
Le Conseil d’Etat français, dans un arrêt du 6 janvier 2006 (no 260307), s’est penché sur cette glaçante question (la conservation des corps par congélation dans une propriété privée).
Contexte de l’affaire
M. Rémy X et ses sœurs ont conservé les corps de leurs parents décédés en 1984 et 2002 dans un appareil de congélation situé dans la crypte du château familial à N. Cette pratique, appelée cryogénisation, visait à préserver les corps conformément aux volontés de leur père. Les autorités locales ont ordonné toutefois l’inhumation des corps (après décongélation ?), estimant que leur conservation dans ces conditions n’était pas conforme à la réglementation funéraire.
Procédure
Les requérants ont contesté les décisions des autorités devant les juridictions administratives. Le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande, décision confirmée par la cour administrative d’appel de Nantes. Ils ont alors saisi le Conseil d’État pour annuler ces décisions.
Raisonnement du Conseil d’État
Cadre juridique applicable
Le Conseil d’État rappelle les dispositions légales encadrant les pratiques funéraires en France, notamment le code général des collectivités territoriales et la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles. Ces textes prévoient que les corps des personnes décédées doivent être inhumés ou incinérés dans des lieux appropriés, tels que les cimetières, sauf dérogation particulière.
Analyse de la pratique de la cryogénisation
Le Conseil d’État examine si la conservation des corps par congélation dans une propriété privée est conforme aux dispositions légales. Il constate que cette pratique n’est pas prévue par la réglementation funéraire française et qu’elle ne bénéficie d’aucune dérogation spécifique. De plus, la conservation des corps en dehors des lieux autorisés peut présenter des risques sanitaires et porter atteinte à la dignité due aux défunts.
Respect des volontés du défunt et des droits des familles
Les requérants invoquent le respect des dernières volontés de leur père et leur droit au respect de la vie privée et familiale. Le Conseil d’État reconnaît l’importance de ces principes, mais souligne qu’ils doivent être conciliés avec les exigences de l’ordre public et les règles sanitaires. En l’espèce, la préservation des corps par congélation dans une propriété privée ne respecte pas le cadre légal en vigueur.
Décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État confirme les décisions des juridictions inférieures, estimant que les autorités ont agi conformément à la loi en ordonnant l’inhumation des corps. Il rejette donc la requête de M. Rémy X et de ses sœurs.
Commentaire
Cette affaire illustre la nécessité de respecter les dispositions légales en matière de pratiques funéraires, même lorsque les familles souhaitent honorer les dernières volontés « particulières » des défunts. Le Conseil d’État rappelle que le respect de la dignité humaine et des règles sanitaires prime sur les choix individuels en matière de conservation des corps.
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Source : l’arrêt – https://justice.pappers.fr/decision/7faf0a2542566bfa73604ff00b1ceb7f; on relira avec intérêt R. COSTA, Anthologie des jurisprudences insolites, Paris 2020, qui est une source inépuisable d’inspiration dans la pratique du droit….
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM