
L’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2024 (n°22-22.851) porte sur l’utilisation par un employeur d’un système de géolocalisation pour contrôler le temps de travail de ses salariés. Cette décision souligne les conditions strictes encadrant l’usage de tels dispositifs, en particulier lorsque les salariés disposent d’une certaine autonomie dans l’organisation de leur travail.
Source : Cass. soc., 25 septembre 2024 (no 22-22.851) : https://www.courdecassation.fr/decision/66f3a82c5c2cfc5a084ac66d
Contexte de l’affaire
Un salarié, engagé en tant que distributeur de journaux et d’imprimés publicitaires par la société M. depuis le 5 janvier 2009, contestait la mise en place, à partir de décembre 2014, d’un système de géolocalisation nommé « D ». Ce dispositif avait pour objectif de contrôler le temps de travail des distributeurs. Estimant que ce système portait atteinte à sa liberté dans l’organisation de son travail et à sa vie privée, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat le 12 février 2015, considérant cette rupture comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Arguments des parties
Le salarié soutenait que l’utilisation de la géolocalisation pour contrôler sa durée de travail n’était pas justifiée, notamment parce qu’il disposait d’une liberté dans l’organisation de son travail. Il invoquait l’article L. 1121-1 du Code du travail, selon lequel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
De son côté, la société M argumentait que le système de géolocalisation était le seul moyen efficace pour contrôler le temps de travail de ses salariés, compte tenu des spécificités de leur activité exercée majoritairement en dehors de l’entreprise et sans horaires fixes.
Décision de la Cour d’appel
La cour d’appel d’Angers, dans son arrêt du 10 février 2022, avait débouté le salarié de ses demandes, estimant que le système de géolocalisation mis en place par l’employeur ne portait pas atteinte à sa vie privée. Elle considérait que, dans le cadre spécifique de la modulation du temps de travail et de l’absence d’horaires fixes, ce dispositif apparaissait comme le seul moyen possible pour contrôler le temps de travail et limiter les contentieux.
Analyse de la Cour de cassation
Saisie du pourvoi formé par le salarié, la Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt de la cour d’appel. Elle a rappelé les dispositions de l’article L. 1121-1 du Code du travail et a souligné qu’ « Il en résulte que l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace, et n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail. » (§ 7)
La Haute juridiction a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir caractérisé l’absence de liberté du salarié dans l’organisation de son travail, ni démontré que la géolocalisation était le seul moyen permettant d’assurer le contrôle de la durée du travail. Elle a considéré que les motifs invoqués par la cour d’appel étaient inopérants et insuffisants pour justifier l’atteinte portée aux libertés individuelles du salarié.
Implications de l’arrêt
Cet arrêt réaffirme le principe selon lequel la géolocalisation, en tant que moyen de surveillance, doit être utilisée avec parcimonie et dans le respect des libertés individuelles des salariés. Il incombe à l’employeur de prouver que :
- Le salarié ne dispose pas d’une liberté dans l’organisation de son travail.
- La géolocalisation est le seul moyen possible pour contrôler la durée du travail, aucune autre alternative, même moins efficace, n’étant envisageable.
En l’absence de ces justifications, l’utilisation d’un tel dispositif est illicite et constitue une atteinte aux droits des salariés.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM