
[A lire la jurisprudence régulièrement, on voit passer de drôles de choses. Ainsi un Confrère qui a, semble-t-il, rédigé son appel dans un certain état d’énervement contre le premier juge:]
Selon l’art. 132 CPC, le tribunal fixe un délai pour la rectification des vices de forme telle l’absence de signature ou de procuration. A défaut, l’acte n’est pas pris en considération (al. 1). L’alinéa 1 s’applique également aux actes illisibles, inconvenants, incompréhensibles ou prolixes (al. 2).
Est inconvenant un acte injurieux, que cela soit à l’égard du tribunal, des parties à la procédure ou de tiers. Le devoir d’alléguer de l’avocat ne l’autorise pas à porter librement atteinte à l’honneur de la partie adverse. L’avocat restera nuancé et se limitera aux faits pertinents pour la défense des intérêts de son client. Les allégations attentatoires à l’honneur ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire, ni être inutilement blessantes ou propagées de mauvaise foi. Les suppositions doivent être présentées comme telles (ATF 131 IV 154, SJ 2006 I 42 ; 118 IV 248 ; 116 IV 211, JdT 1992 IV 83; Bohnet in Commentaire romand, CPC, 2ème éd., 2019, n.20 ad art. 132 CPC).
Selon le mémoire d’appel, aucune étincelle n’avait germé dans l’esprit du premier juge dont certaines approximations de forme laissaient à penser qu’il avait rendu sa décision à l’aube des fêtes de Noël avec un empressement peu propice à un raisonnement réfléchi. De plus, l’erreur de retranscription des conclusions des parties commise par le premier juge laissait songeur sur la concentration de celui-ci et sur l’opportunité de rédiger un jugement à la veille des fêtes, dans l’urgence et la fatigue, quand bien même « l’appelante n’ignorait pas les questions de statistiques CSM qui pourraient expliquer un tel empressement » [NB : dans le canton de GE, le CSM, soit le Conseil supérieur de la magistrature, est l’autorité de surveillance des juges ; ceux-ci doivent lui adresser régulièrement des statistiques sur le nombre de dossiers, le nombre de jugements, etc.]
De tels propos frisent l’inconvenance, puisque l’appelante indique, en substance que le premier juge a choisi de rendre un jugement inepte et bâclé, et ce dans son intérêt personnel, en violation de son serment, préférant améliorer ses « statistiques » à l’égard de son autorité de surveillance, au détriment du justiciable. S’il est certes du devoir de l’appelant de critiquer un jugement dont il fait appel, il n’est en revanche pas nécessaire d’attaquer les compétences juridiques et les qualités personnelles du juge qui l’a rendu. Afin d’éviter de complexifier la procédure et dans la mesure où la cause est en état d’être jugée, il sera cependant renoncé à expressément qualifier d’inconvenant les passages précités de l’appel et à renvoyer son appel à la partie appelante pour qu’elle le rectifie.
(Arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice ACJC/215/2024 du 16.02.2024, consid. 1.2)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)