L’opposition au congé en cas de licenciement abusif

L’appelante [l’employeur] reproche à l’employé de ne pas avoir respecté une des conditions de l’art. 336b al. 2 CO en ce sens qu’il a directement recherché à obtenir une indemnité pour résiliation abusive sans aucune discussion, ni manifester une volonté de maintenir les rapports de travail, de sorte que son opposition ne serait pas valable. De son côté, l’intimé [le travailleur] soutient que la jurisprudence du Tribunal fédéral n’a pas posé comme condition supplémentaire à la validité de l’opposition que le travailleur offre expressément ses services, d’autant qu’en l’espèce, il savait que l’employeur les refuserait s’il n’acceptait pas les nouvelles conditions de travail. Il estime donc que son opposition est valable.

En vertu de l’art. 336b al. 1 CO, la partie qui entend demander une indemnité pour résiliation abusive (art. 336 et 336a CO) doit faire opposition au congé par écrit auprès de l’autre partie, au plus tard jusqu’à la fin du délai de congé. Selon la jurisprudence, il ne faut pas poser des exigences trop élevées à la formulation de cette opposition écrite. Il suffit que son auteur y manifeste à l’égard de l’employeur qu’il n’est pas d’accord avec le congé qui lui a été notifié. L’opposition a pour but de permettre à l’employeur de prendre conscience que son employé conteste le licenciement et le considère comme abusif ; elle tend à encourager les parties à engager des pourparlers et à examiner si les rapports de travail peuvent être maintenus. Dans cette perspective, le droit du travailleur de réclamer l’indemnité pour licenciement abusif s’éteint si le travailleur refuse l’offre formulée par l’employeur de retirer la résiliation. Il n’y a pas d’opposition lorsque le travailleur s’en prend seulement à la motivation de la résiliation, ne contestant que les motifs invoqués dans la lettre de congé, et non à la fin des rapports de travail en tant que telle (arrêt TF 4A_59/2023 du 28 mars 2023 consid. 4.1. et les références citées).

Savoir si l’on est en présence d’une opposition au congé est affaire d’interprétation de la volonté du travailleur selon le principe de la confiance, lorsque la volonté réelle du travailleur n’a pas été comprise par le destinataire (arrêt TF 4A_320/2014 du 8 septembre 2014 consid. 3.1). Dans ce dernier arrêt, le Tribunal fédéral a relevé en obiter dictum que l’art. 336b al. 1 CO ne signifiait pas seulement « faire opposition au motif du congé, ou aux circonstances ayant mené au congé », mais il lui imposait de manifester clairement sa volonté de vouloir poursuivre les rapports de travail, en ajoutant que, « comme la jurisprudence l’a précisé (cf. arrêt précité consid. 3.1), il n’y a pas d’opposition si le travailleur ne conteste que les motifs du congé » (arrêt précité consid. 3.3). Selon DIETSCHY-MARTENET/DUNAND, cet arrêt très restrictif a été critiqué à juste titre, en ce qu’il paraît contredire la jurisprudence antérieure du Tribunal fédéral. Selon ces auteurs, sa portée doit donc être limitée au cas d’espèce : l’employé s’était contenté de contester le motif du congé, et avait souhaité, dans un courrier adressé à son employeur, que les rapports de travail « se terminent dans le respect ». Ainsi, l’employé ne devrait pas avoir à manifester sa volonté de poursuivre les rapports de travail, notre Haute Cour ayant seulement voulu marquer la différence entre l’opposition au congé et la simple contestation des motifs du congé (DIETSCHY-MARTENET/DUNAND, in Commentaire du contrat de travail, DUNAND/MAHON (éd.), 2ème éd. 2022, art. 336b, n. 11 et les références citées). Il n’apparaît pas que le Tribunal fédéral ait entendu poser une condition supplémentaire, non prévue par la loi, en ce sens que, dans son opposition, le travailleur devrait expressément offrir ses services. Une telle condition serait exorbitante, au vu de la jurisprudence publiée, selon laquelle dans les éventuelles négociations qui suivent l’opposition au congé, le travailleur n’a aucun devoir d’accepter une modification du contrat de travail, mais qu’il doit en revanche accepter un retrait du congé, en ce sens que, s’il refuse le retrait, celui-ci éteint la créance d’indemnité (ATF 134 III 67 consid. 5). Il en résulte que le travailleur n’est pas tenu d’offrir ses services dans son opposition, mais qu’il sera tout au plus déchu de son droit à une indemnité pour congé abusif s’il refusait une offre — sérieuse — de l’employeur de retirer le congé (DUC/SUBILIA, Droit du travail, 2010, art. 336b CO n. 5; WITZIG, Droit du travail, 2018, n. 837 p. 299; WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4ème éd. 2019, p. 839; ATF 134 III 67 consid. 5).

En l’espèce, comme on vient de le voir, la doctrine majoritaire et la jurisprudence sont d’avis qu’il ne faut pas poser des exigences trop élevées à la formulation de l’opposition. Il suffit que son auteur y manifeste à l’égard de l’employeur qu’il n’est pas d’accord avec le congé qui lui a été notifié et non uniquement avec ses motifs. C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’arrêt 4A_320/2014 cité par l’appelante dans lequel le Tribunal fédéral indique : « (…) l’art. 336b al. 1 CO ne signifie pas seulement  » faire opposition au motif du congé, ou aux circonstances ayant mené au congé « , mais il lui impose de manifester clairement sa volonté de vouloir poursuivre les rapports de travail. Comme la jurisprudence l’a précisé, il n’y a pas d’opposition si le travailleur ne conteste que les motifs du congé ». Ainsi, le Tribunal fédéral a voulu limiter les cas d’oppositions valables à ceux où l’employé conteste son licenciement, contrairement à ceux où il conteste uniquement ses motifs. Cet arrêt porte en outre sur un cas singulier et isolé dans lequel l’employé n’avait pas clairement formé opposition au licenciement ; il avait uniquement écrit à son employeur qu’il espérait que les rapports de travail se terminent dans le respect. Dans ce cas très particulier, le Tribunal fédéral avait considéré que l’employé ne mentionnait nulle part s’opposer à la fin des rapports de travail, précisant au contraire  » Afin que nos rapports se terminent dans le respect « , qu’il réclamait le paiement des indemnités journalières, mais n’évoquait pas une indemnité pour licenciement abusif, le destinataire ne pouvait ni ne devait comprendre ce courrier comme une opposition au congé au sens de l’art. 336b al. 1 CO.

Or, en l’occurrence, dans son courrier du 25 mars 2021 qui fait suite à la résiliation intervenue le 19 mars 2021, l’employé, par l’entremise de son avocate, a écrit à l’appelante, en particulier : « Pour les raisons que j’exposerai dans un courrier ultérieur, cette résiliation est abusive ; mon mandant y fait ici opposition » (cf. bordereau de la demande, pièce 28). Il a ensuite développé les raisons du licenciement abusif dans le courrier du 7 avril 2021 et le courriel du 9 avril 2021, soit dans le délai de congé (cf. bordereau de la demande, pièces 33 et 35). Ce faisant, l’intimé s’est formellement opposé au congé lui-même et ne s’est pas contenté d’en contester les motifs, ce qui suffit, sans que l’on puisse exiger de lui qu’il ait offert ses services dans le même temps. L’appelante ne prétend par ailleurs pas avoir retiré son congé ni avoir offert de le faire, de sorte que l’intimé ne saurait être déchu de son droit à indemnité. Au surplus, comme l’a relevé le Tribunal, les parties avaient déjà eu l’occasion de discuter, le 19 mars 2021, et l’employeur lui avait dit que soit il acceptait les nouvelles conditions contractuelles, soit il était licencié. L’employé savait que l’employeur n’était pas disposé à poursuivre les rapports de travail sans modification du contrat, ce qui ressort par ailleurs du contenu du courriel du 8 avril 2021 adressé par le conseil de l’employeur à celui de l’employé. En effet, il y est expliqué qu’avec les nouvelles conditions contractuelles, l’employé aurait eu la perspective de gagner plus, mais avec un engagement personnel plus intense, ce qu’il ne voulait toutefois pas. Il est précisé que l’appelante l’avait bien compris, mais que « ce changement était impératif, vu la conjoncture actuelle » (cf. bordereau de la demande, pièce 34). On comprend ainsi bien qu’aucune discussion ni marge de manœuvre n’était possible concernant la poursuite des relations de travail et que c’était en vain que l’employé pouvait proposer ses services à d’autres conditions que celles demandées par l’employeur. Ce dernier n’a du reste pas proposé de revoir sa position ou d’engager l’intimé à d’autres conditions plus favorables pour lui que celles proposées dans la modification du contrat. Il s’ensuit que l’opposition est valable.

(Arrêt de la IIe Cour d’appel civil du Tribunal cantonal fribourgeois 102 2024 103 du 10.10.2024, consid. 3)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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