
Les praticiens le savent : il est parfois difficile d’apporter la preuve des faits pertinents dans les contentieux civils. En effet, certaines choses peuvent se passer entre quatre yeux – derrière les portes closes, les pièces peuvent venir à manquer (ou une partie les aura « égarées »), les systèmes d’enregistrement du travail ont des ratés, les caméras de surveillance des hoquets, les témoins peuvent être bigleux ou sortir du bistrot, les comptes tordus ou artistiques, j’en passe et des meilleures.
C’est la raison pour laquelle je voudrais aujourd’hui proposer à la sagesse du législateur une réforme du Code de procédure civile qui viserait à résoudre ces difficultés par le rétablissement du duel judiciaire comme moyen de preuve. Le principe est ancien, éprouvé et connu : les parties, ou leurs champions respectifs (leurs « mandataires » si on veut) s’affrontent physiquement, et le gagnant par la force est censé avoir juridiquement raison par la sanction donnée par les divinités. On aurait pu préférer s’en tenir au simple serment purgatoire, apparu dès la fin de l’époque mérovingienne, qui voyait la partie jurer de la véracité d’un fait, avec l’appui de cojureurs, qui ne sont pas des témoins, mais qui se portent garants de la partie au procès (DUNAND/GRAA, Les fondements historique européens du Code civil suisse, Schulthess, 2023, p. 61 notamment). Mais les serments, aujourd’hui, ne valent plus grand-chose, et les hommes sont de peu de foi [note : le terme les « hommes » comprend également tous les autres genres, par économie de temps et gain de place sur ce blog]. D’où l’intérêt de l’ordalie, jugement des divinités, qui permet de faire la part des hommes intègres et des parjures. Elle est attestée dès le VIIe siècle, et peut être unilatérale ou bilatérale. Le duel judiciaire est donc une ordalie bilatérale, qui met la plupart du temps un terme définitif au litige. Le moyen de preuve est accepté au civil et au pénal dans le canton de Vaud en tout cas jusqu’au XVe siècle. On pensera bien évidemment au duel qui opposa Jean de Carrouges à Jacques le Gris à Paris fin décembre 1386 ou à celui qui vit s’affronter, plus près de nous, Otton III de Grandson à Gérard d’Estavayer à Bourg-en-Bresse fin1397 et dont l’issue nous priva d’un poète délicat… (DUNAND/GRAA, op.cit., p. 63).
Bien évidemment il s’agira de moderniser, préalablement, quelque peu l’institution avant de l’inclure dans le Code de procédure civile. On en retirera les divinités, et on y substituera une référence – vague – aux droits de l’homme. On se gardera de la misogynie de certaines ordalies unilatérales, par exemple celles qui consistaient à mettre une sorcière présumée dans un sac, de coudre celui-ci avant de jeter le tout dans le fleuve, pour s’assurer de l’innocence de la malheureuse. Il faudra aussi revoir la formation des juristes et des responsables rh, en leur permettant de se spécialiser dans les sports de combat et le maniement des armes de leur choix. On adaptera certaines règles de procédure afin de respecter l’égalité… des armes. Par exemple, c’est le demandeur qui devra choisir le moyen de prouver son droit. La représentation devra être admise, et les règles générales du code à ce propos devront être maintenues.
Les avantages de cette proposition sont nombreux. Cela mettrait fin aux développements picrocholins sur l’arbitraire dans l’établissement des preuves et dans l’appréciation de celles-ci devant le Tribunal fédéral. Les frais judiciaires seraient convenablement réduits par l’utilisation judicieuse que feraient les plaideurs de l’Espadon, de la Claymore ou – pour ceux qui préfèrent le duel à cheval – du Brand d’arçon, moyens de preuve par ailleurs réutilisables (après nettoyage). La condition physique des mandataires s’en trouverait grandement améliorée, les litiges raccourcis (comme certains participants d’ailleurs).
Devant l’évidence, il ne me reste plus qu’inciter mes lecteurs à me rejoindre dans cette noble cause. La nouvelle association pour le rétablissement du duel judiciaire, dont les statuts seront bientôt déposés, s’engagera à faire modifier le code de procédure civile à cette fin. En plus d’activités de lobbyisme politique, l’association assurera l’entraînement de ses membres et exercera leur dextérité par la pratique d’activités récréatives comme le pancrace, le lancer de haches, le duel à la couleuvrine, etc. Il n’est pas exclu non plus que s’organisent des banquets où rôtiront les sangliers, entre autres joyeusetés et prestations de ménestrels divers et variés.
Pour conclure, on voit que le passé nous porte vers le haut : comme le disait Bernard de Chartres, Nanos gigantum umeris insidentes !
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)