Le harcèlement moral institutionnel

Le harcèlement moral institutionnel est une notion récemment reconnue (en France!) par l’arrêt de la Cour de cassation du 21 janvier 2025 (Cass. crim., 21 janv. 2025, no 22-87.145 FS-BR ; https://www.courdecassation.fr/decision/678f6a5a29d9a5b0535ebb19).

Cette forme de harcèlement se distingue du harcèlement moral classique en ce qu’elle résulte non pas d’agissements isolés d’un individu, mais d’une politique ou de pratiques managériales mises en place par l’institution elle-même.

Dit autrement :

La caractérisation de l’infraction de harcèlement moral, prévu à l’article 222-33-2 du code pénal, n’exige pas, lorsque les agissements reprochés ont pour objet la dégradation des conditions de travail, qu’ils concernent un ou plusieurs salariés en relation directe avec leur auteur ni que les salariés victimes soient individuellement désignés. En revanche, lorsque de tels agissements ont pour effet une dégradation des conditions de travail, la caractérisation de l’infraction de harcèlement moral suppose que soient précisément identifiées les victimes de tels agissements. Indépendamment de toute considération sur les choix stratégiques qui relèvent des seuls organes décisionnels de la société, constituent des agissements entrant dans les prévisions de l’article 222-33-2 du code pénal, dans sa version résultant de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, et pouvant caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en oeuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.

La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel permet notamment d’engager la responsabilité pénale des dirigeants de l’entreprise. Ces derniers peuvent donc être sanctionnés pour avoir instauré ou toléré des pratiques managériales constituant un harcèlement moral institutionnel.

L’arrêt du 21 janvier 2025 marque donc une évolution significative en reconnaissant explicitement le harcèlement moral institutionnel. Cette décision établit que les dirigeants peuvent être tenus pénalement responsables des politiques managériales qu’ils mettent en place ou qu’ils laissent perdurer, dès lors que celles-ci créent un environnement de travail toxique pour les salariés. Cette jurisprudence renforce la protection des salariés en élargissant le champ du harcèlement moral au-delà des comportements inter-individuels, pour inclure des pratiques organisationnelles systématiques et/ ou systémiques.

Et en Suisse ? On ne reconnaît pas le harcèlement « institutionnel » – il est toujours, et par définition, interpersonnel. (Un exemple récent : CAPH/107/2024 du 20.12.2024 : https://justice.ge.ch/apps/decis/fr/caph/show/3379696?doc=).

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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4 Responses to Le harcèlement moral institutionnel

  1. Avatar de Patricia M. Patricia M. dit :

    Bonjour

    Je le vis et j’ai toutes les peines du monde à faire reconnaître mon préjudice.

    est ce que le harcèlement institutionnel est reconnu en Suisse ou pas ? Cela ne ressort pas clairement de votre article.

    A qui puis-je m’adresser svp

    Merci salutations

    • Difficile de vous répondre dans l’abstrait. La Suisse ne reconnaît pas le harcèlement institutionnel ou d’ambiance comme en France, mais des faits de cette nature peuvent, selon les cas, porter atteinte à la personnalité ou à la santé du travailleur au sens de l’art. 328 CO. En d’autres termes, le harcèlement est une notion limitative en droit suisse, qui doit être individualisée dans une certaine mesure, mais des atteintes à la personnalité prohibées peuvent aussi découler de mesures, d’actions ou d’inactions de l’employeur de portée plus générale. L’examen concret des circonstances du cas est toujours déterminant. L’examen est aussi potentiellement différent dans la fonction publique, qui impose souvent plus d’obligations à l’employeur sous cet angle.

      • Avatar de Patricia M. Patricia M. dit :

        Bonjour Maître, merci pour votre réponse.

        je travaille justement pour l’état et aucun outil de protection contre le mobbing, et encore moins contre le harcèlement institutionnel ne sont mis en place…. ou alors c’est extrêmement lourd et compliqué et cela pousse l’employé a abandonner.

        j’ai fait tous les signalements nécessaires auprès des intervenants concernés, de supérieurs hiérarchique, du médecin conseil, rien ne remonte ou on ne donne pas suite à mes mails.

        Jai 54 ans, et je subis une atteinte physique et psychologique très importante, une atteinte professionnelle également et on ne parle même pas de l’atteinte à dignité ou le fait qu’ils aient détruit ma réputation, jusqu’alors impeccable.

        Pourrais je vous consulter si vous êtes sur Lausanne ou auriez-vous un/e confrère à me conseiller ?

        D’avance merci et meilleures salutations.

      • Chère Madame
        Mon Etude est à Yverdon: https://droitdutravailensuisse.com/a-propos-de-lauteur-2/
        Si vous recherchez quelqu’un à Lausanne je vous suggère de passer par le site de l?Ordre des avocats: https://oav.ch/rechercher-un-avocat/?fwp_categorie=membre_actif&fwp_specialite=droit-du-travail
        Bonne fin de journée

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