invoqué le caractère disproportionné et abusif d’un licenciement (courrier du 29.06.2023). (….)
Par décision du 7 juillet 2023, le conseil communal a résilié l’engagement provisoire de l’intéressée avec effet au 31 octobre 2023 compte tenu de son incapacité de travail jusqu’au 20 août 2023 et l’a libérée de l’obligation de travailler. Il a retenu en substance qu’elle n’avait pas pris la mesure des reproches formulés à son égard et considéré que le rapport de confiance nécessaire à la poursuite des rapports de service était dans tous les cas définitivement rompu.
A.________ recourt contre cette décision auprès de la Cour de droit public du Tribunal cantonal. Elle conclut à son annulation et au constat du caractère abusif de la résiliation, avec suite de frais et dépens. (…)
Xxxxxxxxx
La résiliation des rapports de service intervient pendant la période d’engagement provisoire. L’article 132 al. 1 du règlement général de Commune renvoie à la législation cantonale sur le statut de la fonction publique, de sorte que l’article 12 al. 3 LSt est applicable. Aux termes de cette disposition, durant la période probatoire, chaque partie peut signifier son congé à l’autre moyennant un avertissement donné par écrit au moins deux mois à l’avance pour la fin d’un mois. Le congé ne doit pas être abusif, au sens de l’article 336 du code des obligations (CO). Selon le Tribunal fédéral, le temps d’essai doit fournir aux parties l’occasion de préparer l’établissement de rapports de travail destinés à durer, en leur permettant d’éprouver leurs relations de confiance, de déterminer si elles se conviennent mutuellement et de réfléchir avant de s’engager pour une plus longue période. Si les rapports contractuels qu’elles ont noués ne répondent pas à leur attente, les parties doivent pouvoir s’en libérer rapidement (ATF 129 III 124 cons. 3.1). Durant la période d’essai ou à la fin de celle-ci, l’administration conserve une grande liberté d’appréciation pour mettre fin aux rapports de service. D’après la jurisprudence, la résiliation doit être justifiée par des motifs valables. Elle doit respecter les limites du pouvoir d’appréciation dont dispose l’administration dans ce domaine et apparaître soutenable compte tenu des prestations et du comportement de l’employé ainsi que des données personnelles et organisationnelles (RJN 2021, p. 539 cons. 2; RJN 2007, p. 204 cons. 2b et les références citées).
Cela étant, des motifs objectifs doivent exister. Les rapports de travail sont nécessairement plus précaires durant le temps d’essai, précarité qui est justifiée par la nature et la finalité même du temps d’essai. La résiliation des rapports de travail durant le temps d’essai ne peut toutefois pas être décidée selon le seul bon vouloir de l’employeur, puisque le contrat de travail a pour effet de créer un rapport de service complet. La résiliation peut ainsi être prononcée lorsqu’il est permis de retenir, sur la base des constatations des supérieurs, que l’employé n’a pas su fournir la preuve de ses capacités et qu’une telle preuve ne sera vraisemblablement pas apportée à l’avenir. Il en va de même lorsque, pour des motifs personnels, le rapport de confiance nécessaire entre un employé et son employeur ne peut être noué ou si, sur la base d’éléments concrets, il apparaît douteux que, dans le futur, la collaboration avec les collègues ou les supérieurs soit fructueuse et que la gestion puisse s’exercer efficacement, par exemple en cas d’intégration insuffisante dans la structure en place (arrêts du TAF des 02.02.2017 [A‑3750/2016] cons. 2.2.2 et 24.08.2016 [A‑566/2015] cons. 3.2 et les références citées; cf. aussi ATF 120 Ib 134 cons. 2a, 108 Ib 209 cons. 2; RJN 2021, p. 539 cons. 2, 2007, p. 204 cons. 2b). Est suffisant le motif selon lequel l’employé ne correspond pas au profil du poste (arrêt du TF du 21.11.2013 [8C_467/2013] cons. 3.2). En définitive, il n’y a pas lieu de poser des exigences trop élevées au cours de la période d’essai quant à la motivation justifiant la fin d’un rapport de service, rapport qui, par nature, est encore relativement peu étroit. Le licenciement durant le temps d’essai ne présuppose ainsi pas nécessairement une faute de la part de l’employé, mais peut ne se fonder que sur des motifs objectifs (arrêt du TF du 05.10.2005, publié in JAAC 70.4 cons. 4.3.1). Il suffit que la continuation des rapports de service se heurte à des difficultés objectives ou qu’elle n’apparaisse pas souhaitable pour une raison ou une autre (arrêts du TF des 11.01.2023 [8C_212/2022] cons. 4.3, 15.07.2022 [8C_40/2022] cons. 4.4, 07.12.2018 [8C_146/2018], cons. 4.2 et les références citées).
L’autorité d’engagement dispose donc, s’agissant de déterminer l’existence d’un motif de résiliation durant le temps d’essai, d’un large pouvoir d’appréciation (ATF 134 III 108 cons. 7.1.1, 120 Ib 134 cons. 2a). Cette marge d’appréciation dont dispose l’employeur implique qu’il n’a pas à prouver tous les éléments qui l’ont amené à se forger une opinion sur l’adéquation de l’employé à la fonction. En particulier, un congé fondé sur des défauts de caractère d’un travailleur nuisant au travail en commun n’est pas abusif au sens de l’article 336 al. 1 let. a CO (ATF 136 III 513 cons. 2.5; arrêt du TF du 16.04.2018 [8C_419/2017] cons. 5.3.2).
La résiliation pendant le temps d’essai, compte tenu de la finalité de celui-ci, comporte nécessairement une part d’arbitraire (arrêt du TF du 14.05.2018 [8C_310/2017] cons. 7.6 et la référence citée), qui ne constitue pas un abus de droit. Le grief d’arbitraire ne doit d’ailleurs être admis que dans de rares cas, par exemple lorsque les motifs allégués sont manifestement inexistants, lorsque des assurances particulières ont été données à l’employé ou en cas de discrimination. Le Tribunal fédéral a admis que la résiliation donnée pendant le temps d’essai peut être considérée comme abusive, mais qu’une telle appréciation doit être réservée à des situations exceptionnelles, en tenant compte de la finalité du temps d’essai (ATF 136 III 96 cons. 2, 134 III 108 cons. 7.1; arrêt du TF du 18.04.2012 [8C_518/2011] cons. 6.1 et les références citées). L’énumération prévue à l’article 336 CO – qui concrétise avant tout l’interdiction générale de l’abus de droit et en aménage les conséquences juridiques pour le contrat de travail – n’est pas exhaustive et un abus du droit de mettre un terme au contrat de travail peut également se rencontrer dans d’autres situations qui apparaissent comparables par leur gravité aux cas cités à l’article 336 CO. (…)
La décision entreprise se fonde sur le rapport du 3 mai 2023 établi par C.________. D’après ce rapport, l’intervenante a procédé à une analyse du climat du travail au sein du service [aaa] afin de déterminer si D.________ a reçu le soutien adéquat de la recourante et sa supérieure hiérarchique dans le cadre de son apprentissage au service [aaa], s’il a été victime de dénigrement et de propos racistes et « misogynes » (sic) de leur part, et si la recourante a été victime de propos calomnieux. Elle a reçu en entretien sept collaborateurs de la commune. Son rapport rend compte des déclarations des collaborateurs et conclut que l’apprenti n’a pas reçu le soutien et l’encadrement auquel il avait droit, la recourante ayant fait preuve d’intolérance à son égard, qu’il a été victime de dénigrement ainsi que de propos racistes et discriminatoires lors de deux séances en janvier et le 1er février 2023 et que la recourante n’a pas été victime de propos dénigrants. C.________ a recommandé en conséquence de ne pas confirmer la recourante dans ses fonctions, mais de procéder à un licenciement. Dans la version transmise à la Cour de céans, une partie du rapport est caviardée.
Il s’agit d’évaluer la force probante de ce rapport et de déterminer s’il permet de fonder un motif objectif de résiliation des rapports de travail. Il a été établi par C.________ après que celle-ci a suggéré à la commune la mise en œuvre d’une analyse du climat de travail. Le dossier ne renseigne pas sur les liens de cette personne avec la commune, respectivement son implication auprès des collaborateurs. D’après le mémoire de recours, elle serait la personne de confiance de la commune, rôle que l’intimé ne semble pas contester. Ni le règlement général de commune, ni le guide du collaborateur ne mentionnent la personne de confiance, a fortiori n’encadrent sa mission, ses tâches et son fonctionnement. (…) La mise en œuvre d’une analyse du climat de travail s’inscrit dans ce contexte. D’après la doctrine relative aux procédures de gestion des conflits dans les entreprises ou organisations, à laquelle il est possible de se référer par analogie, cet outil se fonde sur les déclarations des employés entendus et appartient clairement au processus amiable (appelé parfois aussi procédure informelle) de gestion des conflits, non pas à une procédure formelle. La démarche n’équivaut pas à une enquête. Ainsi, les entretiens ne sont en règle générale pas formalisés (pas de procès-verbaux signés par les personnes entendues), il n’y a pas d’enquête, d’établissement des faits, de confrontation ou tout autre mesure qui permettrait à la personne visée d’assurer une défense en harmonie avec le droit. Cette démarche se place donc dans une perspective « guérissante ». Elle vise une amélioration de la situation et non une sanction. Les entretiens menés sont semi-confidentiels en ce sens que le contenu doit bien sûr être restitué à la hiérarchie. La source reste cependant confidentielle afin de libérer la parole. Le questionnement devrait pour le moins porter sur l’ambiance, les relations entre collègues et les relations avec la hiérarchie. Il importerait également de questionner les solutions déjà tentées, de demander quelle serait la situation idéale pour eux, ce qu’ils seraient prêts à faire et quels outils seraient selon eux susceptibles d’être mis en œuvre (Wenger, Règlements internes de prévention et gestion des conflits et procédures d’enquête, 2020, p. 272-274).
Dans le cas particulier, la procédure qui a conduit à la délivrance du rapport interpelle à plusieurs égards. Premièrement, il n’est pas contesté que la recourante a sollicité au mois de janvier 2023 C.________ en se confiant à elle sur les propos rapportés par sa supérieure hiérarchique. La commune n’a donc pas contacté l’intervenante à la suite du constat d’un manquement quelconque de la recourante. Cela ne signifie néanmoins pas que cette dernière a pris l’initiative du processus qui a ensuite été engagé, quand bien même elle aurait émis le souhait de s’exprimer. Cela aurait d’ailleurs fait peu de sens. Dans son courrier du 21 mars 2023 à l’attention de la commune, C.________ a indiqué être « relevée de [s]a confidentialité ». Or, le dossier ne contient aucune pièce signée par la recourante qui la relèverait de la confidentialité à laquelle cette personne de confiance était tenue. Rien n’indique par ailleurs que la collaboratrice aurait demandé ou accepté qu’elle s’adresse à son employeur. Il ressort au contraire du courrier du 21 mars 2023 que C.________ a contacté le conseil communal de sa propre initiative pour lui suggérer la réalisation d’une analyse du climat de travail au sein du service [aaa] et proposer ses services. Cette façon de procéder est pour le moins discutable au regard du devoir de confidentialité d’une personne de confiance. Deuxièmement, on ne trouve pas trace au dossier d’un mandat du conseil communal précisant les contours de la tâche confiée. On ne sait pas quel cadre a été fixé s’agissant notamment de l’intérêt de la démarche, les attentes, la méthode, les conditions à respecter, la confidentialité des entretiens, etc. La recourante n’en a donc pas non plus été informée. Pourtant, des échanges sont nécessairement intervenus entre l’intimé et C.________, car les questions auxquelles elle répond dans son rapport du 3 mai 2023 ne sont pas identiques à celles qu’elle proposait dans son courrier du 21 mars. Troisièmement, la mesure qui a été mise en œuvre s’apparente davantage à une enquête visant à établir des faits qu’à un outil de gestion des conflits. En témoignent le but et les questions auxquelles l’intervenante devait répondre, qui portent sur des faits précis, l’absence de confidentialité des entretiens et la nature des recommandations. Sous couvert d’une mesure informelle, elle a mené une enquête. Or, les droits minimaux de procédure et de participation de la recourante ont été ignorés. Cette dernière n’a pas reçu de convocation l’informant précisément de l’objet de l’entretien et de la possibilité de se faire accompagner par un conseil. Elle n’a pas signé de procès-verbal consignant ses déclarations. Elle n’a pas pu participer aux entretiens des autres collaborateurs et n’a pas eu accès à leurs procès-verbaux. Ses droits procéduraux n’ont donc pas été respectés. Par ailleurs, à partir du moment où C.________ a été sollicitée par la recourante et a recueilli ses confidences et ses craintes en toute confiance, elle n’a plus présenté l’indépendance nécessaire à l’exécution du mandat. Cela est d’autant plus vrai qu’elle a vraisemblablement eu plusieurs contacts avec l’intéressée jusqu’au courrier du 21 mars 2023. Dans ce dernier, elle indiquait avoir été interpellée par celle-ci le 20 janvier. Or, à cette date, la séance au cours de laquelle elle aurait eu des propos racistes envers l’apprenti n’avait pas encore eu lieu, puisqu’elle s’est tenue le 1er février suivant. La recourante n’a donc pas pu rapporter à C.________ les déclarations de sa supérieure à ce sujet le 20 janvier.
Le contenu du rapport n’est en outre pas exempt de critiques. Celui-ci ne permet pas de comprendre comment et quand les entretiens se sont déroulés, ni quelles questions ont été posées à chacun des collaborateurs. Leurs propos ne sont ensuite pas reproduits dans toute leur immédiateté et intégralité. Seuls des morceaux choisis sont relatés de façon indirecte et résumés. (…)A cet égard, les positions de la recourante et de B.________ sont résumées en seulement quelques lignes et l’intervenante ne leur accorde aucun crédit, sans explication circonstanciée. (…) Quant à la version de la recourante, elle est brièvement résumée dans la conclusion intermédiaire, après la mention selon laquelle « cette dernière tente de se disculper ». Ses propos n’ont donc pas été rapportés de façon objective. A cela s’ajoute que le rapport est caviardé, sans que l’on puisse réellement s’assurer que les parties obscurcies sont étrangères à la cause.
On retient de ce qui précède que le choix de la commune de mandater C.________ était totalement inadéquat; que celle-ci n’a pas analysé le climat de travail au sein du service [aaa], mais surtout enquêté sur les propos qui auraient été tenus par la recourante à l’occasion du départ de l’apprenti dans un autre service (ce qui signifie qu’ils ne travailleraient a priori plus ensemble); qu’elle s’est largement fondée sur les déclarations de collaborateurs qui ne travaillent pas au service [aaa]; que la procédure suivie n’a pas respecté les droits procéduraux de la recourante; que le contenu du rapport lui-même est lacunaire; qu’il ne contient que des bribes des déclarations de certains collaborateurs de la commune, sans les confronter de façon rigoureuse à celles de la recourante et des autres collaborateurs clés. Pour toutes ces raisons, il faut retenir que le rapport sur lequel se fonde la décision attaquée est dénué de force probante et ne permettait pas de fonder un motif objectif de résiliation des rapports de travail. (…)
(Arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal [NE] CDP.2023.245 du 18.10.2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)