Par contrat de travail du 1 er octobre 2013, B.________ a engagé A.________ en qualité d’« assistante personnelle» à partir du 1 er novembre 2013 pour une durée indéterminée.
Le temps de travail convenu était de 32 heures par semaine, correspondant à un taux d’activité de 80%. Du lundi au jeudi à raison de 8 heures par jour, l’employée devait notamment fournir les prestations suivantes: actes ordinaires de la vie; participation à la vie sociale et loisirs; tenue du ménage; surveillance de jour.
Le contrat prévoyait un salaire mensuel de 3’600 fr. bruts, un treizième salaire et quatre semaines de vacances. Il déclarait applicable le « contrat-type de travail pour les travailleurs de l’économie domestique du canton de Vaud».
Au moment de son engagement, l’employée était encore liée par un contrat de travail l’obligeant à travailler à 100% pour un autre employeur jusqu’au 31 décembre 2013. Bien qu’ayant connaissance de ce fait, l’employeuse l’a engagée pour le 1er novembre 2013. Les heures non effectuées devaient être compensées ultérieurement.
L’employée est parvenue à se libérer pour le 20 décembre 2013. Elle a alors travaillé quelque temps selon l’horaire convenu.
En avril 2014, l’employée a ouvert une boutique de vêtements à son propre compte. En tout cas dès le 1er juin 2014, elle y a travaillé en après-midi les mardis, mercredis et jeudis.
La fille de l’employeuse est venue travailler à la boutique les matins. L’employée avait promis de restituer les heures manquantes à l’employeuse et de verser de l’argent de poche à la fille de l’employeuse. Comme ces engagements n’ont pas été respectés, la fille de l’employeuse a cessé de travailler dans la boutique en septembre 2014.
A compter du mois d’octobre 2014, l’employée s’est absentée plusieurs lundis après-midis pour mener son enfant chez l’ergothérapeute. Elle a manqué 8 lundis après-midis durant l’année 2014, puis 21 entre le 1er janvier et le 17 août 2015.
L’employeuse a manifesté son désaccord avec le fait que l’employée n’accomplissait pas les heures dues. La première a expliqué qu’elle avait continué de verser un plein salaire parce que la seconde lui avait promis de rattraper les heures manquantes; lorsque celle-ci devait des heures, elle disait qu’elle ne pouvait pas en mettant la pression sur l’employeuse.
En novembre 2014, l’employeuse a demandé à l’employée de cesser les abus et d’arrêter les absences injustifiées.
L’employeuse faisait une confiance totale, voire aveugle à l’employée et aux membres de sa famille.
Dès mars ou avril 2015, une fiduciaire a été chargée de verser le salaire à l’employée.
Le 5 août 2015, l’employée a adressé un courriel à la fiduciaire pour s’assurer que son salaire de juillet 2015 serait versé à temps.
La fiduciaire a répondu que le budget annuel (juillet 2014-juin 2015) de l’assurance-invalidité (AI) pour l’employeuse était épuisé et que la caisse AI ne payerait pas de supplément pour juillet 2015; quant au salaire d’août 2015, il serait payé au début du mois de septembre 2015. La fiduciaire a ajouté qu’au vu des nombreuses absences de l’employée, notamment durant les deux premiers mois de travail, le salaire du mois de juillet 2015 ne serait pas versé, l’employée ne devant pas profiter de la gentillesse de l’employeuse.
Par courrier du 6 août 2015, l’employeuse a résilié le contrat de travail pour le prochain terme contractuel, soit le 31 octobre 2015. Elle a libéré l’employée de son obligation de travailler.
Par courrier du 24 août 2015, l’employée a imparti à l’employeuse un délai de 5 jours pour lui verser son salaire de juillet 2015 et fournir une motivation écrite de son licenciement. Elle a demandé si son salaire d’août 2015 serait versé à la fin du mois avec son 13ème salaire et ses 14 jours de vacances, et si les salaires de septembre et octobre 2015 seraient payés à la fin du délai de congé.
Par courrier du 7 septembre 2015, l’employée a résilié le contrat avec effet immédiat pour non-paiement des salaires de juillet et août 2015.
Le 22 septembre 2015, la fiduciaire de l’employeuse a écrit à l’employée qu’elle devait rembourser à sa mandante le montant de 16’220 fr. 55 à titre de salaire perçu en trop.
Extrait des considérants :
4.1. L’autorité de céans [le TF] a déjà été saisie d’une affaire dans laquelle l’employeuse avait versé de janvier à novembre 2005 le salaire mensuel convenu, sans égard au nombre d’heures accomplies et nonobstant des contrôles réguliers du temps de travail effectué. Après avoir licencié l’employé le 30 novembre 2005 pour le 31 janvier 2006, elle avait procédé à des déductions sur le salaire de décembre 2005 et sur le 13 ème salaire pour tenir compte d’un solde d’heures négatif (plus de 200 heures) accumulé au cours de l’année.
L’autorité de céans a rappelé que le contrat de travail se caractérise par un rapport d’échange, de sorte que si une des parties ne s’exécute pas, l’autre peut retenir sa prestation. L’employeur n’a en principe pas à verser de salaire pour des heures de travail inexécutées, lorsque l’empêchement entre dans la sphère de risque du travailleur et que les exceptions prévues par la loi ne sont pas réalisées (art. 324a et 324b CO). En l’occurrence, le travailleur n’avait pas contesté le décompte d’heures. Les déductions opérées par l’employeuse ne prêtaient pas à critique (arrêt 4A_291/2008 du 2 décembre 2008 consid. 3.2 à 3.4).
La doctrine relève qu’il se pose en la matière des questions délicates que l’arrêt ne tranche pas, telles que le fondement de la créance de l’employeur et la péremption du droit de récupérer des salaires versés en trop (cf. STREIFF / VON KAENEL/RUDOLPH, Arbeitsvertrag, 7e éd. 2012, p. 289 s.; THOMAS PIETRUSZAK, in DTA 2009 p. 125 ss; CHRISTOPH SENTI, Rückforderung oder Verrechnung zu viel bezahlter Leistungen durch den Arbeitgeber, PJA 2014 p. 40 ss).
4.2. En l’occurrence, la recourante conteste exclusivement l’interprétation du comportement de l’employeuse, en se prévalant du principe de la bonne foi et de l’interdiction de l’abus de droit. Elle plaide que l’employeuse n’a jamais émis de réserve au sujet des heures manquantes et a persisté à lui payer l’entier de son salaire en toute connaissance de cause, de sorte qu’elle a ainsi tacitement renoncé à réduire son salaire et à lui reprocher l’exécution incomplète de ses obligations.
4.3. Les parties peuvent modifier tacitement un contrat de travail conclu en la forme écrite (arrêts 4A_23/2007 du 8 mai 2007 consid. 4.3; 4C.51/2005 du 5 juillet 2005 consid. 3.1). Une manifestation de volonté tacite ne peut être retenue qu’en présence d’un comportement univoque, dont l’interprétation ne suscite raisonnablement aucun doute (ATF 123 III 53 consid. 5a p. 59; 113 II 522 consid. 5c; arrêt précité 4C.51/2005 consid. 3.1).
En règle générale, lorsque l’employeur omet de faire valoir avant la fin des rapports de travail une prétention dont il a connaissance au moins sur le principe, et en particulier lorsqu’il verse le dernier salaire sans faire de réserve, son comportement peut objectivement être compris comme une renonciation à sa créance. Doit notamment être réservé le cas où il n’a pas la possibilité de manifester son intention au travailleur avant la fin des rapports de travail (arrêts 4A_351/2011 du 5 septembre 2011 consid. 2.2; 4C.155/2006 du 23 octobre 2006 consid. 7.1.1; ATF 110 II 344 consid. 2b). Certains auteurs jugent cette jurisprudence trop sévère (STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, op. cit., p. 270; PIETRUSZAK, op. cit., p. 126; ROMINA CARCAGNI ROESLER, in Entwicklungen im schweizerischen Wirtschaftsrecht, 2012, p. 99 s.).
4.4. Dans le cas d’espèce, les parties ont d’entrée de cause convenu que le contrat de travail prendrait effet le 1 er novembre 2013, alors même que l’employée ne pouvait pas respecter l’horaire prévu puisqu’elle était encore liée à un autre employeur à 100%. L’intéressée devait rattraper ultérieurement les heures manquantes, sans que les parties aient convenu d’un délai à cet égard. Libérée de son engagement le 20 décembre 2013, l’employée s’est ensuite conformée à l’horaire contractuel pendant quelques mois, puis s’est absentée trois après-midis sur quatre dès juin 2014 pour travailler dans sa boutique, et même régulièrement quatre après-midis par semaine dès octobre 2014. Elle a néanmoins touché le salaire convenu jusqu’en juin 2015.
Se pose la question de savoir si le paiement régulier du salaire doit s’interpréter comme une renonciation à se prévaloir des heures de travail inexécutées, respectivement comme une modification tacite du contrat avec augmentation de salaire.
L’autorité précédente a répondu par la négative, en faisant valoir que l’employeuse avait exprimé son désaccord avec le fait que l’employée ne faisait pas les heures qu’elle devait. Celle-là avait continué à verser un plein salaire parce que celle-ci avait promis de rattraper les heures manquantes – tout en lui mettant la pression en disant qu’elle ne pouvait pas le faire. Par ailleurs, l’employeuse vouait à l’employée comme aux membres de sa famille une confiance totale, voire aveugle. En novembre 2014, l’employeuse avait demandé de cesser ces abus.
On ignore à quelle fréquence l’employeuse a marqué sa désapprobation. Par ailleurs, elle effectuait elle-même les décomptes, de sorte qu’elle devait tôt ou tard se rendre compte que le rattrapage d’heures ne serait plus possible. Cela étant, il faut avoir égard aux particularités de la relation contractuelle. Il ressort du courriel de la fiduciaire de l’employeuse que cette dernière touchait des prestations de l’assurance-invalidité. Selon le contrat de travail, l’employée a été engagée comme «assistante personnelle» pour les «actes ordinaires de la vie» et pour exercer une «surveillance de jour». Dans ce cas de figure, la personne de l’employée revêt une importance particulière. En l’occurrence, l’employée – tout comme sa mère et son mari, qui rendaient des services – avaient su s’attirer la confiance totale, voire aveugle de l’employeuse.
La jurisprudence tient compte du fait qu’un employé, durant les rapports de travail, peut renoncer à faire valoir l’intégralité de ses prétentions par crainte de perdre son poste (cf. arrêt 4A_477/2013 du 28 janvier 2014 consid. 2.3 et les arrêts cités). Dans le même ordre d’idées, il faut admettre que l’employeur peut, dans certaines situations, être enclin à ne pas faire valoir ses droits par crainte de perdre un employé et de devoir tisser de nouveaux liens personnels avec un tiers. En l’occurrence, l’employeuse se trouvait bien dans une situation de ce type. Elle avait besoin d’une certaine forme d’assistance dans sa vie quotidienne et entretenait un lien particulier avec l’employée et ses proches. Elle a dit ressentir une pression lorsqu’elle abordait la question du rattrapage des heures manquantes, que l’employée disait ne pas pouvoir effectuer, tout en promettant de le faire. Dans ces circonstances, on conçoit que l’employeuse ait attendu avant de mettre fin aux abus, ce qui impliquait de mettre un terme à cette relation (et à celle nouée avec les proches de l’employée, qui rendaient service). Cette dernière ne pouvait ignorer la confiance totale que lui vouait l’employeuse et l’importance de la relation personnelle dans ce type d’emploi; elle ne pouvait de bonne foi inférer que l’employeuse n’exprimait sa désapprobation que pour la forme et que celle-ci entendait sans aucun doute lui accorder une augmentation de salaire en renonçant à exiger les heures manquantes.
Il reste à examiner de quelle manière l’employée devait de bonne foi interpréter le comportement de l’employeuse à la fin des rapports de travail.
L’employeuse a résilié le contrat le 6 août pour le 31 octobre 2015, en libérant l’employée de son obligation de travailler. Elle n’a fait valoir ses prétentions pécuniaires que le 22 septembre 2015, après que l’employée eut résilié le contrat avec effet immédiat. Il apparaît toutefois que l’employeuse n’a pas payé le salaire de juillet 2015 ni les suivants. Sa fiduciaire a invoqué l’épuisement du budget annuel de l’assurance-invalidité, mais aussi les nombreuses absences de l’employée, notamment durant les deux premiers mois de travail. Elle a certes laissé entendre que le salaire d’août serait payé en septembre, mais en pratique, tel n’a pas été le cas. Lorsque l’employée, par courrier du 24 août, a sommé l’employeuse de payer le salaire de juillet 2015 et de lui indiquer si elle entendait payer les salaires suivants, l’employeuse ne lui a pas répondu.
Dans ce contexte, on ne saurait de bonne foi inférer du comportement de l’employeuse qu’elle renonçait à faire valoir toute prétention pécuniaire. Encore une fois, elle n’a pas payé les derniers salaires en invoquant notamment les absences de l’employée. De surcroît, elle a pu légitimement être prise de court par l’employée, qui a subitement résilié le contrat avec effet immédiat alors qu’elle-même y avait déjà mis un terme.
En définitive, l’autorité précédente n’a pas enfreint le droit fédéral en niant que l’employeuse ait eu un comportement univoque dont l’employée aurait pu de bonne foi inférer une renonciation à émettre des prétentions pour les heures de travail inexécutées, et partant une proposition tacite d’augmenter son salaire.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_666/2017 du 17 mai 2018, consid. 4)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
